1937
L'horrible crime de Camaret
Le martyre d'un bébé de trois mois
Source : La Dépêche de Brest 22 juillet 1937
Les débats sont présidés par M. Prigent, conseiller à la Cour de Rennes, assisté de MM. Le Bourdélès et Moret, juges au siège.
Le siège du ministère public est occupé par M. Magnan de Bornier.
La défense est assurée par Me Jean Feillet, du barreau de Quimper.
M. Ronsin, greffier, fait la lecture de l'acte d'accusation suivant :
ACTE D'ACCUSATION
Le 22 avril 1937, le sieur Jean Capitaine, marin-pêcheur, demeurant à Kermeur, en Camaret, déclarait à la mairie le décès de son petit-fils René Capitaine, et exprimait le désir, en raison des bruits qui circulaient sur la mort de cet enfant et de la réputation de la mère, de faire examiner le cadavre par un médecin.
Le docteur Jaffré, commis par le maire, refusa, après examen, le permis d'inhumer.
L'autopsie pratiquée le lendemain par le docteur Keranguyader, établit que René Capitaine, âgé de trois mois, portait des traces de brûlures du 2e degré sur la paroi abdominale, la fesse droite et les jambes.
Le crâne présentait une dépression consolidée le long de la suture parieto-occipitale droite et une fêlure du pariétal droit.
Des lésions allant jusqu'à la perforation étaient relevées sur la paroi stomacale.
Le praticien estima toutefois que la dépression crânienne et les brûlures n'étaient pas assez graves pour provoquer la mort, qui avait été déterminée par un empoisonnement ou à l'absorption d'un produit toxique.
Eugénie Capitaine, âgée de 27 ans, habitant avec son père, à Camaret, déclara que son enfant, malade depuis quelques jours, s'était plaint, dans la nuit du 21 au 22 avril, sans néanmoins refuser ses biberons.
Le matin, vers 8 heures, elle avait constaté avec étonnement le décès du petit René, dont l'état, affirmait-elle, ne laissait pas prévoir une fin prochaine.
Interrogée à nouveau, Eugénie Capitaine dut reconnaître avoir volontairement donné la mort à son enfant.
Pendant la quinzaine qui avait précédé le décès, elle avait fait absorber à son enfant un mélange de lait et d'alcool à brûler.
Au cours de la dernière semaine, elle avait fait plusieurs applications d'un fer à repasser chaud sur le ventre et les cuisses du petit René, laissant parfois le fer brûlant sur les langes de son enfant pendant qu'elle s'absentait ou vaquait à ses occupations.
Constatant que ces mauvais traitements étaient insuffisants pour provoquer une mort rapide, Eugénie Capitaine avait administré à son fils, dans la nuit du 21 avril, un biberon contenant d'égales proportions de lait et d'alcool à brûler.
Le 22 avril, vers 8 heures, René Capitaine décédait après de vives souffrances.
L'examen des viscères, pratiqué par un expert chimiste, a permis de déterminer que le sang de l'enfant Capitaine contenait en volume 1,4 pour 1.000 d'alcool.
Après avoir tenté d'expliquer son crime par le désir qu'elle avait de mettre fin à l'existence d'un enfant maladif et chétif, dont l'état de santé l'inquiétait, Eugénie Capitaine a déclaré avoir été déterminée par les reproches de son père, qui se plaignait de ne pouvoir nourrir ses petits-enfants.
Eugénie Capitaine a eu quatre enfants naturels, dont une fille âgée de 8 ans, seule vivante, confiée à une institution charitable depuis l'incarcération de sa mère.
L'un d'entre eux est mort de méningite à l'âge de trois mois, en 1934 ;
un autre a été étouffé à sa naissance en 1932, par sa mère, qui a été acquittée par la Cour d'assises du Finistère, du chef d'infanticide.
Eugénie Capitaine, dont le casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation, est d'une conduite et d'une moralité déplorables.
Examinée par un médecin psychiatre, elle a été reconnue pleinement responsable de ses actes.
En conséquence, est accusée Eugénie Capitaine, d'avoir à Camaret-sur-Mer, dans le courant de l'année 1937, volontairement atteint à la vie de René-Yves Capitaine, par l'effet d'une substance qui pouvait lui donner la mort plus ou moins promptement.
Crime prévu et puni par les articles 301 et 302 du code pénal.
L'INTERROGATOIRE
Eugénie Capitaine, brune de 27 ans, au visage coloré, aux yeux vifs, est serrée dans un long manteau noir.
Elle pleure au cours de la lecture de l'acte de l'accusation, mais répond nettement aux premières questions du président.
Elle déclare qu'elle n'est pas méchante, mais nie toutes les déclarations prouvant qu'elle est d'une moralité désastreuse, qu'elle se livre à la prostitution et est d'une probité douteuse.
Elle reconnaît que son enfant était d'une bonne santé, alors qu'au cours de l'instruction elle a dit qu'elle l'avait tué parce qu'il était chétif et qu'elle ne voulait pas qu'il souffre.
À certaines questions plus précises, Eugénie Capitaine pleure et ne répond pas.
— Elle est sur le bord d'une crise ! dit le défenseur...
Le président propose une suspension d'audience, le défenseur ne juge pas cela nécessaire.
Eugénie Capitaine reconnaît ses dosages d'alcool à brûler dans le lait de son enfant....
— C'était pour l'empêcher de souffrir !...
Elle nie avoir porté les coups, dont certaines traces ont été trouvées sur le corps du malheureux bébé.
Le président. — Quelle explication pouvez-vous donner à votre crime ?...
Pas de réponse.
— Regrettez-vous votre crime ?
— Oh! Oui, M. le président !
LES TÉMOINS
Le docteur KERANGUYADER
Le témoin a vu le cadavre de l'enfant portant sur les cuisses et les jambes et les parties sexuelles des rougeurs dues à des brûlures et sur le crâne une fracture ; rien au cerveau.
À l'autopsie :
Quelques congestions aux poumons, foie anormal et reins en dégénérescence ; l'estomac était complètement cuit et décomposé.
Le docteur Keranguyader conclut à une intoxication.
Ignace BLAIN, maréchal des logis-chef
C'est le maréchal des logis-chef Blain, qui a procédé à diverses enquêtes.
Après avoir entendu les déclarations du docteur Jaffré, et sur l'ordre de M. Tephany, maire de Camaret, le témoin a interrogé Eugénie Capitaine, qui lui dit que son enfant souffrait depuis quelque temps et était mort naturellement.
Ce n'est qu'après l'autopsie et les bruits courant dans le pays, et après un nouvel interrogatoire, qu'Eugénie Capitaine avoua avoir mis de l'alcool à brûler dans le lait de son enfant et comme la mort ne venait pas assez vite, elle lui appliqua des fers rouges sur le corps.
Tous les renseignements recueillis par le témoin sur l'accusée sont mauvais.
Jean CAPITAINE, père de l'accusée
Demi-soldier, Jean Capitaine, 68 ans, se présente à la barre et, de suite, en breton, fait des reproches à sa fille qui pleure, tandis que le président lui impose silence
Avec l'aide de M. Goulaouic, interprète, Jean Capitaine déclare que le petit enfant pleurait parfois ;
un jour, il l'a trouvé décédé à son retour à la maison.
— C'est alors, dit-il, que j'ai averti la mairie, ma fille ayant déjà eu des histoires auparavant.
Le père de l'accusée déclare ne s'être jamais plaint de payer le lait de l'enfant, ni de nourrir sa fille, pas plus que le reste de la famille.
— L'enfant qui a été tué, dit le grand-père, était solide et « profitait » normalement.
Le docteur LAGRIFFE médecin aliéniste
Le médecin psychiatre déclare qu’Eugénie Capitaine n'a aucun antécédent héréditaire, qu'elle est fort bien constituée, n'a aucun trouble mental, aucune idée délirante ;
il la considère comme parfaitement saine et d'une responsabilité complète.
Le président fait préciser sa déclaration au docteur Lagriffe, qui la maintient énergiquement.
Mme GAGNE, surveillante en chef de la prison
Ce témoin, appelé par le défense dit qu'à la prison Eugénie Capitaine était une détenue normale ;
Mme Gagne l'a vue pleurer ces deux dernier jours, mais n'a rien remarqué de particulier dans sa conduite.
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Le président déclare qu'il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen mental demandé par la défense.
LE RÉQUISITOIRE
M. Magnan de Bornier ne peut s’expliquer l'horrible crime d'Eugénie Capitaine, déjà quatre fois mère, et qui après avoir élevé trois mois son enfant, l’a martyrisé et empoisonné lentement.
« C’est un crime répugnant commis par une femme dont la réputation est déplorable, crime qui mérite un châtiment exemplaire. »
En entendant le sévère réquisitoire du distingué magistrat, Eugénie Capitaine pleure abondamment.
M. Magnan de Bornier retrace la vie de l'accusée, vie d'aventures, vie scandaleuse, vie de prostitution et rappelle brièvement dans quelles conditions elle fut accusée déjà d'infanticide et acquittée, l'enfant ayant été étouffé alors qu'il était mort-né.
Pour le ministère public, Eugénie Capitaine est absolument responsable aujourd'hui de son crime, car ce crime fut longuement prémédité, puis il donne lecture de la déclaration du docteur Lagriffe, médecin aliéniste.
Ayant énuméré les faits portés dans l'acte d'accusation, M. Magnan de Bornier dit que l'heure du châtiment est arrivée pour Eugénie Capitaine, et demande pour cette mère qui a empoisonné son enfant la peine des travaux forcés, son crime étant même passible de la peine de mort.
LA PLAIDOIRIE
Me Feillet plaide avec chaleur la cause de sa cliente en laquelle il voit une femme irresponsable, tout au moins en partie.
Certes elle est coupable du crime qui lui est reproché, mais elle-même fut victime de son tempérament, du manque de l'affection maternelle, de l'indifférence des siens...
Me Feillet ayant donné lecture du rapport du docteur qui a procédé à l'analyse des biberons ayant servi à l’enfant, estime que ce rapport n'est pas assez probant pour valoir à sa cliente une condamnation aux travaux forcés, même au minimum de cette peine.
Sur réplique brève du ministère public, le défenseur demande l'acquittement d'Eugénie Capitaine.
Mouvement de surprise dans le public :
Eugénie Capitaine déclare qu'elle regrette son crime et qu'elle voudrait mourir.
Les jurés se retirent pour délibérer.
LE VERDICT
Les jurés ont à répondre à cette question :
Eugénie Capitaine est-elle coupable d'avoir, à Camaret, dans le courant de l'année 1937, volontairement attenté à la vie de René-Yves Capitaine, par l'effet d'une substance qui pouvait lui donner la mort plus ou moins promptement ?
Leur réponse est : « Oui », à la majorité.
À la majorité il y a des circonstances atténuantes en faveur d'Eugénie Capitaine.
En entendant cette déclaration, Eugénie Capitaine, en larmes, s'effondre sur son banc
Me Feillet demande encore au jury et à la Cour d'infliger à sa cliente minimum de !a peine.
Entre deux sanglots, la mère criminelle demande le sursis.
Après une brève délibération, Eugénie Capitaine est condamnée aux travaux forcés à perpétuité et est déchue de ses droits à la puissance paternelle.