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1891

Tentative d'assassinat
à Carhaix

 

 

Source : La Dépêche de Brest 1 novembre 1891

 

L'accusé Cléran (Joseph-Marie), forgeron à Carhaix, surnommé en breton Job Sot (imbécile), ivrogne fieffé, est une véritable brute dans toute l'acception du mot.

Son casier judiciaire, son passé déplorable le prouvent bien :

Le crime qu'il a commis le démontre mieux encore.

 

D'une taille ordinaire, figure pleine, teint pâle, les lèvres minces, les yeux vifs, 46 ans, voilà l'homme.

 

Maintenant, voici les faits :

 

ACTE D'ACCUSATION

 

Depuis longtemps, la femme Cléran était victime de mauvais traitements de son mari.

Presque toujours ivre, ce dernier se livrait sur elle à des sévices révoltants, la frappant brutalement sans motifs et la mettant souvent, la nuit, dehors.

Dans les derniers temps, la brutalité de Cléran n'avait fait qu'augmenter et l'existence de sa femme était devenue un véritable martyre.

La déplorable situation de cette malheureuse excitait la pitié des voisins, qui n'osaient intervenir de crainte d'être maltraités.

 

Le 13 août dernier, Cléran intima à sa femme d'avoir à quitter la maison, la menaçant de la tuer, si elle ne s'en allait pas.

Elle se réfugia avec ses enfants dans un grenier.

Cléran vint l'y chercher plusieurs fois en lui adressant des menaces de mort si elle ne réintégrait pas le domicile conjugal, mais elle se refusa à continuer une vie désormais intolérable.

Le 24 septembre l'accusé vint, pour la dernière fois, trouver sa femme, et, devant ses refus persistants, se livra sur elle à des violences qu'arrêta l'arrivée des voisins.

Il sortit en brandissant une hache et en s'écriant :

« Avant trois jours, j'aurai sa vie ! »

 

Le 27, vers midi, Cléran acheta, chez un serrurier de la ville, un revolver et une boîte de cartouches, prétendant qu'il se rendait à Brest nanti d'une forte somme d'argent, et que cette arme était nécessaire à sa sécurité.

Le même jour, vers 1 h. 1/2, il alla à sa femme, qui vendait des fruits sur la place du Champ de Bataille, et lui demanda, à trois reprises, de revenir avec lui.

Sur sa réponse négative, il tira son revolver de son gilet et le braqua sur sa femme.

Épouvantée, celle-ci prit la fuite, mais elle trébucha presque aussitôt et tomba à terre.

Cléran, qui l'avait poursuivie, fit feu à 3 mètres de distance.

Une des balles atteignit sa victime à la partie interne de la cuisse droite en éraflant la cuisse gauche, n'occasionnant qu'une blessure heureusement légère.

L'assassin, simulant alors une tentative de suicide, se tira trois coups de revolver, se bornant à se faire une éraflure au front et à percer le bord de son chapeau.

 

Après avoir varié, dans ses déclarations, Cléran a fini par reconnaître que son intention sûrement préméditée avait été de donner la mort à sa femme et qu'il n'avait acheté ce revolver que dans ce but.

 

Cléran a subi sept condamnations pour vol, coups, outrages, délit de chasse et tenue de débit clandestin, la plus forte à 13 mois d'emprisonnement.

Son ivrognerie sa brutalité, sa cruauté à l'égard de sa femme l'avaient rendu odieux à tous ceux qui l'approchaient.

 

M. Frétaud occupe le siège du ministère public ; Cléran est assisté de Me Broquet.

 

Comme pièces à conviction : un revolver calibre 7 millimètres et une certaine quantité de cartouches, le chapeau de l'accusé, les vêtements de la victime.

 

Après l'évocation des témoins qui sont au nombre de onze, M. le président procède à l'interrogatoire de l'accusé Cléran.

​

 

INTERROGATOIRE DE L'ACCUSÉ

 

Le président raconta les divers détails de la scène du crime, clairement résumés par l'acte d'accusation.

Cléran ne les nie point.

Dans l'information, il avait reconnu l'intention de tuer ;

aujourd'hui, il revient sur cette déclaration et, nie la préméditation.

 

Le président. — Cependant, vous avez dit devant témoins que vous aviez acheté un revolver pour tuer votre femme et vous suicider ensuite, parce que vous étiez fatigué de vivre.

Voilà, j'ai exposé l'affaire pour que MM. les jurés puissent apprécier les faits en toute conscience.

Maintenant, nous allons entendre les témoins.

​

 

AUDITION DES TÉMOINS.

 

Ils sont au nombre de onze.

 

1.— M. le docteur GEFFROY, de Carhaix, énumère avec beaucoup de netteté les diverses constatations par lui faites sur l’accusé et sa victime.

 

L'honorable témoin a remarqué sur la femme Cléran :

1° à la partie interne et supérieure de la cuisse droite, une plaie circulaire superficielle d'un centimètre de diamètre ;

2° à la partie postérieure et interne de la cuisse gauche et à la même hauteur que la lésion précédente, une plaie linéaire superficielle de 0 m. 03 de longueur ;

ces deux lésions pouvant avoir été produites par un projectile de petit calibre, tel qu’une balle de revolver.

M. le docteur Geffroy a également visité l’accusé ;

II a remarqué à la partie droite et supérieure du front une éraflure de 0m 03 de long.

 

Le chapeau, normalement posé sur la tête, présentait, à la partie du bord qui répond à l'extrémité supérieure de cette éraflure un trou de petites dimensions.

Enfin, d'après le docteur, cette blessure, ainsi que le trou du chapeau, peuvent avoir été déterminés par une balle de revolver.

 

Tous les témoins sont entendus.

On voit déjà, par ces dépositions, combien sont graves les circonstances qui ont accompagné le crime reproché à Cléran, mais ce n’est pas tout.

 

Il résulte, en effet, de divers procès-verbaux de gendarmerie, que l'accusé a toujours exercé des mauvais traitements sur sa femme.

Une fois, alors qu'il habitait au pont de Kergoat, en Plouguer, Cléran aurait fait coucher cette malheureuse dehors et aurait jeté sur elle un seau d'eau glacée, et alors qu’elle était au lit.

Elle n'allait pas se réfugier chez les voisins, mais restait près du pignon de la maison ou dans un endroit quelconque au bord de la route.

Une seule fois elle se serait rendue chez un sieur Flocon, meunier à Cateliner, en Mortreff.

Enfin, à Carhaix, on dit que la femme Cléran était une véritable martyre.

​

 

2. — La femme de l'accusé dépose ensuite, mais en vertu du pouvoir discrétion du président et sans serment, l'accusé s’étant opposé à sa déposition.

 

Le 27 septembre dernier, jour de l'inauguration du chemin de fer de Morlaix à Carhaix vers une heure et demie de l'après-midi, je me trouvais, dit cette femme, sur Champ-de Bataille à Carhaix, occupée à vendre des fruits, lorsque mon mari, avec lequel je ne vivais plus depuis le 13 août dernier, vint à moi et me tira trois coups de revolver dont l'un m'atteignit à la cuisse droite.

 

Cette tentative de meurtre était prémédité par mon mari car, lorsque je l'ai vu armé de son revolver, j'ai essayé de parer les coups en me cachant, d'abord derrière Joséphine Le Guern, de Motreff ;

mon mari ayant tourné autour de moi, de façon à pouvoir m'atteindre, et voyant que j'étais à découvert, je me suis réfugiée derrière un arbre du Champ de Bataille ;

mais mon mari m'a de nouveau poursuivie en me menaçant toujours de son revolver.

Pour échapper à ses poursuites, je me suis cachée derrière un homme dont je ne connais pas le nom.

Mon mari a continué à me poursuivre, ayant toujours le revolver à la main.

En essayant de nouveau de me sauver en passant entre deux boutiques, mon pied ayant heurté contre un arbre, je suis tombée et c'est alors que mon mari a tiré sur moi les coups de revolver qui m'ont atteinte à la cuisse droite, après avoir traversé mes jupons et ma chemise.

 

N'ayant pas été grièvement blessée, je me suis sauvée du côté de la gendarmerie.

En me détournant, j'ai vu mon mari simuler une tentative de suicide.

 

Sur interpellation du président :

— Mon mari est un homme brutal et violent et la vie commune n'était plus possible entre nous.

Souventes fois il m'a mise dehors et je ne saurais dire combien de fois j'ai été victime de ses brutalités.

Souvent il me maltraitait, quand j'étais en état de grossesse ou bien que je venais d'accoucher.

Un soir, il n'y avait que trois jours que j'avais eu mon enfant, il m'a arrachée de mon lit et m'a traînée par les cheveux ; souvent aussi il m'a menacée de me tuer, et si je l'ai quitté au mois d'août dernier, c'est que je craignais qu'il ne mît ses menaces à exécution.

 

D. — À quelle distance étiez-vous de votre mari lorsqu'il a tiré sur vous ?

R. — À deux mètres.

​

 

Cléran, interpellé au sujet de cette déposition, reconnaît avoir quelquefois maltraité femme.

« Je lui ai bien dit, ajoute-t-il, quand elle refusait de venir habiter avec moi, que je la tuerai, mais seulement c'était une parole en l'air, et je ne pensais nullement à faire cela. »

Je ne me rappelle pas avoir brutalisé ma femme quand elle était enceinte ou qu'elle venait d'accoucher. »

 

Le témoin. — Ce que j’ai dit n'est que trop vrai.

 

D. (à Cléran). — Qu'avez-vous à répondre sujet de la scène du 27 septembre ?

R. —  Je ne me rappelle pas les détails, mais je suis certain de n'avoir tiré qu'un seul coup.

 

Cléran interrompt souvent sa femme pour la contredire.

Parfois il ricane.

Le Président lui dit : — Vous ne ricanerez pas toujours.

 

Cléran. — C'est moi qui travaillais pour nourrir ma femme et nos sept enfants.

Ma femme manquait de propreté, j'étais pourri de puces.

​

 

3. — Le sieur SOLU (Guillaume), couvreur à Carhaix, tenait, le jour du crime, un petit commerce de fruits tout à côté de celui du témoin précédent.

Sa déposition est à peu près la même.

La femme Cléran est tombée sur les mains entre sa boutique et celle de Joséphine Le Guern.

Ce que peut, affirmer le témoin, c'est que Cléran a dû tirer deux coups de revolver sur sa femme, car il a étendu deux détonations.

 

Cléran. —  Il est peut-être parti deux coups de revolver, mais, dans ces conditions,

il y en a un qui est parti contre ma volonté et à mon insu.

 

Le témoin. — J'ai entendu deux détonations lorsque Cléran a tiré sur sa femme et trois lorsqu'il a tiré sur lui-même.

Au troisième coup qu'il s'est tiré, son chapeau est tombé.

 

Me Broquet. — Cléran avait-il l’œil hagard ?

Le témoin. — Je ne sais pas.

M. Fretaud. — Cléran peut-être. C’est l’œil des assassins.

Me Broquet. — C’est aussi l’œil des ivrognes.

 

4. — L'accusé s'oppose à la déposition de son beau-frère Kervoas.

Ce témoin est, par suite entendu sans serment.

 

Le sieur KERVOAS (Charles) marchand à Carhaix, beau-frère de l’accusé, a conservé m mauvais souvenir du premier de l'an 1890.

 

« Ce jour-là, dit le témoin, mon beau-frère Cléran est venu nous souhaiter la bonne année, vers huit ou neuf heures du soir.

Il était pris de boisson et m'a cherché chicane au sujet de sa fille Augustine, qui est restée deux ans avec nous.

Il m'a saisi ensuite à la gorge, m'étreignant avec violence, mais je me suis défendu de mon mieux, aidé de la nommée Augustine Héquin.

 

Sur interpellation de M. le président : — « J'ai vu ma sœur venir une quarantaine de fois à la maison, chassée par son mari, qui, la nuit, la mettait à la porte. »

​

 

5. — Le sieur LE BORGNE (Jean-Marie), charron dépose ensuite.

 

Le dimanche 27 septembre dernier, dit ce témoin, vers une heure et demie de l'après-midi, en allant me rendre compte d’un attroupement formé sur le Champ-de-Bataille, j'aperçus Cléran que je connais beaucoup et qui, un revolver à la main, semblait vouloir s'en tirer un coup sous le menton.

Je m'approchai de lui et lui dis :

« Dis-donc, Cléran, ne fais pas de bêtise, c'est à blanc que tu tires ? » et comme je voyais qu'il voulait tirer, j'ai fait dévier la revolver et l'ai empêché de se suicider.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Je crois qu'il aurait réussi à se tuer s'il en avait eu la ferme intention.

Je n'ai pas remarqué qu'il se fût blessé au front et je ne saurais dire au juste combien de coups de revolver il s'est tiré.

C'est deux ou trois.

 

Le témoin ajoute : — J'ai immédiatement entraîné Cléran dans un débit voisin où, en entrant, il a tiré un coup de revolver dans le plafond.

C'est là que les gendarmes sont venus l'arrêter.

 

Cléran. — Je suis sûr de n'avoir tiré qu'un coup de revolver sur ma femme.

J'avais dû tirer un coup sur moi avant l'arrivée de Le Borgne.

 

Le témoin Le Borgne. — Peut-être bien.

 

6. — Joséphine LE GUERN, couturière à Lost-Créhen-Tolic, en Motreff, a vu la scène de bien près.

 

Cette jeune fille se trouvait, en effet, à vendre des poires sur le Champ-de-Bataille, à deux ou trois mètres de l'endroit où se trouvait la femme Cléran, quand le mari de cette dernière est arrivé et s'est placé en face de sa femme, lui adressant quelques paroles que le témoin n'a pas comprises.

 

Tout à coup, dit Joséphine Le Guern, j'ai entendu la femme Cléran qui, tout effrayée, s'écriait derrière moi :

« Ah ! Mon Dieu, il a un revolver dans sa poche ! »

Tout occupée à regarder la femme, je n'ai pas vu le mari.

La femme a passé derrière moi, puis derrière un arbre et est venue butter contre ma boutique et celle de mon voisin de droite.

Elle est tombée sur les mains.

Elle était dans cette situation lorsque son mari a tiré sur elle des coups de revolver.

Je ne sais s'il en a tiré trois coups, mais je suis certaine qu'il en a tiré au moins deux.

La femme Cléran s'est relevée aussitôt et s'est mise à courir.

Effrayée, je me suis mise, moi aussi, à courir d'un autre côté et ne sais rien de plus de la scène.

 

Cléran soutient toujours qu'il n'a tiré qu'un coup de revolver sur sa femme.

 

C'est sur moi-même, dit-il, que j'en ai tiré plusieurs. »

 

Sur interpellation de M. le président, le témoin déclare :

« La femme Cléran se trouvait à un mètre de moi lorsque son mari a tiré sur elle, et je suis sûre d'avoir entendu deux détonations.

Cléran se trouvait à deux mètres de sa femme lorsqu'il a tiré.

Elle lui tournait le dos. »

 

Cléran répond à cela qu'il ne s'est pas bien rendu compte de ce qui s'est passé ;

il était, dit-il, trop abruti par la malice contre sa femme et aussi par l'ivresse pour se rappeler les détails de la scène, mais il croit bien qu'il était à plus de deux mètres de sa femme quand il a tiré sur elle.

​

 

7. — La témoin qui comparaît ensuite, le sieur Jean-Louis LE DREN, propriétaire et débitant à Carhaix, donna les renseignements suivants sur l'accusé :

 

Las époux Cléran, dit le sieur Le Dren, ont été mes fermiers pendant quatre ans et mes voisins pendant sept années.

La maison où ils ont habité d'abord est contiguë à la mienne, et celle que Cléran habite aujourd'hui est située en face.

Cléran m'a cherché chicane, il y a trois ans, à propos d'un passage par mon écurie, qu'il voulait que je laisse ouverte de jour et de nuit.

Une fois, pour m'en débarrasser, je lui ai porté un coup d'une lanterne que je tenais à la main ;

il m'a alors frappé, renversé et maintenu sous lui jusqu'à l'arrivée d'un sieur Auffret.

 

Le témoin rapporte, de plus, que Cléran a mis souvent sa femme à la porte.

Il le considère surtout quand il est pris de boisson, comme un homme méchant, très emporté et insupportable ;

en un mot, prêt à chercher affaire au premier venu et sans la moindre raison,

 

8. — Le témoin suivant, Marie DERRIEN, femme Calvé, aubergiste à Carhaix, ayant été excusée pour cause de maladie, il est donné lecture de sa déposition écrite.

En voici à peu près les termes :

 

« Un jour, dit ce témoin, pendant qu'il prenait une consommation chez moi, Cléran m'a déclaré qu'il venait d'aller trouver sa femme et l'avait engagée à revenir avec lui, mais qu'elle lui avait refusé.

Il ajouta :

« Laissez-là, je l'aurai de quelque manière ; je ne manquerai pas sur elle ! »

 

Sur interpellation de M. le président : — J'ai considèré ces propos comme des menaces de mort à l'adresse de sa femme.

 

Le témoin ajoute qu'ils entendu la bruit de bien des scènes chez les époux Clèran, qui étaient ses voisins, mais qu'elle n'a assisté à aucune d'elles.

 

Sur interpellation de M. le président : — Je connais Cléran depuis environ trois an.

Je sais que c'est un homme brutal et violent surtout quand il est ivre.

Depuis longtemps il ne travaillait guère et buvait avec excès.

​

 

9 — La demoiselle Isabelle LE ROUX, sage-femme à Carhaix, rapporte un propos très grave tenu par l’accusé quelques jours avant le crime, c'est-à-dire le 24 septembre dernier.

 

Ce jour-là. dit la demoiselle Le Roux, j'ai aperçu Cléran et sa femme qui sortaient de la maison Labbé, en face de chez moi.

Il y avait entre eux une discussion accompagnée d'injures adressées par Cléran à sa femme.

Il lui disait notamment qu'elle était la plus mauvaise femme de Carhaix.

La femme Cléran s'est dirigée de mon côté et son mari a pris la direction de la place au Beurre.

Arrivé près du débit Bourhis, j'ai entendu Cléran, qui brandissait une hache, dire à sa femme en breton :

« Avant deux ou dans trois jours, j'aurai ta vie. »

 

Sur interpellation de M. le président : — II y a plus de vingt ans que je connais Cléran, c'est un homme brutal et excessivement violent.

 

10. — La déposition suivante ne manque pas d'importance.

 

M. FONTAINE, serrurier, rue du Pavé, à Carhaix, rapporte que, revenant de la gare où il était allé voir l'arrivée du train ministériel, il a trouvé chez lui Cléran, qui était en marché avec sa fille pour l'achat d'un revolver du calibre de 7 millimètres, Cléran voulait avoir, par-dessus le marché, une boite de 25 cartouches.

La fille du témoin ne voulait lui en donner que six, mais le sieur Fontaine l'engagea à lui donner la boîte entière, que Cléran paya avec une pièce de 20 fr.

 

Le témoin ajoute :

Sur la demande à lui faite par ma fille de l'usage qu'il devait faire de cette arme, Cléran répondit que, devant aller à Brest avec une somme d'argent importante, il achetait ce revolver pour sa propre sécurité.

En effet, Cléran nous montra, à ma fille et à moi, une poignée d'or de cinq à six cents francs qu'il tira de la poche de son gilet.

 

Sur interpellation du président : — Cléran ne me paraissait pas ivre à ce moment.

​

 

11. — La défense a fait citer un témoin, RAZER (Guillaume), cultivateur à Carhaix, qui déclare qu'il a été domestique des époux Cléran.

Il a entendu des discussions, mais n'a pas vu le mari battre sa femme.

Il ne se plaint pas ; il a été payé par la femme Cléran.

Il a raconté à ce sujet toute une histoire.

 

Pour terminer, reproduisons la lettre écrite, deux jours avant le crime, par Cléran à sa femme.

Cette lettre, dont nous n'avons pas voulu changer l'orthographe, complète bien le personnage :

 

Ma chère femme.

 

Je trouve que tu es bien entêtée parce que tu ne veux pas te relier avec moi, et je crois que tu as bougrement tort.

Je t'ai supplié mille fois pour une de me suivre, mais tu répond toujours non devant témoins.

 

Tu étais entêtée et moi je suis aussi.

Il y a 140 fr. qui sont restés chez toi hier.

Si on te ne te les donne pas, tu as bougrement tort.

 

Tu sais, tu m'as dit bien des fois devant témoins que tu as été ma femme, mais que tu ne le serais plus jamais parce que j'étais un méchant homme.

Je t'ai dit que j’ai loué la maison du Kergoat.

Tu m'as dit de vendre, boire et manger, faire ce que je voudrais, parce que moi je ne suis pas ta femme.

J'ai pris ma part et laisse moi tranquille.

 

Comme dernier renseignement, Cléran, depuis son arrestation, aurait adressé à sa femme, de la maison d'arrêt de Châteaulin, une somme de cent francs en un mandat-poste.

 

Le réquisitoire et la défense

 

M. Fretaud, procureur de la République, prononce ensuite son réquisitoire.

Me Broquet présente la défense de l'accusé, dans lequel il voit surtout un homme ayant agi sous l'empire de l'ivresse.

 

Le verdict

 

Le jury rapporte un verdict négatif de culpabilité.

 

En conséquence, Cléran est acquitté.

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