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1937

Une visite au dispensaire
de Keroriou

 

 

Source : La Dépêche de Brest 4 décembre 1937

 

Le mois de décembre est marqué chaque année par la mobilisation générale des bonnes volontés, dans le but de trouver de l'argent, pour lutter contre le fléau qui n'épargne personne: la tuberculose.

 

On a souvent dit que la lutte antituberculeuse était un problème d'État, au triple point de vue sanitaire, moral et financier, mais en attendant que des temps meilleurs permettent à l'État de remplir intégralement cette mission, nul être humain ne peut se dérober du geste de solidarité qu'on lui demande en ce mois de décembre, en versant son obole, aussi modeste soit-elle.

 

Les chiffres contenus dans le rapport de M. Parent, adjoint au maire de Brest et président du comité brestois de vente du timbre, montrent, par leur progression constante, que nos compatriotes ont bien compris ce devoir de solidarité, mais pour que cette action commune rende son maximum d'effets, il importe de persévérer dans cette entr'aide, il est indispensable de se montrer aussi tenace que le fléau lui-même, car si, grâce à cette lutte menée contre lui depuis 20 ans, ses ravages ont été considérablement réduits, le danger demeure très grave et les moyens de le combattre efficacement deviennent de plus en plus onéreux.

 

Au moment où l'on s'apprête à solliciter l'obole de chacun, il nous a paru opportun de jeter un regard en arrière, pour mieux constater les résultats acquis dans ce domaine, grâce à cette lutte organisée selon les principes de prophylaxie élaborés par le docteur Calmette, lutte que la loi du 15 avril 1916 a rendu obligatoire dans notre pays.

Docteur Calmette

 

À cet effet nous sommes allé rendre visite au dispensaire de Kéroriou et à son directeur, le docteur Le Moyne, également directeur du bureau d'hygiène de la ville de Brest.

 

620 morts en 1916, 285 en 1936 pour Brest

 

Comme c'est un jeudi, nous trouvons le docteur entouré de nombreux enfants des deux sexes, des garçons surtout, dont l'âge oscille entre 3 et 13 ans.

C'est en bon papa que le docteur cause et examine ces petits qui, pour terminer la séance, passeront un à un dans la chambre noire de la radio, où certains pleurent, parce qu'ils ont peur, sans trop savoir de quoi.

 

Les mamans qui attendent paraissent anxieuses, surtout celles qui viennent au dispensaire pour la première fois.

La crainte de la triste vérité les tenaille et c'est en cajolant leur petit qu'elles raccompagnent dans sa cabine de déshabillage.

Père de famille, nous aussi, nous vivons ce drame intime avec émotion, et songeons à tous les êtres chers, perdus, parents ou amis, touchés par ce terrible mal, à une époque où le dépistage n'était pas encore organisé, et la science moins bien armée qu'aujourd’hui.

 

La voix du docteur nous arrache à ces pensées mélancoliques.

 

— J'en ai terminé pour ce matin, et je suis à votre disposition.

— Avant toute chose, docteur, pouvez-vous nous dire l'état de ces petits , que vous venez de visiter ?

 

— Je suis lié par le secret professionnel, mais comme il n'y a rien de grave, je puis vous dire que ces enfants que je viens d'examiner sont tous normaux.

La plupart- d'entre eux sont déficients physiquement, parce qu'ils vivent dans de mauvaises conditions d'hygiène, ou sont insuffisamment alimentés.

Il en est d'autres que nous examinons périodiquement par prudence, en raison de leurs conditions d'existence.

 

« Sur les 656 enfants que nous avons visités en septembre dernier, nous avons enregistré six malades positifs, et un décès contre une dizaine chez les adultes. »

 

— Le pourcentage de la mortalité pour la ville de Brest, est-il toujours en dégression ?

— Je ne pourrai mieux vous répondre que par les chiffres.

En 1916, nous atteignions 620 morts par tuberculose et pour 1936, 285.

Voici par ailleurs un tableau comparatif de la mortalité tuberculeuse dans notre ville, pour ces dix dernières années.

 

L'activité du dispensaire de Kéroriou

 

En 1926, 68.161 habitants, 444 décès ;

et, nous avons eu au dispensaire, 3.083 consultations, dont 1.129 hommes, 734 femmes, et 1.223 enfants.

Nous avons surveillé 863 foyers et nos infirmières ont effectué 6.321 visites à domicile.

Nos séances réservées aux enfants se sont élevées, pour la même année, à 58, et sur les 1.223 enfants examinés, nous avons décelé 203 cas de tuberculose de toutes formes, et 5 positifs, mais l'état général des 9/10e des enfants ne présentant aucun symptôme de tuberculose est mauvais, conséquence le plus souvent, je le répète, d'une alimentation insuffisante en qualité, quand ce n'est pas en quantité, car les misères sont beaucoup plus nombreuses qu'on se l'imagine.

 

« C'est d'ailleurs pourquoi j'insiste chaque fois dans mon rapport annuel, sur l'importance des cantines scolaires, du préventorium, des écoles en plein air et des colonies de vacances, parce qu'elles concourent à la prévention de la tuberculose.

Nul doute qu'à tous points de vue, la cure préventive vaut mieux que la cure du sanatorium, dont les résultats sont plus aléatoires.

 

— Ces organisations sont-elles assez nombreuses ?

— Hélas non ! En 1936, nous avons dirigé 175 enfants sur les divers préventoria du département ou-sur l'école de plein air de Penmarch, soit environ deux enfants sur dix qui en auraient besoin.

 

— Cet équipement préventif va bientôt se trouver renforcé par l'initiative que la Marine a prise en créant un service d'œuvres sociales, dont une des premières réalisations sera l'organisation d'une nouvelle colonie de vacances, qui pourra recevoir 200 enfants, pour un séjour de un mois.

 

— Je m'en réjouis, pour les enfants, mais il reste beaucoup à faire dans ce domaine, car les séjours actuels à la colonie de vacance sont insuffisants pour les enfants qui nous intéressent particulièrement, en raison de leur état physique déficient.

 

« Cette malheureuse question d'argent vient toujours limiter notre action, dans tous les domaines, qu'il s'agisse de prévenir ou de guérir.

Cependant les efforts déjà accomplis sont probants, et c'est pourquoi il faut persévérer dans cette lutte, et travailler à l'accroissement des moyens qui nous permettront, peut-être un jour, de terrasser l'adversaire, ou tout au moins de réduire encore ses ravages.

 

— Ne pensez-vous pas, docteur, que si l'éducation physique était appliquée régulièrement dans tous, nos établissements scolaires, le nombre des « prétuberculeux » serait moindre ?

— Entièrement d'accord avec vous sur ce point.

Beaucoup d'enfants que nous examinons ne savent pas respirer.

L'E. P. et les jeux en plein air, en excluant toute idée de sport pratiqué avant l'heure, permettraient à ces enfants d'atteindre un développement solide, offrira une résistance plus forte aux sources de contagion ou de réinfection auxquelles l'exposera la vie de chaque jour.

Marc Rucart

 

« À ce propos, je vous signale qu'un arrêté ministériel de M. Marc Rucart, ministre de la Santé publique, en date du 12 août dernier, prescrit que dans chaque commune, le directeur du bureau d'hygiène est chargé du contrôle sanitaire des organismes civils d'éducation physique ».

 

Le docteur nous parle ensuite de la réadaptation du malade au travail, problème nouveau semble-t-il, mais très important, tant au point de vue psychologique qu'humain, puisqu'il s'agit d'organiser pour les malades guéris, une sorte de reclassement social, identique à celui dont ont bénéficié les blessés de la guerre 1914-1918, contraints, par leur invalidité, de s'orienter vers une profession convenant à leurs moyens physiques.

Nous reviendrons demain sur cet intéressant sujet.

 

Source : La Dépêche de Brest 7 décembre 1937

 

Nous avons rappelé dans un premier article que l'action des organismes de lutte antituberculeuse se décompose en trois opérations :

Le dépistage, la prévention et la cure thérapeutique, laquelle aboutit parfois à la récupération du capital humain.

 

— Un autre problème important se pose aujourd'hui, nous dit le docteur Le Moyne, directeur du dispensaire de Kéroriou, celui de la réadaptation au travail du malade récupéré.

« Renvoyer celui-ci à un travail pénible ou malsain équivaut à rejeter à l'eau un noyé qu'on a repêché et ranimé ».

 

Le dernier congrès de la tuberculose s'est préoccupé de cette question, qui fait l'objet de nombreuses études ;

et, à ce propos, le docteur Grenandier, après avoir traité de la psychologie du malade et préconisé l'établissement de sanatoria à proximité des grandes villes, s'exprime en ces termes :

Il faut ajouter, aux règles générales du sanatorium, la réadaptation au travail du malade, à l'heure choisie par le médecin traitant.

 

Deux éventualités seront alors envisager :

Ou bien le tuberculeux ayant été trop profondément touché, s'est décidé trop tard à se soigner.

Il devra rester longtemps sous l'aile du sanatorium, et c'est alors que seront précieux ces ateliers agricoles et industriels, qui existent déjà autour de certains établissements de cures.

Là il pourra, quelques heures par jour, sous une surveillance médicale attentive, produire des objets consommables sur place par le sanatorium.

Ce travail devra, du reste, être rémunéré, pour qu'il n'ait pas le caractère d'une sorte de jeu décevant.

En outre, le salaire ainsi gagné servira à constituer un pécule pour le retour éventuel à la vie.

On accorde bien cette satisfaction aux condamnés de droit commun.

 

Ou bien les lésions se seront cicatrisées, la tuberculose est stabilisée, cliniquement guérie, et le malade sera autorisé à repartir vers son ancien travail, sauf incompatibilité évidente.

 

Souhaitons que ce problème de reclassement social, réalisé pour les blessés de guerre, puisse l'être aussi, un jour prochain, en faveur des tuberculeux.

 

Les bonnes Samaritaines

 

Nous voici maintenant dans le bureau des infirmières visiteuses.

Elles sont quatre qui partagent leur activité entre le dispensaire et les visites à domicile dans les communes de Brest, Saint-Marc et Le Relecq-Kerhuon.

Mlle Ségalen assume la direction de ce personnel que complète un infirmier chargé des analyses bactériologiques, de la radiographie et radioscopie.

 

Entre une distribution de bons médicaux à des enfants, qui la plupart portent sur le visage le masque de la privation, ces dames nous parlent avec discrétion, mais avec émotion, des nombreuses misères dont elles sont presque journellement les témoins.

 

— Le produit de la vente du timbre, dit l'une d'elles, est précieux, notamment pour le placement des enfants.

Mais il nous semble que le mois de décembre, qui est chargé en dépenses pour tout le monde, est peut-être l'un des plus défavorables au succès de cette vente.

— C'est possible, répliquons-nous, mais si on le considère comme le mois du sacrifice, un peu plus, un peu moins, nous ne pensons pas que ce choix soit si mauvais.

 

Nous parlons ensuite de cas typiques de misères dues à la tuberculose.

Ici, c'est une femme qui a perdu son mari, après une longue maladie, qui vient de mettre au monde un sixième enfant.

L'aîné a huit ans, tous sont chétifs, la mère n'a rien et pour nourrir ces bambins, elle doit les abandonner aux voisins, 8 à 10 heures par jour, pendant qu'elle va travailler.

 

Là c'est un chômeur, touché par le mal et père de famille nombreuse.

L'allocation qu'il touche est insuffisante pour lui seul et derrière lui il y a cinq bouches à nourrir.

C'est alors que le placement des enfants dans un milieu propre et sain, joue un rôle important pour éviter cette cohabitation.

 

La question de la présomption d'origine fait aussi des malheureux.

C'est tel ou tel militaire qui, à X années de service, s'est vu déclaré inapte au service et qu'on a renvoyé à son foyer, malade, mais sans un sou.

 

— Il faut vivre comme nous, nous dit une autre infirmière, pour comprendre la misère et la détresse que la tuberculose engendre dans certains foyers, et s'il était possible à chacun de s'en rendre compte, la recette provenant de la vente du timbre serait plus importante qu'elle n'est, bien qu'à Brest les résultats obtenus montrent une bonne compréhension de la masse.

 

« Demandez à vos amis sportifs, monsieur, de nous aider, comme ils l'ont déjà fait, en organisant des manifestations au profit de notre belle œuvre ».

 

Appel aux organisations sportives

 

Comme chaque année, les organisations sportives de Brest, par l'intermédiaire du district départemental de la Ligue de l'Ouest de football-association, se préparent à organiser un match au profit du dispensaire de Kéroriou, mais cette manifestation limite à 22 joueurs la collaboration des sportifs.

Aussi avons-nous pensé qu'il serait peut-être possible d'organiser, dans le même but, un match inter-corporatif à Brest, et d'autres matches à Saint-Marc et à Kerhuon, communes rattachées au dispensaire de Brest.

 

Il va de soi que c'est dans le département tout entier que les sportifs, privilégiés de la santé, doivent se mettre, pour un jour, à la disposition du comité de lutte antituberculeuse.

 

Nous savons bien que les calendriers des sociétés sont généralement chargés, mais si la vente du timbre est limitée au mois de décembre, les recettes qui seraient effectuées en janvier n'en seraient pas moins les bienvenues, car il faut de l'argent, beaucoup d'argent, pour arriver à une nouvelle baisse de la courbe de la mortalité que nous avons publiée samedi, et qui constitue la meilleure preuve que l'effort commun aboutit à des résultats appréciables.

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