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1921

Le meurtre de la rue Guyot
à Brest

 

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Source : La Dépêche de Brest 20 avril 1921

 

Dans la soirée du 9 décembre 1920, Jean-André Ciattoni, 23 ans, marin de commerce, originaire de Sorbo-Ocognano (Corse), récemment débarqué du vapeur Mamsheim, s'était rendu à la maison de tolérance n° 6 de la rue Guyot, à Brest.

Vers minuit, il se trouvait clans une chambre donnant sur la place Guyot, lorsque son attention fut attirée par les éclats d'une discussion qui avait lieu dans la rue, entre le chauffeur d'automobile Tallec et un individu de grande taille et de forte corpulence, revêtu de l'uniforme kaki des zouaves.

Ce dernier, Pierre-Marie Le Guern, âgé de 28 ans, libéré de l'atelier des travaux publics de Bougie, sortait de la prison militaire de Rennes et avait été dirigé sur le 2e régiment d'infanterie coloniale pour y être démobilisé le lendemain.

Depuis plusieurs heures, il rôdait devant la maison de tolérance, voulait y entrer, quoi qu'on lui en eût refusé l'accès, et cherchait querelle a tout venant.

Finalement, il avait pris à partie, sans motif, le chauffeur Tallec.

 

Ciattoni crut bon d'intervenir.

Descendu sur la place Guyot, il s'approcha de Le Guern et essaya de le calmer.

Mais celui-ci, en proie à une vive surexcitation,

proclamait « qu'il n'avait peur de personne, qu'il avait été aux travaux publics et qu’il était champion de boxe ».

C'est alors que Ciattoni, s'armant d'un pistolet genre browning, du calibre de 6 m/m .35, dont il était porteur, tira successivement deux coups de feu dans sa direction, à une distance de 1 m. 50 à 2 mètres environ.

 

La première balle atteignit Le Guern en plein cœur, au moment où il faisait face à son agresseur.

Le Guern eut cependant la force de faire quelques pas dans la rue Guyot pour s'enfuir ;

mais il s'affaissa une vingtaine de mètres plus loin et succomba eu quelques instants, sans avoir fait un seul mouvement, ni proféré aucune parole.

 

La, seconde balle, tirée au moment où, blessé mortellement, il tentait de s'enfuir, ne l'atteignit pas.

 

Ciattoni, atteint de bronchite, se retira aussitôt après le meurtre et se fit admettre à l'hôpital maritime.

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Arrêté le lendemain, il reconnut avoir tiré deux coups de revolver sur sa victime ;

mais il prétend avoir agi en état de légitime défense.

À un moment donné, Le Guern lui aurait demandé de l'argent et, sur son refus, se serait reculé de quelques pas comme pour chercher une arme dans sa poche.

Se croyant en danger, il tira dans la direction du zouave la première fois volontairement, la seconde fois fortuitement, la détente de son pistolet, très sensible, ayant été actionnée par une pression involontaire.

 

Les témoignages recueillis au cours de l'information ne permettent pas d’ajouter foi à ce système de défense et il est certain que Ciattoni a fait feu sans que sa vie ni celle de personne à ses côtés ne fût menacée.

 

Le meurtrier a déjà été condamné deux fois pour désertion à l’intérieur en temps de guerre et pour vol.

Les renseignements fournis sur lui le représentent comme peu zélé au travail, vindicatif et irritable.

Il avait été débarqué du Mamsheim par mesure disciplinaire.

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L'interrogatoire

 

L'accusé à une bonne attitude.

Après avoir rappelé ses antécédents, M. le président l'interroge sommairement.

 

Il résulte des réponses faites par Ciattoni qu'au moment où il sortait de la maison de tolérance, il se trouva brusquement en face de Le Guern débarrassé de sa veste de zouave, qu'il avait jetée à terre, lui tint les propos incohérents que l’on sait, et qui se trouvait dans un état d'exaltation extrême.

Ce dernier lui demanda dix francs, qu’il refusa.

C'est alors que, le voyant faire le geste de fouiller sa poche par derrière, Ciattoni, se croyant menacé, sortit son revolver et tira sur Le Guern, qui s'affaissa.

 

D. — Vous avez- tiré ; par deux fois ?

R. — Oui, mais le second coup-est parti tout seul.

D. — Vous prétendez que vous étiez, en état de légitime défense ?

R. — Oui ; je croyais bien qu'il allait me tuer.

 

M. le président. — Une fois la scène terminée, vous avez pris la précaution d'enlever le chargeur et de remplacer les douilles vides par des cartouches pleines, afin de laisser croire que vous n'aviez pas tiré ?

Ciattoni. — Je ne me rappelle pas.

D. — Et puis, vous avez changé de coiffure ?

R. — Oui, mais, ce n'était pas avec intention.

 

Neuf témoins sont entendus.

Leurs dépositions ne présentent rien de particulier, notamment en ce qui a rapport à la scène du meurtre.

M. le substitut Bousquet expose les faits de l'accusation avec une méthode et une précision remarquables et, dans un vigoureux réquisitoire, arrive à démontrer, avec une grande puissance d'arguments, la culpabilité de Ciattoni.

Il envisage les conséquences du crime au point de vue de la pénalité, et ne s'oppose pas à l'admission des constances atténuantes.

 

Avec son talent de parole bien connu, Me Alizon prononce une plaidoirie très habile et très émouvante.

Il oppose à l'accusation des arguments solides, et plaide l'acquittement.

 

Ciattoni, reconnu coupable avec circonstances atténuantes, a été condamné à cinq ans de réclusion.

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