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1913

Drame passionnel à Recouvrance
La tentative de meurtre
du caporal Riou

 

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Source : La Dépêche de Brest 17 février 1913

 

Félix Riou, 25 ans, originaire de Brest, caporal au 2e régiment d’infanterie coloniale, caserné à Fautras, ayant fait la connaissance de Mlle Philomène Le Roux du même âge que lui, et employée dans le débit de M. Dantec, 14, rue Borda, s’éprit d’elle et manifesta bientôt l’intention de l’épouser.

 

Soudain, ses intentions parurent se modifier bien qu’il continuât à fréquenter l’établissement de M. Dantec.

 

Avant-hier soir, le caporal s’y rendit encore et y demeura jusqu’à l'heure de la fermeture, vers une heure hier matin.

À ce moment, Mlle Le Roux, qui venait de clore la porte extérieure du débit, invita Félix Riou à se retirer par le couloir de l’immeuble.

 

Une courte discussion s’éleva alors entre eux et, brusquement, le colonial arracha le médaillon que Mlle Le Roux portait au cou.

C’était un cadeau qu’il avait fait lors de leurs fiançailles.

Puis, s’armant d’un revolver, il déclara : « Philo c’est fini maintenant. »

Sans plus attendre, il braqua son arme vers la jeune fille plus stupéfaite qu’effrayée et fit feu.

 

Atteinte au côté gauche du cou, Mlle Le Roux se rendit alors compte du danger qu’elle courait et se sauva vers l’escalier dont elle gravissait les premières marches lorsque deux nouvelles détonations retentirent.

Les projectiles la blessèrent cette fois au bras droit, à la hauteur du coude, et à l’index.

Poursuivant sa course, elle atteignit néanmoins sa chambre et s’y enferma à double tour.

 

Cependant, M. Dantec avait été réveillé par les détonations et, se précipitant à demi-vêtu hors de son logement, se lançait sur les traces du caporal qui s’enfuyait.

Il fut bientôt rejoint par deux voisins, mais Félix Riou réussit à dépister ses poursuivants.

 

Ces derniers se rendirent alors au poste de police voisin pour faire connaître aux agents le drame qui venait de se dérouler.

Sans retard, les agents Quéinnec et Gallou se mirent à la recherche du colonial.

 

Comme ils montaient les escaliers du pont tournant, ils l’y rencontrèrent.

 

Riou les aperçut aussitôt et loin de paraître vouloir fuir se dirigea vers eux en disant :

« Je sais que vous me recherchez ; me voici, arrêtez-moi. »

Puis, tendant son revolver : « Voici l’arme dont je me suis servi. »

Et, très docilement, il suivit les agents au poste de police.

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Pendant ce temps, M. Dantec était allé quérir un médecin pour soigner la blessée.

Ce fut M. le docteur Allain qui vint lui prodiguer des soins.

Par bonheur, les blessures reçues par la victime de ce drame ne présentent aucun caractère de gravité.

 

M. Laurent, commissaire de police de permanence, avait été mis au courant de l’affaire et, vers deux heures du matin, il se rendait au poste de Recouvrance où venait d’arriver le caporal.

Le magistrat s’aperçut aussitôt que ce dernier en se servant de son arme s’était gravement blessé ;

il avait eu la main gauche traversée par une balle.

Aussi, après lui avoir posé quelques questions sur les motifs de son acte, M. Laurent le fit-il conduire à l’hôpital maritime où il fut placé dans la salle des consignés.

 

Les quelques explications fournies par Riou sont très vagues.

Depuis lundi dernier, il était en absence illégale et avait fait acquisition d’un revolver rue de Siam.

En brandissant cette arme il n’avait d’autre intention que d’effrayer la jeune fille ;

il ne s’explique pas pourquoi il a tiré.

 

Toute la nuit, M. Laurent poursuivit son enquête avec une grande activité.

De nombreux témoins ont été entendus.

Quant à Mlle Le Roux, elle ne comprend pas les motifs qui poussèrent son ex-fiancé à commettre cet attentat contre sa vie.

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Source : La Dépêche de Brest 12 avril 1913

 

Le samedi 15 février 1913, M. Le Dentec, qui tient le café dit « Descente de Paimpol », situé rue Borda, 14, à Brest, était monté se coucher vers 22 heures laissant son établissement, dans lequel il y avait quelques consommateurs, aux soins de sa bonne, Mlle Philomène Le Roux et après lui avoir recommandé de monter l’appeler pour lui aider à fermer, vers minuit.

 

Mlle Le Roux vint réveiller son patron un peu après l’heure dite, lui demanda de la monnaie pour rendre à quelques clients sur le point de partir et redescendit, pendant que M Le Dentec, sans se presser, s’habillait pour descendre aussi.

 

Presque aussitôt, il entendu des détonations, puis sa bonne vint tomber ensanglantée sur le palier en criant :

« Félix m'a tuée ! »

 

M. Le Dentec se précipita vers Mlle Le Roux, en même temps que plusieurs autres personnes sorties de leurs chambres entendant le bruit, des détonations.

Ils la relevèrent avec précaution ;

elle était blessée, le sang coulait abondamment, mais, dans le moment, par suite de la surprise personne ne songea à se rendre compte de la gravité des blessures.

Par un hasard heureux, elles n’étaient que légères, alors qu’elles auraient très bien pu être mortelles.

 

M. Le Dentec au moment où il avait entendu les trois dernières détonations, s’était penché sur la rampe de l’escalier et il avait vu le caporal Riou qui, dans la salle du rez-de-chaussée prenait quelque chose sur la table.

C’était probablement, dit-il, le revolver dont il s’était servi.

 

Après avoir déposé Mlle Le Roux sur son lit M Le Dentec descendit rapidement au rez-de-chaussée, mais lorsqu’il arriva dans la salle du débit, le caporal était déjà parti, il était sorti par la porte du couloir.

 

Le débitant alla chercher le docteur Allain tandis que le second-maître Pen et le maître Laurent couraient après le caporal Riou qu’ils rejoignirent au grand pont.

Le caporal leur dit : « Vous voulez m'arrêter ; tenez voici mon revolver ».

Et ce disant, il leur tendit l’arme qui avait encore un coup chargé.

Les agents prirent le revolver et arrêtèrent l’homme, qui n’opposa aucune résistance et les suivit au poste sans difficulté.

 

Le caporal Riou, qui était en absence illégale depuis cinq jours, fut remis entre les mains de l’autorité militaire.

 

Une instruction judiciaire fut aussitôt donnée contre lui, mais, légèrement blessé à la main gauche, il était envoyé le lendemain à l’hôpital maritime de Brest.

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Mlle Philomène Le Roux, la victime, est actuellement âgée de 25 ans.

Elle est entrée au service des époux Le Dentec en 1913 et ils font d’elle beaucoup d’éloges.

 

Mlle Le Roux, invitée à s’expliquer sur ses relations antérieures avec le caporal Riou, a déclaré qu’elle l’avait connu au cours de l’année 1911.

Au mois d'octobre 1912, alors qu’il était à Ouessant, il est venu à Brest pour contracter un rengagement, et ayant obtenu une permission de quinze jours, il l’a passée au Café de Paimpol, où il avait loué une chambre garnie.

À cette époque il y a eu entre eux des projets de mariage qui ont duré quelques mois.

Retourné à Ouessant, le caporal voulait qu’elle y aille et qu’elle quitte sa place.

Elle n’a pas voulu, et comme elle trouvait que les propositions qu’il lui faisait n’étaient pas honnêtes elle n’a pas répondu à ses lettres.

Dans le courant de novembre, il lui a écrit de ne plus compter sur lui.

Cependant, il revint au café de Paimpol, mais sans faire aucune scène ;

elle lui dit seulement qu’il aurait pu être plus franc avec elle.

 

L’inculpé ne nie pas la matérialité des faits et reconnaît même qu’il n’a aucune raison semblant plausible pour les expliquer.

Tout d’abord, il s’est contenté de dire qu’il avait tiré sur la jeune fille au cours d’une discussion assez longue, une demi-heure, dit-il, au sujet du médaillon qu’il lui réclamait et qu’elle refusait de lui rendre.

Il prétend qu’elle lui aurait dit « qu’il pourrait la tuer, qu’il ne l’aurait pas ».

Il l’a pris, dit-il, et en manipulant le barillet de son revolver, le premier coup est parti et l’a atteint lui-même.

Comme elle s’est mise à crier en se sauvant, cela l’a affolé et il a tiré trois autres coups quand elle était déjà dans l’escalier.

Disons que les trois balles sont entrées dans le mur et ont fait des empreintes profondes.

 

Le caporal a reconnu qu’il était venu d’Ouessant sans arme et qu’il avait acheté le revolver, rue de Siam, le mercredi.

Les jours suivants, comme les deux précédents, il a vu la jeune fille le jeudi et le vendredi, il lui a même proposé de la conduire au théâtre et d’aller se promener avec lui, mais elle a refusé, ses occupations la retenaient.

 

M. Le Dentec, qui tient le Café de Paimpol et le garni de la maison, a déposé qu’à tous les points de vue il était, ainsi que Mme Le Dentec très satisfait des services de Mlle Le Roux, dont la probité et la moralité étaient parfaites.

 

M. le docteur Allain estime que tout en étant encore gênée, Mlle Le Roux peut commencer à reprendre ses occupations.

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Le caporal Riou est entré au service le 28 août 1908 à titre d’engagé volontaire pour cinq ans, au 48e de ligne.

Il est passé dans l’armée coloniale le 4 novembre 1909 et, au début, ses notes sont bonnes.

Le 15 mai 1911, il a été envoyé au Maroc d’où il est revenu trois mois après, le 15 août, pour maladie, dit-il, mais sans obtenir de congé de convalescence, ce qui est le cas général.

Il devait repartir le 17 février après avoir obtenu un délai dans une précédente désignation, et son capitaine pense que la perspective de ce départ ne lui souriait pas.

 

Il a subi 97 jours de punition, dont 24 de prison.

 

Cette affaire a eu son épilogue, cet après-midi, devant le conseil de guerre du XIe corps.

 

L’AUDIENCE

 

Un public nombreux se presse dans la salle et l’on se montre, assise à côté des autres témoins M. le Dentec et le soldat Huruguen, du 2e colonial, l’héroïne du drame, vêtue d'un costume bleu et coiffée d’un chapeau de même couleur, rehaussé de rubans blancs.

La jeune femme paraît très émue et plusieurs fois, au cours des débats, on la verra verser des larmes.

 

Le conseil est présidé par le lieutenant-colonel Dussert-Vidalet, du 65e.

Le commandant Gaudiche occupe le siège de commissaire du gouvernement.

Me Audrain, du barreau de Nantes, est assis au banc de la défense.

 

À 14 heures, l’accusé est introduit.

C’est un jeune homme à forte moustache.

D’une voix ferme, il décline son état civil, puis le greffier lit le rapport d’acte d'accusation exposant les faits relevés à la charge du colonial.

 

Cette lecture terminée, le président invite l’accusé à s’expliquer.

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INTERROGATOIRE DE L’ACCUSÉ

 

Riou déclare avoir commis l’acte qu’on lui reproche dans un moment d’affolement.

Il a été poussé à bout.

 

D. — Vous. fréquentez Mlle Le Roux depuis 1911 ?

R. — Non, depuis 1912.

D. — Pardon depuis 1911 ; mais en 1912, vous formez des projets de mariage avec la jeune fille.

À votre retour d’Ouessant, au lieu d’aller chez vos parents, vous louez une chambre au café de Paimpol ?

R — C’était pour me rapprocher de ma fiancée.

À cette époque, ayant mon argent de rengagé je lui ai acheté un médaillon et sa chaîne.

 

M. le président insiste ensuite sur la lettre du 23 novembre, par laquelle l’accusé, alors qu’il était à Ouessant, rompit les projets de mariage.

Il terminait cette lettre en s’excusant de la « rosserie » (sic) du procédé.

 

D. — Enfin, vous revenez à Brest, car vous êtes désigné pour Madagascar.

Mais vous tirez une bordée de plusieurs jours, au cours de laquelle vous achetez un revolver. Pourquoi ?

R. — Pour ma sécurité personnelle.

 

D. — Vous allez voir plusieurs fois Mlle Le Roux.

Vous voulez l’emmener à la campagne, au théâtre.

R. — Oui.

 

Riou dit ensuite que le soldat Huruguen voulait le dissuader d’acheter un revolver, car il croyait qu’il voulait se suicider.

 

Le lieutenant-colonel Dussert-Vidalet en arrive maintenant à la scène du meurtre.

L’accusé, qui a de nombreuses réticences, dit que lorsqu’il se trouva avec Mlle Le Roux, il lui demanda le médaillon qu’il lui avait offert.

La discussion dura plus d’une demi-heure, car la jeune fille ne voulait pas rendre le médaillon.

 

D. —Bref, vous voilà seul avec elle. Que se passe-t-il ?

R. — J’ai discuté pour avoir le médaillon, et comme elle ne voulait pas, j’ai tiré mon revolver de ma poche pour l’effrayer.

Je lui arrachai alors le médaillon qu’elle portait au cou, et c’est à ce moment que le premier coup partit je ne sais comment.

 

D. — Oui, le projectile atteint l’index de votre main gauche et effleure le cou de la jeune fille.

Celle-ci s’enfuit, et vous la poursuivez, dans l’escalier, de trois autres coups de revolver.

Elle est atteinte deux fois.

R. — Je le reconnais.

 

Le président demande ensuite à Riou si ce n’était pas une précaution de sa part de faire fermer la devanture avant la tentative de meurtre.

Riou dit que non.

 

D. — Vous étiez bien noté un peu avant l’époque du crime.

Pourquoi devenez-vous un mauvais soldat ?

 

L’accusé ne répond pas.

 

L’interrogatoire est terminé.

Le sergent appariteur appelle le premier témoin, et un vif mouvement de curiosité se manifeste lorsque Mlle Philomène Le Roux vient prêter serment à la barre.

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DÉPOSITION DE LA VICTIME

 

Âgée de 25 ans, fiancée de Riou en octobre 1912, elle crut longtemps à la sincérité de ses sentiments.

Mais un beau jour, elle reçut de lui une lettre de rupture.

Elle répondit au caporal pour lui reprocher son manque de franchise.

 

Pendant son dernier séjour à Brest, le caporal vint coucher au Café de Paimpol.

Elle lui en fit le reproche, et lui dit d’aller chez sa mère.

Riou refusa.

 

Mlle Le Roux parle ensuite des propositions que lui fit Riou pendant son séjour à Ouessant.

Il voulait qu’elle allât le rejoindre.

Il lui avait même trouvé une place dans un café.

Mais elle refusa.

 

Le témoin arrive à la scène du drame.

« Ce soir-là, Riou n’était pas ivre, mais excité. »

 

Le défenseur demande au témoin si Riou lui a bien dit :

« Philo, je vais te tuer et me tuer après. »

R — Oui, monsieur.

 

D. — Le témoin n’a-t-il pas surpris Riou au moment où il écrivait des lettres d’adieu ?

R. — Oui, mais je ne sais pas ce qu’il a écrit.

Ces lettres étaient adressées à sa mère et à ses sœurs.

J’ai pris ces missives et le les ai déchirées, en lui disant :

« Tu es fou ! »

 

D. — Que contenaient ces lettres ?

R —- Encore une fois, je ne les ai pas lues.

Elles étaient sous enveloppe cachetées.

Je les ai déchirées sans en prendre connaissance.

Je puis dire que sur une carte postale, adressée à sa sœur, il avait écrit :

« Adieu, je vais me tuer. »

 

Le président, s’adressant au prévenu, lui fait remarquer qu’il n’a pas fait connaître ces détails à l’instruction.

 

L’accusé répond qu’on ne les lui a jamais demandés.

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RÉQUISITOIRE ET PLAIDOIRIE

 

Après la déposition des autres témoins M, le Dentec patron de la victime, et le soldat Huruguen qui n’apportent aucun fait nouveau, te commandant Gaudiche prononce son réquisitoire et conclut en demandant au conseil d’infliger une peine sévère au caporal Riou.

 

Dans une éloquente et émouvante plaidoirie Me Audrain s’efforce d’atténuer la culpabilité de son client pour lequel il sollicite toute l’indulgence de ses juges.

 

L’ARRÊT

 

À 17 h 15, les débats étant terminés, le président, déclare que dans le cas où il abandonnerait l’inculpation de tentative de meurtre, il poserait la question subsidiaire de coups et blessures.

 

Et en effet, lorsque le conseil revient de sa salle des délibérations, il rapporte un jugement négatif sur la question de tentative de meurtre et, à la majorité de six voix contre une, affirmatif sur la question de coups et blessures.

 

En conséquence, le caporal Riou est condamné à deux années de prison, par application des articles 311 et 267 du Code de justice

 

Dans la salle, le public s’accordait à trouver ce jugement conforme à l’équité.

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