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1937

Un docker est poignardé par une femme
rue Kéravel

 

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Source : La Dépêche de Brest 19 mai 1937

 

Un drame dû à l'ivresse a mis en émoi, hier soir, le quartier Kéravel.

 

Un docker, Joseph Salaün, 38 ans, domicilié, 5, rue du Marché Kéravel, a été, après une courte discussion, frappé d'un coup de couteau en plein cœur par une femme, Anna Le Moal, épouse Fily, 44 ans.

Salaün, mortellement blessé, est décédé au cours de son transport à l'hôpital.

 

Le drame

 

Il était 20 heures environ, lorsqu'un coup de téléphone alerta « Police-Secours ».

 

— Venez vite, venez vite ! disait-on, un homme vient d'être grièvement blessé, 5, rue du Marché Kéravel.

 

Le sous-brigadier Kerneis et l'agent Tocquer, de la brigade cycliste, se rendirent aussitôt à l'adresse indiquée.

Au premier étage, dans une pièce misérablement meublée, ils aperçurent un homme, le torse nu, étendu sur un lit et râlant.

Il portait une blessure au côté gauche de la poitrine.

Tandis que l'on prévenait M. Courcoux, commissaire de police de permanence, l'ambulance municipale était requise.

Le blessé fut dirigé sur l'hôpital ;

mais, ainsi que nous le disions plus haut, Salaün mourut en cours de route.

 

Le parquet est averti

 

Le parquet fut prévenu du drame et vers 20 h. 30, MM. Bouriel, procureur de la République ;

de Lapeyre, juge d'instruction, accompagné de M. Kerdraon, secrétaire, rejoignaient M. Courcoux au n° 5 de la rue du Marché Kéravel.

 

La meurtrière, la femme Fily, se trouvait là, discutant avec l'amie de la victime, Mme Le Gall, de la scène tragique qui s'était déroulée quelques instants auparavant.

Dès les premières questions qui lui furent posées elle ne fit aucune difficulté pour avouer que c'était elle qui avait frappé le docker Salaün.

 

— Je connaissais Salaün, dit-elle, depuis quatre ans environ.

Il y a trois mois, me trouvant sans logement, celui-ci m'offrit l'hospitalité, ainsi qu'à mon ami le docker François Manach.

« L'appartement est très étroit, mais je réussissais néanmoins à y placer mon lit et quelques objets mobiliers.

« Depuis, Salaün a fait la connaissance de la femme Le Gall qui était venue habiter avec nous.

Nous formions donc un ménage à quatre.

« Quelquefois des disputes s'élevaient entre nous ;

mais elles se bornaient à un échange de paroles plus ou moins malsonnantes.

 

« Ce soir, vers 19 h. 30, poursuit la femme Fily, tandis que mon ami se rendait chez un camarade à Recouvrance, je m'apprêtais à mettre le couvert pour le diner, quand rentra Joseph Salaün.

« Salaün se mit aussitôt à table et me reprocha de ne pas lui servir sa soupe assez vite.

— Tu as le temps, lui dis-je, et puisque tu as commencé par les crabes, continue.

« Une discussion s'est élevée.

J'ai mis la soupière près de lui, puis je suis partie à la fenêtre.

 

— Viens me servir, me cria-t-il.

— Dis à ta femme de le faire.

 

« Salaün, à ce moment, m'a insultée.

Hors de moi, j'ai saisi sur la table le couteau qui venait de me servir à couper du pain et je me suis précipitée sur lui et l'ai frappé au hasard. »

 

Apprenant la mort de Salaün, la femme Fily dit regretter son geste.

— Je ne voulais pas le tuer, dit-elle.

Quant au couteau dont elle s'est servie, elle déclare qu'aussitôt le coup fait, elle l'a jeté par la fenêtre.

 

La meurtrière n'avait pas bougé de la maison pendant l'après-midi, mais elle a avoué qu'elle avait bu quelques verres de vin, ce qui l'avait rendue un peu nerveuse.

Une voisine, Mme Abervé, que les magistrats entendirent par la suite, affirme qu'avant le drame, la femme Fily avait échangé des coups avec Salaün et l'amie de ce dernier, la femme Le Gall.

La meurtrière ne se souvient pas de cela.

 

Les enquêteurs ont saisi dans le tiroir de la table quatre couteaux dont l'un est taché de sang et correspond au signalement fourni par Mme Le Gall.

Cependant Anna Fily continue à persister dans ses déclarations.

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Sur la table du commissariat plusieurs couteaux sont dispersés.

L'un d'eux, à manche jaune, porte des traces évidentes de sang.

Il semble qu'il a été lavé.

À côté se trouve un paquet de linges maculés.

Ce sont les pièces de conviction qu'examine M. Bouriel, cependant que M. Courcoux poursuit son interrogatoire.

On a même recueilli quelques cheveux qui sont enfermés dans un morceau de papier.

 

— Quand « on tue le monde », dit la femme Fily, on le tue.

Quand j'ai frappé Salaün, je ne pensais pas l'avoir atteint de façon dangereuse.

 

« En tombant sur son lit, il m’a dit :

« Nana, tu m'as tué ».

« Voyant que ses lèvres devenaient blanches, j'ai eu l'impression qu'il allait mourir. »

 

La meurtrière raconte cela avec un calme désarmant.

Elle précise que, voici quatre mois, elle frappa son ami d'un coup de couteau.

La blessure n'eût pas de suites graves.

 

L'interrogatoire touchait à sa fin.

— Je vous notifie, dit M. de Lapeyre, l'inculpation d'avoir volontairement donné la mort à Salaün.

 

La meurtrière entendit alors lecture de ses déclarations et en approuva le texte.

Elle déclara ne savoir ni lire, ni écrire.

 

La déposition du principal témoin

 

Anna Fily ayant été conduite à la chambre de sûreté, Mme Le Gall, née Hélène Le Roux, 38 ans, fut appelée à déposer.

 

— Je vivais, dit-elle, avec Salaün depuis deux mois.

Je suis séparée de mon mari depuis dix ans.

 

Le témoin précise, ainsi que nous l'avons dit, que la femme Fily et Manach vinrent, il y a trois mois environ, demander l'hospitalité à Salaün.

Les disputes étaient fréquentes lorsque les quatre locataires du modeste logement avaient bu plus de vin qu'il n'était raisonnable.

Il arrivait à la femme Fily de proférer dans ces moments-là de graves menaces :

« Je vous tuerai tous », disait-elle.

Mme Le Gall déclare que personne n'attachait d'importance à ces paroles.

Elle confirme ensuite les détails se rapportant à la scène du drame.

 

Salaün était rentré, légèrement pris de boisson, vers 19 h. 30.

— Après la première dispute, dit le témoin, Anna a pris un couteau sur la table et, brusquement, a frappé Salaün. »

 

Le coup devait être mortel.

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Mme Abervé, née Rosalie Boyaux, 64 ans, voisine de palier de Salaün, confirma que les disputes étaient fréquentes au domicile de la femme Fily.

— Ce soir, dit-elle, la querelle me sembla plus violente que d'habitude.

J'ai vu la femme Fily frapper Mme Le Gall au visage d'un coup de poing et lui arracher des cheveux.

Elle s'est ensuite précipitée sur Salaün, qui se tenait près du lit, et tenta également de le frapper.

 

« La femme Fily, en me voyant, sembla se calmer et je me retirais chez moi quand, quelques instants plus tard, je m'entendis appeler :

« Venez vite, je viens de lui donner un coup de couteau, criait la femme Fily, je crois qu'il va mourir ! »

« Salaün était étendu sur son lit.

Il râlait.

M'approchant, je constatai qu'il portait une blessure au côté gauche de la poitrine à hauteur du cœur.

Il saignait peu.

J'ai aussitôt fait venir un autre voisin, M. Cabon, qui se mit à laver la plaie à l'eau oxygénée.

 

« Salaün ne pouvait prononcer aucune parole.

« Il eut pourtant la force d'enlever son tricot, seul vêtement qui lui couvrait la poitrine, puis il s'évanouit.

« J'ai alors prié Mme Le Gall d'aller au plus vite demander du secours à la police et l'ambulance est arrivée aussitôt après. »

 

À 0 h. 45, les premiers interrogatoires étaient terminés.

L'enquête sera poursuivie aujourd'hui.

 

 

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Source : La Dépêche de Brest 21 mai 1937

 

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Source : La Dépêche de Brest 18 janvier 1938

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