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1908

Un attentat sur la falaise du Trez-Hir

 

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Source : La Dépêche de Brest 1 septembre 1908

 

Un drame, qui a jeté l'émoi parmi la petite colonie de touristes actuellement au Trez-Hir, s'est déroulé, dimanche, entre cinq et six heures, à 300 mètres environ de l'hôtel de la Plage.

 

Voici les renseignements que nous avons pu recueillir sur cette affaire, appelée à avoir son dénouement devant le conseil de guerre du 11e corps, le criminel étant un soldat d'infanterie coloniale.

 

À l'Hôtel de la Plage

 

C’est à l'hôtel de la Plage, le premier, à droite, en arrivant au Trez-Hir, qu'était descendue, le 14 août, Mme Trible, 27 ans, femme d'un architecte de la ville de Paris.

Elle avait rejoint dans cet hôtel, une de ses amies, Mme Sizaire, habitant 136, avenue Félix Faure, à Paris.

 

À peine Mme Trible était-elle installée, qu'elle sortit sa palette et se rendit sur la falaise, où elle peignit un des plus jolis coins de cette côte accidentée : la crique de Kervastréat.

 

Mme Sizaire, appelée d'urgence à Paris, quitta son amie, dimanche matin ; la laissant en compagnie de Mme Dietz-Monnin, fille de feu M. Hallier, et femme de l'entrepreneur bien connu chargé des travaux de La Ninon.

 

Vers cinq heures, alors qu'une grande animation régnait sur la plage, Mmes Dietz-Monnin et Trible quittèrent seules l'hôtel et se dirigèrent vers la plage de Sainte-Anne, située sur la gauche de la route de grande communication.

 

Les deux touristes, en s'extasiant sur la beauté du site, suivaient un étroit sentier, bordant la falaise.

 

Ce chemin de douane, trop étroit pour laisser passer deux personnes de front, était désert.

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L'attentat

 

Les deux dames atteignaient le sommet de la crique de Kervastréat, lorsqu'elles virent venir devant elles un jeune soldat d'infanterie coloniale.

 

Ce militaire marchait au pas accéléré ;

mais rien dans son attitude ne pouvait faire prévoir qu'il roulait en tête de sinistres projets.

 

Les promeneuses s'apprêtaient à s'effacer pour laisser passer le colonial, lorsque celui-ci, sans dire un seul mot, bondit sur Mme Trible.

Il la saisit par les épaules, la poussa violemment et la malheureuse femme tomba dans le ravin.

 

Cette attaque avait été si soudaine, que pas une des deux touristes n'avait poussé un cri.

 

L'assassin, son premier crime accompli, se rua sur Mme Dietz-Monnin.

 

D'un geste brusque et sauvage il la prit par la nuque, en disant :

« Maintenant, c'est à ton tour. »

 

Affolée, Mme Dietz-Monnin se jeta aux genoux du soldat, implora sa pitié et lui dit, avec des sanglots dans la voix, et en tendant vers lui ses doigts, ornés de bagues superbes :

« Prenez mes bijoux. Mais, je vous en prie, laissez-moi la vie sauve ! »

 

— Ce n'est pas ta vie que je veux, répondit le satyre.

 

Mme Dietz-Monnin comprit alors les desseins du bandit.

Et, comme elle est très vigoureuse, elle lutta avec son agresseur et réussit à se jeter sur le sol pour lui donner moins de prise.

 

Ce dernier mit alors un genou à terre et essaya de relever sa victime mais, ne pouvant y parvenir, il la tira par les bras.

 

À ce moment, heureusement, apparut un jeune paysan qui mit en fuite le criminel.

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L'alerte

Mme Trible, grièvement blessée, est transportée à l'hôtel

 

Libre de l'étreinte de l'assassin, Mme Dietz-Monnin, les cheveux épars et les vêtements en désordre, courut à l'hôtel, où, en quelques mots, elle mit le personnel de l’établissement au courant de ce qui venait de se passer.

 

Tous les hommes présents, parmi lesquels MM. Firmin, maître d'hôtel ;

Fifis, chauffeur de Mme Dietz-Monnin ;

le cocher et le quartier-maître de mousqueterie Hascoët, du Calédonien, se portèrent au secours de Mme Trible.

 

Arrivés à l'endroit où l'agression avait eu lieu, ils virent, au bas de la falaise, la jeune femme allongée sur les galets, portant au front une affreuse blessure et tendant vers les sauveteurs ses mains rouges de sang.

 

— Sauvez-moi ! Sauvez-moi ! criait-elle.

Je souffre ! Je souffre !

 

Avec l'aide du chauffeur, le quartier-maître Hascoët se laissa alors glisser le long des rochers et parvint, en s'accrochant aux aspérités et aux herbes marines, à arriver jusqu'à Mme Trible.

 

La mer, qui montait, empêchant de passer par la plage, le courageux quartier-maître mit la jeune femme sur son dos et la porta jusqu'à l'hôtel en suivant le chemin sinueux et dangereux dont nous avons parlé.

 

La nouvelle de cet attentat s'était répandue avec une grande rapidité et lorsque Hascoët arriva, avec son précieux fardeau, un rassemblement s'était déjà formé devant l'hôtel.

 

Avec de grandes précautions on monta Mme Trible dans sa chambre, ou un étudiant en médecine ne tarda pas à lui prodiguer les premiers soins.

Il fut rejoint, par M. le docteur Foll, médecin aide-major au 2e colonial, qui termina le pansement.

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À la recherche de l'assassin.

Au fort de Bertheaume

 

Lorsque Mme Dietz-Monnin jugea que sa présence n'était plus utile auprès de Mme Trible, elle pensa à se mettre immédiatement à la recherche du coupable.

M. Mao, procureur de la République à Vitré, de passage au Trez-Hir, s'offrit à l'accompagner.

 

Mme Dietz accepta ; tous deux montèrent en automobile et la limousine s'arrêtait, cinq minutes plus tard, devant le pont-levis du fort de Bertheaume.

 

Le capitaine d'infanterie coloniale Cornet, qui commande le détachement, étant absent, M. Mao demanda à parier au lieutenant.

Cet officier se trouvait à son domicile ;

Mme Dietz fut donc obligée de s'adresser à l'adjudant François, qui la reçut fort mal.

Apprenant l'attentat dont la visiteuse avait été l'objet, il consentit cependant, sur la prière de M. le procureur Mao, à faire appeler ses hommes.

 

Le sous-officier appela le clairon et les notes aiguës de l'instrument firent bientôt rallier les coloniaux, qui s'alignèrent sur le terrain.

 

Mme Dietz examina tous les soldats, mais elle n'en reconnut aucun.,

 

L’adjudant, se retournant alors vers elle, lui dit :

« S'il avait de belles moustaches comme moi, vous le reconnaîtriez, madame. »

 

À ce moment, arriva en courant un jeune soldat à la moustache naissante ;

il regarda fixement Mme Dietz-Monnin et celle-ci déclara aussitôt qu'elle se trouvait en face de son agresseur.

 

En présence des protestations véhémentes du colonial, qui, de colère, jeta son ceinturon à terre et jura que ce n'était pas lui qui avait commis l'attentat, Mme Dietz-Monnin hésita ;

elle ne voulut pas porter une plainte formelle et déclara qu'elle désirait que le soldat qu'elle soupçonnait fut confronté avec le jeune paysan dont nous avons déjà parlé.

 

L'adjudant voulut obtenir des renseignements plus complets sur l'agression.

Mais devant l'attitude incorrecte du sous-officier, M. Mao engagea Mme Dietz-Monnin à ne pas acquiescer à sa demande.

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Plainte est portée à la gendarmerie

 

Quelques minutes plus tard, l'auto filait à vive allure sur le Conquet, où la victime porta plainte entre les mains des gendarmes.

Ceux-ci voulurent commencer immédiatement leur enquête et prirent place dans le véhicule avec M. le docteur Liégard.

 

Ce praticien trouva près de Mme Trible son confrère Lemoine, de Brest.

 

La victime avait la jambe gauche fracturée en trois endroits ;

elle portait en outre, au front, une plaie verticale s'étendant jusqu'au nez.

 

Mme Floch, propriétaire de l'hôtel, veilla la jeune femme toute la nuit ; Mme Trible ne dormit pas et demanda souvent si elle n'avait pas été souillée par le misérable qui l'avait jetée dans la grève.

 

À l'aube, Mme Saluden, femme de chambre, remplaça Mme Floch au chevet de la malade.

 

Le parquet se transporte sur les lieux

 

Une dépêche, adressée par le chef de la brigade de gendarmerie du Conquet, ayant appris au parquet l'attentat dont avait été victime Mmes Trible et Dietz-Monnin, MM. Sauty, substitut du procureur de la République ;

Bidard de la Noë, juge, remplaçant M. Le Ray, juge d'instruction, en congé ;

le docteur Mahéo, médecin légiste et Laurent, commis greffier, prirent place dans un landau de la maison Paul Jacq, qui les transporta au Trez-Hir.

 

Les magistrats s'arrêtèrent quelques instants à l’Hôtel de la Plage, puis ils se firent conduire à Bertheaume, où ils commencèrent l'information de cette affaire. .

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Notre enquête

 

À midi, lorsque nous arrivons, sur les lieux, la pluie tombe à torrents ; la plage est déserte.

 

Dans la salle à manger de l'hôtel, Mlles Dietz-Monnin et un ami de la famille déjeunent en compagnie du docteur Lemoine.

 

Firmin, le maître d'hôtel, que nous connaissons de longue date, se porte à notre rencontre.

Notre arrivée a été annoncée ;

le maître d'hôtel est rappelé et — nous l'avons appris plus tard par un tiers — ordre lui est donné de ne pas nous fournir de renseignements.

 

Constatons donc, une fois de plus, en cette grave circonstance,

la méfiance véritablement stupide dont les représentants de la presse sont toujours l’objet.

C’était à qui se détournerait d'eux et les signalerait comme gens suspects.

Cette prévention contre des reporters qui font consciencieusement leur métier est d'autant plus inexplicable que ceux-là qui semblent s'appliquer à compliquer leur tâche, toujours difficile, seraient les premiers à leur reprocher de ne pas trouver dans le journal tous les renseignements les plus circonstanciés sur un attentat semblable à celui du Trez-Hir.

Les coutumes admises sont telles que le journaliste doit être traité partout à l'égal du magistrat, du procureur ou du médecin.

On exige de lui des comptes-rendus exacts.

Qu'on lui donne donc les moyens de les faire !

 

Cette observation sera certainement comprise par ceux à qui elle s'adresse et qui nous donnèrent, hier encore, le spectacle de leur esprit rétrograde et déplorablement mesquin.

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Le soldat Le Berre, reconnu par un témoin de la scène, est arrêté

 

Vers une heure, Mme Dietz-Monnin descend dans la salle à manger et la conversation qui s'engagea entre elle, son fils et le capitaine Cornet, commandant du fort de Bertheaume, nous fournit les premiers éléments de notre enquête.

 

Nous apprenons ainsi que le capitaine Cornet, après avoir demandé à la brigade l'autorisation de pénétrer, avec Mme Dietz-Monnin, dans les forts du Portzic et du Minou, a successivement passé, avec la victime, devant le front des détachements.

 

Le coupable ne faisant partie d'aucune de ces compagnies, Mme Dietz-Monnin est retournée en automobile à Bertheaume, où elle a désigné à nouveau, comme étant son agresseur, le soldat Louis Le Berre.

 

Ce colonial, mis en présence de Paul Le Roux le garçon de ferme témoin de l'attentat, fut formellement reconnu par le jeune homme.

 

Le Roux malgré les protestations de l'inculpé se montra très affirmatif et déclara avec énergie qui il ne fallait pas chercher ailleurs le coupable.

 

Le Berre fut alors mis en état d'arrestation et enfermé dans les locaux disciplinaires, où on l'avait incarcéré, la veille, pour ivresse.

 

Sur les lieux du crime

 

Le premier soin du parquet, en retournant au Trez-Hir, vers 2 heures, est de se transporter sur les lieux où l'attentat a été commis, tandis que M. le docteur Mahéo visite Mme Trible.

 

Guidés par les gendarmes, MM. Sauty et Bidard de la Noë, s'engagent dans le petit sentier broussailleux qui conduit à la crique de Kervastréat.

 

La tempête fait rage ;

mais malgré la pluie, qui a détrempé le terrain, on relève des traces de lutte à l'endroit où l'agression a eu lieu.

 

La falaise, haute de 15 mètres environ, est si abrupte, que l'on se demande comment le quartier-maître Hascoët a pu descendre pour aller porter secours à Mme Trible,

 

La victime est tombée sur des galets ronds ; on en remarque encore trois, tachés de sang.

 

M. Bidard de la Noë fait des constatations, s’entretient avec le capitaine Cornet et avec M. Dietz-Monnin fils, puis regagne l'hôtel.

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Audition des témoins

 

Dans une petite pièce attenant à la salle à manger, mise à la disposition des magistrats, le juge d'instruction entend tout d'abord Mme Dietz-Monnin, qui, en présence de M. Sauty, fait le récit que l'on a lu plus haut.

 

Paul Le Roux, également interrogé, confirme la déclaration qu'il a faite aux gendarmes.

 

Cependant, le prévenu est amené par les gendarmes.

Voyant, dans le vestibule de l'hôtel, M. le docteur Mahéo, il fait le salut militaire, et va prendre place dans le fond d'un couloir, ou il est gardé à vue.

 

Louis Le Berre, 21 ans, originaire de Morlaix, est petit, blond ; un fin duvet estompe sa lèvre supérieure.

 

— Il est gentil, dit l'une des domestiques.

— Oh ! Je ne trouve pas, répond une autre ; il a tout à fait les allures d'un apache.

 

Les avis, comme on voit, sont très partagés.

 

Une demi-heure — durant laquelle tous les hôtes de passage défilent devant la porte vitrée derrière laquelle les magistrats instrumentent — s'écoule, et l'on introduit l'inculpé.

 

Ce dernier, confronté avec Mme Dietz-Monnin et Paul Le Roux, qui déclarent encore une fois le reconnaître, persiste dans ses dénégations.

Il donne l'emploi de son temps, et déclare qu'à l'heure où se commettait le crime il se trouvait avec un marin de la Jeanne d'Arc.

 

Quoi qu'il en soit, Le Berre, sur l'ordre de M. Sauty, substitut du procureur de la République, a été reconduit au fort de Bertheaume par les gendarmes.

 

Il sera transféré, aujourd'hui, à Brest, et interrogé à nouveau par le juge d'instruction, qui aura eu le temps de mander à son cabinet le matelot dont a parlé le prévenu.

 

L'état de santé de Mme Trible

 

Mme Trible, qui a reçu, dans l'après-midi, la visite de M. l'abbé Goasguen, a passé une meilleure journée ;

la fièvre a diminué, et les docteurs qui la soignent espèrent pouvoir maintenant prévenir la commotion cérébrale qu'ils redoutaient hier.

 

M. Trible, actuellement légèrement souffrant à Montpellier, a été avisé télégraphiquement de l'attentat dont sa femme a été victime.

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Source : La Dépêche de Brest 2 septembre 1908

 

Nous avons dit, hier, qu'un mandat d'arrêt avait été décerné par le procureur de la République contre le soldat d'infanterie coloniale Louis Le Berre, inculpé de tentative de meurtre.

 

N'ayant pu, au cours de l'interrogatoire que lui a fait subir M. Bidard de la Noë, juge d’instruction, établir son innocence, M. Sauty substitut, a signé un mandat de dépôt contre Le Berre.

 

Ce dernier escorté des gendarmes Coffec et Cabioch de la brigade du Conquet, a pris place, lundi soir, dans l'automobile de Mme Dietz-Monnin, qui l'a conduit à la maison d'arrêt du Bouguen.

 

Durant le trajet, Le Berre a conservé un mutisme complet.

Les mains jointes sur la poitrine, il semblait réfléchir.

 

Lorsque la porte de la prison s'est refermée, il a demandé la raison pour laquelle la justice civile s'occupait de son cas qui, d'après lui, ne relevait que de l'autorité militaire, puis il a suivi docilement les surveillants.

 

Les moyens de défense de l'inculpé

 

Le soldat Le Berre a fait connaître à M. Bidard de la Noë, juge d'instruction, l'emploi de son temps.

 

« J'ai quitté la caserne, dimanche, vers 7 h. 50, a-t-il dit.

Je me suis ensuite porté à la rencontre d'un de mes camarades, Sébastien Castel, ouvrier mécanicien sur la Jeanne d'Arc.

« Mon ami est arrivé, à onze heures, par le train, et nous sommes allés déjeuner, tous deux, au Bar du Trez-Hir, tenu par Mme Perrot.

 

« À 2 h. 30, j'ai fait visiter le fort de Bertheaume à Castel ;

nous sommes sortis de la caserne une demi-heure plus tard, puis nous avons pris, la route de Plougonvelin pour regagner la plage du Trez-Hir.

« Là, nous avons fait une nouvelle halte au bar ; et, à 5 h. 45, nous reprenions la route de la gare.

« Je me suis arrêté à mi-chemin ; j'ai fait demi-tour et suis rentré seul au quartier par la grande route. »

 

Ce récit semble à peu près exact ;

le prévenu, fort intelligent, ne passe sous silence que les faits qui prouveraient sa culpabilité.

 

Mme Perrot, propriétaire du Bar de Trez-Hir, déclare, en effet, que c'est à 5 h. 15 que Le Berre est sorti de son établissement et non une demi-heure plus tard comme l'affirme l'inculpé.

 

D'autre part, le témoignage de Paul Le Roux prouve que Le Berre n'a pas suivi la grand'route, après avoir quitté son camarade, mais a pris un chemin de traverse donnant accès à la plage de Sainte-Anne.

C'est accoudé à la grille du calvaire érigé à cet endroit que Le Roux l'a vu, trois minutes avant l'attentat.

 

— J'ai passé devant lui, a déclaré ce jeune homme, et c'est aux cris poussés par Mme Dietz-Monnin que je me suis retourné.

Il a aussitôt lâché cette dame et a repassé devant moi, sans courir.

L'ayant vu trois fois dans la même journée, je ne puis donc me tromper.

 

Une autre partie de la version du prévenu a été reconnue fausse.

Il a, en effet, déclaré, qu'il avait suivi la route la plus directe pour rentrer au fort, après avoir quitté Trez-Hir.

Cette allégation est encore démentie par le planton et le factionnaire de garde à la porte de la caserne, qui ont vu Le Berre faire un crochet, c'est-à-dire prendre un chemin beaucoup plus long que celui suivi habituellement par les soldats.

 

Il ne reste plus, pour clore l'instruction, qu'à entendre Mme Trible et l'ouvrier mécanicien Castel.

 

Le parquet se dessaisira ensuite de cette affaire, qui sera à nouveau instruite par l'autorité militaire.

 

Ajoutons que Le Berre, dont on n'a pas à se plaindre au point de vue du service, a déjà été condamné à deux ans de prison, avec sursis, pour un attentat analogue à celui qu'on lui reproche aujourd'hui.

 

Le 15 juin 1907, étant en congé de convalescence chez ses parents, qui habitent rue Porsmeur, à Morlaix, il se rendit à Sainte-Sève, en suivant la ligne de chemin de fer de Morlaix à Roscoff.

 

Rencontrant non loin de la voie la fille d'un garde-barrière, âgée de 13 ans, il la terrassa et la violenta.

Il fut arrêté peu après et remis entre les mains de ses chefs. (*)

(*) Ce fait n’apparait pas dans son Registre matricule – à voir en fin d’article.

 

Les parents de Le Berre, qui sont au désespoir, jouissent à Morlaix, de l'estime générale.

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Source : La Dépêche de Brest 18 juin 1907

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L'état de santé de Mme Trible

 

Nous avons eu la bonne fortune, hier, de rencontrer M. Dietz-Monnin fils, qui a bien voulu nous donner des nouvelles de la victime.

 

Mme Trible a passé une bonne nuit et MM. les docteurs Lemoine et Liégard, qui continuent à la visiter, espèrent que leur malade pourra quitter le lit dans une quarantaine de jours.

 

La fracture tibio tarsienne dont est atteinte Mme Trible a été réduite par les praticiens, qui ont ensuite mis la jambe dans un appareil.

 

Quant à la plaie sus-orbitaire que porte la victime, elle est en excellente voie de guérison.

 

La jeune femme a reçu, hier matin, la visite de Mme Dietz-Monnin, avec laquelle elle s’est entretenue pendant quelques minutes.

 

Au cours de l'après-midi, la malade a également conversé avec les personnes de son entourage.

 

Les souvenirs de Mme Trible sont bien vagues ;

l'agression a été si brutale qu'elle ne pense pas pouvoir reconnaître les traits de son agresseur.

 

Rendons hommage, en terminant, à la grande amabilité de Mme Dietz-Monnin et de ses enfants ;

ils nous ont facilité notre tâche et c'est grâce à eux que nous avons pu, hier, donner un compte rendu complet de l'attentat.

Nous les en remercions bien sincèrement.

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Source : La Dépêche de Brest 14 novembre 1908

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Source : La Dépêche de Brest 21 novembre 1908

 

Au moment où je fais les cent pas devant le conseil de gerre attendant l'ouverture des portes, j'aperçois devant moi Mme Dietz-Monnin et Mlle Perney, accompagnées d'un jeune homme, le fils Dietz-Monnin, probablement.

L’occasion est trop belle pour ne pas solliciter des victimes du drame leurs impressions sur la journée qui se prépare.

 

Je précipite le pas et j'aborde le groupe par ces mots :

« Pardon, mesdames ! ».

 

Mme Dietz-Monnin pousse un cri.

Elle vient d’avoir une peur atroce comme cela lui arrive très fréquemment depuis la fatale journée où pendant plusieurs minutes elle se trouva pour ainsi dire comme suspendue au-dessus de l'abîme. Mme Dietz-Monnin se remet vite.

« Oh ! Monsieur, excusez-moi, mais je vis dans une sorte de terreur continuelle.

« Ces jours-ci, encore, sur le boulevard de la Madeleine à Paris, j'ai eu, tout à coup, la sensation qu’on me saisissait à la nuque, comme le fit Le Berre au Trez-Hir. ».

Je me retourne et je n'avais derrière moi qu’un paisible promeneur.

 

— Alors la hantise du drame vous poursuit !

— Elle ne me quitte pas ;

la nuit, je suis en proie à de terribles cauchemars et, pendant longtemps, il me fut impossible de m'endormir si je n’avais pas plusieurs membres de ma famille à coucher dans ma chambre.

 

— Pourrais-je connaître votre impression sur la façon dont l'affaire a été conduite ?

— Très mauvaise, monsieur.

Comment ?

On essaie de faire croire à des contradictions, à des hésitations de ma part !

Un officier prétend que Le Berre est innocent.

Mais cet officier n'a rien vu du crime :

il n'était même pas présent quand j'ai eu avec l’adjudant du fort de Bertheaume un entretien des plus bizarres.

Pour un peu, ces hommes-là me feraient passer pour folle, pour hallucinée !

Je suis pourtant bien sûre de ce que j'avance et de ce que je vais répéter aux juges du conseil. .

 

— Une erreur de votre part serait si grave !

— Il ne peut y en avoir ;

je suis restée seule avec cet individu et jamais, jamais, je n'oublierai les regards qu'il me lançait.

Oh ! Ces yeux !

 

Après le drame quand, arrivée au fort de Bertheaume, l'adjudant François me fit passer l’inspection de tous les soldats présents, je ne reconnus pas le criminel car il n'y était pas.

L'adjudant me demanda si l’agresseur avait des moustaches.

Je lui répondis qu'il en avait de blondes et naissantes.

— S’il avait eu des moustaches aussi belles que les miennes, persifla l'adjudant, vous l'auriez reconnu.

 

— J'allais me retirer quand, à la porte, je le vis arriver tout essoufflé :

« C'est lui ! C'est lui ! » M’écriai-je.

 

Alors il y eut une scène terrible.

Le Berre niait avec énergie.

À un moment, il retira son ceinturon et, se plantant droit devant moi, dit :

« Regardez-moi bien.

Persistez-vous à dire encore que c'est moi qui vous ai attaquée ? »

 

Troublée par l'audace de cet homme, je répondis :

Si ce n'est pas vous, c'est quelqu'un qui vous ressemble comme un frère.

Mais quand j'eus repris mon sang-froid je persistai à reconnaître en Le Berre mon agresseur.

 

Le lendemain, avec le petit Le Roux ma certitude fut aussi absolue ;

il ne se trompa il marchait vite devant les soldats ; il semblait même regarder à plusieurs mètres devant lui.

Tout à coup, il s'arrêta devant Le Berre et le désigna.

 

Certains chefs de Le Berre, sauf le capitaine Cornet, semblaient vouloir défendre Le Berre.

Ils ne pouvaient, disaient-ils croire à sa culpabilité.

 

Mme Dietz-Monnin nous raconte la scène du crime.

Sa camarade marchait devant elle à reculons, sur un chemin qui avait à peine 50 centimètres de largeur et qui limitait la falaise. »

 

— C'est parce que j'avais le vertige, nous dit-elle, que mon amie marchait ainsi.

Nous rencontrâmes, venant en sens inverse, Le Berre qui saisit mon amie, laquelle ne pouvait le voir, puisqu'elle lui tournait le dos.

Voyez là, elle ne pouvait peser lourd dans ses mains.

Songez qu'elle pèse 41 kilos 1 ....

 

Nous regardons la fluette Mlle Ferney, qui sourit à cette réflexion.

J'étais si affolée que je n'entendis qu'un cri : « Ah ! »

 

Le bandit se jette sur moi ;

je le suppliai de me laisser la vie, je lui dis que j'avais trois enfants ;

je lui offris mes bijoux ;

il s'acharna sur moi comme si d'une poussée il pouvait me faire subir le même sort que Mlle Ferney.

Je me laissai tomber sur le chemin.

Ce fut ce qui me sauva.

Le petit pâtre breton n'était pas à quinze mètres de nous.

 

Mon opinion est que le misérable en voulait surtout plus au petit pâtre qu'à moi.

Mais, comme nous le gênions, il résolut de se débarrasser de nous.

 

— Cependant l'accusation va lui reprocher d'avoir tenté d'abuser de vous.

— Il me dit bien une ou deux phrases à ce sujet.

Mais, vous le pensez, dans mon effroi, je n'avais qu'un but, gagner du temps pour permettre au témoin de cette scène d'accourir.

Quand le jeune Le Roux arriva, le criminel prit la fuite.

Mais, sachez-le bien, monsieur, je n'ai jamais varié sur Le Berre ;

c'est lui et non un autre qui a tenté de tuer mon amie et de me violenter ensuite.

 

Quand à Mlle Ferney, elle ne se souvient que d'une chose, c'est qu'en moins de temps qu'il en faut pour l'écrire, elle fut jetée du haut de la falaise.

Elle eut la sensation du vide, s'évanouit et c'est tout.

 

Nous quittons Mme Dietz-Monnin et Mlle Ferney pour entrer dans la salle d'audience.

Les débats vont nous éclairer, sur la culpabilité ou sur l'innocence de Le Berre.

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Les mesures d'ordre

 

Les mesures d'ordre sont si sévères et l'on a si peu l'habitude, à Nantes, de fréquenter les séances du conseil de guerre, que la partie de la salle réservée au public est à moitié pleine.

Le banc de la presse, par contre, est envahi par les journalistes.

 

Mlle Jeanne Ferney, dite Mme Trible, et Mme Dietz-Monnin sont l'objet de la curiosité du public.

Elles sont assises face au conseil de guerre et ne paraissent pas très émues.

 

Mlle Ferney est plutôt triste, mais sa compagne une magnifique blonde, sourit assez souvent, heureuse de se trouver au monde, après le terrible drame du 30 août.

 

À côté de ces dames, se trouve le docteur Mahéo, de Brest, témoin, qui cause amicalement avec elles.

Il peut leur parler du sort réservé à l'accusé, si le conseil le condamne aux travaux forcés, car il y a quelque trente ans le docteur fut médecin au bagne de l'île Nou, où il soigna l'auteur de ces lignes, qui portait, à cette époque, l'uniforme que Le Berre déshonorerait aujourd'hui, s'il était reconnu coupable.

 

Dans un coin, à côté de la table du conseil, le général Jourdy, commandant le 11e corps d'armée, est en civil.

 

Le conseil de guerre entre en séance

 

À neuf heures, le conseil entre en séance.

Après les préliminaires d'usage, l'interrogatoire d'état civil de l'accusé, a lieu la sortie des témoins.

 

Le huis clos est demandé

 

Le commissaire du gouvernement réclame le huis clos.

Un sourire discret erre sur les lèvres des journalistes, qui connaissent le procès et savent qu'il n'y a rien qui puisse offusquer la pudeur de l'âme la plus candide, sauf un détail peut-être, qu'il serait possible de gazer.

 

Me Crimail, défenseur de Le Berre, proteste avec beaucoup d'énergie contre cette idée de l'accusation.

Il a lu toutes, les pièces du dossier et il n'a rien vu qui justifie le huis clos.

 

Il ne comprend rien à la demande de son contradicteur contre Le Berre.

Il n’a rien relevé qui puisse faire croire à sa culpabilité ;

il veut que cet homme après acquittement, puisse sortir la tête haute, après avoir supporté la grande lumière d'un débat public.

 

Le commissaire du gouvernement réplique que la lecture des pièces 0. G. et 22 lui paraît scabreuse.

 

« Quoi, s'écrie l'avocat, c'est parce qu'au folio de punitions de cet homme il y a un motif scabreux, que vous demandez le huis clos.

Espérez-vous faire condamner cet homme pour une punition qu'il a subie au corps ?

 

« Je croyais que vous aviez d'autres charges, que vous ameniez des témoins, des preuves, et je pensais que vous n'auriez même pas parlé de cette punition, qui n'a rien à voir au procès. »

 

Le conseil se retire pour délibérer.

 

L'accusé

 

Pendant ce temps, nous examinons Le Berre :

c'est un garçon imberbe, lourd au physique et semblant d'une intelligence épaisse.

Il est certain qu'une fois vue sa physionomie ne doit pas s'oublier et qu'on ne peut guère se tromper.

 

Le Berre est poupin, joufflu ;

il respire une santé florissante, un vrai type de jeune paysan bas-breton.

 

La punition régimentaire à laquelle il est fait allusion est des plus graves au point de vue moral.

 

Il s'agit d'une scène particulièrement scandaleuse, qui se serait passée à la salle de police.

 

Le huis clos est rejeté

 

Après dix minutes de délibération, le conseil déclare qu'il n'y a pas lieu à huis clos, mais que, cependant, il sera établi pour la déposition de Mme Diotz-Monnin.

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La parole est ensuite donnée au greffier, qui lit le long rapport suivant, rapport qui constitue, comme l'on sait, l'acte d'accusation :

 

Le dimanche 30 août 1908, entre 5 h. 45 et six heures du soir, Mlle Jeanne Ferney (dite Mme Trible), et Mme Dietz-Monnin, deux Parisiennes en villégiature au Trez-Hir, se promenaient ensemble sur la falaise de Keryastréat.

 

Elles suivaient le sentier dit « des Douaniers » qui borde la grève, lorsqu’elles furent abordées par un soldat de l’infanterie coloniale qui, sans même leur dire un mot, saisit d’abord Mlle Ferney par les épaules et la précipita au bas de la falaise.

Il saisit ensuite Mme Dietz-Monnin par la nuque essaya aussi de la précipiter dans le gouffre, et n’y parvenant pas, lui fit subir toutes espèces de mauvais traitements.

 

Il se sauva à l'approche d'un jeune homme de Plougonvelin, passant par hasard sur les lieux, et attiré par les cris de la victime.

 

À la suite de l'enquête commencée par la justice civile, continuée par l'autorité militaire de Brest, et terminée par nous, le soldat Jean-Louis Le Berre, de la 10e compagnie du 9e régiment d'infanterie coloniale, en garnison au fort de Bertheaume, a été inculpé comme étant l’auteur de ces faits qui se produisirent dans les conditions détaillées ci-après :

 

Nous faisons tout d’abord observer que l’exposé qui va suivre, exposé un peu long, nous avons été obligé de négliger de mentionner certains détails de l’instruction qui nous ont paru ne présenter aucun intérêt pour les faits eux-mêmes ;

et que pour plus de clarté, nous avons fait établir un croquis des lieux où se sont passés les incidents et sur lequel il est facile de se rendre compte des distances et par suite du temps nécessaire pour se rendre de la plage de Kervastréat aux différents points ou établissements cités.

Nous prions de s'y rapporter. « Pièce numéro 67 ».

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Mme Dietz-Monnin et Mlle Ferney avaient quitté l'Hôtel de la Plage vers 5 h. 30 et, quelques instants après, s’étaient engagées dans le sentier « des Douaniers » qui, de la route, se dirige vers la statue de Sainte-Anne.

 

Mlle Ferney se proposait de montrer à sa compagne l’endroit où elle faisait, un tableau et où, disait-elle, elle n’osait plus aller seule, craignant d'être précipitée du haut de la falaise.

 

À peine engagées dans ce sentier, elles rencontrèrent d'abord un monsieur qui était assis sur la falaise, à quelques centaines de mètres plus loin, une jeune fille, Mlle Marie Perrot, qui les suivit quelque temps et s’arrêta pour causer à un jeune homme, M. Paul Le Roux, qui, venant en sens inverse du café de Sainte-Anne, les avait croisées.

 

Arrivées à l'endroit de la falaise appelé Kervastréat, elles virent venir vers elles un soldat d'infanterie coloniale qui les aborda aussitôt, sans même leur parler.

II saisit d'abord Mlle Ferney par les épaules et la précipita du haut de la falaise, sur tes galets.

Le mouvement fut si brusque, et Mlle Ferney fut tellement surprise, qu'elle n'eut pas même le temps d'opposer la moindre résistance, ni seulement de se rendre compte du signalement de son agresseur.

 

Celui-ci, débarrassé d'elle, se retourna aussitôt sur Mme Dietz-Monnin, la saisit par la nuque, essaya de l'entraîner aussi vers le gouffre pour la précipiter également sur les rochers, tout en lui disant :

« Tu vas y aller aussi. »

 

Mme Dietz-Monnin résista et lutta désespérément.

Malgré cela son agresseur, plus fort qu'elle, aurait probablement réussi, si elle n'avait eu l'heureuse idée de s'accrocher à des plants d'épines qui bordaient le sentier.

Elle supplia le soldat de la laisser vivre, lui demandant ce qu'elle lui avait fait et lui disant qu'elle avait trois enfants.

Comme il ne semblait pas même disposé à l'écouter, elle se mit à crier et appela « au secours ! » tout en lui offrant ses bijoux et même tout ce qu'elle avait sur elle.

 

Son agresseur qui, jusque-là, l'avait tenue par terre, la tira alors par les bras et lui dit :

« Je te laisserai vivre, mais prends mon baiser. »

 

Suivant Mme Dietz-Monnin, il répéta même ce propos plusieurs fois, tout en tentant de lui faire violence.

 

Pour gagner du temps, et espérant aussi que ses cris seraient entendus, Mme Dietz-Monnin lui répondit qu'elle accédait à ses désirs, mais qu'il fallait aller plus loin, que la chose n'était pas possible dans l'endroit où ils se trouvaient.

 

Le soldat continuait de la maintenir, terrassée, lui, faisant face à la plage, et elle à l'opposé, lorsque survint le jeune Le Roux, qui avait entendu les appels.

 

Le militaire, voyant venir le jeune homme qui se trouvait à une dizaine de pas seulement, lâcha sa victime en lui disant :

« Je t'attends », et il partit, se dirigeant tranquillement du côté de Brest.

 

Mme Dietz-Monnin se releva aussitôt, et, apercevant aussi le jeune Le Roux, elle s'avança vers lui et le supplia de ne pas l'abandonner.

Ils allèrent ensemble, en toute hâte, à l'Hôtel de la Plage, où elle mit sommairement le personnel au courant de ce qui s'était passé, afin que l'on puisse secourir immédiatement Mlle Ferney.

 

Plusieurs personnes, guidées par le jeune Le Roux, se transportèrent aussitôt sur les lieux.

Elles aperçurent Mlle Ferney debout sur les galets, elle avait la figure et les mains tout ensanglantées et elle appelait :

« Au secours ! »

 

Le quartier-maître de mousqueterie Hascoët, du Calédonien, qui se trouvait à l'Hôtel de la Plage au moment où Mme Dietz-Monnin était venue demander du secours, était accouru au nombre des sauveteurs.

 

Il s'approcha de Mlle Ferney qui, toujours sous l'empire de la frayeur, lui demanda qui il était.

Il lui répondit qu'elle n'avait, pas à s'inquiéter, qu'il venait à son secours, et, avec son consentement, il lui lava la figure, qu'elle avait couverte de sang, avec son propre mouchoir.

Il la chargea ensuite sur son dos, et, malgré les nombreux obstacles, il parvint à escalader la falaise et à la remonter.

Il la transporta ainsi jusqu'à l'Hôtel de la Plage, où elle put recevoir les premiers soins que nécessitait son état.

 

Parmi les voyageurs descendus à l'Hôtel de la Plage se trouvait M. Mahaut, procureur de la République à Vitré.

Il interrogea le jeune Paul Le Roux pour savoir si celui-ci pourrait reconnaître le soldat colonial auteur de l'attentat.

Le Roux lui répondit affirmativement, ajoutant que ce soldat était du fort de Bertheaume et qu'il portait sur les manches le liseré de rengagé.

 

M. Mahaut, à qui Mme Dietz-Monnin dit aussi que son agresseur paraissait très jeune, avait une petite moustache blonde, à peine naissante, pensa qu'il était urgent de se mettre à la recherche du coupable.

Il se rendit aussitôt, en automobile, accompagné de Mme Dietz-Monnin et de son fils, à la caserne du fort de Bertheaume, où ils arrivèrent vers 6 h. 50 du soir.

 

Ils s'adressèrent à l'adjudant François, de semaine, le mirent au courant des faits et le prièrent de faire rassembler tous les hommes présents, afin que Mme Dietz-Monnin puisse examiner si, parmi eux, elle reconnaissait son agresseur.

 

L'adjudant François fit sonner la « générale » et donna les ordres nécessaires pour que tous les hommes présents fussent aussitôt rassemblés dans la cour.

 

Pendant que le rassemblement s'exécutait, l'adjudant demanda à Mme Dietz-Monnin différents renseignements sur l'agresseur, notamment sur la tenue qu'il portait.

 

D'après l'adjudant, elle lui répondit qu'il était jeune, imberbe (de petites moustaches), sans épaulettes et porteur de petites jambières ; qu'elle se chargeait de le reconnaître.

 

Comme c'était un dimanche, il manquait un certain nombre d'hommes au rassemblement.

Lorsqu'il fut terminé, Mme Dietz-Monnin passa lentement devant les rangs.

 

Arrivée aux deux tiers environ, elle s'arrêta brusquement devant le soldat Le Berre, qui venait justement d'arriver, et s'écria :

— « C'est celui-là !»

— « Non, madame, répondit Le Berre, ce n'est pas moi. »

— « Si, si, c'est vous, affirma Mme Dietz-Monnin, c'est vous, je vous reconnais. »

 

L'adjudant François lit alors remarquer à Mme Dietz-Monnin que Le Berre avait, des épaulettes et ne portait pas de jambières.

Elle lui répondit :

— « Dans mon émotion, j'ai pu me tromper. »

 

Elle continua de visiter le reste du détachement, mais elle ne désigna personne autre.

 

Sur la demande de M. Mahaut, l'adjudant fit entrer le soldat Le Berre au poste de police, et là, il apprit l'objet des recherches.

Il entra alors dans une violente colère jurant, tempêtant et paraissant devenir fou furieux.

 

L’adjudant François fit alors remarquer que le soldat recherché pouvait ne pas appartenir au fort de Bertheaume, et Mme DietzMonnin, déjà sous l'empire d'une violente émotion très compréhensible, qu'aggravait encore la colère de Le Berre, se troubla un peu, en présence de cette remarque, et lorsque Le Berre, s'adressant directement à elle, lui demanda si elle affirmait bien qu'il était son agresseur, elle lui répondit qu'en tous cas il lui ressemblait beaucoup.

Elle ne voulut pas, ce jour-là, être trop affirmative, en raison, suivant, sa propre expression, de la gravité de l'accusation.

Elle préféra, avant de se prononcer d'une façon ferme, voir les hommes des autres détachements, ce qu'elle fit le lendemain, dans la matinée, après une deuxième reconnaissance faite à Bertheaume, dans les conditions qui seront indiquées plus loin.

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Ce jour-là ; 30 août, en quittant le fort, elle se rendit, accompagné de M. Mahaut, à la gendarmerie du Conquet, où elle déposa une plainte régulière.

 

Les gendarmes se rendirent aussitôt au Trez-Hir pour commencer l'enquête, et, à dix heures du soir, ils avisèrent officiellement l'officier de service au fort que, le lendemain matin, un témoin qu'ils avaient interrogé, le jeune Paul Le Roux, passerait, aussi devant les troupes du détachement pour voir s'il reconnaîtrait l'agresseur, comme il avait affirmé pouvoir le faire.

 

Ce témoin, Le Roux, âgé seulement de 15 ans, avait déclaré aux gendarmes que, passant dans le sentier « des Douaniers », il avait rencontré, au lieu-dit Kervastréat, vers 5 h. 45 du soir, un soldat d'infanterie coloniale, qui était appuyé sur une grille en face de la statue de Sainte-Anne.

Il avait reconnu ce soldat pour l'avoir déjà vu, vers 2 h. ½ ou trois heures, en compagnie d'un marin, se dirigeant vers la caserne.

 

Quelques instants après avoir dépassé ce militaire, disait Le Roux, il avait croisé deux dames qui se dirigeaient aussi du côté de Sainte-Anne et, presque aussitôt, il s'était arrêté pour causer avec Mlle Perrot, qui suivait ces dames.

 

Ils causaient depuis quelques secondes à peine lorsqu'ils avaient entendu crier :

« Au secours ! »

Lui, s'était retourné, avait rebroussé chemin, et avait vu le militaire qu'il venait de devancer pousser une de ces darnes dans la grève,

Puis saisir l'autre par le cou, la traîner et la terrasser.

Le soldat, qui lui faisait face, l'avait vu venir, et il avait alors abandonné sa victime en s'éloignant tranquillement dans la direction de Sainte-Anne.

 

Le Roux avait ajouté qu'il ne savait pas le nom du militaire, qui était en tenue de sortie avec épaulettes et épée-baïonnette, qu'il portait aussi le liseré de rengagé et avait environ 1 mètre 67 de taille, et que, s'il était mis en sa présence, il affirmait pouvoir le reconnaître.

 

Disons, dès maintenant, pour ne pas revenir sur cette déposition, qu'il n'a fait que la compléter dans les suivantes, en ajoutant qu'il reconnaîtrait d'autant mieux l'agresseur, qu'il l'avait vu plusieurs fois au bar du Trez-Hir.

 

Avant de parler de la deuxième reconnaissance, celle du 31 août, il convient de signaler la rentrée de Le Berre au fort de Bertheaume, le 30, vers 6 h. 50 ou 6 h. 55 du soir juste au moment où le détachement venait d'être rassemblé

 

Le soldat Coroller, qui était de faction, vit arriver le soldat Le Berre, au pas de course.

À une vingtaine de mètres de la porte, il cessa de courir, tout en continuant de marcher très vite.

Lorsqu’il passa près du caporal Berder, de garde, celui-ci lui dit de se dépêcher, que l’on venait de sonner la « Marche du régiment ».

 

Le Berre s'arrêta tout essoufflé et, paraissant surpris, répéta : « La Marche du régiment ».

Puis il reprit sa marche, passa derrière la 12e compagnie, et alla prendre sa place dans les rangs de la 10e, à laquelle il appartient.

Il avait l'air un peu égaré, son ceinturon était de travers et sa vareuse non tirée.

Le soldat Coroller, comme le caporal Berder, dit au soldat Le Berre de se dépêcher ;

mais celui-ci ne lui demanda aucun renseignement et alla prendre sa place.

 

Après la confrontation au cours de laquelle Mme Dietz-Monnin fit la déclaration que l'on sait, le caporal Berder reçut l'ordre de mettre Le Berre à la salle de police.

D'après le caporal, Le Berre protesta, disant qu'il était innocent, et il refusa de marcher.

Le caporal appela alors deux hommes de garde, ce que voyant, Le Berre se rendit aux locaux disciplinaires sans difficulté.

 

Le lieutenant Fauché, adjudant-major de semaine, prévenu, interrogea aussitôt le soldat Le Berre.

II nia être l'auteur de l'agression et expliqua l'emploi de son temps, notamment de l'après-midi, passé en compagnie d'un de ses camarades, le matelot Castel, de la Jeanne d'Arc, et à qui il avait écrit de venir le voir.

 

Les explications du soldat paraissant plausibles à l'officier, il le fit sortir de la salle de police et l'envoya coucher à sa compagnie.

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Le lendemain, 31 août, à huit heures du matin, les gendarmes du Conquet se rendirent à la caserne de Bertheaume, accompagnés de Mme Dietz-Monnin et du jeune Paul Le Roux, qui leur avait dit la veille qu'il reconnaîtrait parfaitement le militaire s'il était mis en sa présence.

 

M. le lieutenant Fauché, adjudant-major de semaine, assista à cette deuxième reconnaissance, et sa déposition nous semble la plus importante pour cette partie de l'affaire

 

Elle est, du reste, confirmée par celles du lieutenant Millot le commandant de la 10e compagnie, et de l'adjudant François, qui s'expriment à peu près dans les mêmes termes

 

Il y a quelques variantes dans celle de M. le lieutenant du Boishamon, officier de peloton, et aussi dans celle du soldat Penven, qui faisait partie des hommes de garde à la police.

 

Tous les hommes du détachement, qui comprend les 10e et 12e  compagnies, furent rassemblés en ligne, sur un rang.

Mme Dietz-Monnin placée contre le détachement, et ayant à sa droite Paul Le Roux, fut invitée à en passer l'inspection avec le témoin.

Ils passèrent devant toute la 12e compagnie sans s'arrêter et commencèrent à ralentir devant la 10e.

Mme Dietz-Monnin, suivant M. Fauché, commença à dire à Le Roux, à ce moment-là, et à deux ou trois reprises « Tu ne le vois pas, petit ».

Mais elle ne fit aucun geste pour arrêter le témoin qui, en arrivant en face du soldat Le Berre, s'arrêta, le montra du doigt et dit en se retournant du côté, de Mme Dietz-Monnin :

« Le voilà ! »

 

Mme Dietz-Monnin se retourna alors du côté de M. Fauché, qui fixait les hommes, et, en même temps que Le Berre répondait : « Tu te trompes, petit, fais bien attention, ce n’est pas moi »,

elle dit à l’officier : « Je ne m’étais donc pas trompée, hier soir ».

 

Le lieutenant fit alors entrer le soldat à la salle des rapports, ainsi que Mme Dietz-Monnin et Le Roux.

Celui-ci confirma sa reconnaissance et il répéta que l’agresseur était en épaulette au moment du crime.

 

M. le lieutenant Fauché fit alors remarquer à Mme Dietz-Monnin que cette déclaration contredisait ce qu’elle avait dit la veille à l’adjudant François :

— « Dans mon émotion, répondit-elle, j’ai pu ne pas porter attention aux épaulettes »

— « Cependant, objecta l’officier, hier vous avez été affirmative. »

— « Comme l’homme s’en allant a pris la direction du Minou répartit Mme Dietz-Monnin, puis-je visiter ce fort ? 

Je ne voudrais pas faire condamner un innocent. »

 

À ce moment, Le Roux qui avait entendu ce dialogue, répondit que cette visite était inutile, lui ayant parfaitement reconnu le soldat Le Berre.

 

Malgré cette affirmation, Mme Dietz-Monnin tint à se rendre dans la matinée même, dans les autres détachements.

Elle visita les forts du Minou, de Toulbroch et du Portzic.

Elle ne reconnut aucun des hommes qui lui furent présentés, et, dans sa dernière déposition, celle où nous lui avons fait préciser le plus possible tous les détails, elle est absolument formelle.

Elle affirme qu’elle a parfaitement reconnu Le Berre, dès qu'elle l'a vu entrer à la caserne, le 20, vers sept heures ; qu'elle n'a eu aucune hésitation et qu'elle l'a dit immédiatement à M. Mahaut.

Elle ajoute que l’adjudant François lui a posé, ce jour-là, toute une série de questions auxquelles il était fort difficile de répondre.

Il lui a demandé, dit-elle, si le soldat avait des épaulettes, s'il était rengagé, etc., etc. et elle était incapable surtout dans un pareil moment, de distinguer de semblables détails, qu'elle ignore d'ailleurs complètement.

 

D'après le soldat Penven, lorsque Le Berre est rentré au quartier Mme Dietz-Monnin l'a arrêté en disant :

« Je crois que c'est lui » et elle a même répété cette phrase lorsque Le Berre a eu pris sa place dans les rangs.

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Au poste, lorsqu'il a appris les soupçons qui pesaient sur lui il est entré dans une violente colère et, s'adressant à Mme Dietz-Monnin, il lui aurait demandé :

« Me reconnaissez-vous, Madame ? »

 

D'après Penven, elle aurait répondu :

« Oh ! Monsieur, je suis tellement émotionnée que je ne sais pas, que je ne sais rien ».

 

Enfin ce témoin a aussi ajouté que Mme Dietz-Monnin avait dit au poste qu'elle n'était pas certaine si son agresseur portait des épaulettes et un galon de rengagé.

 

Le sergent-major Mathieu, qui se trouvait également au poste, confirme exactement cette dernière partie de la déposition du soldat Penven.

 

Quoi qu'il en soit, après la confrontation du 31 août, le soldat Le Berre fut mis en prison préventive, et les gendarmes du Conquet, munis de l'autorisation de 1 adjudant-major de semaine, procédèrent à son interrogatoire

 

Nous reviendrons, par la suite, sur l'ensemble des déclarations qu'il a faites, soit à la gendarmerie, soit à M. le juge d'instruction, soit à nous, au cours de l’instruction.

 

Disons seulement, pour l'instant, qu’il nia être allé dans le sentier des douaniers et être l'auteur de l’agression, et qu'il expliqua l'emploi de son temps dans les conditions que nous indiquerons plus loin.

 

À la suite de son interrogatoire, les gendarmes continuèrent leurs investigations et, dans la journée du 2 septembre, ils interrogèrent toutes les personnes à même de donner quelques renseignements.

Le témoignage de l'une d'entre elles présente seul de l'intérêt quant à présent.

 

Mlle Marie Perrot, âgée de 17 ans, déclara que le dimanche 30 août elle avait quitté le village du Trez-Hir, vers cinq heures et demie et s'était engagée dans le sentier des douaniers.

Deux dames marchaient devant elle, et, en arrivant au lieu-dit Kervastréat, elle avait croisé Paul Le Roux, qu'elle connaissait et qui venait en sens inverse.

S'étant arrêtée pour causer avec lui, ils avaient presqu'aussitôt entendu un cri aigu.

Ses regards s'étaient portés du côté des dames qui étaient devant elle, et elle n'en avait vu qu'une.

Elle était tenue à bras le corps par un soldat de l'infanterie coloniale qui la traînait en la tenant sous les aisselles.

Cette dame criant au secours.

Le Roux s'est précipité vers elle.

À ce moment, le militaire est parti tout tranquillement dans la direction de Sainte-Anne, et la dame, lorsqu'elle a été dégagée, est venue dans la direction de Le Roux, lui demandant de l'accompagner jusqu'au Trez-Hir,

 

Mlle Perrot avait ajoutée que, prise de frayeur, elle était restée sur place et n'avait vu le militaire que de dos, qu’elle ne pouvait donner son signalement, mais qu'elle était sûre qu'il avait des épaulettes.

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Le soldat Le Berre a été écroué à la prison militaire de Nantes le 15 octobre.

Il avait été interrogé par l'officier de police judiciaire à qui il avait renouvelé ses déclarations précédentes en ajoutant qu'il avait entendu dire par l'adjudant François, que le clairon Guibaud, de la 12e compagnie, avait rencontré au bar du Trez-Hir, le 30 août, un soldat d'infanterie coloniale, sans épaulettes, dont le signalement correspondait au sien, et aussi que les gendarmes avaient trouvé sur les lieux de l'incident une pipe et une blague à tabac qui ne pouvaient lui appartenir, puisqu'il ne fume que la cigarette.

 

Nous croyons utile de donner tout d’abord les renseignements sur ces deux points.

 

Le soldat auquel il est fait allusion et qui aurait, paraît-il, une certaine ressemblance, assez vague, du reste, avec le soldat Le Berre, était le réserviste Jérôme Tanguy, qui faisait alors sa période d'instruction au 2e régiment d'infanterie coloniale.

Tanguy, interrogé, a ainsi expliqué l'emploi de son temps pour la journée du 30 août.

Il était sorti pour se promener avec son frère, qui est matelot, mais qui était en tenue civile,

et un mousse de la « Bretagne » en tenue.

Vers trois heures, après avoir pris un bain dans un établissement, il est entré au débit Poulaouec avec ses camarades.

À cinq heures, il s'est rendu pour diner chez ses parents qui habitent la ferme de Kerzavit.

Il est passé devant le bar du Trez-Hir, mais ne se rappelle pas s'il y est entré.

 

Après dîner, il s'est rendu à la gare du Trez-Hir, par la route qui y conduit directement de la ferme et a pris à la gare, le tramway de 6 h. 1/2 pour rentrer à Brest.

Il a fait la route avec plusieurs camarades, notamment Le Reun, qui l'accompagnait depuis Kerzavit ;

Marzin, monté à Lannou, une station précédente, et Richard, monté à la station suivante.

Ils sont descendus tous ensemble à St-Pierre, à 7 h. 1/2,

 

Mme Perrot, la débitante' du bar, a déposé qu'elle connaissait bien le réserviste Tanguy, qu'il était entré chez elle vers 3 heures, avec quelques camarades, mais qu'ils n'étaient restés que quelques instants.

 

Paul Le Roux, comme Mme Perrot, connaissait aussi Jérôme Tanguy.

Il a affirmé, dans sa déposition, que ce n'était pas lui qu'il avait vu appuyé à la grille, près de Sainte-Anne, que Tanguy lui aurait sûrement parlé lorsqu'il était passé à cet endroit, et il a répété ce qu'il avait déjà dit à M. le juge d'instruction, que l'agresseur qu'il avait vu, avait des épaulettes et le liseré de rengagé, ce qui n'était pas le cas pour Tanguy.

Celui-ci, suivant, le soldat Yhuel, a une vague ressemblance avec Le Berre, mais il est impossible de les confondre.

Tanguy, au cours de l'instruction, a été complètement mis hors de cause.

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Pour ce qui est de la pipe, le gendarme Coffec, de la brigade du Conquet, en avait, en effet, trouvé une, le 31 août, près de la statue de Sainte-Anne.

Il l'avait montrée aux officiers et a plusieurs soldats de Bertheaume qui avaient dit qu'elle n'appartenait pas à Le Berre.

Le même jour, dès son retour au Trez-Hir, ce gendarme reçut la visite de M. Saludin, jardinier, qui, ayant appris la chose, était venu lui réclamer la pipe en lui disant l'endroit où il l'avait perdue.

Ses déclarations ayant été reconnues exactes, la pipe lui fut rendue.

 

Ces questions secondaires écartées, nous arrivons à l'ensemble des déclarations du soldat Le Berre, concernant les faits eux-mêmes, faits dont il nie actuellement encore être l'auteur.

 

Le 30 août, dit-il, il a quitté le fort à 8 h. 45 du matin, pour se rendre à la gare du Trez-Hir, au-devant de son camarade Castel, ouvrier mécanicien à bord de la « Jeanne-d'Arc », qu'il avait invité à venir passer la journée avec lui.

 

Castel est arrivé par le train de 11 h. 5 et après avoir pris une consommation dans le débit situé près de la gare, ils sont allés au bar, en suivant la grande route.

Ils ont déjeuné dans ce bar qu'ils ont quitté vers 2 h. 1/2 pour se rendre au fort de Bertheaume, en suivant la falaise.

Ils sont arrivés au fort vers 3 heures, y ont séjourné environ une demi-heure et, en suivant la grande route et en passant par le bourg, ils sont retournés au bar où ils sont arrivés vers 3 h. 45.

Ils ont quitté cet établissement, dit Le Berre, approximativement vers 5 h. 45, et s'il indique cette heure, c'est parce que un quart d'heure ou vingt minutes avant il avait fait remarquer à Castel qu'il était 5 h 25.

Il a conduit son camarade jusqu'à mi-chemin de la gare étant obligé de rentrer pour un service de patrouille à 7 h 30.

Il l'a quitté vers 6 heures, à 5 ou 600 mètres de la gare et est revenu directement vers le fort, en suivant toujours la grande route jusqu’auprès du débit Poulaouec, où il a pris le chemin de traverse afin d'arriver plus vite.

 

À environ 600 mètres du quartier, il a entendu une sonnerie ressemblant à celle du linge qui se fait à  6 h. ½.

II est arrivé vers 6 h. 50 et le caporal de garde lui a dit qu'il fallait se dépêcher, que la générale était sonnée.

 

Après avoir passé le poste, il a vu deux compagnies alignées dans la cour.

L'adjudant l'a appelé, et un Monsieur, qu'il ne connaissait pas, lui a demandé d'où il venait.

Il a répondu qu'il venait de ville et ils sont allés au corps de garde où il a donné d'assez bonne grâce l'emploi de son temps.

On lui a alors fait connaître qu'il y avait eu une tentative de meurtre au Trez-Hir et il a demandé aussitôt si c'était lui qu'on soupçonnait.

Il a aussi prié la dame qui était là de rentrer au poste et de dire si c'était lui l'auteur de ce fait.

Cette dame a répondu que son agresseur portait une moustache blonde, qu'il n'avait pas d'épaulettes ni d'insignes de rengagé.

Comme il s'emballait, en présence de l'accusation portée contre lui, l'adjudant de semaine lui a dit de se calmer, et voyant qu'il ne tenait pas compte des observations, il l'a fait conduire à la salle de police.

 

Dix minutes après, le lieutenant l'ayant interrogé, on a donné l'ordre de le relâcher.

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Le lendemain matin, il a encore été mis en présence de la dame et du jeune Le Roux qui, lui aussi, a déclaré le reconnaître, mais il a de nouveau nié les faits qu'on lui reprochait.

 

Le soldat Le Berre a ajouté que ce jour-là, 30 août, il était passé près de la grève de Paulzac, dans l'après-midi, avec son camarade Castel, en allant au fort de Bertheaume, mais qu'il n'avait pas vu le jeune Le Roux à cet endroit, et que celui-ci n'avait pu le voir, comme il le déclare cependant formellement, vers 5 h. 45, près de la statue de Sainte-Anne, pour la bonne raison qu'il n'y était pas allé.

 

À la suite de ces déclarations du soldat Le Berre, nous lui avons fait remarquer qu'il était pour certains détails très importants, en contradiction avec les témoignages.

 

Nous lui avons fait connaître que son camarade Castel était très précis pour l'heure de leur départ du bar de Trez-Hir, et qu'il indiquait 5 h. 30 et non 5 h. 45 ;

qu'il disait aussi qu'ils s'étaient quittés à 5 h. 40 ou 5 h. 45 ; et non à 6 heures, au point qu'ils indiquaient tous deux.

 

Dans ces conditions, il paraissait vraisemblable qu’il se trouvait dans les environs des lieux où se sont passés les incidents, d'autant plus que le jeune Le Roux, très affirmatif, disait l’avoir vu appuyé à la grille, près de la statue ue Sainte-Anne, vers 5 h. 45.

 

De plus, nous avons également fait observer à Le Berre qu'étant pressé de rentrer, et n'ayant plus que quelques centaines de mètres à faire pour arriver au fort, en suivant le chemin habituel, il paraissait étrange qu’il soit aller prendre la route de Plougonvelin faisant ainsi un détour qui rallongeait de 300 mètres environ.

Pour ce qui concerne cette dernière objection, Le Berre nous a répondu que le chemin habituel était sale par suite du passage fréquent des chevaux que l’on conduisait à l’abreuvoir à la source qui se trouve à proximité, qu'il avait voulu éviter de marcher dans la boue.

 

Pour ce qui est des précédentes, il nous a répondu qu’il maintenait ce qu'il avait dit précédemment, à savoir que le 30 août, il n'était pas allé sur la plage de Kervastréat, et qu'il n'était pas l'auteur de l’agression.

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Il nous reste, dans cet ordre d'idées, à exposer la déposition du matelot Castel qui, actuellement, doit se trouver au Maroc.

Ce témoin confirme les déclarations de Le Berre jusqu'au moment de leur arrivée, pour la deuxième fois, vers 4 heures, au bar du Trez-Hir, mais il n'est plus d'accord avec lui par la suite.

 

Il a déposé que Le Berre ne lui avait parlé a aucun moment, dans l'établissement, qu'il était 5 h. 25.

Qu'ils étaient partis juste à 5 h. 30, lui ayant regardé sa montre à ce moment-là.

Qu'il avait quitté Le Berre vers 5 h. 40 ou 5 h. 45, à environ 5 ou 600 mètres de la gare où il s'était rendu directement et avait pris le train de 6 heures, après l'avoir attendu de 5 à 10 minutes.

 

Nous devons faire remarquer que cette heure du départ du bar (5 h. 1/2) correspond à celle indiquée par Mme Perrot, la débitante, qui avait d'abord déposé qu'ils étaient partis à 5 h. 15, mais qui dans une déposition ultérieure, a ajouté que sa pendule retardait, ce jour-là, de dix minutes sur l'heure légale.

 

M. le docteur Mahéo, de Brest, a été commis pour examiner les victimes.

Il a procédé à cet examen à deux reprises, une première fois le 31 août, lendemain des incidents, la deuxième fois le 5 septembre, en raison du départ pour Paris de Mlle Ferney.

 

Le 6 septembre, il a remis un rapport détaillé sur la résultat de ces deux visites.

 

Nous ne pouvons entièrement reproduire cette pièce (n° 10), nous prions de s'y reporter pour les renseignements complets et nous donnons seulement le résumé des conclusions, qui n'étaient, pas définitives.

Ces conclusions sont les suivantes : Mme Dietz-Monnin ne porte sur le corps aucune blessure.

Mme Trible, au contraire, en porte plusieurs.

Toutes ces blessures guériront probablement sans encombre parce qu'il n'en est aucune à offrir un caractère de gravité.

 

Toutefois, comme il n'est pas permis, quant à présent, de dire si ces lésions n'auront pas de conséquences fâcheuses pour la blessée, il serait téméraire d'être trop affirmatif sur un point que l'avenir seul peut élucider.

La fracture partielle de la rotule gauche est une blessure en apparence sans gravité, mais elle peut, par défaut de consolidation, entraver plus tard l'exercice de la marche et nuire à l'action de monter et de descendre.

Cet inconvénient, possible et à prévoir, peut ne pas se produire.

 

Tout en reconnaissant le caractère relativement bénin des blessures relevées chez Mme Trible, je crois pouvoir affirmer, dit le docteur Mahéo, que leur guérison demandera un temps assez long et qu'elles entraîneront sûrement une incapacité de travail de plus de vingt jours.

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Nous avons pensé étant donné ces conclusions, devoir demander aux deux victimes de nous donner de nouveaux renseignements sur leur état de santé.

Mme Dietz-Monnin nous a répondu qu'elle n'avait suivi aucun traitement médical à la suite des incidents.

Mlle Ferney nous a répondu qu'elle avait eu une indisponibilité d’un mois environ ;

qu'elle avait repris son cours d’enseignement ; mais qu'elle se ressentait encore de ses blessures.

Elle a vu plusieurs docteurs, notamment le docteur Chevrier, de qui elle devait nous fournir, un certificat qui ne nous était pas parvenu au moment où nous étions sur le point de terminer notre instruction.

 

Tels sont les résultats de cette affaire, d'après l’ensemble des renseignements que nous avons pu recueillir.

Malgré les dénégations de l'inculpé, pour ce qui nous concerne, les reconnaissances successives dont il a été l'objet, sont très formelles et très précises, et, elles nous semblent d’autant plus exactes qu'il est absolument vraisemblable d’après les témoignages, qu'il se trouvait sur les lieux un peu avant six heures du soir, au moment où les attentats ont été commis.

 

Les faits sont graves, évidemment, très graves même.

Cette gravité, et aussi ses conséquences ne sauraient nous échapper.

Nous estimons malgré tout qu’il n’y a pas s’occuper du bruit et du retentissement auxquels ils ont donné lieu, qu’il convient de les voir sous leur jour véritable, et de les apprécier tels qu’ils sont réellement.

 

Le soldat Le Berre, avait d’abord servi deux ans à l’école des ouvriers mécaniciens ,

à Lorient, du 12 avril 1904 au 9 avril 1906.

Il a été réformé pour infirmités ne résultant pas du service militaire, et il contracté un engagement de cinq ans, à terme fixe le 24 novembre 1906, au 2e régiment d’infanterie coloniale.

Ses notes sont d’abord bonnes, mais elles deviennent mauvaises au court de l’année 1907.

D’après son commandant de compagnie actuel depuis le commencement de l’année 1908, une transformation complète s’est opérée dans la façon de servir de Le Berre et ses notes étaient excellentes.

Il a subit 132 jours de punition, dont 22 de consigne, 31 de salle de police, 71 de prison et 8 de cellule. (*)

(*) Il n’apparait aucune de ces punitions sur son Registre matricule – à voir en fin d’article.

 

Les faits de la prévention nous paraissant suffisamment établis, nous, rapporteur, émettons l’avis que le soldat Jean-Louis Le Berre, du 2e régiment d’infanterie coloniale, sus qualifié, soit mis en jugement pour :

 

1° Avoir, le 30 août 1908, au Trez-Hir, volontairement commis des violences ayant entrainé des blessures, sur la personne de Mlle Jeanne Ferney (dite Mme Trible), avec la circonstance aggravante qu’il en est résulté de ces blessures une incapacité de travail personnel de plus de vingt jours ;

 

2° Dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, avoir commis une tentative de viol sur la personne de Henriette Halher (épouse Dietz-Monnin), laquelle tentative, manifestée par un commencement d’exécution, n’a manqué son effet que par suite de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur.

 

Crimes prévus et punis par les articles 609,332 et 2 du code pénal, et l’article 267 du code de justice militaire.

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Le colonel Chêne, du 3e dragons, procède à l'interrogatoire de l’accusé.

 

D. — Il résulte de ce qui vient d’être lu, que vous êtes accusé de tentative d'assassinat et de crime contraire aux bonnes mœurs.

L'avocat. — Pardon, monsieur le président, il n y a plus que des violences retenues.

 

Le président rectifie en ce sens .

D. — Qu'avez-vous à dire ?

R. — Je n’ai rien fait.

D. — Donnez-nous l'emploi de votre temps.

Avec un fort accent breton et d'une voix imprécise, l’accusé raconte ses allées et venues dans la journée du 30 août.

« À six heures moins le quart, j'ai quitté Castel, avec qui j'ai passé l'après-midi. »

 

Le président. — Castel va dire que c'est à 5 h. 25.

Il a regardé sa montre à ce moment, puisqu’il prenait le train.

 

D. — Après, qu'avez-vous fait ?

R. — Je suis revenu au fort de Bertheaume.

Avant d'arriver, j'ai entendu la sonnerie du linge.

D. — Où étiez-vous à ce moment ?

R. — Dans le chemin de la ferme.

 

L'interrogatoire n'a pas duré cinq minutes.

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Mlle Ferney est introduite.

C'est une petite femme d'allure chétive et maladive.

Elle parle à voix si basse qu'il est impossible de comprendre un mot au commencement de la déposition.

Le témoin fut saisie par derrière ; elle marchait à reculons, par crainte du vertige.

Sous la poussée de son agresseur elle fut jetée du haut de la falaise ;

sa surprise fut telle qu'elle ne pouvait s'expliquer ce qui se passait.

 

D. — Combien êtes-vous restée de jours dans l’incapacité de travailler ?

R. — Quarante jours ; j'ai encore mal aux reins.

D. — Reconnaissez-vous l'accusé ?

 

Le témoin fixe longuement Le Berre et dit ne pas le reconnaître, puisqu'elle ne l'a pas vu.

 

D. — Quelle heure était-il au moment de l’agression ?

R. — Cinq heures et demie, six heures moins le quart.

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Mme Dietz-Monnin est introduite.

Auparavant, on fait évacuer toute la partie de la salle réservée au public.

Nous ne pouvons donner sa déposition, puisqu'il y a huis clos, mais il est à supposer que le témoin a raconté longuement le récit du drame.

On sait qu'elle fut saisie derrière la tête à la taille et qu'elle se défendit énergiquement ;

on sait également qu'elle reconnut Le Berre.

 

M. Mahaut

 

M. Mahaut, procureur de la République à Vitré, arriva après le drame, et dit le sauvetage de Mlle Ferney.

Il se rendit avec Mme Dietz-Monnin au fort de Bertheaume, en automobile, où ils arrivèrent à 6 h. 30.

L'adjudant auquel ils s'adressèrent les reçut plutôt ironiquement.

Il tint à Mme Dietz-Monnin, dont l'émotion était poignante, un singulier langage :

— Oh ! lui dit-il, ne prenez rien au tragique ; moi, quand je suis mort, je ne prends rien au tragique. (Rires.)

 

Mise en présence de Le Berre, la victime le reconnut formellement.

Au corps de garde, où il se trouvait, Le Berre jeta son ceinturon, se fit menaçant, interpella violemment Mme Dietz-Monnin, lui disant :

— Direz-vous toujours que c'est moi votre agresseur ? C'est grave ce que vous avez dit.

Toute émue, et sous le coup des violentes protestations, Mme Dietz-Monnin fléchit un instant ; mais elle persista à le reconnaître.

 

Le témoin parlant de l'enquête préliminaire à laquelle il se livra, le défenseur lui en fait un grief et demande au président d'arrêter la déposition du témoin.

 

Le président (au témoin). — Dites tout ce que vous voudrez, je ne vous arrêterai pas.

Le témoin. — Je ne suis pas ici pour réclamer une condamnation, mais pour répéter des témoignages et les renseignements que j'ai recueillis aussitôt après le crime.

D. — Vous reconnaissez Le Berre ?

R. — Oui, pour l'homme que Mme Dietz-Monnin a désigné pour être son agresseur.

D. — Avait-il de la moustache, alors ?

R. — Oui, un peu.

D. — Regardez Le Berre de près.

 

Le témoin va regarder l'accusé sous le nez, et, tout à coup, s’écrie :

«  Mais il est rasé ! » (Vive sensation.)

C'est la défense qui s'écroule.

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Le pâtre Le Roux

 

Le Roux, 15 ans, cultivateur, est un petit pâtre déluré, qui est un peu intimidé au début de sa déposition, mais il sourit au président et montre deux rangées de jolies quenottes.

 

D. — Connaissiez-vous Le Berre avant le crime ?

R. — Oui, je l'avais vu deux ou trois fois ; je savais qu'il était au fort de Bertheaume.

D. — Où l'aviez-vous vu ?

R. — Dans les chemins et au bal du Trez-Hir le dimanche.

 

Le Roux raconte que le dimanche 30 août, vers 5 h. 40 ou 45, il passait sur la falaise, quand il vit un soldat colonial le suivre ; il se détourna et vit le colonial suivre le même chemin.

 

En route, Le Roux croisa deux dames, puis, rencontrant Mlle Perrot, il lia conversation avec elle.

 

Tout à coup, des cris attirèrent son attention ;

il courut vers la dame qui criait et son arrivée fit fuir le soldat qui l'avait attaquée.

Le lendemain, on le mit en présence de Le Berre qu'il reconnut.

 

D. — Et aujourd'hui ?

R. — C'est bien lui.

D. — Et sa moustache ?

R. — On l'a rasée. (Vive émotion.)

 

La jeune Perrot

 

La jeune Perrot, 17 ans, a peine à s'expliquer.

Elle a vu l’agresseur avec des épaulettes bleues.(*)

Devant un témoignage aussi peu sérieux, le président refuse de continuer l’audition de la fillette qui avait déjà déclaré exercer la profession de « jeune fille ».

(*) Les épaulettes sont de couleur jonquille.

Page à voir sur l’uniforme de l’infanterie coloniale de l’époque : cliquez ici.

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L'adjudant François

 

Lecture est donnée de la déposition de l'adjudant François.

Il raconte que Mme Dietz-Monnin et Le Roux reconnurent tout de suite, et séparément, Le Berre comme l'agresseur.

 

Le lieutenant Faucher

 

Le lieutenant Faucher, du 2e colonial, rend un témoignage à l'adjudant François, à qui l'on a donné un coup de poignard dans le dos ;

il a manqué à son devoir militaire en laissant pénétrer une femme dans un fort, mais cela est dû à l’affolement général.

 

Il attaque l'instruction faite, dès le début, par un magistrat, et dit que sa conviction fut que Le Berre était innocent.

Aussi, le fit-il remettre en liberté.

Le témoin affirme que Mme Dietz-Monnin ne reconnut pas Le Berre le premier jour mais le lendemain.

Elle déclara, après le crime, que son agresseur n’avait pas d'épaulettes.

Or, Le Berre était sorti avec ses épaulettes.

 

Mme Dietz-Monnin affirme, sur question, avoir toujours reconnu Le Berre.

Quant au lieutenant, il n'était pas présent à la reconnaissance.

 

Le lieutenant continue :

— Si Le Berre était coupable, ce serait un fou, et non un apache.

Il faudrait l'enfermer. (Protestations.)

 

Le lieutenant Faucher dit avoir examiné Le Berre et l'avoir trouvé très calme.

Ses vêtements étaient en ordre.

 

Mme Dietz-Monnin. — Le témoin ne s'est pas dérangé quand on l'a prévenu du crime ;

il a fait son enquête longtemps après.

 

Le témoin. — Je tiens à répondre.

Mon logement est à 500 mètres, et je suis venu aussitôt que j'ai pu.

 

D. — L'accusé nous a parlé de la sonnerie de linge.

R. — Je ne connais pas cette sonnerie.

 

Le Berre explique qu'il s'agit du séchoir.

Le témoin. — Ah ! Oui, le séchoir.

 

Cette déposition, très tendancieuse, soulève des critiques vives, mais discrètes.

Elle est faite sur un ton véritablement âpre.

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Le lieutenant Millot

 

Le lieutenant Millot est, absent.

On lit sa déposition.

Elle est analogue à celle de l'adjudant.

 

Autres dépositions

 

Le lieutenant du Bois-Hamon a entendu dire que, le soir du crime,-Mme Dietz-Monnin eut des contradictions.

 

Le Roux a eu des hésitations à reconnaître Le Berre.

Berdu, caporal, était de garde quand Le Berre rentra au fort ; il était essoufflé ; sa vareuse était tâchée.

 

La séance est suspendue, à midi 15, jusqu'à deux heures.

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Le soldat Le Corroller était de faction au moment où Le Berre est entré à la caserne.

Il l'entendit même courir avant qu'il ne l'eût vu.

Il cessa de courir trente mètres avant d'arriver à la grille et entra tout rouge et tout, essoufflé.

 

Le témoin lui dit de se rendre au plus vite sur les rangs, car on venait de sonner la marche du-régiment.

Il s'y rendit aussitôt.

Le Berre avait des épaulettes.

 

D. — Reconnaissez-vous l'accusé ?

R. — Parfaitement.

D. — A-t-il moins de moustache qu'à l'habitude ?

R. — Oui, il en avait un peu plus.

 

Le Berre explique qu'on l'a rasé ce matin.

D. — Depuis quand vous faites-vous raser ?

R. — Depuis huit jours.

D. — Sur votre demande ?

 

Le Berre élude la question.

 

D. — (À Coroller). — Avez-vous dit que Le Berre valait tout juste six balles dans la peau ?

R. — Je n'ai jamais dit cela.

J'ai dit que, s'il avait fait cela, il mériterait d'être puni.

 

Le soldat Penven était à la caserne quand, le jour du drame, l'automobile amenant Mme Dietz-Monnin arriva peu après Le Berre.

Le témoin lui dit de se dépêcher parce qu'il était de patrouille.

 

Il assista à la première reconnaissance.

Mme Dietz-Monnin était très émotionnée et pas très affirmative.

 

M. le président (à l'accusé). — Pourquoi avez-vous fait couper vos moustaches ?

R. — Par plaisanterie.

 

Me Crimail. — Je n'accepte pas la raison.

Il a dû se dire :

« Puisqu'on m'accuse de ce que je n'ai pas commis et qu'on parle de mes moustaches, je vais les faire couper.

Moins il y en aura contre moi, mieux cela vaudra. »

 

Le sergent-major Mathieu était là quand Mme Dietz-Monnin essaya de reconnaître son agresseur.

Elle hésita beaucoup en voyant Le Berre.

Elle dit :

« Il ressemble beaucoup à mon agresseur.

C'est quelqu'un dans ce genre-là... »

 

L'ex-réserviste Tanguy dit qu'il ne sait rien.

Cependant, il se rappelle être allé prendre un bain au Trez-Hir, à trois heures du soir, qu'il s'est promené ensuite et est allé à la gare du Trez-Hir.

 

M. le président. — Le témoin a surtout été convoqué, parce qu'on a dît qu'il ressemblait à Le Berre.

 

Me Crimail. — Il aurait au moins fallu l'habiller en militaire et lui faire couper les cheveux.

(On rit fortement dans la salle).

 

Mme Dietz-Monnin et le jeune Le Roux déclarent qu'ils ne peuvent confondre Le Berre avec Tanguy, sur lequel des soupçons avaient été portés.

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