1893
Drame dans les jardins
de la gare de Brest
Source : La Dépêche de Brest 3 mai 1893
Un drame sanglant s'est déroulé l'avant-dernière nuit dans les jardins de l'avenue de la Gare, que nous décrivions récemment.
Ces jardins, on le sait, ont comme locataires des portefaix, des chanteurs ambulants et des saltimbanques.
Dans la cabane portant le n°19, habitait un portefaix du nom de Picard, plus connu sous son prénom d'Alcibiade et par ses nombreuses condamnations.
Picard vivait avec une femme Robert (Marie), épouse Derrien.
Le drame
Avant-hier soir, à la suite d'une querelle avec son amant, la femme Derrien quittait la cabane de Picard pour celle d'un autre portefaix nommé Nicaise.
Cette cabane porte, le n° 20.
Picard rentra vers une heure 1/2 du matin, complètement ivre.
Ne voyant pas sa maîtresse, il parcourut son jardinet en chantant, puis, s'approchant de la fenêtre de la cabane de Nicaise, il aperçut la femme Derrien.
Picard lui dit alors :
« Allons, Marie, viens-tu te coucher ? »
Pour toute réponse, la femme Derrien lui brisa une bouteille sur la tête.
Inondé de sang — la bouteille, en se brisant, lui avait fait une large et profonde blessure à la tempe gauche, — Picard se rendit au poste de la porte Foy, où il raconta ce qui venait de se passer.
Les agents le conduisirent aussitôt à l'hospice civil, où on lui fit un pansement.
Il était temps.
À peine entré dans la salie Saint Jean, le blessé, affaibli par la grande quantité de sang qu'il venait de perdre, s'évanouit.
Pendant ce temps, la femme Derrien et Nicaise prenaient la fuite.
L'enquête
Informé hier matin du drame de la nuit, M. Guibaud, commissaire de police du 2e arrondissement, se rendait à l'hospice civil pour interroger Picard.
Mais celui-ci était tellement faible qu'il ne pouvait parler.
M. Guibaud se rendit alors sur les lieux et constata de nombreuses traces de sang dans le jardin de Picard.
Près de la cabane, on trouva une bouteille brisée et de nombreux éclats de verre maculés de sang.
La fenêtre, située à un mètre du sol, était également tachée de sang.
À dix heures, MM. Frétaud, procureur de la République, et Manceau, juge suppléant, se sont rendus à leur tour sur les lieux.
À une, heure et demie, le docteur Anner, médecin légiste, s'est rendu à l'hospice civil, où il a examiné la blessure de Picard, qui paraît grave.
Le drame a été parfaitement entendu des cabanes voisines.
Une femme Kerdoncuff a entendu le bruit d'une bouteille brisée, puis Picard crier :
« À l'assassin ! » et dire à Nicaise :
« Ce n'est pas bien de recevoir ma femme chez toi et de me porter un coup de bouteille ».
La femme Derrien aurait dit ensuite :
« Tu cries beaucoup, mais tu n'es pas encore mort.
Tu auras la g .. cassée en deux morceaux ! »
Le portefaix Bloch, qui habite la cabane 14, voisine de celle de Nicaise, a également entendu Picard crier :
« À l’assassin ! » et dire :
« Tu es tu es plus fort que moi, tu n’aurais pas dû frapper aussi fort ».
Aveux de la femme Derrien
La femme Derrien, née Robert, est âgée de 27 ans.
Née à Lambézellec, elle a été condamnée pour vagabondage.
À huit heures, hier matin, la maîtresse de Picard, qui était revenue dans sa cabane, était arrêtée par les agents Bastard et Mignon.
Interrogée M. Guibaud, elle a dit :
« Je reconnais avoir porté un coup de bouteille à Picard.
Je me trouvais chez Nicaise, chez qui j'étais allée demander une allumette, lorsque Picard m'a saisie par les cheveux, en passant ses mains par la fenêtre.
Je me suis défendu, voilà tout. »
Et elle a ajouté :
« Picard me battait souvent, mais Nicaise ne lui a rien fait. »
Conduite au parquet, elle a fait les mêmes déclarations à M. Frétaud, procureur de la République, qui l'a fait écrouer au Bouguen.
Ajoutons que la police recherche activement Nicaise, qui aurait, dit-on, traverser la rade, et se serait réfugié à Roscanvel.
La tentative de meurtre des jardins de la gare.
Source : La Dépêche de Brest 4 mai 1893
Comme nous le disions hier, le portefaix Nicaise s'était rendu avant-hier matin à Roscanvel, où il travaillait à un déchargement de charbon.
Ayant appris qu'on le recherchait, il est rentré à Brest et s'est rendu au commissariat du 2e arrondissement, où M. Guibaud, après l'avoir interrogé, l'a fait conduire au parquet.
L'état de Picard s'est sensiblement amélioré, et tout danger a disparu.
Nous avons pu le voir hier, et, tout en fumant une cigarette, il nous a dit :
« Je suis depuis trois ans avec la femme Derrien.
Je l'ai nippée, ainsi que son enfant, qui est âgé de dix ans.
Elle est séparée de son mari, qui est maçon, et moi je suis séparé de ma femme.
« Dans la nuit de lundi à mardi, je suis rentré chez moi ivre.
Ne voyant pas « ma femme », je me suis dirigé vers la cabane de Nicaise pour lui demander du tabac.
C'est alors que j'ai aperçu ma femme qui se cachait sous le lit.
Je l'ai attirée vers moi en lui disant :
« Ah ! Te voilà ici ! »
Mais, pour toute réponse, elle a pris une bouteille et m'en a frappé. »
Picard n'en veut, d'ailleurs, pas plus que ça à la femme Derrien.
Quant à Nicaise, il ne lui a rien fait.
Picard l'affirme absolument.
Le pauvre diable n'a, d'ailleurs, pas de chance avec « ses femmes ».
La première, la légitime, s'amusait à lui zébrer la face de coups de canif, dont il porte encore la trace.
Dans le contrat, passe encore, mais dans la figure !...
Vers 4 h. 1/2, Picard a été longuement interrogé par M. Guicheteau, juge d'instruction.
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Source : La Dépêche de Brest 5 mai 1893
Source : La Dépêche de Brest 12 mai 1893
Source : La Dépêche de Brest 27 mai 1893
Portefaix Alcibiade Picard
Source : La Dépêche de Brest 8 février 1887
Source : La Dépêche de Brest 24 mai 1891
Source : La Dépêche de Brest 29 août 1891
Source : La Dépêche de Brest 3 septembre 1891
Source : La Dépêche de Brest 12 septembre 1891
Source : La Dépêche de Brest 14 février 1892
Source : La Dépêche de Brest 9 octobre 1893
Source : La Dépêche de Brest 10 octobre 1893
Léocade Nicaise
Source : La Dépêche de Brest 24 décembre 1888
Source : La Dépêche de Brest 27 août 1892
Source : La Dépêche de Brest 26 décembre 1892
Source : La Dépêche de Brest 15 août 1893
Source : La Dépêche de Brest 20 août 1893
Source : La Dépêche de Brest 6 septembre 1893
Source : La Dépêche de Brest 9 septembre 1893