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1937

À l'école maternelle

 

 

Source : La Dépêche de Brest 7 décembre 1937

 

Depuis la parution, il y a 33 ans, de l'œuvre célèbre de Léon Frapié, l'école maternelle a fait des progrès.

Il suffit pour s'en convaincre de visiter celle de la rue de la République.

 

On ne pouvait, pour les tout-petits, choisir meilleur emplacement.

Par des baies hautes et larges, l'air et la lumière pénètrent à flots dans les classes qu'éclairent le moindre rayon de soleil.

Une rangée de jeunes arbres coupe en deux une vaste cour.

 

Les murs sont recouverts de peintures claires et gaies, ornementées, dans les classes, d'amusantes frises de scènes enfantines.

Partout règne une méticuleuse propreté.

Les parquets sont nets.

On croit plutôt pénétrer dans un sanatorium que dans une école.

 

Les enfants sont répartis en trois classes :

Les tout-petits de deux à quatre ans ;

les moyens, de 4 à 5 ;

les grands (tout est relatif), de 5 à 6 ans.

 

C'est la classe préparatoire à la « grande école ».

Cet après-midi, après le chant, en chœur, les « grands » apprennent une fable :

 

Ce ton-neau qu'au pres-soir

Le vi-gne-ron con-duit

Pour-quoi donc fait-il tant de bru-it.

Mon bon a-mi, c'est qu'il est vide !

 

Le son des voix mêlées des garçonnets et des fillettes parvient bizarre dans le long couloir servant de vestiaire.

On ne distingue qu'imparfaitement les mots déformés parfois d'une façon curieuse et amusante.

Peut-être ces enfants ne saisissent-ils pas la morale de cette petite fable, mais c'est un premier exercice de mémoire.

Ils auront besoin de cultiver cette faculté dans les années scolaires qui vont suivre.

 

Voici la classe des petits.

Quelle surprise de les trouver si sages, tranquilles, silencieux, disciplinés déjà.

Assis à leurs tables lilliputiennes, qui paraissent encore plus basses sous le plafond haut, qu'ils sont donc petits tous ces petits bonshommes et bonnes femmes !

 

Avec grande attention, ils empilent des cubes coloriés, construisent des édifices en équilibre instable, ayant la fragilité de châteaux de cartes, mais prenant aux yeux de ces bambins des splendeurs de monuments créés par leur merveilleuse imagination :

 

— « Que fais-tu, toi ? »

— Le pont de Plougastel, M'sieur »

— « Et toi ? »

— « Un bateau ».

 

Il serait difficile, même avec une grande bonne volonté, de reconnaître dans l'empilement des petits morceaux de bois multicolores quelque chose pouvant ressembler aux arches élancées du pont Albert Louppe ou à la forme d'un quelconque bateau.

Mais l'enfant poursuit avec conviction son travail d'imagination.

C'est l'essentiel.

 

Celui-ci est parvenu à faire tenir en équilibre ce qu'il appelle une maison Patatras, malgré son application, le haut mur s'écroule.

L'enfant rit aux éclats et, patiemment, recommence activement son travail de constructeur.

 

Chez moyens, il s'agit d'introduire dans des cartons perforés de trous gros comme des confettis, les quatre angles de minuscules carrés de papiers coloriés.

C'est un travail délicat pour ces petits doigts malhabiles.

Il est fait, en générai, avec goût.

Ces petits ont déjà le sens de la valeur des tons et du choix des complémentaires pour mettre en harmonie ce travail de mosaïque demandant de l'adresse et de la patience.

 

Mais la patience est la vertu maîtresse dans une école maternelle.

Il en faut une provision inépuisable à la directrice et à ses adjointes pour venir à bout, avec une surprenante douceur, de tout ce petit monde qui obéit au doigt et à l'œil, au moindre geste, à un regard, un simple claquement de mains.

 

Papas et mamans à la main leste, trop enclins à distribuer des gifles feraient bien de venir prendre des leçons près de ces femmes dévouées dont les méthodes réussissent si parfaitement.

 

Par la douceur, la flatterie, en étudiant le caractère de chacun, en en cultivant l'amour-propre, elles parviennent au dressage de tous ces bambins, presque sans contraints.

Des plus tapageurs, elles obtiennent le silence ;

des plus turbulents, l'immobilité.

 

Très sensibles aux compliments, blessés par une réprimande, toujours approuvée par leurs camarades, qui se moquent et font les cornes, les petits s'habituent à la discipline scolaire.

La punition — mise au piquet de quelques minutes — a rarement besoin d'être employée, le jeune élève est beaucoup plus sensible à la privation d'exercer la corvée honorifique dont il est chargé :

arracher chaque matin la feuille du calendrier par exemple, ou essuyer le tableau noir.

Se voir retirer la croix ou un bon point sont des punitions plus sensibles que la privation d'un bonbon et la plus belle récompense est de se voir confier pendant cinq minutes, la poupée.

 

— En résumé, déclarait une maîtresse sentencieuse :

« Pour élever les enfants, mieux vaut douceur que violence et on attrape mieux les mouches avec du miel qu'avec du vinaigre.

Beaucoup plus que par la sévérité, en les flattant et les récompensant à bon escient, nous obtenons facilement : obéissance et discipline. »

 

LA RÉCRÉATION

L'heure de la récréation retardée par la pluie, était enfin venue.

En bon ordre, les enfants sortaient des classes chauffées, venaient se ranger dans le couloir et, au commandement, revêtaient leurs manteaux pour, sur deux rangs, se mettre en marche et gagner la cour.

 

Après être passés « au petit coin » où, pour aider les plus petits, les attendaient deux jeunes femmes de service, vêtues de blouses blanches, les enfants furent enfin lâchés.

 

Ce fut d'abord un grand cri d'allégresse, une course folle en tous sens, dans un brouhaha assourdissant.

Puis des garçons allèrent chercher des cerceaux.

Des fillettes organisèrent des rondes :

Dansons la capucine

Y a pas de pain chez nous,

Y en a chez la voisine

Mais ce n'est pas pour nous.

Piou-ou-ou

 

Ce « pi-ou » qui les faisait s'accroupir, semblait surtout les amuser et la ronde reprenait sous l'œil indulgent des surveillantes.

 

À grandes enjambées, d’autres se tenant par le bras, parcouraient la cour dans toute sa largeur, en s'époumonant à chanter :

À la no-ce

Du cousin Bobo-sse.

 

Tout à coup, sans raison, partait d'un groupe un cri strident.

Les autres y répondaient par un hurlement ;

une folie collective semblait s'emparer de toute la bande, se mettant subitement à courir en se heurtant, se bousculant jusqu'au signal qui mit fin à la récréation.

 

Instantanément le calme fut rétabli.

Les classes reprirent.

Les maîtresses contèrent de belles histoires, écoutées religieusement.

C'était la récompense attendue d'une journée de travail et de sagesse.

 

Déjà, dans le vestibule les mamans attendaient et, quand sonnèrent 4 heures tout ce petit monde franchit la grande porte de l'école pour rentrer chez lui en racontant aux mamans attentives les « plaisirs » de la journée, sans se douter que l'école maternelle était l'antichambre, le prélude de la grande école où commenceraient bientôt pour eux, les soucis de la vie studieuse.

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