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1937

Sanglante bagarre
rue d'Aiguillon

 

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Source : La Dépêche de Brest 20 mai 1937

 

Dans la nuit de mardi à mercredi, à 2 h. 45, les habitants de la place Wilson et une grande partie de ceux de la rue d'Aiguillon furent réveillés par le bruit d'une discussion et des cris de femmes.

 

Soudain, deux coups de feu précipités.

Les cris redoublent.

De nos bureaux, où l'on achève la dernière édition, on entend :

« Au secours ! Au secours ! On a tué mon fils ! »

 

Nous nous précipitons.

Le rideau de fer de la Brasserie de la Marine a été brusquement baissé et, en face, dans l'ombre, sur le trottoir, un blessé couché sur le dos se lamente.

 

M. le docteur Pouliquen, qui revenait de l'hôpital où il avait été appelé d'urgence, est déjà penché sur le blessé.

Il découvre la plaie, d'où le sang jaillit avec force.

Le temps de monter dans son cabinet, situé en face, et il redescend avec un garrot en caoutchouc rouge qu'il place en hâte, aidé de deux de ses confrères, MM. les docteurs Bienfait et Le Flamenc, accourus eux aussi.

 

Puis, sans même prendre le temps de se laver les mains, couvertes de sang — le temps presse — le chirurgien en chef de l'hôpital court chercher un « donneur », qu'il a la chance de trouver à son domicile.

 

Le blessé a eu l'artère fémorale tranchée par un coup de couteau ou de rasoir, il a perdu une grande quantité de sang et M. Le Roy, domicilié rue du Château, consent à lui donner une partie du sien pour tenter de le sauver.

 

Précédée d'agents cyclistes, la voiture de secours aux blessés arrive et l'on y dépose le blessé, qui est dirigé d'urgence sur l'hôpital.

 

La scène que nous venons de décrire s'est déroulée en moins d'un quart d'heure, ayant pour spectateurs, très émus, un groupe de marins argentins et trois femmes :

La mère de la victime, qui a ameuté tout le quartier par ses cris, une jeune danseuse en toilette de soirée et une voisine, réveillée en sursaut et qui n'a eu que le temps de passer un peignoir.

 

On ignore à ce moment ce qui s'est passé.

 

La mère du blessé, que nous interrogeons, nous dit entre deux sanglots :

 

— C'est mon fils, monsieur, Louis Pilon.

Je le savais menacé depuis longtemps.

Inquiète de ne pas le voir rentrer à la maison, je m'étais portée à sa rencontre et c'est au moment où il se précipitait vers moi qu'il a été attaqué.

— Vous avez donc vu les agresseurs ?

— Oui, des gens en casquette qui étaient accompagnés d'une blonde.

 

Beaucoup plus tard on apprendra qu'un deuxième blessé, Georges Carle, patron de maison close, a reçu une balle dans le ventre.

 

Transporté par ses amis à l'hôpital, il y reçoit aussi les soins des docteurs Pouliquen et Bienfait, qui ont eu une nuit fort agitée.

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L'ENQUÊTE

 

M. Courcoux, commissaire de police de permanence, est accouru.

Après s'être rendu compte de l'état des lieux où a eu lieu l'agression, il arrive à l'hospice civil pour interroger les blessés.

 

Interrogatoires

 

Les deux médecins qui soignent Robert Pilon, trop faible pour répondre, prient le commissaire de remettre au lendemain son interrogatoire.

 

Carle peut parler.

Il décline son identité :

 

— Je m'appelle Georges Carle, déclare-t-il d'une voix entrecoupée de plaintes.

Je suis né le 1er février 1905, à Saint-Pierre-d'Avez (Hautes-Alpes).

J'habite 2. Rue Guyot.

Je passais à pied, vers 2 heures du matin, près de la Brasserie de la Marine, quand je vis plusieurs hommes qui se battaient.

Dans le groupe, se trouvait une femme.

Je m'approchai pour retirer cette femme de la bagarre, lorsque j'aperçus un bras, armé d'un revolver, dirigé vers l'homme qui se trouvait devant moi.

 

Un ou deux coups rapides furent tirés.

Atteint à l'abdomen, j'eus le temps de désarmer celui qui tirait.

Non seulement je ne l'ai pas reconnu, mais il m'est impossible de dire si c'était un homme ou une femme.

Je ne connais, d'ailleurs, aucune des personnes qui se trouvaient là.

 

Je me refuse à porter plainte pour les blessures que j'ai reçues.

Mais, je vous en prie, laissez-moi tranquille.

Je souffre atrocement du ventre ...

 

Ce que dit Mme Pilon

 

M. Courcoux n'insista pas.

Le blessé, dont l'état est grave, était d'ailleurs à demi évanoui.

 

Le commissaire recueillit les déclarations de la mère de la deuxième victime, qui avait assisté à la scène :

— Je me nomme Mme Pilon et habite 43, rue de la Mairie.

Mon fils, voyageur de commerce, avait été il y a huit jours, menacé de mort par un individu dont je ne connais que le prénom : Prosper.

Il peut être âgé d'une cinquantaine d'années environ.

Ce Prosper n'exerce, à ma connaissance, aucune profession.

 

Il avait annoncé à mon fils, devant témoins, qu'il lui « ferait la peau ».

Il y a quatre Jours encore, devant le garçon de courses d'un grand hôtel de la rue de Siam, il avait renouvelé ses menaces :

« Si je suis trop vieux pour t'avoir tout seul, aurait-il dit, je me ferai aider par des amis. »

 

Mon fils, poursuit la pauvre femme, n'osait plus sortir.

Moi, J'étais dans des transes continuelles.

Prosper habite avec une femme blonde, de nationalité suisse, parait-il, dans un hôtel de la rue d'Aiguillon.

J'ai la conviction que cette femme est la cause du drame : son amant était jaloux de mon fils.

Sachant qu'il se trouvait en danger, ne le voyant pas rentrer mardi, à minuit, je me suis décidée à aller voir jusqu'à la Brasserie de la Marine, où je savais qu'il se rendait souvent..

 

J'étais devant la porte, quand je vis sortir une femme blonde.

Quelques instante après, une auto arriva.

Trois ou quatre hommes en descendirent et entrèrent à la Brasserie.

Une deuxième voiture, que Je crois être celle du fils M.... stoppa à son tour.

Quatre hommes et la femme blonde en sortirent et restèrent parlementer dans la rue.

À ce moment, mon fils sortait de la Brasserie.

Tous se jetèrent sur lui et le frappèrent.

 

Robert avait-il sur lui un revolver ?

Je l'ignore.

J'ai entendu tirer sur lui et n'ai vu qu'il était touché que lorsqu'il est tombé.

 

Mon fils voulait fournir des explications à ses agresseurs, mais tous montèrent en voiture sans les écouter, et l'auto disparut, pendant que je me portais au secours de mon enfant.

Dans la bande, je crois avoir aperçu deux hommes vêtus de gris, que je connais de vue :

un assez grand, l'autre plutôt gros.

C'est tout ce que je sais.

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Pilon reconnaît qu'il a été menacé par Charbonnier

 

Hier matin, M. Courcoux put interroger Robert Pilon, qui déclara :

— J'étais brouillé avec Prosper Charbonnier, qui habite un hôtel de la rue d'Aiguillon.

Il prétendait que j'avais avec sa maîtresse « Nénette » des relations dont il avait pris ombrage.

 

Samedi dernier, il me menaça devant la téléphoniste d'un hôtel de la rue de Siam.

« Prends garde à toi, m'avait-il dit.

Je te flanquerai six balles dans le ventre. »

 

Je voulais arranger l'affaire. Hier après-midi, je lui al téléphoné :

« Tout cela n'est pas sérieux, lui ai-je dit, il vaudrait mieux que nous fissions la paix. »

Il me répondit :

« Je n'ai pas d'explications à te donner. Tu verras... cette nuit ! »

 

Il me savait un client de la Brasserie.

Je ne doutais pas que ma vie était en danger.

J'emportai donc, mardi soir, par précaution, mon rasoir dans la poche intérieure de mon veston.

Je ne m'en suis pas d'ailleurs servi, monsieur le commissaire.

 

Il était plus de 2 heures lorsque j'entrai à la Brasserie.

J'aperçus Prosper et allai m'asseoir près de lui, avec l'intention de causer amicalement.

« Sortons, me dit-il. Tu pourras me parler, ainsi qu'à mon amie. »

 

À peine dehors, je vis deux groupes de chacun quatre ou cinq Individus.

Moi, j'étais seul.

L'amie de Charbonnier était allée chercher ses amis.

 

Je ne sais qui a tiré les coups de revolver, mais les balles m'étaient destinées.

Me voyant visé, j'eus le temps de me baisser vivement.

Les projectiles passèrent au-dessus de ma tête.

Carle, qui était derrière moi, les reçut à ma place.

Tous mes agresseurs m'ont roué de coups, c'est Prosper Charbonnier qui m'a frappé à coups de couteau.

 

Je n'ai pas vu d'auto en stationnement.

Je me refuse à porter plainte.

 

Pièces à conviction

 

Hier matin, vers 6 heures, un chiffonnier trouva place Wilson deux douilles de revolver du calibre de 6m/m.

Il les remit à l'agent Lagodie, qui omit de prendre le nom de ce chiffonnier.

 

Pendant qu'on lui faisait la transfusion du sang, un rasoir à manche blanc, marque « Fortunatus » tomba des vêtements de Pilon et fut éclaboussé par son sang.

Un infirmier de l'hospice civil remit à M. Courcoux ce rasoir, que Pilon a reconnu hier matin comme étant sa propriété.

 

Enfin, un couteau suisse, réclame d'une maison d'apéritif, fut trouvé dans la poche de Carle.

 

Ces objets furent mis sous scellés et déposés au greffe du tribunal.

 

M. Courcoux passa l'affaire à M. Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, qui continua l'enquête, en présence des membres du parquet.

 

Les recherches du parquet

 

À 16 h. 20, M. Bouriel, procureur de la République, quittait le palais de justice, accompagné de MM. Louis Crenn, juge d'instruction ; Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, et Le Gall, greffier.

 

Les membres du parquet se rendirent au commissariat central pour y prendre connaissance de toutes les informations concernant l'affaire.

Ils opérèrent ensuite une perquisition, 2, rue Guyot.

Les résultats de cette opération ne furent pas très intéressants.

Cependant, les vêtements que Carle portait au moment de la rixe furent saisis, ainsi qu'un pistolet automatique 6 m/m  35, qui fut trouvé dans le tiroir d'un bureau.

 

MM, Bouriel, Crenn et Guillet se rendirent ensuite au domicile de Mme Pilon, mais celle-ci était absente.

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Un joli monde

 

Mme Pilon est une brave femme qui adore son fils.

Elle habite une chambre dans la cour, au 2e étage de l'immeuble portant le n° 43 de la rue de la mairie.

Dans cette chambre, Robert Pilon avait un lit.

Il n'y couchait pas souvent, mais faisait fréquemment à sa mère des demandes d'argent.

La pauvre femme travaillait pour lui en donner.

Le jour, elle était employée à la caserne Fautras ; la nuit, elle faisait des gardes auprès des malades.

 

Le fils était un mauvais sujet.

S'il faisait croire à sa mère qu'il était voyageur de commerce, on ne lui connaissait, en réalité, aucune occupation régulière.

 

Il y a quelques mois — nous l'avons relaté en son temps — pour avoir proféré des menaces de mort contre une jeune fille qui, après renseignements, refusait de l'épouser, Pilon avait été condamné, par défaut, par le tribunal correctionnel, à un an de prison.

Sur appel, la peine avait été réduite à trois mois et, en sortant du Bouguen, où il l'avait purgée, Pilon quitta Brest pour Bordeaux, dit-on, en emmenant avec lui une femme blonde.

 

De Bordeaux, Pilon se serait rendu en Espagne et il n'était que depuis quelques semaines de retour à Brest.

Faut-il voir dans l'enlèvement de cette femme blonde une corrélation avec l'affaire d'hier ?

C'est ce que M. Crenn aura à établir.

 

Le juge d’instruction a ouvert une information contre X... pour blessures volontaires, mais a ordonné de garder à vue Prosper Charbonnier au poste de la rue de la Mairie et Antoinette Perrot, son amie blonde, au poste de la rue Kléber, pour les empêcher de communiquer.

 

« Nénette » attendait, hier en fumant des cigarettes, sans paraître en proie au moindre souci, d'être descendue au violon.

Quand la décision eut été prise, elle dit seulement :

— Laissez-moi mes cigarettes, je vous prie...

— Vous n'avez pas de ceinture ? lui demanda-t-on en lui prenant le sac à main qui les contenait.

— Rassurez-vous, je n'ai nullement l'intention de me suicider.

 

Des témoins

 

Nous avons rencontré, hier après-midi, un commerçant de la place Wilson qui avait, de sa fenêtre, assisté à toute la scène du drame.

 

J'ai d'abord, nous dit-il, entendu le bruit d'une dispute.

J'ai alors vu un groupe d’hommes qui se tenaient au coin des rues d'Aiguillon et Émile Zola.

Puis deux coups de feu ont été tirés.

Aussitôt, une femme appela au secours.

Quelqu'un lui cria : « Taisez-vous ! »

 

« À ce moment une voiture automobile qui se trouvait le long du trottoir, du côté de la « Brasserie de la Marine », est partie en direction de la rue de Siam.

 

« Un homme était blessé, étendu sur te trottoir.

Plusieurs marins argentins qui rentraient à leur bord se précipitèrent à son secours.

Ils tentèrent de mettre en marche une voiture qui se trouvait en stationnement pour emporter le blessé vers l'hôpital.

N'ayant pu mettre leur projet à exécution, ils se mirent en quête d'un taxi, mais en vain.

 

« Des médecins avaient été alertés.

Ils dispersèrent alors les curieux.

Je me souviens que Mme Pilon criait dans la rue :

« C'est une femme qui est cause de cela. Ils étaient six contre mon fils. »

 

Pilon avait acheté la veille des balles de revolver

 

Nous avons appris par un témoin du drame que Pilon avait, lundi matin, acheté des balles de revolver chez un armurier de la rue d'Algésiras.

— Pilon, nous dit celui-ci, est bien venu chez moi pour faire l'achat en question.

Je lui ai demandé ses papiers, ainsi que je devais le faire.

« Comme il n'en avait pas sur lui, il est retourné à son domicile pour en chercher.

« À son retour, il m'a montré un laisser-passer consulaire délivré dernièrement à Barcelone par le consul de France. »

 

Notre interlocuteur nous montre alors son grand livre, sur lequel ces indications étaient consignées.

 

— Pilon, poursuit-il, m'a acheté une boite de 25 cartouches de 6 millimètres 35.

Je n'imaginais évidemment pas, avant que vous m'en parliez, que cet achat pouvait avoir un rapport avec le drame de cette nuit.

 

Rappelons que, précisément, l'agent cycliste Tocquer a retrouvé sur les lieux du drame deux douilles du calibre indiqué plus haut.

L'usage des balles de 6 millimètres 35 est assez courant et cela ne peut, pour l'instant, permettre d'établir les responsabilités.

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Qui a tiré ?

 

Quelques précisions ont pu être établies.

On connaît la voiture qui a amené Carle blessé à l'hospice civil.

Ce serait celle d'un de ses voisins de la rue Guyot, ce qui semble prouver que la déclaration qu'il a faite à M.Courcoux, affirmant qu'il ne connaissait aucune des personnes présentes lors de la rixe, n'est pas l'expression de la vérité.

 

Quand Nénette dit qu'elle ne connaît rien à cette affaire, on peut croire qu'elle ment.

Quant à la déclaration de Pilon, elle est sujette à caution.

 

L'affaire en est là pour le moment.

Le fait que les deux blessés se refusent à porter plainte prouve aussi que, dans le milieu spécial où s'est passé ce drame, on n'aime pas beaucoup voir la Justice s'en mêler.

 

On dit que Pilon connaissait des « secrets » qu'il était disposé à dévoiler à la police pour se débarrasser de ses ennemis.

En a-t-il fait la menace, ce qui a hâté la décision de l'exécuter dès mardi, ou bien n'est-ce pas lui, au contraire, qui a tiré ?

Il faudrait alors supposer qu'un revolver dans la main droite, il se serait blessé lui-même en tombant sur le rasoir qui se serait ouvert dans la poche gauche de son pantalon.

 

Ce vêtement, souillé de son sang, porte une, coupure entre la poche gauche et le genou.

Dans quel sens a-t-elle été faite, de l'intérieur ou de l'extérieur ?

 

Mme Pilon mère a emporté chez elle le pantalon.

On l'a recherchée hier, toute la soirée, sans pouvoir l'atteindre, pour perquisitionner en sa présence dans sa chambre.

À 21 heures, elle n'avait pas regagné son domicile.

 

D'autre part, des témoins dignes de foi ont affirmé avoir entendu des gens du milieu plus ou moins mêlés à cette affaire dire :

« Il ne perdra rien pour attendre ; son sort sera réglé à sa sortie de l'hospice. »

 

Mme Carle a demandé que son mari quitte l'hospice pour se faire soigner dans une clinique.

Son transfert, étant donné la gravité de son état, n'a pas été jugé possible hier.

 

M. Crenn, juge d'instruction, et M. Guillet, chef de la sûreté, s'occupent activement de retrouver le coupable.

 

Un fonctionnaire, habitant dans l'hôtel de la rue d'Aiguillon une chambre contiguë à celle du couple Nénette-Charbonnîer, qui se trouvait à la brasserie quand la dispute prit naissance, a assisté au drame ;

il a même tenté d'intervenir pour calmer les combattants.

Entendu hier, il a fait une déposition qui n'a malheureusement pas permis de savoir qui a tiré.

 

Il sera interrogé à nouveau aujourd'hui par M. Crenn et, peut-être, un indice permettra-t-il d'éclairer cette mystérieuse affaire.

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Source : La Dépêche de Brest 21 mai 1937

 

Connaîtra-t-on jamais de façon exacte, comment s'est déroulé ce règlement de comptes entre gens du milieu, dans la nuit de mardi à mercredi, à l'angle des rues d'Aiguillon et Émile Zola ?

 

Des nombreuses déclarations reçues hier par M. Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, il émane de telles contradictions qu'il est bien difficile de démêler la vérité.

 

Toutefois, M. Crenn, juge d'instruction, a relevé contre Prosper Charbonnier et petit Louis Pilon des charges assez graves pour les inculper tous deux de blessures volontaires :

Prosper a été écroué au Bouguen ;

Pilon, qui revient de loin et n'a échappé à la mort que grâce à la prompte intervention des docteurs Le Flamenc et Pouliquen, est gardé, salle Saint-Côme, à l'hospice civil.

 

Le deuxième blessé : Georges Carle, dont l'état est toujours grave, a été transféré hier matin dans une clinique.

 

Ce que dit Prosper Charbonnier

 

Âgé de 52 ans, Prosper Charbonnier est né à Angers le 30 septembre 1885.

Il a déjà subi de nombreuses condamnations pour coups, escroquerie, vol au rendez-moi, etc. et prétend exercer le métier de marchand-forain.

 

Charbonnier donna d'abord l'emploi de son temps qui consista, dans l'après-midi de mardi, à sortir à 13 heures de l'hôtel de la rue d'Aiguillon où il habite avec son amie Antoinette Perrot, à se rendre chez son coiffeur et, après avoir pris le café, à se promener dans la rue de Siam, avant d'aller diner avec Nénette.

 

Prosper la quitta pour aller jouer au bridge avec trois partenaires qu'il trouva dans un bar de la rue Louis Pasteur.

 

Les parties se prolongèrent jusqu'à minuit 15.

Prosper se rendit dans un dancing avec les trois autres joueurs.

 

Au dancing, il assista à une discussion entre le patron et un matelot argentin.

Prosper s'interposa et le marin l'ayant menacé, il lui porta un violent coup de tête à la figure, ce qui, d'après lui, explique les blessures qu'il portait au sommet du crâne, d'où le sang avait coulé et taché les cols de son veston et de sa chemise.

 

À 1 heure 30, il quittait le dancing pour la brasserie en compagnie de Nénette.

En arrivant dans la salle du café au rez-de-chaussée, il aperçut petit Louis Pilon.

 

Petit Louis lui avait téléphoné dans l'après-midi, disant qu'il désirait lui parler.

Il l'invita à sortir, pour causer plus à l'aise ; petit Louis acquiesça.

 

Sa mère se trouvait sur le trottoir.

Elle dit à son fils :

« Petit Louis, ne fais pas de bêtise ».

Mais celui-ci l'écarta :

« Va-t-en, maman », lui dit-il.

 

— Petit Louis, poursuit Charbonnier, m'invita à le suivre vers la place Wilson.

Nous avions parcouru cinq à six mètres dans cette direction, quand Carle, qui descendait la rue Émile Zola, vint vers nous pour demander ce qui se passait.

 

En même temps que petit Louis lui répondait :

« Ça ne te regarde pas », il lui allongeait un direct au visage.

 

Carle se jeta sur petit Louis.

Tous deux roulèrent à terre, petit Louis dessous.

Deux coups de feu claquèrent.

Je ne sais lequel des deux a tiré, mais je crois que c'est petit Louis, car le deuxième coup a été tiré de bas en haut.

 

Sa mère lui avait dit de ne pas faire de bêtises ;

elle savait donc, insiste Prosper, qu'il portait un revolver.

Quand j'ai entendu les deux détonations, je suis parti et suis rentré à l'hôtel vers 2 heures du matin.

 

Comme la veille Nénette avait déclaré qu'elle ignorait tout de l'affaire, M. Guillet demande à Charbonnier :

 

— Votre amie assistait-elle à la scène ?

— Oui, dit Prosper, elle a tout vu.

Nous sommes allés tous deux à l'hôtel après.

Personne ne nous y a vus rentrer.

 

— Pourquoi petit Louis avait-il un besoin si urgent de vous parler ?

— Je ne puis, pour le moment, vous en indiquer la raison.

Je n'avais Jamais eu de discussion avec lui, ne le connaissant que depuis une huitaine de jours.

Je n'avais eu qu'une fois l'occasion de lui adresser la parole au café.

Deux mots seulement :

« Soyez correct. »

 

— Cependant, dit M. Guillet, Pilon connaissait votre amie ?

— Je l'ignore.

— Pourquoi alors lui avez-vous demandé de sortir de la Brasserie ?

— Je l’avais invité à ma table.

Il était venu s’assoir près de moi.

Comme il parlait un peu fort, je l’'ai prié de sortir, pour éviter de faire du scandale dans l’établissement.

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Antoinette revient sur ses déclarations de la veille

 

Nénette a passé la nuit au violon.

Elle n'a guère dormi sur la dure planche du lit de camp.

Au jour seulement, elle succomba au sommeil, mais, dès, 8 heures, une clef tournant dans la serrure l'éveilla.

Avec sollicitude, un agent venait lui demander si elle désirait prendre son petit déjeuner.

— Merci répondit-elle, je n'ai pas faim.

C'est tout de même malheureux, quand on n'a rien fait de passer ainsi une nuit sur la dure.

Ce n'est guère confortable ici.

Je me suis promenée dans cet étroit espace une partie de la nuit.

 

Quelques instants après, on la conduisit dans le cabinet du chef de la sûreté.

 

— Votre intérêt, lui dit M. Guillet, est de dire la vérité.

Voyons, racontez-nous franchement ce qui s'est passé.

— Il y a six mois, dit Nénette.

Louis Pilon m'a proposé de se mettre en ménage avec moi.

Il m'a menacée plusieurs fois de mort, si je ne consentais pas à partir avec lui.

J'ai toujours refusé, mais Je n'en ai jamais parlé à Prosper.

Pilon avait quitté Brest.

Je ne l'ai revu que depuis une quinzaine de jours, mais je ne lui ai jamais adressé la parole.

 

— Pourquoi alors ces discussions avec votre ami ?

— J'ignore tout de ces discussions.

Avant-hier, vers 1 h. 30, je suis allée à la Brasserie avec Prosper.

Pilon était assis à une table.

Charbonnier lui a fait signe de venir près de nous.

Tous deux ont causé à voix basse.

Je n'entendais pas bien.

Toutefois, J'ai cru comprendre que Charbonnier disait :

« Tu n'avais pas besoin de me téléphoner, tu sais bien où tu peux me voir. »

 

La conversation ne dura, d'ailleurs, que quelques minutes.

Charbonnier me dit :

« Viens, on s'en va. »

Je sortis la première.

Ils me suivirent tous deux;  puis, en traversant la rue d'Aiguillon, ils passèrent devant ;

je marchais à deux ou trois mètres derrière eux.

 

Carle descendait la rue Émile Zola.

Il demanda à Charbonnier ce qui se passait.

Pilon, très excité, faisait de grands gestes.

Une femme âgée, vêtue de noir, qui se trouvait à l'angle des rues d'Aiguillon et Émile Zola, cria :

« Non, Louis, ne fais pas cela! »

 

Pilon donna un coup de poing à Carle, qui riposta.

Ils s'empoignèrent.

Charbonnier tenta de les séparer, mais les deux antagonistes roulèrent à terre, Pilon dessous.

 

Je vis jaillir une flamme de sa main droite, suivie d'une détonation.

Carle fit : « Ah! »

Un deuxième coup de feu claqua.

 

J'avais cru voir dans la main de Pilon un objet de couleur sombre.

Charbonnier, après la première détonation, avait voulu dégager Carle.

 

C'est tout ce que j'ai vu, c'est tout ce que je sais.

Je me suis sauvée en courant, après le deuxième coup de feu, et suis rentrée directement à l'hôtel, où Charbonnier vint me rejoindre une demi-heure après.

Il me dit que Carle, blessé, avait été transporté à l'hôpital.

Il ne me parla pas de Pilon.

 

Mme Pilon précise ses déclarations

 

La mère du blessé est employée comme cuisinière au 2e R. I. C.

Elle est introduite à son tour dans le cabinet de M. Guillet qui la prie, puisqu'aujourd'hui plus rassurée sur la santé de son fils, et par conséquent plus calme, de lui dire tout ce qu'elle sait.

 

— Mon fils Louis, dit la pauvre maman habitait avec moi, 43, rue de la Mairie.

« Depuis une dizaine de jours, il me faisait part des menaces dont il était l'objet de la part de Prosper.

 

« Il m'avait quittée, mardi, vers 22 heures.

Inquiète de ne pas le voir rentrer à minuit, je suis allée à la « Brasserie ».

J'ai regardée à travers les vitres à l'intérieur.

Je n'ai pas vu mon fils et suis rentrée chez moi.

« Vers 1 h. 30, mon inquiétude grandissant, je sortis à nouveau.

Cette fois j'aperçus mon fils à une table.

Je suis allée me dissimuler dans l'entrée du « Palais de la Nouveauté ».

 

« Un quart d'heure après, je vis venir de la rue de Siam une auto, d'un modèle ancien.

Plusieurs personnes, dont M. M..., en descendirent et entrèrent dans l'établissement de nuit.

Le conducteur avait garé sa voiture rue Émile Zola.

 

« Ensuite, une femme blonde, vêtue d'une robe claire, sortit de la « Brasserie » et se dirigea en courant vers la rue de Siam.

Marchant vite, elle revint quelques instants après et pénétra à nouveau dans le café.

 

« Je traversai la rue et me plaçai à côté de la porte.

Une auto couleur marron clair stoppa.

Quatre hommes en descendirent, jetèrent un coup d'œil à l'intérieur du café et, parlant bas, reculèrent sur le trottoir en face.

J'entendis l'un d'eux dire :

« Il n'y a qu'à le faire sortir ».

 

« Un homme assez grand, vêtu d'un complet gris clair, entra.

Quelques secondes après je vis sortir mon fils.

Il se dirigea vers le trottoir.

Un homme s'avança vers lui.

Mon fils lui tendit la main, mais il fut frappé d'un coup de poing qui le fit tomber.

 

« Trois hommes surgirent de la rue Émile Zola et se jetèrent sur mon fils qu'ils frappèrent à coups de pied et de poing.

 

« Je vis le sang jaillir.

Je criai : « Au secours ! ».

Puis j'entendis une seule détonation, sans pouvoir me rendre compte d'où elle provenait.

 

« Quelques instants après les agresseurs montaient en auto. »

 

— Pourquoi votre fils avait-il pris un rasoir ?

— j'ignorais qu'il en avait un sur lui.

— Et son revolver ?

— Je n'en ai jamais vu en sa possession.

— Pourtant, il avait acheté des cartouches ?

— Je ne sais pas. Il ne m'en a pas parlé.

— Avez-vous vu quelqu'un sortir avec votre fils de la « Brasserie » ?

— Non.

— Et la femme blonde ?

— Elle était près de moi sur le trottoir de la « Brasserie ».

— Pourquoi avez-vous dit à votre fils : « Ne fais pas cela » ?

— Je n'ai jamais prononcé ces mots-là.

J'ai dit : « Retire-toi, viens avec moi ».

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Les téléphonistes

 

Deux charmantes téléphonistes d'un hôtel de la rue de Siam, sont un peu émues de se trouver mêlées à cette affaire.

Introduites l'une après l'autre, elles font toutes deux, à peu de chose près, la même déclaration.

 

— Samedi, entre 15 et 16 heures, un jeune homme que l'on connaissait sous le prénom de Louis, vint à l'hôtel.

Il s'arrêta au téléphone et causa avec nous.

Un homme plus âgé arriva et lui dit :

« J'ai deux mots à te dire. »

 

Tous deux se rendirent dans le jardin d’hivers, désert à cette heure.

Le plus âgé dit à Louis :

« Tu te permets de téléphoner à ma femme ? »

 

Nous entendîmes un bruit de chaises remuées.

Louis tenait un guéridon.

Son interlocuteur lui dit :

« En sortant d'ici, dix balles dans le ventre t'attendent. »

Puis il sortit par la porte du café.

 

Louis revint au téléphone, feuilleta l’annuaire et s'écria :

« Non, j'y vais comme ça » et il sortit par le café.

 

Charbonnier est de nouveau introduit

 

Prosper Charbonnier fut extrait du violon où on l'avait enfermé et introduit à nouveau.

M. Guillet lui donna connaissance des renseignements qui venaient de lui être donnés:

 

— Je reconnais que j'étais en mauvais termes avec Pilon, finit-il par avouer, mais je ne puis encore vous dire pourquoi.

Il est exact que j'ai échangé quelques mots avec lui dans l'hôtel.

Notre conversation s'est poursuivie dans la rue.

 

— De quoi parliez-vous ?

— Je ne puis vous dire le sujet de notre conversation.

Mais je n'ai jamais menacé, ni parlé de balles dans le ventre.

 

Autres témoignages

 

Une douzaine de « témoins » sont encore introduits.

Les uns étaient dans le café.

Ils sont sortis au bruit des appels « Au secours ! » et des détonations, mais n'ont en réalité, rien vu pouvant apporter une précision à l'enquête.

 

Une femme de chambre de l'hôtel de la rue d'Aiguillon, qui prend son service à 19 heures et le quitte à 6 heures du matin si elle ne connaît rien du drame, fournit quelques précisions sur les heures d'entrées et de sorties de Prosper et de Nénette.

 

Nénette est rentrée seule à 2 heures, 2 h. 30 et 3 heures.

Son ami à 3 h. 45.

Il est ressorti une demi-heure après, est resté absent trois quarts d'heure, est rentré pour la deuxième fois entre 4 h. 30 et 5 heures pour ne plus ressortir ni l'un ni l'autre.

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L'auto qui conduisit Carle, blessé, à l'hospice

 

M. Vareix, « hôtelier », 1, rue Guyot, est le conducteur de la voiture qui conduisit Carle, blessé, à l'hospice.

 

— J'étais arrivé à la Brasserie, vers deux heures, avec deux amis, dit-il.

J'avais rangé mon auto près de la deuxième porte, l'avant vers la rue de Siam.

 

J'ai vu Pilon aller parler à Charbonnier et Antoinette, puis regagner sa table.

Charbonnier sortit, suivi par Pilon.

Nous poursuivîmes, mes amis et moi, notre conversation.

Quand nous entendîmes crier :

« Au secours! ».

Tous les consommateurs sortirent.

En ouvrant la porte, on entendit deux coups de feu.

 

Carle assis sur le trottoir, se tenait l'abdomen et disait :

« Je suis touché. »

Pilon à terre tentait en vain de se relever et se trainait en s'adossant au mur.

Mes amis relevèrent Carle, le mirent dans ma voiture.

Je me suis mis au volant et le conduisis à l’hospice.

 

Une demi-heure après, je revenais à la Brasserie, n’y restais que cinq minutes et l’allais prévenir Mme Carle de « l’accident » survenu à son mari.

 

En allant la prévenir, j'aperçus Charbonnier, seul, descendant la rue Louis Pasteur, entre la place Marcellin Berthelot et la rue Guyot.

Je n'ai vu personne frapper Pilon.

 

La scène du drame vue par un témoin

 

Un témoin, M. X..., qui se trouvait au moment du drame à la Brasserie de la Marine, a pu fournir quelques indications précises aux enquêteurs.

 

Il se trouvait attablé dans un coin de la salle donnant rue Émile Zola.

Pilon jouait aux cartes avec plusieurs amis, dont l'un d'eux n'a pas été, jusqu'à présent identifié.

C'est alors que sont entrés 7 à 8 consommateurs qui prirent place en face de la vitrine donnant rue d'Aiguillon.

Vers 2 h. 15, la partie de carte fut interrompue et l'homme qui se trouvait assis près de Pilon est parti.

Quelques instants plus tard, la bagarre tragique se produisait.

S'étant porté sur le seuil de l'établissement, le témoin vit plusieurs hommes qui se battaient.

 

Avant de sortir dans la rue, Pilon avait dit à ses partenaires :

« Excusez-moi, il faut que je parte.

On m'attend dehors ».

Il était alors très pâle et semblait inquiet.

 

Dans le groupe de personnes que la police cherche à identifier, on a reconnu un certain A..., représentant de commerce, qui sera sans doute interrogé aujourd'hui.

 

Une enquête de la police spéciale

 

M. Hornez, commissaire spécial, a été chargé hier matin de procéder à une enquête à bord

du cuirassé argentin « Rivadavia », pour retrouver les marins qui, ainsi que nous l'avons dit, étaient arrivés sur les lieux du drame peu d'instants après que les coups de feu avaient été tirés.

 

M. Hornez a recueilli les déclarations des trois matelots en question, mais ceux-ci n'ont pas pu fournir de renseignements susceptibles d'apporter à l'enquête des éléments nouveaux.

 

Les perquisitions

 

Une perquisition faite au domicile de M. Pierre Vareix n'a donné aucun résultat.

 

Celle faite, 43, rue de la Mairie, au domicile de Mme Pilon, a permis de saisir un veston, un gilet et un pantalon tachés de sang.

Dans la poche intérieure, un mouchoir plié en était entièrement imbibé.

Sur la jambe gauche du pantalon, à hauteur de la cuisse, existent trois déchirures superposées, les deux du dessus nettes et horizontales, l’autre en forme de V renversé.

 

La perquisition faite chez Carle a permis de saisir un veston, un pantalon et une chemise maculés de sang.

La chemise à hauteur de la ceinture et à gauche porte une perforation par entrée de balle entourée d'une auréole brune paraissant indiquer que le coup a été tiré à bout portant ou même à bout touchant.

 

Un pistolet automatique et un chargeur avec ses six balles ont été également saisis.

Le tout, placé sous scellés, a été déposé au greffe du tribunal.

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AU PARQUET

 

Hier au soir, à 18 h. 30, Prosper Charbonnier, 52 ans, marchand forain, a été conduit au parquet par deux inspecteurs de la sûreté.

Il fut aussitôt entendu par M. Louis Crenn, juge d'instruction.

 

M. Crenn notifia alors au « témoin » qu'il l'inculpait de coups et blessures volontaires.

Prosper Charbonnier protesta de son innocence.

Il affirma qu'il n'avait ni menacé, ni frappé Pilon.

Cependant il convint que le drame s'était passé en sa présente.

 

Après un interrogatoire très bref, Charbonnier a été placé sous mandat de dépôt.

 

La même inculpation a été notifiée, à l'hospice civil, à Louis Pilon.

 

Ce n'est que par la suite que l'on pourra savoir si les inculpations relevées pourront être transformées en

« tentative de meurtre ».

En ce cas, l'affaire serait évoquée devant les assises.

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Source : La Dépêche de Brest 22 mai 1937

 

Toutes les personnes qui se trouvaient à la Brasserie de lb Marine dans la nuit de mardi à mercredi ont pu être identifiées et ont été convoquées par M. Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, qui transmettra aujourd'hui le volumineux dossier de cette affaire à M. Crenn, juge d'instruction.

 

Les dépositions reçues hier ne projettent aucun jour nouveau sur l'affaire. Les consommateurs sont sortis du café en entendant 'es appels au secours poussés par la mère de Pilon, ont entendu les détonations et vu les blessés. C'est tout.

 

Le conducteur de la voiture laissée en stationnement rue Émile Zola, dont avait parlé Mme Pilon, est connu.

C'est un représentant de commerce, venu prendre un bock avec un ami.

Tous deux avaient quitté la Brasserie avant le drame.

 

Mme Carle est venue donner l'emploi du temps de son mari ;

M. Carle, revenant du cinéma, était rentré chez lui, rue Guyot.

Il s'était étendu sur son lit et avait essayé de lire, mais le bruit qui se faisait dans l'établissement l'en empêchant, il était sorti vers minuit 30.

 

À l'hospice

 

M. Guillet s'est rendu, hier matin, à l'hospice civil pour interroger Louis Pilon, qui a renouvelé ses premières déclarations.

Le chef de la sûreté lui a fait remarquer de nombreuses contradictions avec les récits de témoins.

Mais Pilon n'a pas voulu reconnaître que c'était lui qui avait tiré et a prétendu ne pas savoir qui l'avait frappé.

 

L'état du blessé s'améliore, mais son état de faiblesse n'a pas permis de prolonger l’interrogatoire.

 

À la clinique

 

M. Guillet s'est ensuite rendu à la clinique où M. Carle avait été transporté la veille.

Son état est toujours grave, mais on espère le sauver.

 

Carle a renouvelé ses précédentes déclarations.

Le chef de la sûreté lui a aussi fait observer le peu de créance qu'on pouvait leur accorder, après les récits concordants de plusieurs témoins, en particulier celui fait le matin par M. Le Bras.

 

Devant l'état de faiblesse du blessé, M. Guillet n'insista pas, remettant à plus tard le soin de l'interroger plus longuement.

 

Un témoignage important

 

En somme, le seul fait important de la journée fut l'audition de M. Le Bras, qui accompagnait, avec un M. Joseph, M. Vareix. demeurant 1, rue Guyot.

 

M. Le Bras avait vu à la Brasserie, Pilon aller s'attabler avec Charbonnier et Nénette.

Il avait entendu les deux hommes se disputer ou du moins parler très fort, puis tous trois étaient sortis.

 

Quelques instants après, de la rue, des appels « Au secours » parvinrent.

 

MM. Vareix, Joseph et Le Bras s'élancèrent dans la rue.

 

Sorti le premier, M. Le Bras prétend avoir vu deux hommes à terre.

Il aurait eu le temps d'apercevoir une flamme presque au ras du sol. suivie aussitôt d'une détonation, puis une autre flamme dirigée en l'air et en oblique : deuxième coup de feu.

 

Avec M. Joseph. M. Le Bras s'était porté au secours de Carle, l'avait déposé dans la voiture de M. Vareix pour conduire le blessé à l'hospice civil.

 

M. Le Bras a affirmé que, quand il est sorti du café, il n'y avait que deux hommes allongés sur le sol :

Carle et Pilon; Charbonnier était debout près d'eux; Antoinette et Mme Pilon se trouvaient sur le trottoir.

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Comment les enquêteurs voient la scène tragique

 

D'après ce témoignage, certains enquêteurs reconstituaient la scène tragique de la nuit de mardi à mercredi de la façon suivante :

 

Pilon et Charbonnier sont en mauvais termes :

le premier a voulu enlever Nénette à Prosper.

Ils se sont disputés dans un café

— les deux téléphonistes ont entendu les menaces faites par Charbonnier

— la querelle s'est poursuivie dans la rue.

 

Les deux hommes ont décidé de « s'expliquer », ce qui dans l'argot de leur monde comporte des risques.

 

Pilon emprunte un revolver, achète des cartouches et se rend au rendez-vous à la Brasserie.

Il rencontre Charbonnier. Après un court échange de mots, ils sortent.

La dispute se poursuit au dehors.

 

Carle arrive.

Il connaît les antagonistes.

Il demande ce qui se passe.

Pilon lui répond que cela ne le regarde pas et donne un coup de poing à Carle, qui riposte.

Les deux hommes roulent à terre.

Carle est dessous.

 

À ce moment, Charbonnier frappe Pilon de coups de couteau à la cuisse gauche.

L'artère fémorale est tranchée. Le sang gicle.

 

Pilon prend son revolver et, le canon à hauteur de la ceinture de Carle, il tire.

Les traces noirâtres laissées autour du trou fait dans la chemise par la balle, indiquent que le coup est parti de très près: Carle a les intestins perforés.

Les amis de Carle le transportent à l'hospice.

 

Pilon est seul.

Il se traîne sur le trottoir, perdant son sang.

Personne, à part sa mère, ne s'occupe de lui.

 

Les docteurs Pouliquen, Bienfait et Le Flamanc arrivent heureusement et lui donnent des soins.

L'ambulance municipale le transporte à l'hospice dans la même salle que Carle.

 

Dès le deuxième coup de feu, Nénette a fui.

Elle rentre à son hôtel.

Charbonnier s'est aussi sauvé, mais n'est arrivé à l'hôtel qu'une heure et demie après son amie.

 

Qui a pris le couteau et le revolver?

 

M. Vareix, nous l'avons dit hier, après avoir conduit Carle à l'hospice, est allé rue Guyot aviser Mme Carle de ce qui venait de se passer.

 

Il a vu rue Louis Pasteur, entre la place Marcelin Berthelot et la rue Guyot, Prosper Charbonnier.

Celui-ci prétend qu'il ne se souvient pas être allé rue Louis Pasteur, après le drame. Pourquoi ?

 

Le couteau qui a frappé Pilon et le revolver qui a blessé Carle n'ont pas été retrouvés.

Cependant, un témoin a affirmé avoir vu le pistolet automatique sur la chaussée, près de la mare de sang.

Que sont devenues ces armes ?

 

On peut supposer qu'elles ont été ramassées par Charbonnier et que c'est pour s'en débarrasser qu'il s'est rendu rue Louis Pasteur.

C'est du moins l'hypothèse émise par l'un des enquêteurs.

 

La mère de Pilon, pour sauver son fils, a pu aussi prendre le revolver.

Le récit qu'elle a fait de la scène parait bien invraisemblable.

Il faut évidemment tenir compte de l'état d'affolement dans lequel se trouvait la pauvre femme.

 

Des recherches sont faites pour retrouver les armes.

M. Crenn, juge d'instruction, après avoir coordonné toutes les dépositions recueillies par M. Guillet, interrogera à nouveau les principaux témoins et acteurs de ce drame du milieu et finira bien par connaître la vérité.

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AU PARQUET

 

Pilon n'a pu être entendu hier par le juge d'instruction

 

M. Crenn, juge d'instruction, accompagné de M. Cocaign, greffier, s'est rendu hier, à 16 heures, à l'hospice civil, pour y interroger Pilon.

 

Celui-ci, qui avait, peu avant dû subir une opération sous anesthésie, ne se trouvait pas en état de répondre au juge. L'interrogatoire a dû, en conséquence, être ajourné.

 

Rappelons que M. le docteur Teurnier, médecin légiste, a été commis pour examiner les deux blessés victimes de cette lamentable affaire.

 

*

**

 

La personne qui, mercredi matin, a trouvé deux douilles de revolver, à l'angle des rues d'Aiguillon et Emile Zola, est priée de se faire connaître au commissariat de la Sûreté, 32, rue Kléber.

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Source : La Dépêche de Brest 24 juillet 1937

 

Cette affaire assez ténébreuse qui se déroula dans un milieu spécial où les langues ne se délient pas facilement, a eu son dénouement hier après-midi devant le tribunal correctionnel, présidé par M. Hameury, assisté de MM. Crenn et Démangeat, juges.

M. Hubert, occupait le siège du ministère public et M. Pommier, celui de greffier.

 

Rappelons les faits qui ont amené sur les bancs de la correctionnelle :

Prosper Charbonnier, 52 ans ; Louis Pilon, 25 ans et Georges Carle, 33 ans.

 

C'était dans la nuit du 18 au 19 mai dernier.

Vers 2 h. 15, les habitants de la rue d'Aiguillon furent réveillés par deux coups de feu et le bruit d'une violente discussion.

Sur la chaussée en face du trottoir de la Brasserie de la Marine, un homme jeune gisait, perdant en abondance son sang qui s'échappait d'une plaie à la cuisse.

L'artère fémorale avait été sectionnée.

Le blessé, Louis Pilon, fut transporté d'urgence à l'hospice civil après une prompte intervention de MM. les docteurs Pouliquen, Le Flamenc et Bienfait.

 

Un autre personnage avait été atteint d'une balle de revolver dans le ventre et avait été emmené par des amis.

 Il s'agissait de Georges Carle, 33 ans, propriétaire d'une maison close, 2, rue Guyot.

 

On sait que les enquêteurs chargés d'éclaircir cette rixe, se heurtèrent à de nombreuses variations de la part des antagonistes dans leurs déclarations.

 

Dès qu'on put l'interroger, Louis PiIon accusa le nommé Prosper Charbonnier, 52 ans, dont la maîtresse,

la blonde « Nénette », fut la cause du drame.

Pilon et Charbonnier s'étaient brouillés, le second reprochant au premier de lui enlever sa maîtresse.

Quelques jours avant le drame, Charbonnier aurait menacé Pilon.

 

Pilon qui savait sa vie en danger, avait mis un rasoir dans sa poche et quand le mardi soir il entra à la Brasserie dont il était un client assidu, il y rencontra Charbonnier, attablé avec son amie.

Pilon se dirigea vers le couple, mais aussitôt Charbonnier se leva pour sortir.

 

C'est à ce moment qu'eut lieu le drame.

Pilon fut frappé de deux coups de couteau.

Carle qui était venu à l'aide de Charbonnier reçut une balle dans le ventre.

Pilon accusa alors Charbonnier de lui avoir porté des coups de couteau, mais déclara ignorer qui s'était servi d'un revolver.

 

Les deux blessés, Carle et Pilon, refusèrent de porter plainte.

 

L'enquête avait cependant permis d'établir que Robert Pilon s'était rendu la veille acquéreur d'une boite de 25 cartouches de 6 m/m 35.

Il avait présenté à l'armurier qui lui demandait des papiers, un laissez-passer délivré par le consul de France à Barcelone lors de son passage en Espagne.

 

Deux douilles de ce calibre furent retrouvées par l'agent Tocquer sur les lieux du drame.

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Quant à Antoinette Perrot qui avait assisté à la discussion qui devait finir si tragiquement, elle raconta à M. Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, que Louis Pilon lui avait demandé de quitter Brest avec lui.

Antoinette s'y était refusée et n'aurait, parait-il, pas mis Charbonnier au courant de ces faits.

Après s'être absenté de Brest, Louis Pilon y revint une quinzaine de jours avant la scène de la rue d'Aiguillon.

 

La femme expliqua ensuite comment s'était déroulée la rixe :

« J'étais allée à la Brasserie avec Charbonnier vers 1 h. 30.

Pilon qui était assis à une table vint nous trouver sur un signe de mon ami.

Ils ont causé à voix basse, puis nous partîmes.

Je sortis la première puis en traversant la rue d’Aiguillon, Pilon et Charbonnier passèrent devant moi.

À ce moment j’ai vu Carle qui descendait la rue Émile Zola.

Il demanda à Charbonnier ce qui se passait en apercevant Pilon très excité.

 

Une femme (c'était la mère de Pilon, qui n'ayant pas vu son fils de toute la soirée et au courant de ses habitudes était venue à sa rencontre près de la Brasserie) cria :

« Non, Louis ne fais pas cela ! »

 

Pilon donna un coup de poing à Carle et aussitôt tous les deux roulèrent à terre.

« Je vis jaillir une flamme de la main de Pilon qui se trouvait dessous.

Carle fut touché.

Un deuxième coup de feu claqua.

Après la première détonation, Charbonnier avait voulu dégager Carle ».

 

Telle fut la deuxième déposition d'Antoinette Perrot.

 

Mme Pilon qui se tenait dehors quand apparut son fils, déposa cependant dans un autre sens.

C'est Louis Pilon qui, le premier, aurait reçu un coup de poing.

Trois hommes se jetèrent ensuite sur lui, puis Mme Pilon, après n'avoir entendu qu'une seule détonation, vit les individus repartir en auto.

Mme Pilon prétendit en outre ignorer que son fils avait emporté son rasoir et qu'il avait acheté un revolver.

De plus, elle n'a pas dit comme le déclare la fille Perrot :

« Ne fais pas cela », Mais, « Retire-toi, viens avec moi ».

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L'audience

 

Les trois hommes ont pris place côte à côte sur le banc des inculpés, assistés de leurs défenseurs, Me Kerneis et Pellier, du barreau de Cognac.

Seul, Carle n'a pas d'avocat.

 

Le président Hameury rappelle les inculpations :

Charbonnier est inculpé d'avoir porté des coups et fait des blessures à Pilon ;

Pilon, de coups et blessures à Carle et ce dernier de coups à Pilon.

 

Portant beau, élégamment vêtu, Carle, propriétaire d'une maison de tolérance, est interrogé le premier.

— Je suis tout à fait étranger à cette affaire, dit-il.

Carle se défend d'être du milieu.

Le président. — De par votre profession vous en approchez.

L'inculpé reconnaît avoir bousculé Pilon à la sortie de la Brasserie de la Marine.

Il prétend s'être trouvé sur les lieux tout à fait par hasard.

 

Le président rappelle en passant les blessures graves que reçurent Pilon et Carle.

C'est miracle qu'ils furent ramenés à la vie.

Aujourd'hui les deux blessés ne paraissent pas avoir frôlé la mort de si près.

Carle a néanmoins toujours dans le corps la balle qu'il a reçue.

 

On en vient à une conversation orageuse qui se déroula, dans un hôtel de la rue de Siam, entre Pilon et Charbonnier.

Une téléphoniste entendit nettement ce dernier dire à Pilon :

« Si tu cherches à revoir mon amie, je te flanquerai six balles dans le ventre ».

 

Charbonnier. — Quand j'ai su que Pilon voulait « remettre ça » avec ma maîtresse, j'ai dit :

« Ne crois pas que je te donnerai encore 600 « balles » (sic).

Il ne s'agissait pas de balles de revolver. »

 

J'avais en effet consenti, à Bordeaux, quand j'ai repris ma maîtresse à Pilon, à lui remettre 600 francs.

Il m'en demandait mille.

 

On questionne Pilon au sujet du revolver et du rasoir qu'il portait.

(illisible)

Pilon. — Menacé par Charbonnier, je me suis armé.

 

On sait maintenant que c'est lui qui tira sur Carle pour se défendre.

Il le reconnut trois semaines après le drame.

Le président qui désire savoir par qui a été blessé Pilon, demande à Charbonnier ;

qui a porté le coup de couteau ?

 

Charbonnier. — J'ai cru que Pilon s'était blessé lui-même.

— Cela est invraisemblable.

L'inculpé venait de parler à sa mère quand il reçut un coup de poing en plein visage.

À ce moment il n'y avait que lui, Carle et Charbonnier.

Pilon. — Blessé à la cuisse et couché à terre, j'ai sorti mon revolver et tiré au hasard.

 

On peut alors expliquer la scène de la façon suivante :

Charbonnier et Pilon ont roulé ensemble sur la chaussée.

Carle intervient et veut dégager les deux hommes.

C'est alors que Pilon, qui vient d'être frappé, fait feu.

 

Le ministère public à Charbonnier. — Vos vêtements portaient des taches de sang ?

— Oui.

 

L'inculpé ne précise pas dans quelles circonstances il fut blessé avant la scène de la rue d'Aiguillon.

Mais on sait que c'est en portant un coup de tête à un marin étranger.

 

Pilon déclare n'avoir pas vu celui qui le frappait.

Pilon. — D'une main je tenais la manche d'un veston et de l'autre mon revolver.

 

Me Kerneis, avocat de Pilon. — Est-ce que la fille Perrot ne s'est pas absentée un moment de la Brasserie ?

— Non ! répond Charbonnier.

 

Il avait été dit au cours de l'instruction, que Nénette Perrot était sortie pendant un certain temps et qu'on l'avait vue revenir.

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Les témoins

 

Le premier témoin introduit est l'inspecteur principal Faggiani, de la brigade mobile, qui fut chargé d'une commission rogatoire par M. Crenn, juge d'instruction.

 

Le policier déclare que la version fournie par Mme Pilon lui parut bizarre, quand elle dit avoir aperçu plusieurs hommes se jeter sur son fils.

 

L'inspecteur Faggiani. — L'histoire qui est arrivée dans la nuit du 18 mai, devait fatalement se produire.

Il ne s'est agi nullement d'un guet-apens.

Charbonnier voyait en Pilon un rival.

 

Me Kerneis. — Qui a donc porté le coup de couteau ?

Le témoin. — Je me garderai bien de le certifier, mais à mon avis c'est Charbonnier, bien que je n'aie aucune preuve matérielle pour affirmer que c'est lui.

 

Le ministère public. — Charbonnier a reconnu pour la première fois aujourd'hui, qu'il se trouvait dans le groupe formé par Pilon et Carle.

Le témoin. — Je suis encore heureux de constater que je ne m'étais pas trompé.

 

Le docteur Teurnier, qui fut appelé à examiner les deux blessés, releva sur la cuisse gauche de Pilon, deux plaies superposées, l'une de 4 cm., l'autre profonde de 14 à 15 cm. qui sectionna l'artère fémorale.

 

Le témoin. — Si l'artère avait été tranchée par le travers, la mort survenait fatalement.

 

Le docteur Teurnier précise qu'il y eut exactement quatre coups de couteau dont deux seulement atteignirent les chairs.

 

Le témoin examina également Carle qui eut l'intestin perforé en quatorze endroits.

 

En tenant compte de la nature des blessures, M. le substitut Hubert demande au docteur Teurnier si l'on ne peut pas connaître la position qu'occupaient les trois hommes.

 

Le témoin. — Les positions des corps dans ces cas de bagarre ou de rixe sont difficiles à déterminer.

 

Voici maintenant M. Guillet, commissaire de police, chef de la sûreté, qui prit en main, dès le lendemain de l'affaire, les suites de l'enquête.

 

M. Guillet fit de nombreuses perquisitions et entendit de nombreux témoins.

Le témoin. — Carle et la fille Perrot savent qui a donné le coup de couteau.

Cela ne fait aucun doute.

Carle. — Je n'ai absolument rien vu.

M. Guillet. — Quant aux armes, on n'a pas pu les retrouver.

En raison de la solidarité qui règne dans le milieu, on s'est empressé de s'en débarrasser.

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Nénette dépose

 

Celle qui fut toute la cause du drame, Antoinette Perrot, dite Nénette, est ensuite appelée.

 

26 ans, élancée, la « femme fatale » apparaît, une fourrure autour du cou, un petit chapeau noir incliné sur le front.

 

— Pilon m'a souvent menacé dit-elle.

 

Elle rappelle à sa façon la scène durant la nuit du 18 mai et les heures qui la précédèrent.

« J'ai vu Pilon tomber et Prosper se précipiter pour les séparer ».

 

Le président (vivement). — Prosper ! C'est-à-dire Charbonnier.

Puis, poursuivant : Quand vous avez entendu le coup de feu qu'avez-vous fait ? »

Nénette. — Rien, je suis restée là. Je suis partie à la seconde détonation.

Elle ajoute : « J'ai vu un objet tomber de la main de Pilon ».

 

On suppose que cet objet était un revolver.

 

La mère de l'accusé

 

La déposition de Mme Pilon, au cours de ces longs débats, sera touchante.

Pourrait-il en être autrement ?

C'est le cœur d'une mère qui parle pour ce fils qu'elle faillit bien perdre.

 

Elle a vu, dit-elle, plusieurs hommes se jeter sur lui et le rouer de coups.

« Mon fils, ajoute-t-elle, n'a jamais pu se relever.

Pendant un certain moment, je suis restée seule avec lui.

Tout le monde avait fui.

C'est alors qu'est arrivé le docteur Pouliquen.

 

— Quand vous avez aperçu votre fils dans le café, pourquoi ne lui avez-vous pas fait signe de venir vous trouver ?

Mme Pilon. — je n'ai pas eu la présence d'esprit de le faire.

 

Mme Sauvé, employée à l'hôtel meublé, où était descendue la fille Perrot, précise que la jeune femme rentra dans sa chambre vers 2 h. 30, suivie une demi-heure après, par Charbonnier.

 

Le substitut du procureur de la République fait remarquer à ce moment à Charbonnier, qu'à l'instruction, il avait déclaré être rentré en même temps que sa maîtresse.

 

Après la déposition d'un dernier témoin qui n'apporte aucun élément nouveau à l'affaire, le tribunal suspend l’audience pendant quelques minutes.

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Réquisitoire et plaidoirie

 

M. Hubert, substitut du procureur de la République, rappelle d'une façon objective les faits sur ce règlement de compte entre gens du milieu, d'où, peu à peu, la vérité finit par éclater.

 

C'est l'histoire d'une rivalité de deux hommes pour une même femme.

Le ministère public estime que l'auteur des coups de couteau a bel et bien été Charbonnier, qui avait des raisons pour en vouloir à Pilon.

M. Hubert veut admettre que Pilon a agi dans le cas de légitime défense.

II retient le port d'armes prohibées.

M. le substitut est persuadé que Carle a été mis au courant par quelqu'un de la présence de Pilon à la Brasserie de la Marine.

 

— Carle, ajoute-t-il, a été vu avant le drame, montant la rue Émile Zola en compagnie de son ami Valeix.

Après avoir rappelé les mauvais renseignements recueillis sur le compte des deux principaux inculpés, le ministère public requiert avec sévérité en demandant également contre Carle une peine de prison ferme.

 

Me Sellier assure ensuite la défense de Charbonnier et termine ainsi :

« Puisque ni l'un ni l'autre ne se sont plaints, je vous demande de ne pas vous montrer plus rigoureux qu'eux ».

 

Me Kernéis, défenseur de Pilon, plaide le cas de légitime défense dans lequel se trouvait son client quand il fut assailli par Charbonnier et Carle.

 

Carle veut être défendu

 

La plaidoirie de Me Kernéis étant terminée, le président Hamery demande aux inculpés s'ils n'ont rien à ajouter.

 

Carle. — Je demande à Me Sellier s'il veut bien assurer ma défense.

 

L'avocat du barreau de Cognac acquiesce aussitôt à la requête qui lui est adressée et plaidant le doute qui subsiste dans la participation de Carle dans cette affaire, demande au tribunal de prononcer sa relaxe.

 

Le tribunal met l'affaire en délibéré.

Le jugement sera rendu mardi prochain.

 

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Source : La Dépêche de Brest 28 juillet 1937

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Sanglante bagarre rue d'Aiguillon 40 28 juillet 1937.jpg
Rue Emile Zola 01.jpg
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