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1894

Rixe mortelle à Sizun
Rivalité entre
Cornouaillais et Léonards

 

 

Source : La Dépêche de Brest 24 avril 1894

 

Cette affaire, d'une extrême simplicité, n’est pour ainsi dire, que le résultat d’une sorte de rivalité entre Cornouaillais et gens du « Léon ».

 

Deux groupes se sont, un beau jour, rencontrés dans un cabaret ;

on a bu, on a trinqué ;

une fois gris, on a cogné ferme, et, finalement, un des Cornouaillais, le malheureux Lannuzel, celui qui qui avait été le plus « rossé » a été tué net par une pierre lancée dans la bagarre.

 

Les quatre accusés, qui comparaissaient pour la première fois devant la justice, ont l’air tout penaud sur le banc, où ils sont presque collés l'un à l'autre.

Ce sont les nommés :

 

1° Morry (Christophe), 25 ans, cultivateur à Sizun, accusé de coups mortels ;

2° Herry (Jacques), 24 ans, cultivateur à Sizun accusé de coups et blessures volontaires sur la personne de François Mével ;

3° Martin (Jean-Pierre), 25 ans, cultivateur à Sizun ;

4° Rohel (Joseph), 34 ans, cultivateur au Tréhou.

 

Ces deux derniers accusés de coups et blessures volontaires sur la personne du sieur Lannuzel (délits connexes au crime de coups mortels ci-dessus).

 

Morry est assisté de Me Le Marchadour.

 

Les trois autres ont pour défenseurs Mes Méheust, Laurent et Boulo.

M. Drouot occupe le siège du ministère public.

 

Comme pièces à conviction une pierre et un manche de fouet.

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L'acte d'accusation

 

Dans la soirée du 15 février dernier, le sieur Jacques Lannuzel, cultivateur au bourg de Saint Rioual, commune de Brasparts, se trouvait avec plusieurs camarades dans une auberge du bourg de Sizun, où il venait de toucher le prix d'une génisse vendue par lui à un sieur Yves Sanquer.

Ce dernier était accompagné de son neveu, Pierre Martin, et d'autres cultivateurs du Léon.

 

Sanquer fit servir du café à son vendeur et aux témoins du marché.

 

Pierre Martin insista alors pour que, à son tour, Lannuzel offrît des consommations aux personnes présentes.

Comme celui-ci déclarait ne vouloir payer qu'une chopine d'eau-de-vie, Martin lui chercha querelle et la dispute dégénéra bientôt en rixes dans lesquelles Lannuzel eut le dessous.

Il fut successivement jeté à terre par Martin et par Morry.

Ce dernier lui portait de violents coups de pied et excitait Martin à redoubler ses violences.

 

Quand il put s'arracher des mains de ses adversaires, Lannuzel quitta le bourg de Sizun pour prendre le chemin de Saint-Rioual, en compagnie de François Mével, de Charles Martin et de Jean Auffret.

 

Ils cheminaient sans s'apercevoir qu'ils étaient suivis par les agresseurs de Lannuzel.

 

Tout à coup, le nommé Joseph Rohel s'avança le poing levé et la menace à la bouche, en disant :

« Ici nous ne sommes plus au bourg ! » prouvant ainsi que, loin de témoins et de la gendarmerie, lui et ses camarades pensaient assouvir plus facilement leur rancune et donner libre cours à leurs violences.

Il porta un coup de poing et une violente poussée à Lannuzel qui fut encore renversé à terre.

Jacques Herry, qui se trouvait à droite de Rohel, s'arma du fouet de Morry et frappa brutalement Lannuzel.

 

Les coups pleuvaient sur la malheureuse victime, qui ne pouvait songer à se défendre.

Au moment où Lannuzel se relevait, Morry, qui s'était armé d'une pierre aiguë, la lui lança violemment à la tête et l'atteignit au temporal droit, qu'il fractura, en enfonçant en même temps les éclats du crâne perforé dans la matière cérébrale et provoquant une mort instantanée.

 

Mével, voyant que tout secours était inutile, prit la pierre qu'il croyait être l'instrument du crime et voulut revenir vers Sizun, afin de prévenir la gendarmerie, mais les trois agresseurs, Herry, Rohel et Morry, se précipitèrent sur lui ;

Rohel et Morry le saisirent par les épaules, pendant que Herry le prenait à la gorge et lui portait trois coups de poing à la figure.

Rohel, au même instant, lui enlevait la pierre.

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Les débats

 

Cette lecture terminée, le président procède à l'interrogatoire des accusés.

 

Morry reconnaît avoir lancé la pierre qui a tué Lannuzel, mais il se défend de l'avoir fait avec violence.

Il se défend également d'avoir frappé Mével et dit que la rixe n'a pas eu pour cause une rivalité entre Cornouaillais et Léonards, mais une question de consommations.

Les autres interrogatoires n'ont qu'une importance secondaire.

Rohel change de système et dit être resté après les autres ;

Herry et Martin soutiennent, au contraire, qu’il était avec eux et qu'il a mis le poing sous le nez et renversé Lannuzel.

Herry avoue avoir brisé le manche de son fouet sur la figure de Lannuzel.

 

Après l'audition des témoins, qui n'apportent aucun fait nouveau aux débats, Me Delaporte développe les conclusions de la partie civile.

Il abandonne Martin qui n’a joué, dit-il, qu'un simple rôle de comparse et il demande un dédommagement à la ruine occasionnée à la veuve de Lannuzel et à ses orphelins.

 

Dans un énergique réquisitoire, M. Drouot, après avoir souhaité la bienvenue au jeune défenseur de Rohel, réduit l'affaire à de plus simples proportions.

Établissant ensuite la part de responsabilité de chacun des accusés, il dit qu'une condamnation s’impose en ce qui concerne Morry, auquel il convie même les jurés à accorder des circonstances atténuantes.

Il est d'avis que les trois autres doivent également être condamnés, au moins pour le principe, et il appuie les conclusions de la partie civile.

 

Me Le Marchadour, défenseur de Morry, sur qui convergent tous les efforts de l'accusation, dit que la mort de Lannuzel a été le résultat fatal d'une scène d'ivresse et demande son acquittement.

Mes Méheust et Laurent en font autant pour Herry et Martin.

Enfin, Me Boulo, qui débute dans cette affaire, remercie le procureur de la République de ses souhaits de bienvenue.

Il fait l'éloge de l'impartialité avec laquelle il l'a vu remplir la tâche qui lui était confiée.

Il présente ensuite avec beaucoup de tact et de netteté la défense de Rohel, et demande également aux jurés de le rendre en liberté.

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Le verdict

 

Tous les accusés sont acquittés.

 

La cour, statuant sur les conclusions de la partie civile, condamne solidairement Morry et Rohel à trois mille francs de dommages-intérêts.

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