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1892

Crime à Lanriec

 

 

Source : La Dépêche de Brest 21 décembre 1892

 

Source : La Dépêche de Brest 22 décembre 1892

 

Le 18 courant, vers sept heures du soir, le sieur Bourhis (Yves), 19 ans, marin-pêcheur, inscrit maritime du quartier de Concarneau, et le sieur Nivez (Joseph), également inscrit maritime, revenaient de cette ville, se rendant à Trégunc.

 

Sur la route, ils rejoignirent le sieur Buaret (François), 19 ans, aussi inscrit maritime, accompagné du sieur Guéguen (Mathieu), 24 ans, journalier.

 

Ces deux derniers interpellèrent, paraît-il, les deux premiers et Bourhis répondit par des injures et des grossièretés, qui amenèrent une rixe.

 

Guéguen, blessé à la figure dès le début, quitta ses compagnons.

Buaret, Bourhis et Nivez continuèrent leur route de compagnie, tout en se querellant.

 

Ils rencontrèrent sur leur route le père et la mère de Buaret, qui venaient au-devant de leur fils.

 

Sans provocation aucune, Bourhis se dirigea vers la femme Buaret et, d'un violent coup de couteau, lui transperça la main gauche.

 

Buaret fils, entendant les cris poussés par sa mère, accourut à son secours.

 

Bourhis se tourna vers lui et, sans mot dire, lui enfonça son couteau dans le bas ventre et prit aussitôt la fuite.

 

Les gendarmes de Concarneau, prévenus de ces faits le 19, à sept heures du matin, par le père Buaret, se transportèrent à Lanriec, près de la victime, qui avait encore toute sa connaissance, puis à Trégunc, domicile du meurtrier.

 

Ce dernier était parti en mer le même jour, à quatre heures du matin ; il ne fut arrêté que le soir, à sept heures, au moment où il débarquait.

 

Le 20, à 8 h. 1/2 du matin, Buaret expirait, succombant aux suites de sa blessure.

 

L'attitude de Bourhis, depuis son arrestation, est des plus mauvaises, il ne témoigne aucun repentir.

 

Aux questions qui lui sont posées, il répond froidement :

« C'est un coup de boisson. »

 

Source : La Dépêche de Brest 27 avril 1893

 

L'accusé Le Bourhis (Yves-Marc-Honoré), marin pêcheur à Trégunc, qui n'avait pu être jugé à la session dernière en raison de son état de maladie, est aujourd'hui rétabli complètement.

C'est un jeune homme d'une constitution robuste en apparence et dont la physionomie encore pâle ne manque pas d'intelligence.

Il est âgé de 19 ans.

 

Des pièces à conviction sont étalées devant le bureau de la cour :

Ce sont les vêtements ensanglantés de la victime, puis un couteau de poche, de dimension ordinaire.

 

M. Drouot occupe le siège du ministère public.

Me de Chamaillard est au banc de la défense.

 

Après les formalités d'usage, le greffier donne lecture de l'acte d'accusation, qui est ainsi conçu :

 

Acte d'accusation

 

Buaré (François), âgé de 19 ans, demeurant au village de Kérichard, en Lanriec, avait passé en compagnie de Mathieu Guéguen, son voisin, une partie de l'après-midi du dimanche 18 décembre 1892.

Vers sept heures du soir, ces deux jeunes gens reprenaient le chemin de leur domicile.

Ils firent bientôt la rencontre, à peu de distance du lieu de Douric-ar Zin, des nommés Le Bourhis et Nivez (Joseph).

Le Bourhis, sans être nullement provoqué, les apostropha et tint à leur adresse un propos des plus grossiers.

Des explications eurent lieu et une rixe, peu grave, d'ailleurs, s'ensuivit.

Le compagnon de Buaré, Guéguen (Jean-Mathieu), se sépara d'eux et gagna sa demeure, laissant les trois autres continuer leur route.

Toute discussion avait cessé et ceux-ci marchaient tranquillement de compagnie, quand ils se trouvèrent tout à coup face à face avec les parents de Buaré, venus à la rencontre de leur fils.

 

Le Bourhis, sans aucune provocation et sans prononcer une parole, se précipita, le couteau ouvert à la main, sur la femme Buaré et lui en porta un coup dans la direction du bas-ventre.

Ce fut la main gauche qui, se trouvant par hasard placée à la hauteur de cette région, fut atteinte.

 

Le coup avait été porté avec une telle violence que l'index se trouva traversé de part en part.

La malheureuse femme, dont le sang coulait avec abondance, jeta un cri de douleur.

Son fils, à cet appel, se porta au secours de sa mère en disant :

« Ah ! Le Bourhis», tu veux la tuer ! »

Au même instant et sans rien répondre, le meurtrier se rua sur lui, lui asséna un coup de poing en pleine figure, puis lui enfonça dans le ventre, jusqu'à la garde, le couteau dont il venait de faire usage auparavant, et prit la fuite.

 

Buaré (François), mortellement atteint, fit encore quelques pas et s'affaissa sur le chemin.

Transporté à son domicile par les soins de ses parents, il rendait le dernier soupir le lendemain, à huit heures du matin.

 

Les médecins qui ont examiné l'une des victimes et autopsié l'autre, déclarent que la blessure de la mère peut avoir, par suite de complications possibles, des conséquences très graves, qu'en outre la mort du fils doit être attribuée à une péritonite occasionnée par le coup de couteau porté par Bourhis.

Ils ont aussi constaté que la verge avait été atteinte par ce coup en deux endroits différents.

Ces diverses constatations permettent d'apprécier la violence avec laquelle a frappé Bourhis et d'établir l'intention criminelle qui a guidé son bras dans l'accomplissement de ce double crime.

L'accusé a répondu avec le plus grand cynisme aux questions qui lui ont été posées au cours de l’information.

Il s’est contenté de dire, pour sa défense, qu’il a frappé la mère par erreur, alors qu’il ne voulait atteindre que le fils, ce qui est démontré inexact.

 

Sa réputation est mauvaise ; il est violent et brutal.

 

Interrogatoire de l'accusé

 

Le président constate tout d'abord l’identité de l'accusé et fait connaître que sa réputation est extrêmement mauvaise.

 

D. — Vous êtes ivrogne, violent et brutal et d'une nature tellement agressive qu’un de vos anciens patrons, que nous entendrons au cours des débats, a dû se priver de vos services, parce que vous le menaciez souvent de mort ?

R. — Ce n'est pas vrai.

D. — Dans la soirée du 18 décembre dernier, vous étiez en compagnie de Nivez lorsque vous avez rencontré Buaré et son camarade Guéguen ?

R. — Oui.

D. — Il y a eu quelques propos échangés entre vous, quelques scènes de violences même assez légères ;

puis vous avez rencontré le père et la mère de Buaré qui, inquiets de ne pas voir arriver leur fils, venaient au-devant de lui ?

R. — Oui.

 

Le président décrit ensuite la double scène qui a suivi, laquelle est reproduite dans l'acte d'accusation, et il demande à Bourhis si tout cela est exact.

Bourhis répond affirmativement

 

D. — Pourquoi vous êtes-vous livré à cet acte de sauvagerie ?

R. — J'étais ivre.

Le président. — Quand on a l'ivresse aussi mauvaise que la vôtre, on ne boit pas.

Il est vrai que recommander cela à un paysan breton, c'est faire une recommandation inutile !

D. — Vous n'aviez cependant aucun motif d'animosité contre ce jeune homme ?

R. — Non.

D. — Après avoir commis cet acte, vous êtes parti.

Vous avez bu en route quelques consommations et vous êtes allé vous coucher ;

puis, le lendemain, vous êtes allé tranquillement à la pêche.

Enfin quand vous avez été mis devant le cadavre de votre victime, vous avez eu une attitude cynique.

Vous avez regardé le corps de ce malheureux d'un air sournois et sans aucune émotion.

Vous êtes resté froid et dur et n'avez pas versé une larme ?

R. — Ce n'est pas vrai, cela.

D. — Comment !

Vous dites que vous avez manifesté de l'émotion devant le cadavre de Buaré ?

R. — Oui, monsieur le président.

Le président. — C'est plus tard que vous avez manifesté des regrets, mais pas alors.

 

Le président saisit le couteau qui a servi à commettre le crime et fait remarquer à l'accusé que la lame est encore couverte de sang.

 

Bourhis répond avec vivacité : — Ce n'est pas vrai, cela.

 

D. — Comment? Pas vrai ! Mais regardez.

 

On passe le couteau à Bourhis.

 

R. — C'est de l'eau de mer qui rouille les couteaux comme cela.

D. — Enfin, vous reconnaissez avoir frappé la mère de Buaré ?

R. — Oui.

D. — Vous reconnaissez également avoir porté un coup de couteau dans le ventre à Buaré ?

R. — Oui.

 

On entend ensuite les témoins, voici les principales dépositions :

 

Audition des témoins

 

1. — MM. les docteurs HOMERY et LUCAS, après avoir décrit les blessures de la femme Buaré et celles de son fils, concluent à la mort de ce dernier par suite d'une péritonite occasionnée par suite d’un coup de couteau porté au bas-ventre.

 

En ce qui concerne la femme Buaré, M. le docteur Lucas, qui l'a examinée le 20 décembre, déclarait alors que localement la blessure pouvait produire un phlegmon de la main et de l'avant-bras, dont les conséquences pourraient être très graves.

 

Aujourd'hui, une amélioration s’est produite.

 

2. — BUARÉ (François), père de la victime, raconte l'emploi du temps de son fils pendant la journée du 18 décembre.

Ce dernier étant sorti de chez ses parents, vers 4 h. 1/2, sans dire où il allait, le témoin sortit, après souper, en compagnie de sa femme, pour aller le chercher à Douric-ar-Zin, où on lui avait dit qu’il s’était rendu.

— Nous l'avons rencontré, déclare-t-il, à 15 ou 16 mètres de chez nous.

Il faisait nuit.

Deux individus que je n’ai pas reconnus étaient avec mon fils.

En m'apercevant, mon fils s'est dirigé vers moi.

Je lui ai dit :

« Viens-tu à la maison ? il est temps ».

Il m'a répondu : « Oui ».

À ce moment, un des individus qui était avec mon fils, et que j'ai reconnu pour être Le Bourhis, s'est détaché du groupe et s'est dirigé vers ma femme, à laquelle sans mot dire et sans provocation, il a porté un coup de couteau, qui la atteinte à l'index de la main gauche.

Ma femme s'est écriée qu'on lui avait coupé la main.

Aussitôt, mon fils a dit :

« Ah ! c’est toi, Bourhis, qui veux tuer ma mère ! »

Mais au même moment et avant qu’il ait eu le temps de se diriger vers Le Bourhis, ce dernier est allé à mon fils et lui a porté un coup de poing en pleine figure.

Mon fils a voulu riposter, mais il n'a pas atteint son adversaire.

Après avoir paré le coup, Le Bourhis est venu vers mon fils et lui a porté, avec violence, un coup de couteau dans le bas-ventre ;

puis, il a pris la fuite.

Mon fils ne s'est pas plaint sur le moment.

Nous nous sommes dirigés, lui, femme et moi, vers notre domicile.

Chemin faisant, il nous a dit :

« Laissez-moi sur la route, je vais mourir ».

Voyant qu'il ne pouvait plus marcher, je suis allé chercher une brouette chez Flatrès, qui m'a aidé à transporter mon fils à la maison.

J'ai ensuite fait mander le docteur Lucas pour soigner mon malheureux enfant, dont les entrailles sortaient.

 

Sur interpellation :

— Mon fils m’a dit que le second individu, un nommé Quérec a pris la fuite en même temps que Le Bourhis.

Il m'a dit également qu’il ne savait pas pourquoi ce dernier lui avait porté un coup de couteau, attendu qu’il ne lui avait pas parlé.

Mon fils est mort dans d'horribles souffrances le surlendemain à 8 h. ½.

Le Bourhis — Les faits se sont passés comme dit le témoin.

C'est Névez qui était avec moi ; Quérec est son sobriquet.

 

3. — Louise THIEC, femme BUARÉ, fait une déposition analogue.

 

Le Bourhis. — Je ne voulais pas frapper cette femme, mais seulement son fils, parce que j'étais en colère contre lui.

Je n’ai pas couru en m'en allant, j'allais au pas.

 

La femme Buaré. — Quand j'ai reçu le coup de couteau, je suis tombée.

Quand je me suis relevée, j’ai vu Le Bourhis courir dans la direction de Trégunc.

Il marchait trop lestement pour être ivre.

 

4. — GUÉGUEN (Mathieu), 24 ans, marin pêcheur, en Lanriec, a vidé plusieurs chopines, le 18 décembre, en compagnie de Buaré, dans deux ou trois auberges du Douric-ar-Zin.

Vers sept heures du soir, ils quittaient l'auberge d'un nommé Christophe.

Buaré et lui étaient un peu influencé par la boisson.

Nous avons alors, dit le témoin, rencontré sur la route le nommé Le Bourhis et un autre individu qui allaient dans la même direction que nous.

 

« Nous avons fait route ensemble, marchant comme de bons camarades, bien que ne les connaissant pas.

À peine avions-nous fait 150 mètres, que Le Bourhis ou son camarade, — je ne sais lequel, mais certainement ce n'est pas Buaré, — s’est précipité sur moi, sans provocation de ma part, et m'a saisi à la gorge.

Je me suis débattu, et ayant réussi à me dégager, je me suis sauvé dans un champ, jusque-là, Buaré n'avait rien dit et n'avait pas cherché chicane à Le Bourhis, ni à son compagnon.

Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite.

Cependant, je suis revenu plus tard sur la route, et alors j'ai entendu Buaré, Le Bourhis et son camarade, qui continuaient leur route en chantant. »

 

Le Bourhis prétend que ni lui ni son camarade Nivez n'ont cherché chicane à Buaré et à Guéguen ;

ce sont ces derniers, au contraire, qui les auraient provoqués, et alors, dit-il, ils se sont battus.

 

Le Bourhis ajoute : — Ce n'est pas moi qui ai sauté à la gorge du témoin.

J'ai vu ce dernier et Nivez à terre, et je ne sais lequel des deux a cherché chicane à l'autre.

 

Le témoin. — Il faisait tellement noir, que je ne saurais dire si c'est Nivez ou Le Bourhis qui m'a attaqué.

 

5. — NIVEZ (Joseph), 21 ans, marin-pêcheur à Trégunc, déclare que, le 18 décembre, il a fréquenté plusieurs auberges où il a bu en compagnie de Le Bourhis, si bien qu'en regagnant leurs domiciles, ils étaient tous deux influencés par la boisson.

Il raconte ensuite leur rencontre avec Buaré et Guéguen.

À ce moment, dit-il, et sans que Buaré et Guéguen aient prononcé une seule parole, Le Bourhis, s'adressant à eux, leur a dit :

« M... ! » ;

puis Le Bourhis et moi nous avons continué notre route.

Buaré et Guéguen ont fait demi-tour, puis sont venus nous rejoindre.

Dès qu'ils sont arrivés à nous, Buaré a saisi Le Bourhis par devant et Guéguen m'a croché.

J'ai terrassé Guéguen dans la douve, mais je ne l'ai pas frappé.

Le Bourhis et Buaré sont tombés à terre et se sont porté des coups.

Dès que j'ai été débarrassé de Guéguen, j'ai pris ma route pour Trégunc.

Buaré et Le Bourhis, une fois relevés, ont continué à se chicaner sur la route ;

ils se sont pris à bras le-corps et sont tombés dans le fossé.

Les trois autres m'ont rejoint et nous avons continué notre route, Buaré et Le Bourhis se disputant toujours.

Tout à coup, j'ai vu venir à quelques pas devant nous le père de Buaré et sa femme.

 

Après avoir raconté la scène des coups de couteau, le témoin ajoute :

— Avant d'arriver à Trégunc, j'ai rencontré Le Bourhis, qui m'a dit que, si on l'avait laissé, il les aurait tous tués.

 

Le Bourhis dit qu'il ne se rappelle pas avoir tenu ce propos.

 

6. — TROALEN (Jacques), gendarme à Concarneau, a recueilli de très mauvais renseignements sur le compte de l'accusé.

Il rapporte, notamment, que Le Bourhis aurait fait la pêche aux îles Glénans, dans le bateau du sieur Roulland, et que ce dernier aurait été obligé de le débarquer, Le Bourhis proférant contre lui des menaces de mort, menaçant de le tuer à coups de couteau.

 

7. — Les aubergistes chez lesquels Le Bourhis et son camarade Nivez ont pris des consommations, le 18 décembre, disent que tous deux étaient un peu influencés par la boisson, Le Bourhis moins que Nivez, mais qu'ils n'étaient pas ivres et parlaient raisonnablement.

 

8. — D'autres débitants, qui ont servi à boire, le même jour, à Buaré et à Guéguen, déclarent que ces deux jeunes gens, qui paraissaient légèrement influencés par la boisson, étaient également très tranquilles.

 

9. — Le sieur ROULLAND, patron de barque aux Glénans, confirme, en ce qui le concerne, la déclaration faite par le gendarme Troalen.

 

10. — Le NAOUR (Étienne), marin, embarqué sur le Dupuy de Lôme, à Brest.

— Au mois d'août 1891, je revenais de Quimper où j'avais déposé devant M. le juge d'instruction comme témoin dans l'affaire de l'incendiaire Le Terrec. (*)

Arrivé auprès de l'auberge de « Pont Minaouet », je fus brusquement assailli par Yves Le Bourhis, qui me terrassa avec une violence telle que je restai quelque temps étendu à terre, sans connaissance.

J'étais sorti le premier de l'auberge et j'ignore encore pour quel motif Le Bourhis, qui était un peu ivre, m'a ainsi brutalisé.

Il ne m'avait pas menacé de son couteau.

 

Le Naour ajoute que Le Bourhis est d'un caractère violent et qu'il est redouté dans le pays, parce qu'il est très fort.

 

(*) À Lire sur Retro29.fr : 1891 – Trégunc - Le Terrec, voleur incendiaire et assassin de 5 personnes. - Cliquer ici

 

11. — GUIFFANT (Joseph), témoin à décharge, commissionnaire à Trégunc, donne des renseignements sur le caractère et l'attitude de la victime pendant la journée du 18 décembre.

— Je connaissais, dit-il, très bien Buaré.

Il est arrivé au bourg de Trégunc en état d'ivresse.

Il est d'abord entré chez Michelet, vers une heure après-midi, faisant du tapage ;

il a cassé même un plat ;

il alla ensuite chez un nommé Pelleter, où il a volé un pain et de la boisson, et, retournant chez lui, il a dit qu'il aurait la peau de quelqu'un.

 

Le témoin ajoute avoir entendu le père et la mère de Buaré déclarer, deux jours après, n'avoir pas vu Le Bourhis porter de coups.

 

Plaidoirie de la partie civile

 

Au cours de l'audition des témoins, Me Marchand, avoué des époux Buaré, ayant déposé des conclusions par lesquelles il se porte partie civile et réclame 5,000 fr. de dommages-intérêts, et la cour lui en ayant décerné acte, Me de Chabre, avocat, prend le premier la parole, au nom de la partie civile.

 

Je n'ai pas, dit-il, à entrer dans la discussion de la question pénale, je n'ai pas à me préoccuper de la qualification du crime ;

cela regarde mon confrère et l'organe de l'accusation.

Je ne veux pas non plus accabler Le Bourhis, qui est jeune encore.

J'ai à prouver que l'accusation est démontrée, et pour cela je n'ai qu'à faire valoir les aveux de l'accusé.

Les faits sont d'une simplicité effrayante.

Ils sont avoués.

Par conséquent, prononcez un verdict de condamnation.

Les époux Buaré ont été atteints, non seulement dans leurs affections les plus chères, mais aussi dans leurs intérêts.

Je ne retiens donc que le fait matériel avoué, indiscutable, qui demande réparation, et je prie la cour de l'ordonner dans la mesure que lui dictera sa sagesse.

 

Le réquisitoire

 

M. Drouot, procureur de la République, prononce ensuite son réquisitoire.

Nous sommes ici, dit-il, en présence d'une affaire d'une gravité considérable, d'une de ces scènes assez fréquentes qu'il importe de réprimer.

Les faits ont un caractère matériel indiscutable, et, chose pénible à constater, le crime accompli est l'acte d'un jeune homme de 20 ans.

C'est dire qu'il n'a pas dans son existence d'antécédents dont on puisse faire état.

 

M. Drouot aborde les faits de l'accusation.

Il développe la pensée qui a guidé l'action de Le Bourhis, en faisant état de son attitude et de propos qu'il a tenus.

Il maintient que les coups ont été portés en connaissance de cause.

Le Bourhis a frappé Buaré, sachant qu'il le tuait, et il a porté à la femme Buaré un coup sur les conséquences duquel il n'avait pas à se méprendre.

Donc, la véritable qualification de l'acte est celle-ci :

Meurtre et tentative de meurtre.

 

L'organe du ministère public ne soutient pas qu'il y a eu provocation.

Y a-t-il des circonstances atténuantes formelles dans la cause ?

La peine, dit-il, doit être prononcée avec une certaine rigueur et en proportion du crime accompli.

La question des circonstances atténuantes revêt ici un caractère grave, car il s'agit de la peine capitale, et, en ne m'y opposant pas, en raison de la jeunesse de Le Bourhis, j'obéis moins à un sentiment de justice absolue qu'à un sentiment d'humanité.

 

M. Drouot s'associe aux conclusions de la partie civile et s'en réfère à la sagesse de la cour sur le quantum des dommages à allouer.

 

La défense

 

Me de Chamaillard présente la défense de Le Bourhis.

 

La malheureuse affaire dans laquelle je plaide aujourd'hui, dit-il, peut-être, quoi qu'en dise mon honorable contradicteur, qualifiée d'un mot :

C'est un drame de l'ivresse, cette ivresse maudite qui enlève absolument la conscience des actes.

Ce que la législature veut punir, c'est la volonté.

 

Me de Chamaillard développe cette thèse, discutant les faits de l'accusation.

La discussion qui a eu lieu est une provocation, dit-il, et il demande qu'une question subsidiaire soit posée sur ce point, sinon il réclamera l'acquittement de son client.

Tant pis pour l'accusation, ajoute-t-il, si elle est trop sévère.

Le Bourhis n'est pas un meurtrier, car l'intention homicide n'apparaît point.

 

Me de Chamaillard répond ensuite à la partie civile.

 

Le verdict

 

Déclaré coupable de meurtre seulement, avec circonstances atténuantes, Le Bourhis est condamné à dix ans de réclusion sans interdiction de séjour, et à mille francs de dommages-intérêts envers la partie civile.

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