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1890

Le crime du Créac'h
à Porspoder

 

 

Source : La Dépêche de Brest 22 octobre 1890

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Source : La Dépêche de Brest 23 octobre 1890

 

L'heure tardive à laquelle le crime du Créac'h a été connu et l’éloignement du lieu où il a été commis, ne nous ont pas permis de donner hier de très amples détails et nous avons dû nous borner à la simple mention du drame.

Les renseignements que nous avons recueillis depuis nous permettent aujourd'hui d'en faire un récit complet.

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LA VICTIME

 

Le Créac'h est situé presque à égale distance de Porspoder et d'Argenton, à cheval sur une route carrossable qui va de Larret à la côte.

La victime — Héliès et non Heiblès — habitait une des fermes qui composent ce village, à environ 50 mètres de la route.

 

Héliès (Jean) était un vieillard de 70 ans.

Veuf, il vivait seul, ne sortant que pour aller voir ses deux filles mariées l'une à un pêcheur, l'autre à un cultivateur.

 

Il était dans une honnête aisance.

Dans son étable se trouvaient un cheval et une vache et il passait pour avoir quelque argent chez lui.

 

Dimanche, Héliès se rendit à Ploudalmézeau où habite une de ses filles.

Il y passa une partie de la journée et rentra chez lui vers cinq heures du soir.

 

Lundi on ne le vit pas.

Sa porte resta close.

Ce silence étonna profondément un voisin, le sieur Cloître, cultivateur au Créac'h, d'autant que les animaux, poussés par la faim, ne cessaient de crier.

La vache, notamment, s'agitait avec furie et semblait tout briser.

 

Vers six heures et demie, les beuglements de la vache redoublèrent.

Cloître se décida alors à pénétrer dans l'étable.

La bête avait rompu son entrave et avait tout saccagé.

 

Intrigué, comme on le pense, Cloître alla chercher son gendre, le sieur Vern, et les deux hommes pénétrèrent dans l'habitation, dont la porte n'était fermée que par un loqueteau.

À la clarté d'une chandelle qu'ils allumèrent, un pénible spectacle s'offrit à leurs yeux.

 

Le vieillard était étendu près de l'âtre, la tête fracassée.

La tempe gauche était horriblement brisée et le corps était froid.

 

Héliès avait été assommé.

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LES PREMIÈRES CONSTATATIONS

 

Les communications n'étant pas des plus faciles, les autorités ne furent prévenues que le lendemain matin, c'est-à-dire avant-hier, informé du fait par la gendarmerie, M. Jégout, juge de paix du canton, requit le docteur Levot, qui a remplacé à Ploudalmézeau le regretté docteur Plainfossé-Hauteville, que nous avons fait revivre hier par erreur, et se rendit aussitôt au Créac'h.

 

Dès son arrivée, M. Jégout prit les mesures nécessaires et fit immédiatement prévenir télégraphiquement le parquet de Brest par un des sémaphores de la côte.

Le docteur Levot ne put que constater le décès.

 

M. Dumas, procureur de la République, reçut la dépêche à midi et demi.

Il manda aussitôt le juge d'instruction, la docteur Miorcec, médecin légiste, et le greffier, et une heure après le parquet se mettait en route.

 

Vers six heures et demie, les magistrats étaient au Créac'h.

Bien que la nuit fût complètement venue, l'enquête commença aussitôt.

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LES INSTRUMENTS DU CRIME

 

Les premières investigations furent fructueuses.

Elles établirent, tout d'abord, que le vol avait été le mobile du crime.

Cloître et son gendre avaient constaté, le soir même, la disparition d'une somme de deux cents francs.

Cette somme se trouvait dans une armoire placée dans une chambre du premier étage et l'armoire avait été fracturée.

 

Ce détail précieux pour l'information une fois posé, les recherches se poursuivirent dans un grenier contigu servant de magasin de débarras.

Elles amenèrent une autre découverte importante, celle de l'instrument ou plutôt, comme on le verra par la suite, d'un des instruments du crime.

 

Cet instrument n'était autre qu'une pioche, semblable à toutes les pioches, mais excessivement lourde.

Le fer se terminait d'un côté en pointe et de l'autre en biseau.

Sur ce biseau étaient restés des traces de sang, des fragments d'os et des cheveux.

 

Il n'y avait pas à douter.

Le fer s'adaptait parfaitement à l'horrible blessure de la tempe.

 

L'AUTOPSIE

 

Ce premier point acquis et tandis que les témoins étaient entendus dans le grenier, le docteur Miorcec se mettait en devoir de procéder à l'autopsie du cadavre.

 

Le spectacle ne laissait pas d'être impressionnant.

La salle était plongée dans l'ombre.

Seule, la table où le corps avait été déposé, était éclairée par des chandelles fichées dans des bouteilles.

 

À cette lueur vacillante, la docteur Miorcec examina d'abord la blessure de la tempe.

La conclusion de cet examen fut que la blessure n'avait pas déterminé la mort.

En effet, le crâne n'avait pas été atteint et la plaie, bien qu'épouvantable, n'était pas mortelle.

 

Cependant le corps ne portait aucune blessure apparente.

L'habile praticien procéda alors aux incisions habituelles et l'ouverture de l'estomac amena une découverte assez inattendue.

 

Toutes les côtes étaient écrasées, brisées, et de telle façon, que le cœur avait été déchiré.

 

La vérité commença aussitôt à apparaître.

Non loin de l'endroit où était tombé Héliès se trouvait une énorme balle de farine.

Sans aucun doute, le vieillard s'effondrant en quelque sorte sous le coup de pioche, le meurtrier, pour l'achever, avait roulé sur lui la balle de farine.

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L'ENQUÊTE

 

Telle était, à peu près reconstituée la scène du crime.

Il restait à en trouver l'auteur.

 

C'est à quoi tendaient les magistrats, tandis que le docteur Miorcec procédait à l'autopsie.

La tâche n'était pas facile.

 

L'interrogatoire des témoins n'a apporté d'abord aucun élément bien précieux pour l'enquête.

On ne savait rien, on n'avait rien vu.

 

Un moment, les soupçons se portèrent sur un individu assez mal noté dans le pays et le parquet fut sur le point de le faire mettre en état d'arrestation, mais cet individu n'eut aucune peine à établir un alibi.

On chercha donc d'un autre côté.

 

Ce qui est hors de conteste, c'est que l'assassin connaissait parfaitement la maison et les habitudes d'Héliès.

Tout porte donc à croire qu'il ne tardera pas à tomber entre les mains de la justice qui a, d'ailleurs, recueilli de précieux indices.

 

Pour ne pas entraver l'action des magistrats-instructeurs, nous n'en dirons pas plus pour aujourd'hui.

Ajoutons, cependant, que les obsèques du malheureux vieillard ont, eu lieu hier à trois heures et demie.

Dans l'assistance assez nombreuse, on remarquait M. Provostic, adjoint.

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Source : La Dépêche de Brest 24 octobre 1890

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Source : La Dépêche de Brest 26 octobre 1890

 

L'instruction du crime de Créac'h se poursuit activement.

 

Avant-hier matin, à six heures, le parquet s'est de nouveau rendu sur les lieux.

Il n'est rentré qu'à onze heures du soir.

 

La journée a été employée à de nouveaux interrogatoires.

Les magistrats ont procédé par voie d'élimination.

Tour à tour, les personnes ayant eu des relations avec Héliès ont été interrogées.

Toutes ont pu fournir des alibis formels.

 

Cette constatation va un peu, comme on le voit, à rencontre de l'hypothèse admise tout d'abord que le meurtrier connaissait parfaitement les lieux et les habitudes de la victime.

Les recherches de la justice se sont donc tournées d'un autre côté.

 

Certains indices feraient maintenant croire que le crime a pu être commis par un rôdeur.

D'abord, le coup fait, le ou les assassins auraient tout disposé dans la maison pour que la mort du vieillard fut ignorée le plus longtemps possible, afin, sans doute, d'avoir le temps de gagner le large.

D'autre part, un chapeau presque neuf a été volé, ce que n'aurait certainement pas fait une personne de l'entourage d'Héliès.

 

Un autre point important a été établi.

Le crime n'aurait pas été commis le dimanche soir vers sept heures, comme on le supposait tout d'abord, mais probablement le lundi matin.

Héliès avait, en effet, mangé à Ploudalmézeau et le fait aurait dû être constaté par l'autopsie.

Or, le docteur Miorcec n'a pas retrouvé la moindre trace de nourriture dans l'œsophage.

 

La nouvelle piste sur laquelle le parquet a dû s'engager va rendre son action plus difficile.

Cependant, des dépêches ont été envoyées sur différents points.

Une active surveillance est organisée.

 

Il est à souhaiter qu'elle amène au plus tôt l'arrestation du meurtrier.

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Source : La Dépêche de Brest 30 octobre 1890

 

On a pu croire un instant hier que l'auteur du crime du Créac'h était enfin découvert.

Une arrestation avait été opérée, mais elle n'a pas été maintenue.

 

Salou (Yves), l'individu arrêté, est natif de Porspoder, qu'il avait quitté depuis environ 15 ans.

Abandonnant sa femme et son enfant, il s'employait comme domestique de ferme au village de Pont-l’Hôpital, en Loc-Maria-Plouzané.

On ne l’aurait revu dans le pays que du samedi au lundi 20.

Le dimanche, il aurait été aperçu à Porspoder et le lendemain, il aurait couché et soupé à St-Renan, dans une auberge tenue par la femme Cloître.

 

D'autres charges pesaient sur lui.

Toujours le lundi, il aurait fait un achat de toile chez une commerçante route de St-Renan, Mme Charpentier, et il aurait payé en pièces de cinq francs.

Enfin, le sieur Petton (Jean), qui fait le service des dépêches entre Brest et Le Conquet, l’aurait pris le mardi matin à l'hôtel Anna et l'aurait descendu en face du village de Kerzévéon, en Loc-Maria.

 

Cette présence insolite dans les environs du lieu où a été commis le crime éveillèrent d'autant plus les soupçons que Salou, à tort ou à raison, jouit d'une mauvaise réputation.

Condamné plusieurs fois pour vol, la rumeur publique l'aurait accusé, il y a une vingtaine d'années, d'avoir assassiné sa sœur Marie-Yvonne, sur la grève d'Argenton.

Il fit même de la prison préventive, mais il fut remis en liberté faute de preuves.

 

C'est au village de Pont-l’Hôpital que Salou a été arrêté, avant-hier soir, par la gendarmerie.

Emprisonné aussitôt à St-Renan, il a été dirigé hier matin sur Brest, où il est arrivé vers onze heures.

Il faut croire cependant que les charges qui pesaient sur lui n'étaient pas bien lourdes, car le parquet ne l'a pas gardé à sa disposition.

 

Salou a, en effet, été relaxé hier soir.

C'est une nouvelle piste qui tombe à l'eau.

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Source : La Dépêche de Brest 7 janvier 1891

 

Le 21 octobre dernier, un vieillard de 70 ans, le nommé Héliès, était trouvé assommé.

La tempe gauche était fracassée et les côtes brisées, de telle façon que le cœur avait été déchiré.

 

Héliès vivait seul, et il passait pour être à son aise.

Il avait dans son étable un cheval et une vache et, dans son armoire, une certaine somme d'argent, qui ne fut pas retrouvée.

 

Malgré toute l'activité des magistrats instructeurs, l'enquête n'amena pas l'arrestation du coupable.

Un garçon de ferme de Pont-l'Hôpital fut un instant arrêté et conduit à Brest, mais il fut relaxé le soir même.

 

Cependant le parquet n'avait pas perdu tout espoir de retrouver le coupable.

Certains indices avaient été retenus, qui ont fini par se préciser au point de nécessiter une nouvelle descente judiciaire.

 

Cette descente a eu lieu avant-hier.

Elle a amené l'arrestation d'un individu touchant de près à la victime, qui a été écroué à la maison d'arrêt.

 

L'instruction établira la gravité des charges qui pèsent sur ce dernier.

En attendant, on ne saurait trop féliciter le parquet de Brest du zèle qu'il a déployé en cette affaire, qu'on aurait pu croire classée, d'autant que les moyens dont il dispose sont, on le sait, des plus restreints.

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Source : La Dépêche de Brest 8 janvier 1891

 

Nous avons annoncé hier qu'une descente du parquet au Créac'h avait amené l'arrestation d'un individu touchant de près la victime.

Les renseignements que nous avons recueillis hier nous permettent aujourd'hui de préciser.

 

L'individu arrêté n'est autre qu'un des gendres du vieillard assommé, le sieur Le Vern (François).

 

Les premiers soupçons

 

Le Vern habite à environ six minutes de marche de la maison dans laquelle Héliès a été assommé.

Il a neuf enfants et sa situation de fortune n'est pas très brillante.

Cependant, l'état de ses affaires n'aurait pas suffi à l'inculper, sans des circonstances qui, rassemblées, sont arrivées à faire naître des doutes sur l'emploi de son temps pendant la soirée du meurtre.

 

Les soupçons qui pèsent sur lui datent, d'ailleurs, du jour même de la découverte du cadavre.

Interrogé le lendemain par les magistrats qui s'étaient transportés sur les lieux, il dit ne pas être sorti de chez lui au moment où son beau-père passait de vie à trépas.

Cette version fut confirmée par ses enfants.

 

La chose paraissait vraisemblable.

Le parquet suivit donc d'autres pistes.

Un voisin fut soupçonné, puis ce fut le tour du garçon de ferme dont nous avons parlé hier.

On crut d'abord que les vêtements de ce dernier étaient tachés de sang, mais après examen on reconnut tout simplement que les taches étaient des taches de peinture, et le domestique fut relaxé.

 

Dans ces conditions, il semblait que le meurtrier ne fût pas près de tomber entre les mains de la justice.

Cependant, M. le procureur de la République n'avait pas abandonné tout espoir.

Les réponses de Le Vern ne l'avaient satisfait qu'à demi et son attitude ne lui avait pas paru des plus claires.

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L'opinion des habitants

 

Le chef du parquet organisa donc une rigoureuse surveillance.

Des gendarmes battirent le pays, mais toutes leurs questions se heurtèrent à un mutisme complet.

Personne ne savait, personne ne voulait parler.

Impossible de rien tirer des habitants.

La peur de la justice, si vivace dans les campagnes, clouait les lèvres.

 

Il fallait user d'un autre moyen.

M. Dumas envoya au Créac'h un gendarme parlant breton comme un Breton bretonnant et dépourvu de son uniforme.

Celui-ci fut plus heureux.

Après une semaine de séjour, sous un prétexte quelconque, il acquit la certitude que tous les habitants étaient unanimes à considérer Le Vern comme l'auteur du meurtre.

 

Le procureur de la République ne s'en tint pas là.

Voulant éclairer complètement sa religion, il interrogea un officier ministériel du canton.

« Voyons, lui dit-il, parlez ! Vous n'avez aucune raison de me cacher la vérité. »

L'officier ministériel parla et ses paroles confirmèrent pleinement les opinions recueillies par le gendarme.

D'après lui, tout le pays n'avait qu'une voix pour accuser Le Vern.

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Chez la somnambule

 

Ce n'étaient pourtant là que de simples présomptions, et le parquet hésitait encore, lorsqu'une circonstance bizarre vint précipiter les événements.

 

Après le crime, Le Vern ne s'était aucunement inquiété de la découverte de l'assassin.

Il était à cet endroit d'une placidité remarquable.

Alors que chacun émettait des suppositions, formulait des hypothèses, lui semblait se désintéresser complètement de la question.

 

Tout à coup, sans que rien ne pût faire prévoir un tel changement, Le Vern se passionna vivement pour cette découverte.

Il eut même recours, pour y arriver, à un moyen assez original.

 

Un beau matin du mois dernier, le voilà qui part pour Brest.

Arrivé dans notre ville, il se rend chez une somnambule et, sans autre préambule, il lui demanda le nom du meurtrier d'Héliès.

La nécromancienne ne se démonte pas.

Seulement, pour arriver à un résultat certain, elle lui réclame un objet ayant appartenu à la victime.

 

Le Vern rentre au Créac'h.

Il revient quelques jours après avec le pantalon ensanglanté de son beau-père.

La somnambule se fait aussitôt endormir par son mari, son endormeur ordinaire, et les révélations commencent.

Ce qui en ressort de plus clair, c'est que le domicile de l'assassin est voisin de celui de la victime.

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Cette conversation insolite ne tarda pas à arriver aux oreilles de la gendarmerie, qui en informa aussitôt le procureur.

Dans l’état d'esprit où se trouvaient les magistrats, ce fut un trait de lumière.

Le Vern n'agissait-il pas ainsi pour détourner les soupçons ?

Dans tous les cas, un nouvel interrogatoire s'imposait, et le parquet se rendit de nouveau sur les lieux.

 

Cet interrogatoire a eu lieu lundi.

Le point capital était de savoir si Le Vern était sorti de chez lui le soir du crime.

Au lendemain de l'événement, il disait non.

Lundi, il a déclaré être sorti quelques minutes, en compagnie de son fils, pour soigner ses chevaux.

C'était une légère correction à la première version.

 

Les neuf enfants interrogés firent tour à tour le même récit et avec si peu de nuances que l'on sentait la leçon apprise.

L'aînée, une jeune fille, pressée de questions, reconnut cependant que son père s'était absenté, et c’est alors que Le Vern déclara que cette absence n'avait duré que quelques minutes.

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Graves présomptions

 

D'autres présomptions ont été recueillies.

Quand Cloître, le voisin, entendant le bruit des animaux dans l'étable, vint dire à Le Vern :

« On n'a pas vu Héliès. Il est pourtant revenu de Ploudalmézeau. Il faudrait aller voir ! »

Le premier cri du gendre fut :

« On l'a tué ! »

 

Pourquoi ce cri ?

Était-il causé par une secrète appréhension ?

Qu'en savait-il ?

C'est, dans tous les cas, une réponse malheureuse et qui peut laisser supposer que Le Vern n'ignorait pas ce qui s'était passé chez son beau-père.

 

La maison ouverte, à la vue du vieillard baignant dans son sang devant l'âtre, nouvelle parole ambiguë.

Cloître, qui n'y met pas malice, pense que c'est un coup de sang, mais Le Vern s'écrie dès le seuil et avant d'avoir rien vu :

« On l'a assommé ! »

 

Un peu plus tard, la première pensée des personnes présentes est que le vol a été le mobile du crime.

On monte au grenier et l'on ne trouve plus d'argent dans l'armoire forcée.

Le Vern n'a pas un instant l'idée de ces recherches qui, semble-t-il, auraient dû venir tout de suite à son esprit.

Il se tient coi.

 

Au cours de l'interrogatoire, Le Vern s'est également mis plusieurs fois en contradiction avec lui-même.

Sur des points, d'ailleurs sans importance, ses réponses ont varié complètement avec ses premières dépositions.

Les variations, les lacunes, les trous de son récit, son attitude douteuse, toutes ces présomptions qui ne sont, il est bon de le dire, que des présomptions, des présomptions graves, mais des présomptions, ont amené son arrestation.

 

Le Vern, qui nie énergiquement toute participation au crime, a été conduit à Brest et écroué à la maison d'arrêt.

Il sera interrogé de nouveau aujourd'hui par le juge d'instruction, qui entendra également la somnambule et son mari.

 

On demande un aveu

 

Tel est pour terminer, l'état de cette affaire qui, les preuves matérielles faisant totalement défaut, ne peut avoir de solution qu'avec l'aveu de Le Vern.

Parlera-t-il ?

Réussira-t-on à lui arracher un mot établissant sa culpabilité ?

 

L'instruction le dira.

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Source : La Dépêche de Brest 11 janvier 1891

 

Le crime du Créac'h.

 

L'instruction du crime du Créac'h se poursuit activement.

La femme Pilvin, demeurant à Kélédern, en Lambézellec, belle-sœur de l'inculpé, et chez qui il se serait arrêté en venant à Brest consulter la somnambule, a dû être entendue hier.

 

Quant à Le Vern, il persiste dans ses dénégations.

Un point important a été pourtant mis en lumière par les interrogatoires.

 

La justice est en possession de pièces constatant que des paiements importants ont été faits par l'inculpé, après la date du crime.

Les paiements s'élèveraient à deux cents francs, somme qui correspond à peu près exactement à celle prise dans l'armoire de la victime, après le meurtre.

 

Si l'on tient compte de la situation obérée de Le Vern, on remarquera l’importance de cette nouvelle charge, qui vient s'ajouter à celles déjà recueillies contre lui.

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Source : La Dépêche de Brest 13 janvier 1891

 

Le crime du Créac'h

 

L’instruction du crime du Créac’h se poursuit sans interruption.

De nombreux témoins ont été entendus de nouveau hier.

 

Le Vern n’a pas changé de tactique.

Il continue à nier systématiquement.

Il ne peut cependant arriver à fournir des explications plausibles sur les paiements effectués par lui, depuis le crime.

 

Quant à l'histoire de la somnambule, elle a pris un tour plaisant.

Au reçu de l'assignation l'appelant devant le juge d'instruction, la pythonisse a levé le pied.

Craignant sans doute de voir la justice se mêler de son petit commerce, elle a disparu sans laisser son adresse.

 

Interrogé sur ses rapports avec la tireuse de cartes, Le Vern a avoué que celle-ci l'ayant engagé à penser à quelqu'un, afin qu'elle pût découvrir le meurtrier, il avait immédiatement pensé à C..., le voisin soupçonné d'abord.

 

On le voit, ce n'est pas bien malin comme suggestion, mais ça donne tout de même une fière idée des prophétesses qui font le grand jeu pour une somme modique.

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Source : La Dépêche de Brest 14 janvier 1891

 

Le crime du Créac'h.

 

La journée d'hier n'a rien apporté de nouveau.

Le Vern n'a pas subi de nouvel interrogatoire.

 

L'affaire va, d'ailleurs, se traîner maintenant sans grand intérêt.

L'instruction tâchera de préciser les charges et d'extirper à l'inculpé l'aveu sans lequel l'accusation tombera, faute de preuves, malgré les graves présomptions qu'elle a en mains.

 

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Source : La Dépêche de Brest 18 février 1891

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Source : La Dépêche de Brest 19 février 1891

 

Cette affaire du Créac'h est décidément féconde en surprises.

À peine l'instruction croit-elle découvrir un indice, que la piste se dérobe, s'évanouit, et l'on retombe dans l'inconnu.

 

La dernière déconvenue serait du plus haut comique, si le sujet pouvait comporter une note gaie.

 

On sait que le dernier espoir du parquet était la fameuse somnambule, consultée par Le Vern, quelque temps après le crime.

Cette somnambule, qui n'était autre que Mme Viviane, ainsi que nous l'avons dit hier, est entendue une première fois par M. Guicheteau, juge d'instruction.

Puis elle disparaît au moment où l'on va la confronter avec Le Vern.

 

Part-elle sans crier gare ?

Dans nos bureaux, elle a affirmé le contraire.

Quoi qu'il en soit, on n'a plus de ses nouvelles.

 

Elle est cependant activement recherchée.

La retrouvera-t-on, ne la retrouvera-t-on pas ?

C'est la question que l'on se pose.

 

La gendarmerie finit cependant par la découvrir à Nantes, il y a une quinzaine de jours.

Avisé, le procureur de la République lui enjoint immédiatement d'avoir à se rendre à Brest dans le plus bref délai.

 

Malgré cet ordre, les jours se passent encore sans que l'on voit la somnambule.

Enfin, lundi matin elle arrive en compagnie de son mari.

 

Et c'est ici que l'affaire prend un tour inattendu.

 

Le mari de Mme Viviane avait joué un rôle actif dans la consultation.

C'est lui qui servait d'intermédiaire entre sa femme endormie et Le Vern.

C'est lui qui posait les questions et qui provoquait les réponses de la somnambule.

 

Mme Viviane se réfugiant derrière son sommeil hypnotique, déclarait ne se souvenir de rien.

À défaut de Le Vern, le mari seul pouvait donc dire ce qui s'était passé.

 

Mais on avait compté sans le hasard.

Le mari de Mme Viviane n'était autre que le nommé Besnard, mort subitement dans la nuit de lundi à mardi, à l'hôtel du Cheval blanc.

À peine arrivé, il meurt.

 

On avouera que c'est jouer de malheur.

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Il est bon d'ajouter que les révélations de Besnard n'avaient pas autant d'importance qu'il semblait tout d'abord.

 

Arrivés le matin à Brest, les époux ont été entendus dans l'après-midi par le juge d'instruction.

Au cours de l'entretien, Besnard a surtout exposé ses idées sur le sommeil hypnotique.

Cette exposition prit, d'ailleurs, un certain temps, car elle ne se terminait qu'à sept heures.

 

La confrontation avec Le Vern, confrontation tant attendue, devait avoir lieu mardi matin.

La mort inopinée du mari de la somnambule est venue empêcher la réalisation de ce projet qui eut peut-être apporté quelque lumière sur les révélations faites au gendre d'Héliès.

 

Conclusion : La mise en liberté de Le Vern n'est plus qu'une question d'heures.

 

Quant à Mme Besnard, en somnambulisme Mme Viviane, elle a été entendue de nouveau hier matin par le juge d'instruction, à qui elle a déclaré une fois de plus ne se souvenir de rien.

Devant cette nouvelle affirmation, ce magistrat l'a autorisée à rentrer chez elle.

 

Son mari ayant été enterré hier matin au cimetière de Kerfautras, Mme Viviane n'avait plus aucune raison pour rester à Brest.

Elle a donc pris le train pour Nantes, où elle habite ordinairement.

 

Ajoutons que devant les petits inconvénients du métier, Mme Viviane est fermement décidée à renoncer au somnambulisme, à ses pompes et à ses œuvres.

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Source : La Dépêche de Brest 20 février 1891

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Source : La Dépêche de Brest 20 avril 1891

 

Le crime du Créac'h

 

Le crime du Créac'h est revenu sur l'eau, il y a quelques jours, par suite d'une circonstance assez curieuse.

 

On sait que quelque temps après l'assassinat d'Héliès, les magistrats instructeurs, en procédant à leur enquête, s'aperçurent de la disparition de plusieurs chapeaux ayant appartenu à la victime.

Il y a quelques jours, la gendarmerie de Lanildut, en procédant à une perquisition chez un nommé Guillou, accusé de vols qualifiés, trouva chez ce dernier plusieurs chapeaux.

Elle en avisa aussitôt le parquet de Brest, qui prescrivit de demander aux parents, amis et connaissances d'Héliès, si ces chapeaux, ou l'un d'eux, n'avait pas appartenu à Héliès.

 

Les gendarmes se rendirent donc au village du Créac'h, en la commune de Porspoder.

D'après les renseignements qu'ils ont recueillis, il résulte que le chapeau qui a disparu du domicile d'Héliès lors de l'assassinat était un chapeau mode de campagne et à larges bords.

Il n'avait aucune ressemblance avec ceux saisis chez Guillou.

 

Les deux chapeaux en question ont été présentés à toutes les personnes du voisinage, ainsi qu'aux nommées Françoise et Jeanne Héliès, filles de la victime.

Toutes ces personnes ont répondu sans hésitation que ces chapeaux n'avaient jamais appartenu à la victime.

 

Cette piste a donc été abandonnée comme les précédentes.

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