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1930

Floch, l'étrangleur de Plouhinec
est condamné à mort

 

 

Source : La Dépêche de Brest 12 avril 1930

 

AVANT L'AUDIENCE

 

Vendredi matin, au début d'une journée printanière, Quimper est animé comme en un jour de fête.

 

Le long des quais de l'Odet, des groupes vont, devisant, munis de provisions.

Sans doute, pensons-nous, de bons Quimpérois qui veulent jouir des premiers rayons du soleil que tamisent les tendres feuilles naissantes des marronniers et vont faire un déjeuner champêtre, sous les arbres aux bourgeons à peine épanouis, au bord, de la rivière.

 

Erreur !

 

Tous ces gens s'arrêtent devant les grilles fermées du palais de justice, se massent, se tassent et, dès dix heures, ils sont près de deux cents.

Ils sont venus de bonne heure pour être certains d'avoir accès dans la salle de la Cour d'assises et d'assister au spectacle gratuit dont ils parlent depuis de longues semaines.

 

C'est qu'aujourd'hui, le meurtrier, incendiaire, voleur, etc. de Plouhinec, Yves Le Floch, la grande vedette de cette session, va comparaître devant ses juges.

 

D'après la foule qui se presse devant la porte, dans l'intérieur du palais, à l'heure où se fait le tirage des noms des jurés, le succès, si l'on peut dire, remporté par Yves Le Floch, semble devoir dépasser celui que connut, voilà quelques années, dans le même tribunal, le légendaire Seznec.

Mais n'anticipons pas.

À neuf heures du matin, quelques gendarmes montent le raidillon qui conduit à la prison.

C'est, le croient les habitants du quartier, la garde sérieusement renforcée qui va conduire Le Floch au palais de justice.

Aussitôt, les portes des boutiques s'ouvrent, les commerçants servent d'un œil distrait leurs clients (il ne faut pas manquer le spectacle du passage du trop célèbre malfaiteur) ;

sur les trottoirs, la foule s'entasse, les yeux fixent la route par laquelle doit descendre le cortège, les langues vont leur train ;

les midinettes feront attendre leurs patronnes qui les ont envoyées faire des commissions ;

les ouvriers arriveront en retard au chantier.

Toute la vie est arrêtée dans le quartier : Le Floch va passer...

 

Et Le Floch passe ;

mais personne ne le voit, car il est, solidement maintenu, assis au fond d'une ambulance du 137e régiment d'infanterie et, à travers les vitres dépolies de la voiture cahotante et d'un modèle suranné, personne ne peut apercevoir les traits du triste héros de la tragédie dont on va jouer, aujourd'hui et demain, les derniers actes-peut-être.

Le Floch est passé.

La foule s'écoule, désappointée et mécontente ;

seul le soleil sourit à travers les bourgeons qui s'entr'ouvrent à la vie.

 

Au palais, rapidement poussé dans une salle basse, Le Floch, inquiet peut-être pour la première fois, entre escorté de ses gardes.

 

Cigarettes sur cigarettes (il faut bien passer le temps) sont grillées, tandis que, de minute en minute, le public afflue devant les portes.

 

Aux étages supérieurs, le téléphone sonne sans arrêt ; ce sont les amateurs de sensations fortes qui demandent aux juges ; au greffier chef, s'il faudra des cartes pour la représentation, c'est-à-dire pour l'audition, et où se distribuent les cartes, etc.

Il n'y en aura pas.

 

Au contraire, voilà quarante fantassins, sous les ordres du lieutenant Roché, quinze gendarmes, douze agents de police qui pénètrent dans le jardin devant le tribunal correctionnel de Quimper du palais de justice et les couloirs pour empêcher la foule d'envahir les lieux.

 

Devant la grille, c'est l'heure du déjeuner ; les premiers arrivés finissent le saucisson et le pâté de foie apportés par les plus prévoyants.

Le soleil chauffe.

Les bocks sont apportés du café voisin par des commissionnaires complaisants ; les litres de pinard passent de mains en mains et de bouche en bouche...

L'ouverture des portes approche.

Le Floch n'a plus son indifférence des jours précédents, ni surtout du matin de son arrestation et de ses premiers aveux.

 

Mais voici le commandant de gendarmerie Vouzel et capitaine Mahé.

Voici M. Charoy, l'actif commissaire de police, qui a la lourde charge d'assurer le service d'ordre (disons que le service est impeccable).

On va ouvrir les portes.

Les sentinelles sont placées dans le jardin, les plantons sont à leurs postes.

Une ruée !

Le palais est pris d'assaut.

Péniblement, on referme la grille.

Tant pis pour ceux qui n'ont pu se faufiler du premier coup !

 

La salle est pleine.

Il y a là les fidèles clients de toutes les sessions.

Comment sont-ils arrivés à leurs places habituelles? Ils n'étaient pas dans la foule, devant la grille... Mystère !

Ces gens-là passent partout ; il n'y aurait pas d'audience sans eux.

 

Bien avant l'entrée de la Cour, au fond de Ia salle, l'odeur moite se répand avec celle des restes de saucisson et de vin blanc pour le goûter de quatre heures, car on ne quittera pas sa place avant la fin de la séance et on reviendra demain.

 

Les jurés font leur entrée et regardent Le Floch qui, blême, a déjà pris sa place derrière son avocat.

La Cour arrive : le silence règne.

L'appel des témoins se fait méthodiquement.

Le grand drame de Plouhinec va se terminer.

 

L.Tual

​

LES DÉBATS

 

Les débats sont présidés par M. Marinier, conseiller à la Cour d'appel de Rennes, assisté de MM. Isnard et Le Bourdellès, juges.

M. Lhéritier, procureur de la République, occupe le siège du ministère public ; M. Chicard, celui de greffier.

 

À l'ouverture de cette importante audience, qui touche à la dernière affaire de cette session, le président félicite les jurés d'avoir rendu, ces jours derniers une justice équitable.

 

Vous pourrez rentrer dans vos foyers, dit-il, avec la conscience du devoir accompli.

 

L'ACTE D'ACCUSATION

 

Le greffier, sur l'invitation du président, donne lecture de l'acte d'accusation.

 

Le 2 Janvier, vers 21 heures, un incendie détruisait, au hameau de Kerruc, en Plouhinec, une maison habitée par une veuve Colin et sa fillette, âgée de trois ans.

 

Les cadavres, presque entièrement carbonisés, des occupantes de l'immeuble, furent retirés des décombres.

 

Le sinistre sembla d'abord accidentel, mais divers indices, notamment la découverte de lambeaux de linge couette et taies d'oreiller tachés de sang, ainsi que d'empreintes profondes de pas relevées à l'intérieur du jardin, près du mur de clôture, firent apparaître qu'il était l'œuvre d'une main criminelle.

 

Les soupçons se portèrent bientôt sur l’accusé Yves Floch qui, après avoir nié sa participation au crime dut entrer dans la voie des aveux.

 

Il déclara, en effet, que dans la nuit du 1er janvier, alors qu'il était quelque peu surexcité par la boisson, il passait devant la maison, éloignée de toute habitation, où il savait que la veuve Colin était seule avec fillette Marie-Anne.

Il résolut d'avoir avec elle des relations intimes.

Franchissant par escalade le mur de 2 m. 50 de hauteur qui entoure la maison, il pénétra d’abord dans le jardin, puis dans la maison, dont la porte n'était pas fermée à clef.

 

S'approchant de la veuve Colin, qui dormait, l'accusé la secoua.

Elle se redressa sur son séant en s'écriant :

« Qui êtes-vous ? »

 

Floch se nomma et lui demanda de partager sa couche

Elle refusa avec indignation.

Une lutte s'engagea aussitôt, au cours de laquelle l'agresseur heurta à plusieurs reprises la tête de la victime contre le bois du lit.

S'armant ensuite d'un outil — sécateur ou ciseaux — trouvé sur la table, il l'en frappa également à la tête.

 

La femme se débattait toujours, il lui mit une main sur la bouche et, de l'autre, lui serra la gorge jusqu'à ce qu'elle ne fit plus un mouvement.

 

Alors, il s'étendit…

 

La petite Marie-Anne, terrorisée, avait assisté à toute la scène.

Éveillée au moment de l'entrée de Floch, elle s'était, sans mot dire, mise à genoux sur le lit qu’elle occupait avec sa mère.

Puis, voyant cette dernière aux prises avec le malfaiteur, elle avait tenté de crier.

L’accusé l’avait rejetée contre la cloison et elle s'était blottie sous les draps.

 

Floch décida de supprimer ce témoin de son crime.

Il saisit l'enfant au cou et l'étrangla, puis il profana le cadavre.

​

 

Pour faire disparaître les traces de ces deux meurtres, l'accusé se mit en mesure d'incendier la maison.

Usant d'un procédé qu'il avait appris en colonie pénitentiaire, il enflamma un chiffon, qu'il roula en boule, en l'éteignant à demi ;

de la sorte, le morceau d'étoffe devait brûler lentement comme de l'amadou.

Il le plaça entre la literie et le bois du lit, pour que le feu consumât d'abord les deux cadavres.

 

Il visita ensuite les meubles et s'empara de 930 francs, dont neuf billets de banque de 100 francs, ainsi que des titres.

Il brûla les valeurs, puis il sortit de la maison en escaladant le portail, après avoir caché dans un mur le produit de son vol.

 

Il regagna son domicile vers minuit et demi.

Cette version donnée par l'accusé semble confirmée par les éléments de l'information.

 

Le soir où il a commis ses crimes, Floch avait manifesté des tendances, érotiques.

Il avait, en particulier, fait, à la tenancière du débit Guéguen, des propositions, qui avaient été repoussées.

Il avait insisté, s'était montré menaçant et l'intervention de deux de ses camarades avait été nécessaire pour l'obliger à quitter l'établissement.

 

Sa culpabilité est, au surplus, établie par la présence sur son pantalon de taches de sang suspectes.

 

Rentré chez lui, l'accusé n'a laissé paraître aucun trouble, ni aucune émotion.

Le 2 janvier, entre 10 et 11 heures du matin il a été vu à deux reprises près des lieux de ses crimes.

Il conteste ce point, son allégation est démentie par des témoignages formels et dignes de foi

 

Soumis à un examen mental, il a été reconnu responsable de ses actes.

 

L'accusé, à l'âge de 15 ans, a comparu devant le tribunal correctionnel de Quimper sous la prévention de coups portés à un enfant de huit ans.

Il a été envoyé en colonie pénitentiaire jusqu'à l'âge de 20 ans.

 

Les plus mauvais renseignements ont été recueillis sur son compte.

Il est représenté comme un individu sournois et dangereux.

 

Par contre, la veuve Colin jouissait de l'estime et de la considération générale.

 

Au moment où l'on va procéder à l'interrogatoire de l'accusé, Me Le Ninivin, avoué, se porte partie civile, réclamant un franc de dommage-intérêts et la restitution des biens volés au bénéfice des héritiers des victimes.

​

 

Les antécédents de Floch

 

Yves Floch est né le 13 avril 1893, à Plouhinec.

Il est célibataire et partage son temps entre les travaux de la terre et la pêche en mer.

Il est propriétaire d'un bateau.

 

Depuis un an qu'il est de retour à Plouhinec, il fait vie commune avec ses parents, son frère et sa belle-sœur.

 

Son premier crime

 

Il a déjà comparu en correctionnelle pour un grave délit.

À l'âge de 13 ans, une querelle éclata entre lui et d'autres écoliers, pour une question de boutons et de menue monnaie, et il conserva de la rancune contre un de ses petits camarades, âgé de 8 ans.

 

Un jour, Floch l'emmena dans un champ, sous prétexte de prendre des lapins au collet, et il lui demanda de se passer au cou un fil de fer dont il tenait l'extrémité.

 

Le président. — Et vous avez tiré de toutes vos forces.

Mais le fil était en mauvais état et il s'était rompu.

Alors, vous avez usé d'un autre moyen.

Vous lui avez donné cinq coups de couteau dans le dos.

 

Normalement, la blessure n'eût pas été mortelle si une pneumonie, dont souffrait le petit bonhomme, n'était venue tout aggraver.

Et, trois jours après, il décédait.

 

Le médecin qui l'avait soigné est venu vous annoncer le décès, Floch, et il a été frappé de votre indifférence devant cette nouvelle qui aurait dû vous émouvoir.

À 15 ans, tout de même, on n'est pas une brute, on a dans le cœur de bons sentiments.

 

À son banc, Floch, pale, les yeux baissés, reste impassible.

 

À ce moment, l'accusé- fut examiné au point de vue mental, et, selon les conclusions du médecin qui l'observa, il passait pour un enfant arriéré, en retard dans le développement de ses facultés.

En effet, à l'école, il n'apprenait rien, se révélait d'un caractère brutal, irascible, renfermé.

 

Le président.  — On vous remit alors dans une maison de correction jusqu'à votre majorité, à la colonie pénitentiaire de Belle-Isle-en-Mer.

Là, chose curieuse, vous paraissez vous amender.

Vous revenez à de bons sentiments. .

Votre Intelligence semble s'éveiller.

C'est au point que vous êtes noté comme très bon élève et susceptible de faire un très bon marin de commerce.

À ce titre, on vous place dans la section maritime, où n'entrent que « les gaillards inspirant confiance », car l'évasion tentante y est plus facile.

 

Sorti de là, c'est la guerre.

Vous vous engagez.

Les hostilités n'ont en rien attiré l'attention sur vous.

Vous fûtes un soldat sans blessure et sans gloire.

 

Après sa démobilisation, Floch  exerce divers emplois mal connus jusqu'en janvier 1929, où il rentre au pays, dans sa famille.

 

Entre cette époque et la date du crime, c'est-à-dire pendant un an l'accusé donne, dans le pays, une impression de malaise.

Il ne recherche pas la compagnie et semble même la fuir.

Ses façons sont sournoises, il vit à l'écart.

 

Le visage est le miroir de l'âme, Floch.

Vos yeux ne se fixent pas.

Depuis le début de cette audience, je n'ai pas aperçu votre regard.

 

À Plouhinec, en souvenir de son crime de jeunesse, on l'appelait « l'homme au couteau ».

Il n’y a qu'une voix pour le dépeindre d'un caractère froid et méchant.

 

Le président. — Vous n'avez pas laissé beaucoup de sympathie dans votre entourage.

 

L'HORRIBLE DRAME

 

On aborde la tragédie du 1er Janvier.

C'est le jour des vœux de bonne année.

La famille Floch reçoit des visites et en fait d'autres et, à 4 heures de l’après-midi,

l'accusé échoue « Au Biniou breton », débit tenu par les époux Guéguen.

Le mari est absent ; la femme, au comptoir, sert la clientèle

 

Floch s'installe, boit avec les uns et les autres.

 

Le président. — Et que s'est-il passé ?

Floch. — J'ai voulu coucher avec la patronne.

 

— Vous lui avez fait là une proposition à bout portant.

Vous vous trouviez bien à ses côtés et vous ne vouliez plus partir.

 

Ce n'est qu'avec l'aide de deux marins pécheurs, qui nous raconteront la scène dans leurs dépositions, qu'on réussit à se débarrasser de l'indésirable.

 

Quelques instants après, Floch passe devant la maison de Mme Colin, à Kerruc, et l'idée lui vient de pénétrer chez elle pour trouver à ses côtés ce que la femme Guéguen venait de lui refuser.

 

L'escalade

 

La demeure de Mme Colin est entourée de murs.

Pas une ouverture, sauf le portail pour accéder à l’intérieur.

Floch saute un mur de 2 m. 50 de hauteur en s'aidant d'un talus et de grosses pierres empilées.

 

Le président. — Vous saviez que cette femme vivait seule avec sa fillette.

Vous la rencontriez souvent allant à la messe et la saluiez au passage, sans, pour cela, lui parler.

Bon. Vous êtes dans la place, Floch, et qu'allez-vous faire ?

 

Floch. — J'ai regardé par la fenêtre et j'ai vu cette femme au lit, avec sa fillette près d'elle, toutes deux endormies.

 

Le président. — Et cela ne vous a pas ému, ce tableau, cet intérieur ?

Cette femme, veuve, était l’ange gardien de cette petite.

Vous saviez qu’elle était pieuse et que vous ne l’auriez pas par la douceur.

Cela ne vous a pas arrêté ?

 

Lutte sauvage

 

Vous êtes déjà sûr à ce moment qu'il faudra employer la violence et vous entrez par la porte.

Seule, la petite fille s'est éveillée.

Vous réveillez la mère.

Elle veut se sauver.

Et c'est la lutte atroce qui commence.

 

Vous la saisissez à bras-le-corps et lui frappez la tête contre le mur.

Vous réussissez à saisir un outil et à lui marteler le visage.

 

Floch. — Oui. Je lui ai f... un coup sur la g...

 

Le président. — Et pendant que la maman criait, la fillette s'est mise à genoux, sur le lit, dans l'attitude de la prière.

Cela ne vous a pas arrêté ?

Vous roulez sur le sol avec votre victime, puis, elle s'évanouit.

La saisissant à nouveau, vous la placez sur le lit et vous l'étranglez, pendant que sa petite fille, affolée, se blottit sous les draps.

Et ce fut le reste, l'horrible chose !

Floch ! Floch I comment avez-vous pu !...

Avez-vous quelques regrets de cette horrible chose ?

 

Floch ne répond pas

 

Après la mère, l'enfant

 

— À l'instruction, vous avez déclaré :

« Je n'ai pas de regrets d'avoir étranglé la mère.

Mais pour la petite, ça m'a fait quelque chose ».

Car vous l'avez étranglée aussi comme un sauvage, cette pauvre enfant, qui était pour vous un témoin gênant, et vous avez aussi souillé ce petit cadavre.

Quelle décrépitude morale est la vôtre !

Voilà deux personnes reposant chez elles dans un endroit écarté, sans voisins.

Vous les approchez en maître, elles deviennent votre chose, elles sont une proie à la portée de la main, et pour quelle besogne !

 

Le vol et l'incendie

 

Ceux qui pouvaient vous gêner sont morts.

Et maintenant, qu'allez-vous faire ?

Vous cherchez la bouteille d'eau-de-vie sans la trouver.

Il y a 830 francs en billets sur une étagère, les économies de la maison.

Vous vous les appropriez.

Il s'y trouve aussi des titres, des valeurs de bourse, que vous prétendez avoir brûlés, parce qu'on négocie mal ces papiers-là et qu'ils risquaient de vous faire prendre.

 

Et, pour couronner votre œuvre infâme, vous allez mettre le feu à la maison.

Ainsi, pensez-vous, rien ne subsistera de vos assassinats.

​

La fuite

 

Floch sort de la propriété de Mme Colin en escaladant une seconde fois, le mur de clôture.

Il se lave les mains tachées de sang à la mare et va cacher l’argent dans un mur, à la campagne.

Puis il retourne tranquillement chez lui et se met au lit.

 

« J'ai dormi comme d'habitude »

 

Le président. — Et vous avez bien dormi?

Floch. — Comme d'habitude !

 

Le président. — Avant de quitter la maison de Mme Colin, vous avez fait un brûlot, qui doit servir à déclarer l'incendie longtemps après votre départ.

Mais le lendemain, à votre réveil, vous n’entendez pas parler d’incendie et cela vous inquiète.

Vous prétendez vous être senti souffrant ce matin-là et n'avoir pas quitté votre, domicile.

Mais cela semble faux.

Il y a un point obscur.

Votre coup avait raté.

N'êtes-vous pas retourné chez Mme Colin pour mettre le feu d'une façon plus sûre ?

Vous prétendez n'avoir pas bougé de chez vous au cours de cette matinée du 2 janvier.

Mais des témoins viendront vous dire le contraire

Pour donner le change, on vous voit vous promener avec votre fusil vers midi.

Mais vous aviez utilisé autrement les premières heures de la journée.

 

Vous n'avez commis aucune imprudence, Floch.

Tout le monde crut à un incendie accidentel tellement cette femme était bien considérée de tout le pays.

 

Au cours de ma carrière, je n'ai jamais vu, en une seule affaire, tant de crimes réunis.

 

Floch prétend avoir accompli des exploits pendant la guerre

 

Me Feillet, défenseur.

— M. le président voudrait-il demander à mon client le détail de ce qu'il a fait pendant la guerre ?

 

Floch fait d'une voix terne et qui ne porte pas, le récit de divers exploits dont il aurait été le héros.

 

M. le président. — MM. les jurés tiendront le compte qu'ils voudront de ces déclarations tardives.

Ce sont somme toute des renseignements incontrôlables.

Le défenseur. — Pour les contrôler, je puis demander le renvoi de l'affaire.

Le président. — Je ne me prêterai pas à cette manœuvre.

​

 

LES TÉMOINS

 

Le maréchal des logis Kerrien

 

Le maréchal des Iogis chef Kerrien de la brigade de Pont-Croix expose comment, dans le pays, on mettait sur le compte de la fatalité l’incendie de la maison de Mme Colin.

Toute idée de crime ou de suicide était à écarter.

Cependant, il lui paraissait étrange qu’il se trouvât survenues ensemble.

 

Averti que l’on avait trouvé du linge maculé de sang parmi les décombres, le témoin se renditsur les lieux avec le recteur Dubois, de Pont-Croix.

Le fait fut reconnu exact et des recherches actives entreprises sur le champ.

 

Le maréchal des logis eut vent de la scène du « Biniou breton » et dirigea de ce côté ses investigations.

Les soupçons se précisaient.

On interroge Floch qui nie.

Mais en se livrant à des recherches plus approfondies, le témoin remarque des tâches de sang au pantalon de l’accusé.

 

Un peu plus tard, le gendarme Labous devait obtenir les aveux du criminel.

 

Le ministère public. — En dehors des tâches de sang, n’avez-vous pas relevé des empreintes de pas à Kerruc ?

Le témoin. — Parfaitement, et très nettes.

Le président. — Quelle opinion avait-on de l'accusé dans le pays avant cette affaire ?

Le témoin. — On jugeait qu'il était plutôt à fuir qu'à fréquenter.

Le défenseur. — Avait-il fait parler de lui ? Lui reprochait-on quelque chose ?

Le témoin. — Du tout.

 

Le médecin légiste

 

M. le docteur Renault, médecin légiste, a été commis par le parquet de Quimper à l'examen des cadavres, qui n'offraient plus que quelques restes carbonisés, tellement ils avaient été soumis à l'action de la flamme.

Le praticien ne put de ce fait même faire de constatations utiles.

Cependant, un morceau d'étoffe, taché de sang, adhérait aux restes de Mme Colin.

Et, fait étonnant, il était presque intact.

 

Le docteur a également examiné Floch le 11 janvier.

Il portait des égratignures à la face et au poignet.

 

Le président. — Vous aviez reçu ces marques de Mme Colin, sans doute ?

Floch. — Oui.

Le président. — C'est la première fois que vous le dites.

Elle s'est débattue, cette femme...

 

Les experts aliénistes

 

Les experts aliénistes qui ont examiné, l'accusé au point de vue mental viennent, tour à tour, donner leurs conclusions à MM. les jurés.

Ce sont MM. Salomon, médecin aliéniste à Vannes, et Lagriffe, directeur de l'asile départemental à Quimper.

Ils sont en plein accord pour déclarer qu'il n'y a chez le sujet aucun trouble dans son existence, pas de tare personnelle, pas de maladie mentale et qu'il est complètement responsable.

Il était seulement en état de demi-ivresse au moment des faits qui lui sont reprochés

 

Me Feillet s'étonnant de ce que les rapports des médecins s'appuient sur l'opinion de gens de lettres tels que Robert de Fiers et Francis James, dépose des conclusions pour qu'une contre-expertise médicale soit faite.

 

On s'attarde un peu trop sur cette « querelle littéraire » — expression du ministère public — et le président coupe court à l’incident en disant, le regard en coin vers le défenseur :

« Ne riez pas, messieurs les jurés, on dirait que vous avez manifesté votre opinion et cela pourrait entraîner la nullité des débats. »

 

On rit dans le public.

 

​

Le gendarme Labous est félicité par le président

 

Le gendarme Labous parait ensuite à la barre.

Lui aussi avait eu vent des incidents du « Biniou breton ».

Quelqu'un lui demanda s'il connaissait des gens suspects dans le pays.

Le nom de Floch lui fut glissé à l'oreille.

Il ne connaissait pas cet individu.

Si crime il y a, pensa-t-il, il ne peut s'agir que de ce Floch, et il retourna au débit du « Biniou Breton » pour une enquête plus approfondie.

Il entendit beaucoup de choses.

Sa conviction était faite.

Il alla à la ferme.

Floch était couché et dut subir un long interrogatoire pendant deux heures et demie.

Il nia.

 

Finalement, avec un peu de roublardise de la part du gendarme enquêteur, il finit par dire :

« Peut-être bien ».

 

Le témoin le prit par la douceur, se mit en confiance et finit par avoir des aveux complets, qu'il inscrivit aussitôt.

Assis sur son lit, Floch était en nage, littéralement malade, fiévreux, et demanda de l'eau pour se rafraîchir.

 

Le témoin ayant déclaré que pour obtenir des aveux il avait dû lui dire qu'ainsi « il sauverait sa tête », le défenseur se lève :

« Monsieur le procureur avalise-t-il la promesse ainsi faite par le gendarme Labous ? »

 

Une protestation générale jaillit de la salle, pendant que le président donne congé au témoin, en le félicitant

 

— Vous avez fait votre devoir. Je n'ai rien à vous reprocher.

 

M. François Jannic

 

C'est ensuite François Jannic, qui vient dire comment, dans la soirée du 2 janvier, à 21 heures, il vit le feu et donna l'alarme.

En un clin d’œil, toute la maison fut en flammes.

Par la suite, il est intervenu pour déblayer les décombres et retirer ce qui restait des cadavres.

 

Il donne un avis défavorable sur Floch.

 

Le président. — Et que pensez-vous de Mme Colin ?

Le témoin. — C'était une bonne personne, une femme de religion, à la vie droite, courageuse.

Le défenseur. — Le témoin dit que l'accusé n’avait pas d’amis.

Aurait-il pu en avoir ?

Le témoin. — Avec ses antécédents, c’eût été difficile !

Le président. — Ila eu bien tort de s'adresser à Mme Colin pour arriver à ses fins.

C'était la dernière à qui il pouvait s'adresser.

 

M. Jacques Le Berre

 

M. Jacques Le Berre, conseiller municipal, venu sur les lieux du sinistre, a trouvé un morceau de taie d'oreiller ensanglanté et a prévenu aussitôt la gendarmerie.

 

On entend ensuite M. Yves Guillou, adjoint, qui  remplace le maire de la commune, actuellement souffrant, et vient donner quelques renseignements de moralité.

— Pour ma part, je connaissais fort peu Yves Floch.

On le craignait dans le pays.

Il n'était pas sympathique, disait-on.

 

La débitante du « Biniou breton »

 

Mme Guéguen, aubergiste au « Biniou breton », retrace la scène du 1er janvier.

Floch venait chez elle pour la première fois.

Elle ne le connaissait pas.

Il était accompagné de deux marins pêcheurs qui burent avec lui et partirent.

 

L’accusé resta dans le débit, buvant avec divers groupes, au fur et à mesure des allées et venues.

Parfois, il s'accoudait au comptoir et essayait d'engager la conversation avec le témoin qui, pour finir, lasse de son insistance et voyant qu’il se faisait tard, lui dit :

« Qu’attendez-vous pour rentrer chez vous ? »

— « Je reste ici ! » avait-il déclaré, exprimant nettement ses intentions.

 

Le président. — Saviez-vous que Mme Guéguen était mariée, Floch ?

Floch. — Non.

 

Un juré. — Qu'avait-il consommé ?

Le témoin. — Quatre ou cinq verres de vin.

Mais en arrivant, on voyait qu'il avait déjà bu.

 

M. Guéguen

 

Jean-Louis Guéguen, mari de la précédente, avait dîné, ce soir-là, chez des amis.

En rentrant chez lui, il chercha à se débarrasser de Floch, qui se montrait de plus en plus entreprenant.

 

Guéguen s'y prit doucement et, le reconduisant à la porte, lui déclara :

« Tu n'y pense pas c'est ma femme ! »

 

Sur le seuil, Floch donna à Guéguen deux ou trois tapes à la poitrine du revers de la main, en lançant ce mot de menace :

« Tu auras de mes nouvelles ! »

 

Le président. — Cette femme-là était gardée, Floch, et vous êtes allé ensuite en chercher une autre, qui ne l'était pas.

Vous étiez même décidé à la violence pour terrasser Mme Guéguen, car vous avez dit ensuite :

« Si j’avais été seul, je ne sais pas ce qui se serait passé ! »

 

Quelques minutes s’étaient écoulées quand Floch revint dans le débit, les yeux sortis des orbites, les cheveux épars, disant qu'il avait perdu son béret.

 

Gueguen hésita à sortir avec de la lumière pour rechercher sa coiffure, car il craignait un mauvais coup de cet individu, qui lui apparaissait dangereux.

 

— J'ai eu l'impression très nette, dit le témoin, que si j'avais mis les pieds dehors, j'étais « fait » !

 

Le président. — Connaissiez-vous Floch auparavant ?

 

Le témoin. — Un peu, monsieur le président, pour lui avoir acheté des crustacés, pendant la saison, pour les touristes.

Il apportait sa pêche, buvait un coup et partait sans desserrer les dents, sans qu’on puisse savoir s’il parlait le grec ou le latin !

(Rires).

 

Floch, lui aussi, a ri.

 

Vous souriez, Floch!...

 

Le président. — Vous souriez, Floch ! et me rappelez ainsi une photographie que j’ai vue dans un journal, La Dépêche de Brest, alors qu’à Rennes, je ne savais pas devoir venir présider un jour ces débats.

Votre pose avantageuse, votre figure enjouée après un tel forfait m'avait douloureusement frappé.

Et vous riez encore à ce banc.

Quel triste spectacle !

​

 

MM. Quéré et Sinou

 

François Quéré et Sinou sont deux marins-pêcheurs qui vinrent consommer au « Biniou Breton » au moment où les époux Guéguen cherchaient à se débarrasser de Floch.

Ils trouvèrent la débitante un peu tremblante et furent rapidement mis au courant de ce qui ce passait.

 

C'est Quéré qui sortit avec une lampe tempête pour rechercher le béret perdu.

L'ayant retrouvé, le témoin et son compagnon profitèrent de ce que Floch était sorti du débit pour l'emmener avec eux.

Ils devaient suivre le même chemin pour rentrer à leur domicile.

 

Quéré et Sinou eurent pour leur camarade d'occasion, qu'ils redoutaient quelque peu, des ménagements.

Chemin faisant, ils engagèrent la conversation sur la pêche, sujet qui ne pouvait qu'être agréable à Floch, ainsi qu'il le montra.

À un certain moment même ils l'invitèrent à pousser une chanson.

Floch s'exécuta de bonne grâce

 

Quéré. — C'était une chanson à laquelle nous n'avons rien compris, ni l'un ni l'autre.

Le président. — Était-il ivre ?

Quéré. — Non.

Il marchait bon pas et nous avions peine à le suivre.

Il paraissait de bonne humeur, c'était tout ce qu'il nous fallait.

 

À la croisée des chemins, nous avons pris congé de lui, chacun rentrant chez soi.

Il partit seul vers son domicile.

 

Le président à Quéré. — Il prétend que vous l'auriez engagé à aller voir Mme Colin, en lui disant :

« Puisque tu veux, une femme, là il y en a une ! »

Quéré. — Jamais.

On ne conseille pas ces choses-là à des faibles d'esprit.

 

Le président. — Sa route pour le ramener chez lui passait devant le domicile de Mme Colin ?

Quéré. — Oui.

 

Le président. — Et vous êtes retourné ensuite chez les Guéguen, qui ne vous ont pas ouvert leur porte.

Quéré. — Oui.

Ils s'étaient barricadés chez eux dans la crainte d'un retour offensif de Floch, qui leur avait causé, au départ, une mauvaise impression.

 

M. et Mme Corentin Floch

 

On entend ensuite Corentin Floch, 40 ans, frère de l'accusé, marin-pêcheur et cultivateur.

Lui aussi, tard dans la nuit du 1er janvier, il se disposait à partir au marché de Pont-l'Abbé, quand l'accusé rentrait se coucher.

Il n'a rien remarqué d'anormal chez lui.

 

Le président. — Vous vous entendiez bien tous deux ?

Le témoin. — Nous n'avons jamais eu de mots...

 

La femme Floch, épouse du précédent, belle-sœur de l'accusé, née Marie-Louise Le Bihan, a également assisté à l'arrivée d'Yves dans la nuit.

Elle lui a même fait cette remarque :

« Tiens, voilà Yvon qui rentre et, pour un premier janvier, il n'est pas saoul ».

Floch lui répondit :

« Non, j'ai simplement été faire un tour au débit Guéguen. »

 

Le président. — Cette réflexion s'explique très bien, le premier janvier étant souvent le jour traditionnel des beuveries.

Le témoin. — Nous étions, mon mari et moi, en train de prendre le café.

Je lui en offris.

Il n'accepta pas.

Il but seulement un verre d'eau et alla au lit.

Mon beau-frère n'était pas sans sensibilité.

C'est ainsi qu'il lui arrivait de rapporter des bonbons à la maison pour ses petits neveux, qu'il aimait bien.

Il commençait, d'ailleurs, par en offrir à tout le monde.

 

Le président. — On dit qu'il était méchant !

Le témoin. — Je n'en ai Jamais eu peur !

 

Une voisine

 

Marie-Anne Janvic, veuve Moalic, est une petite vieille menue qui, le 3 janvier, pendant le déjeuner, vint annoncer aux Floch l'incendie de la veille.

À cette nouvelle tout le monde sursauta, sauf l'accusé, qui leva simplement la tête sans rien dire et continua tranquillement à manger sa soupe.

 

Le président. — Le témoin, qui, depuis cinquante ans, est dans le voisinage immédiat de la famille Floch, peut, sans doute, nous dire ce qu'il pense d'elle.

Le témoin. — Je n'ai que du bien à dire d'eux tous.

Quant à l'accusé, il paraissait bizarre.

Quand on lui parlait, il lui arrivait même de ne pas répondre.

 

C'est le tour des témoins qui ont vu Floch le 2 janvier dans la matinée, à proximité de la maison de Mme Collin :

Henri Cogan, neveu de cette dernière ;

Marguerite Le Bars, femme Gella ;

Marie Vigoureux, femme Colin, qui est très affirmative ;

Marguerite Trépot, femme Le Bars, et Jean Collin.

 

Floch nie et prétend qu'à l'heure indiquée il était couché.

 

LES DÉBATS SONT RENVOYÉS A AUJOURD'HUI SAMEDI

 

La liste des témoins étant épuisée, le président lève la séance, en recommandant aux jurés la plus grande prudence dans leurs propos en attendant l'audience d'aujourd'hui samedi, qui s'ouvrira à 13 heures, pour le réquisitoire, les plaidoiries de la partie civile et de la défense et le verdict.

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Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1930

 

Les débats sont présidés par M. Marinier, conseiller à la Cour de Rennes, assisté de MM. Isnard et Le Bourdellès, juges.

 

M. Lhéritier occupe le siège du ministère public; M» Chicard, celui de greffier.

 

Dès la reprise de l'audience, à 13 heures, le président, répondant aux conclusions déposées hier par le défenseur, Me Feillet, sur une demande de contre-expertise mentale de son client, met en avant que la compétence des trois médecins aliénistes qui se sont trouvés d'accord pour établir que Floch est responsable, ne saurait être mise en doute ; que l'accusé a été reconnu déjà responsable lors de son premier crime ; que son nouveau forfait constitue un acte de méchanceté, de férocité et non de folie ;

que Floch lui-même n'a pas allégué la folie.

En conséquence, la Cour rejette la demande de la défense et dit qu'il sera passé outre aux débats,

 

La plaidoirie de la partie civile

 

La parole est ensuite donnée à Me Jadé, avocat de la partie civile, qui vient demander justice au nom de Mme Jean Le Berre, âgée de 74 ans, et de son mari, âgé de 81 ans, dont la fille et la petite-fille ont été lâchement assassinées dans les circonstances qui ont été rappelées tout au long, au cours de l'audience d'hier.

 

Ils attendent réparation et réclament la juste sanction qui s'impose et que commande la justice.

Les époux Le Berre sont des cultivateurs qui, pendant 50 ans, au prix d'un labeur de chaque jour et à force d'économies, ont acquis quelque bien en travaillant la terre sur la côte de Plouhinec.

Ils ont eu douze enfants.

 

Quoique cultivateur, le père Le Berre avait le goût de la mer. Il en fut un héros en plusieurs circonstances difficiles, et sa poitrine est aujourd'hui constellée de décorations.

En 1914, ils étaient déjà âgés tous deux et avaient songé à transmettre leur petit héritage à leur fils Joseph.

Mais c'est la guerre. Joseph part et, comme tant d'autres, ne revient pas.

 

Il fallait cependant que la terre fût travaillée.

M. et Mme Le Berre étaient trop vieux.

Il y eut quelqu'un qui prit en main l'exploitation de cette ferme.

Ce fut Mme Colin.

Elle servit à sa façon, dans cette phalange admirable des femmes de France qui acceptèrent délibérément la vie rude du laboureur.

 

Après l'armistice, une donation-partage est faite.

Mme Colin pense qu'elle va pouvoir se reposer des rudes fatigues de quatre années de peine, en un foyer qui sera le sien.

Elle se marie avec un officier-marinier en retraite proportionnelle.

Mais l'existence calme et heureuse dont elle rêve est loin.

Quand le malheur rôde autour d'un toit, il ne le lâche pas.

M. Colin meurt.

 

Il ne reste plus à sa veuve qu'une consolation sa petite Marie-Anne, qui vient de naître, et qui est pour elle comme le gage d'une vie moins seule et douce encore.

 

Elle fait construire sa maison de Kerruc, entoure de hauts murs le petit jardin, le cultive et vit du produit de ce qu'elle y récolte.

On imagine tout ce qu'il pouvait y avoir de paix à son foyer tranquille, comme retiré du monde.

 

À la plage proche, le dimanche, elle descendait avec sa fillette, heureuse de jouer avec le flot.

 

Elle pouvait rêver pour cette petite beaucoup de printemps semblables à celui que nous goûtons actuellement.

 

Un jour, tout ce beau rêvé est anéanti.

L'étrangleur Floch, aux doigts d'acier, comme l'a dit le président, a passé par là.

Jamais crimes plus monstrueux n'ont été reprochés à un homme ayant agi dans la pleine possession de ses moyens !

 

Un monstre de perversité

 

L'avocat retrace les grandes lignes de la tragédie du 1er janvier.

 

Que l'on ne vienne pas soutenir que ce fut là le geste d'un déséquilibré.

Car il a, ce bandit, un plan dans chacun de ses méfaits.

Après le meurtre du petit Vigouroux, commis il y a 19 ans, il charge sa victime, allant jusqu'à dire :

« Le tort que j'ai eu, c'est d'avoir joué avec un voyou pareil ».

 

Le pauvre petit n'avait que huit ans.

 

De même, après la mort de Mme Colin, réputée pour mener une vie droite et exemplaire, il dit, pour essayer de se tirer d'affaire :

« J'avais déjà tenté auparavant d'abuser de Mme Colin ».

 

Il s'est rétracté, hier, au dernier moment.

Mais l'intention de nuire subsiste.

 

Quel regret Flooh a-t-il manifesté ?

Aucun.

Il dit même au gendarme qui l'interroge :

« Je n'ai pas de regret.

Mais inscrivez-le quand même dans votre rapport.

Cela sera toujours en ma faveur. »

 

L'avocat rappelle que Mme Colin était malade, et, comme ayant le pressentiment d'un noir destin, avait déclaré à une de ses intimes :

« On nous retrouvera quelque jour mortes ici toutes deux ».

 

De telle sorte qu'on crut au décès naturel de la mère et à un incendie accidentel, causé par la petite Marie-Anne en jouant avec la lumière.

 

Et l'avocat de conclure :

Je ne sais pas, MM. les jurés, si vous voyez autour de l'accusé une cause d'atténuation quelconque.

Pour ma part, je n'en vois pas.

Auriez-vous pitié de celui qui fut insensible au geste d'une fillette qui lui tendait les bras ?

II n'a eu pitié de personne.

Vous n'aurez pas pitié de lui !

 

Un réquisitoire impitoyable

 

Le président donne la parole à Me L'Héritier, procureur de la République, pour le réquisitoire.

 

Le crime de Floch, dit-il, a soulevé, dans tout le pays un sentiment d'horreur.

Avait-on encore jamais vu une malheureuse veuve lutter jusqu'à la mort pour défendre son honneur ?

Une petite tête blonde supprimée délibérément, comme étant un témoin gênant ?

La profanation des deux cadavres ?

Le vol ?

L'incendie ?

Toute la gamme des pires forfaits qu'on puisse imaginer ?

MM. les jurés, vous devez rendre un verdict inexorable.

Je vous le demande sans émotion, pour un criminel odieux, qui a encore mis tout en œuvre pour échapper à la justice.

 

Le procureur rappelle que la famille Floch est particulièrement honorable et que l'accusé est le seul enfant qui ait fait tache.

Les parents ne boivent pas, il n'y a donc là aucune tare spéciale pour leur descendance.

Ils sont cousins germains :

Mais s'ensuit-il que les enfants soient voués à être criminels ?

 

Floch est entièrement responsable

 

Floch, dans son jeune âge, a passé pour un arriéré intellectuel et moral, ce qui s'explique assez aisément par suite de l'ambiance du milieu.

Son père ne sait ni lire, ni écrire.

 

Le docteur qui l'examina en 1911 jugeait qu'il était docile, discipliné, nullement vicieux.

 

Le réquisitoire fait un nouveau tableau de la vie de Floch et des circonstances des meurtres qui lui sont reprochés.

 

De la précision.

Du sang-froid.

Une volonté constante et réfléchie.

L'accusé est complètement responsable.

Il s'est délibérément classé dans la catégorie des grands malfaiteurs et mérite le châtiment suprême.

 

M. Lhéritier demande, en terminant, à MM. les jurés une réponse affirmative à toutes les questions posées, sans circonstances atténuantes.

 

La peine de mort est la seule qui soit proportionnée à la gravité des faits.

C'est la seule expiation possible !

 

Le défenseur tente un effort désespéré

 

Me Feillet, défenseur, parle à son tour, montrant que dès sa naissance Floch a été marqué du signe du malheur :

Il est venu au monde avec les germes du crime.

 

— J'ai la charge de défendre celui que tous ont abandonné, dit-il.

 Je m'y consacrerai jusqu'au bout.

Messieurs les jurés ;

vous répondrez affirmativement à toutes les questions posées, mais avec circonstances atténuantes.

Vous n'aurez a rendre compte à personne de votre décision, si ce n'est à votre propre conscience.

 

Le défenseur fait ressortir qu'en de nombreux pays la peine de mort est abolie.

Pour châtier le crime il y a d’autres moyens.

On trouve au bagne la suprême souffrance pour un suprême forfait.

 

— Pour celui pour lequel on demande la mort, je réclame l'expiation !

 

Le défenseur fait le procès de la colonie pénitentiaire de Belle-lsle, où Floch a passé son adolescence avec de jeunes criminels.

 

Il parle de la prétendue sagesse du prévenu pendant son séjour en ce lieu, non de l'amendement, mais de l’hypocrisie.

 

— Au front, Floch fut utilisé comme nettoyeur de tranchées.

Ses instincts pervers y ont tout naturellement trouvé à s'employer.

Ce n'était pas la un retour possible à la vie normale.

 

Après l'armistice, Floch travailla sur les paquebots de la Compagnie Transatlantique et sur les chalutiers de Dieppe et du Havre.

 

Il revient enfin à Kerfendal, chez ses parents, croyant qu'après 9 ans on avait oublié son méfait de jeunesse.

Mais tous les visages lui sont hostiles.

Autour de lui, il ne trouve que de la haine.

S'il parait sournois, s'il vit à l'écart, comment pourrait-il en être autrement ?

Il y a eu des amnisties.

Le pardon a passé à plusieurs reprises en 9 ans, mais pas pour lui, aux yeux de ses compatriotes.

On n'oublie pas à Plouhinec !

Si, pendant la guerre, une balle allemande l'avait frappé, sa mémoire serait aujourd'hui à l'honneur.

Il aurait son nom sur le monument aux morts de la commune, avec tant d'autres jeunes gens.

 

Il aurait droit à un souvenir ému.

Que n'en a-t-il été ainsi ?

Floch est donné pour être d'un caractère renfermé, et cependant il est normal près de ceux qui lui témoignent quel qu’intérêt.

Il vit en bons termes avec sa famille, parce qu'il s'y trouve en confiance.

Il aime les enfants, leur donne des bonbons, parce que ces petits ne l’appellent pas, comme le font les grands :

« L'homme au couteau ».

Et puis, quelle femme aurait accepté normalement de lui accorder ses faveurs dans la suspicion générale dont il était l'objet ?

 

Les crimes qui lui sont reprochés sont monstrueux.

L'homme n'est pas normal.

On ne tue pas ainsi sans raison une femme et une fillette sans défense.

On ne prend pas plaisir à souiller des cadavres.

 

La défense rappelle plusieurs causes célèbres, et notamment l'affaire Baralaud.

 

— Celui-là était poursuivi pour deux meurtres froidement accomplis et ne fut pas condamné à mort. Ici, il s'agit d'un pauvre bougre : Le paria de Plouhinec.

 

Me Feillet insiste sur les particularités qui a révélées hier la déposition du gendarme Labous.

 

— Si Floch est sur ce banc, c'est qu'on n'a connu sa culpabilité que par ses aveux, et il lui a été promis qu'en parlant, il aurait la vie sauve.

 

Un juré a demandé : « Est-ce cette promesse qui l'a décidé ? »

 

Et le gendarme a répondu : « Oui ! ».

 

Il ne faut pas messieurs les jurés, qu'il y ait là un abus de confiance.

 

Et le défenseur de conclure :

— Si vous le condamnez à mort, messieurs les jurés, soyez logiques avec vous-mêmes.

Ne vous contentez pas de faire exécuter cette macabre besogne par d'autres, au petit jour et comme en cachette.

Venez tous au rendez-vous assister à ce spectacle !

 

LE VERDICT

 

De nombreuses questions sont posées aux jurés, à savoir :

1° Floch s'est-il rendu coupable de Viol ?

2° De vol (avec les questions aggravantes : la nuit, avec escalade, dans une maison habitée) ?

3° S'est-il rendu coupable d'incendie volontaire ? (question aggravante : d'une maison d'habitation) ?

4° S'est-il rendu coupable de meurtre sur la personne de Mme Colin (question aggravante : ce crime a-t-il été précédé, accompagné ou suivi de viol, de vol et d'incendie volontaire) ?

5° La même question est posée pour la petite Marie-Anne, avec question aggravante supplémentaire, en ce qui touche l'homicide de sa mère.

 

Après vingt minutes de délibération, le jury rentre en séance avec un verdict affirmatif pour toutes les questions posées.

 

En conséquence, la Cour prononce contre Floch la peine de mort.

 

« La mort c'est le paradis ! »

 

À son banc, l'accusé a entendu la sentence sans broncher.

À la demande du défenseur, aucune manifestation ne s'est produite dans la salle, qui a écouté le verdict dans un silence glacial.

 

Pendant que la foule se retire, un excellent service d'ordre ménage une sortie à l'accusé qui, quelques minutes plus tard, est enlevé vers la prison, dans la voiture automobile de la gendarmerie.

 

Aucun incident, ne s'est produit.

 

À quelqu'un qui l'interrogeait, Floch aurait répondu :

« La mort, c'est le paradis ! »

 

La session des assises du Finistère est close.

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Source : La Dépêche de Brest 15 avril 1930

 

 

Source : La Dépêche de Brest 7 juin 1930

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Source : La Dépêche de Brest 8 juin 1930

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Source : La Dépêche de Brest 14 juillet 1930

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Source : La Dépêche de Brest 17 juillet 1930

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Source : La Dépêche de Brest 4 août 1930

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Source : La Dépêche de Brest 5 août 1930

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