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1879

Destruction d'archives à Quimperlé

 

 

Source : Le Finistère 6 décembre 1879

 

Quimperlé

 

Un fait inouï vient de se passer à notre tribunal, qui décidément est appelé à devenir légendaire.

Le concierge et sa femme, gens très bien-pensants, à ce qu'il parait, ont depuis deux années, fait disparaître des monceaux d'archives du greffe, du parquet et de la chambre du conseil.

Actes de l'état civil, pièces déposées à l'appui des mariages, minutes de jugements correctionnels, livres de la bibliothèque, tout disparaissait sans que personne eût le moindre soupçon.

 

Ces jours derniers, seulement, le greffier du tribunal, ayant à rechercher un acte de l'état-civil, s'aperçût de la disparition, et, de vérification en vérification, il constata un vol considérable d'archives.

 

Le concierge, nommé Purenne, et sa femme, ont été incarcérés.

Ils ont fini par faire des aveux et indiquer les marchands de la ville qui leur achetaient les archives comme papiers inutiles.

Bien des restitutions ont été faites ;

on a retrouvé plus de 500 kilog. de papier, des ouvrages de jurisprudence, etc.

Reste à savoir si les acheteurs ne seront pas poursuivis comme complices !

En tous cas, l'affaire Purenne sera l'une des plus intéressantes des Assises prochaines.

 

Source : Le Finistère 21 janvier 1880

 

1° Purenne, Jacques-René-Marie, âgé de 46 ans, né à Quimperlé, y demeurant, cordonnier et concierge du tribunal de Quimperlé ;

2° Jouan, Marie-Caroline, femme Purenne, âgée de 44 ans, née à Quimperlé, y demeurant, concierge du tribunal, sont accusés :

 

En premier lieu

— Purenne, Jacques-René-Marie et Jouan, Marie-Caroline, femme Purenne, d'avoir, à Quimperlé, dans le cours de l'année 1879, soustrait frauduleusement, au préjudice de l'État ou du département, un meuble déposé dans le local du tribunal dont ils étaient les gens de service à gages ;

2° Jacques-Marie Purenne, d'avoir à Quimperlé, depuis moins de dix ans, à diverses reprises, soustrait, détruit ou enlevé frauduleusement des registres et actes de l'état civil, des exemplaires des collections des lois et des bulletins administratifs, des numéros du Journal Officiel, minutes de jugements correctionnels, des livres et autres documents contenus dans le greffe, dans la bibliothèque ou dans le parquet du tribunal de Quimperlé, dépôts publics ou remis au sieur Flamen d'Assigny, greffier du dit tribunal, en sa qualité de dépositaire public ;

 

2° Marie-Caroline Jouan, femme Purenne, de s'être rendue complice des dites soustractions, destructions ou enlèvements frauduleux ;

Soit on aidant ou assistant, avec connaissance, l'auteur de ces actes dans les faits qui les ont préparés ou facilités ou dans ceux qui les ont consommés ;

Soit en recelant sciemment tout ou partie des objets enlevés ou détournés, sachant qu'ils étaient contenus dans des dépôts publics ou confiés à un dépositaire public.

 

Le 20 novembre dernier, M. Flamen-d'Assigny, greffier du tribunal civil de Quimperlé, ayant recherché dans les archives du greffe, pour les mettre à la disposition du receveur de l'enregistrement, les registres de l'état-civil et les pièces à l'appui des actes de mariages de la commune de Névez, pour l'année 1877, constata que ces pièces avaient disparu.

 

Il remarqua en outre que les rayons de la bibliothèque, contenant les registres de l'état-civil antérieurs à 1806, les anciens actes de baptêmes, mariages et décès des paroisses et des liasses de dossiers correctionnels, étaient presque entièrement vides.

 

Ses soupçons se porteront aussitôt sur les époux Purenne, concierges du tribunal depuis le mois d'avril 1877.

Le mari avait des habitudes d'intempérance notoires ;

la femme, elle-même, s'adonnait à la boisson, et, dès avant cette époque, on les avait soupçonnés d'avoir soustrait, au préjudice des membres du tribunal, divers objets n'ayant pu être retrouvés.

Purenne, interrogé, se renferma d'abord dans un système de dénégations absolues ;

mais, prévoyant que les recherches opérées par la gendarmerie et la police allaient amener la découverte de son crime, il entra bientôt dans la voie des aveux.

 

Il indiqua d'abord douze personnes auxquelles il avait vendu les papiers et registres dont la disparition avait été constatée ;

mais les recherches opérées firent découvrir qu'il avait vendu, depuis trois ans environ, à vingt-six commerçants de la ville, une énorme quantité de papiers, livres et registres provenant du greffe, de la bibliothèque ou du parquet du tribunal, et s'élevant au poids de 4,000 à 2,000 kilogrammes.

Grâce à la disposition des lieux et à l'habileté avec laquelle Purenne opérait, ni le greffier, ni le commis-greffier ne s'étaient aperçus de ces détournements ;

les rayons situés au fond de la pièce renfermant les archives ne contenaient que des documents anciens auxquels on avait rarement recours, et l'accusé avait le soin d'y espacer habilement quelques dossiers pour tromper l'attention du greffier.

Purenne ayant une clef du greffe, pouvait y entrer le matin et le soir en l'absence de M. d'Assigny et de son commis-greffier ;

l'information a établi que depuis 15 ou 18 mois il parcourait fréquemment les rues de la ville avec un sac sous le bras, rempli de papiers, ou avec un paquet caché sous ses vêtements ;

il se rendait chez les divers commerçants de la ville et leur vendait plusieurs kilogrammes de papiers, au prix de 20, 25 ou 30 centimes le kilogramme.

Sa qualité de concierge du tribunal inspirait confiance :

il affirmait d'ailleurs aux acheteurs que tous ces papiers étaient inutiles et encombrants et qu'il était chargé de les vendre.

— On peut évaluer à 300 francs environ le montant des sommes qu'il a dû retirer de ce commerce frauduleux.

Après avoir soustrait d'abord des numéros du Journal officiel, des bulletins administratifs, des procès-verbaux du conseil général, des volumes de l'ancien recueil de Dalloz, il a fait disparaître ensuite les registres de l'état civil, la plupart antérieurs à 1806, d'anciens actes de baptême, de mariages et de décès des paroisses, des minutes de jugements correctionnels et des liasses de dossiers placés dans la partie la plus reculée de la salle des archives du greffe.

Il a vendu même plusieurs ouvrages appartenant à la bibliothèque du tribunal, notamment 3 volumes des œuvres de Napoléon III (!!), un volume du code civil annoté de Dalloz, et les procès-verbaux classés sans suite et déposés aux archives du parquet ;

les livres reliés, s'il faut en en croire les acheteurs, se trouvaient le plus souvent placés au milieu d'autres papiers, de sorte qu'ils achetaient le tout au poids sans se préoccuper de la nature des documents qui leur étaient livrés par Purenne.

 

Les détournements les plus considérables ayant eu lieu dans les derniers mois de l'année 1879, les commerçants possédaient encore lors de l'ouverture de l'information une grande partie des documents soustraits par l'accusé, et on a pu recouvrer ainsi, grâce aux restitutions opérées, près de 800 kilogrammes de papiers enlevés des archives du greffe.

 

Purenne, qui ne pouvait se méprendre sur la nature et l'importance de ces documents, et qui avait réussi à dissimuler ses vols depuis plus de deux années, a dû être aidé par sa femme dans la perpétration de son crime.

Non-seulement la femme Purenne n'ignorait pas le but des visites fréquentes de son mari chez les commerçants de la ville, mais les reliures des registres de l'état-civil, des volumes du bulletin des lois ou du recueil de Dalloz, étaient déposées d'ordinaire dans la chambre à coucher des époux Purenne, où plusieurs ont été retrouvées, et la femme recevait fréquemment de son mari diverses sommes d'argent destinées à acheter du cidre et de l'eau-de-vie et dont elle connaissait la provenance.

Il est appris, d'ailleurs, qu'elle ne se faisait pas la complice du son mari par crainte des mauvais traitements, car il ne la frappait jamais, et de plus des témoins ont affirmé qu'elle était la première à rassurer les acheteurs, en leur déclarant qu'il s'agissait de vieux papiers sans valeur dont son mari était autorisé par le tribunal à se défaire et à toucher le prix.

Craignant cependant que ces soustractions ne fussent découvertes, elle avait fini par reprocher à son mari sa conduite compromettante ;

elle prétend même que parfois elle lui aurait repris des mains, pour les replacer dans les archives du greffe, des pièces qu'il se disposait à emporter, reconnaissant implicitement par là même qu'elle était instruite des déprédations de son mari ;

elle a persisté, toutefois, à protester de son innocence.

 

On a découvert encore dans la loge des époux Purenne, deux fauteuils en paille, dépendant du mobilier du tribunal, dont l'un seulement leur avait été confié provisoirement par M. Benoit, alors procureur de la République à Quimperlé.

 

L'information a établi qu'ils avaient fait transporter à Lorient un troisième fauteuil appartenant également au tribunal et en avaient fait cadeau à une demoiselle Emmanuel, repasseuse, chez laquelle leur fille est apprentie.

 

D'autres détournements, au préjudice de particuliers, ont été relevés également à la charge des accusés ; mais ces faits ne sont justiciables que de la police correctionnelle.

 

Reconnu coupable, avec admission de circonstances atténuantes, Purenne, Jacques-René-Marie, a été condamné à la peine de quatre ans de prison et par corps aux frais de la procédure.

Le verdict du jury est négatif en ce qui concerne la femme Purenne, qui est acquittée.

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