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1938

Arrestation d'une faiseuse d'anges

 

 

Source : La Dépêche de Brest 23 septembre 1938.

 

Depuis plusieurs jours, le parquet poursuit l'instruction d'une grave affaire d'avortement.

Elle a déjà donné lieu à sept arrestations et semble devoir ménager des surprises.

 

C'est à la suite d'une dénonciation que la police a été mise sur les traces des coupables.

 

*

**

 

Mariée et mère de deux enfants de 7 et 9 ans, Mme B..., dont le mari est employé à l'arsenal, tenait la gérance d'un commerce à Lambézellec.

 

Au mois de mai 1937, elle fit la connaissance de M. P..., employé dans un service public.

Des relations coupables ne tardèrent pas à s'établir entre eux et Mme B... s'aperçut, au mois de décembre dernier, qu'elle serait bientôt mère.

Elle pria son ami de trouver le moyen de cacher sa faute à son mari.

 

M. P... s'adressa à un préparateur en pharmacie qui lui fournit des plantes pour une infusion.

Craignant de s'empoisonner, Mme B... refusa de prendre ce breuvage et le préparateur fournit une autre potion qui ne donna pas le résultat espéré.

 

Accompagnée de son ami, la cliente vint à la pharmacie supplier le préparateur de lui indiquer un moyen plus sûr et plus énergique.

 

Cédant à ses prières, M. A... finit par lui indiquer l'adresse de Mme Geoffroy, tenant, rue Neuve, à Recouvrance, un débit-tabacs et experte en matière d'avortement.

 

L'ami, M. P... se chargea des tractations.

On se mit d'accord sur le prix et la commission à remettre au préparateur, en pharmacie.

Mme B..., après deux opérations, obtint le résultat qu'elle désirait.

 

Allons à Paris, tous les deux !

 

Mme B... décida alors d'abandonner son mari, ses enfants et sa gérance et, il y a environ deux mois, elle partait pour Paris avec P...

 

Son mari, brave homme, se retira chez sa belle-mère, à Saint-Marc, mais vint signaler à M. Verrier, commissaire de police de Lambézellec, la disparition de son épouse.

 

La jalousie et la colère, mauvaises conseillères, lui firent l'accuser de s'être livrée à des manœuvres abortives.

 

À Paris, le faux ménage ne s'entendit pas longtemps.

Un beau soir, sans prévenir son ami, Mme B... reprit le train à la gare Montparnasse et débarqua chez sa mère, où elle retrouva son mari.

Devant ses regrets et pour ses enfants, celui-ci pardonna la fugue et les deux époux se réconcilièrent.

 

Mais l'enquête suivait son cours. P… abandonné à Paris, était revenu à Brest et avait repris son emploi, quand il eut la surprise d'être convoqué au bureau du commissaire de police de Lambézellec.

 

Après quelques réticences, il finit par reconnaître que l'accusation portée par M. B... était exacte et il indiqua le nom de la faiseuse d'anges : Mme Geoffroy.

 

M. Verrier adressa un rapport au parquet.

M. Donnard, procureur de la République, chargea M. Lautier, juge d'instruction d'ouvrir une information.

 

Au parquet

 

Le juge d'instruction convoqua Mme B... qui ne tarda pas à entrer dans la voie des aveux et à raconter où et comment les choses s'étaient passées.

 

Le parquet, composé de MM. Donnard, procureur de la République ; Lautier, juge d'instruction, et Le Gall, greffier, se rendit aussitôt à Recouvrance pour opérer une perquisition chez Mme Geoffroy, née Elisa Bothéan, appelée familièrement Zaza, âgée de 39 ans, née à Berrien, divorcée et remariée.

 

Mme Geoffroy avait été employée comme infirmière au dispensaire antituberculeux à l'hospice.

Elle nia énergiquement avoir pratiqué des manœuvres abortives.

Cependant on découvrit, dans la chambre attenante au débit-tabacs, deux petits instruments qui furent saisis comme pièces à conviction.

 

Mme Geoffroy fut invitée à venir, mercredi après-midi, au cabinet du juge d'instruction.

Elle opposa a toutes ses questions des dénégations outrées jusqu'à ce qu'elle fût confrontée avec Mme B..., qui renouvela ses aveux.

 

Elle n'avait plus, elle aussi, qu'à reconnaître les faits.

Elle avoua avoir une nombreuse clientèle et donna une liste d'une vingtaine de personnes ayant usé de ses services, mais dont elle affirma ignorer les adresses.

 

Le parquet se mis en campagne, dans le plus grand mystère, pour découvrir ces personnes et M. Lautier fit écrouer au Bouguen, dès mercredi soir, la faiseuse d'anges, sa cliente et dénonciatrice, Mme B... 30 ans ;

M. A..., le préparateur en pharmacie, bien qu'il continuât à nier avoir été mêlé à cette affaire malgré les affirmations de Mme B... et de la femme Geoffroy, renforcées un peu plus tard par celles du complice P... qui, tard dans la soirée, alla rejoindre son amie à la prison.

 

La journée d'hier

 

M. Guillet, chef de la sûreté, avait été chargé par M. Lautier de rechercher les femmes et les jeunes filles ayant eu recours aux services de la faiseuse d'anges.

 

La première, une petite bonne de 19 ans, Mlle B... fut amenée, toute tremblante, devant de juge a instruction.

Bien que menacée de passer devant le tribunal correctionnel et d'être passible d'une peine de un à cinq ans d'emprisonnement, la pauvre fille avoua, en pleurant, que, désireuse de cacher sa faute, elle s'était confiée aux bons soins de Mme Geoffroy.

 

Ce fut ensuite le tour d'une employée d'une administration de l'État, Mlle G..., âgée d'une vingtaine d'années, qui reconnut également les faits, après avoir eu une syncope dans le cabinet du juge.

Sa mère, comparut également, pour avoir assisté, croit-on, à l'opération.

Elle fut laissée en liberté provisoire et alla, vers 19 heures, chercher un taxi pour conduire au Bouguen les deux jeunes filles, accompagnées du sous-brigadier Floch, de la sûreté.

 

Mais le fait saillant de la journée d'hier fut l'arrestation de M. Chavonnet qui, âgé de 63 ans, servait de rabatteur et d'aide, au besoin, à la faiseuse d'anges.

 

Le rabatteur tente de se trancher la gorge

 

Après l'avoir longuement interrogé, M. Lautier décida d'aller perquisitionner dans le logement qu'occupait Chavonnet, rue Kléber.

 

Accompagné de MM. Donnard, Le Gall et d'un agent de la sûreté, M. Lautier partit en taxi avec Chavonnet.

 

Pour ne pas attirer l'attention des voisins, le taxi s'arrêta à quelque distance de la maison. Chavonnet descendit le premier avec l'agent de la sûreté.

Les membres du parquet suivirent.

 

Chavonnet s'engagea le premier dans l'escalier.

L'agent de la sûreté montait derrière lui, puis M. Lautier suivi de M. Donnard.

 

Tout à coup, Chavonnet s'élança, ouvrit la porte de sa chambre, arracha d'une panoplie un « couteau de tranchée » à lame effilée, longue de 25 centimètres, et s'en frappa de deux coups à la gorge avant que l'agent de la sûreté ait pu l'en empêcher.

 

Cependant, celui-ci avait ceinturé Chavonnet qui s'était ouvert une veine du côté droit du cou et saignait abondamment.

 

L'agent le maintenait solidement, mais le désespéré brandissait son couteau et, en se débattant éclaboussait l'agent de son sang.

 

M. Lautier s'était précipité et joignait ses efforts à ceux d'agent, mais ne parvenait pas à arracher le couteau des mains de Chavonnet qui cherchait toujours à s'en frapper.

C'est alors qu'intervint M. Donnard qui réussit à désarmer le forcené.

 

Chavonnet fut conduit à l'hospice civil d'où, après avoir reçu des soins, il fut écroué à la maison d'arrêt du Bouguen, ses blessures n'ayant aucun caractère de gravité.

 

Une dame Le G... fut encore interrogée jusqu'à 20 heures.

Elle était soupçonnée d'avoir loué une chambre, sachant le genre d'opération qui allait s'y passer, ce qui l'aurait fait inculper de complicité.

Elle nia et fut laissée en liberté jusqu'à plus ample informé.

 

Le préparateur en pharmacie a fait choix de Me Kernéis comme conseil.

Me Le Goc a été sollicité pour défendre Mme Geoffroy.

 

M. Lautier poursuivra aujourd'hui son enquête.

 

L'instruction de l'affaire d'avortements dont nous avons parlé, a marqué hier un temps d'arrêt, aucune nouvelle arrestation n'ayant été opérée.

 

Les inculpés ont fait choix d'avocats.

Me Bodet défendra Mme Bayer, Me Lalouët, Mlle G...

Nous avons dit hier que M. A..., le préparateur en pharmacie, avait choisi comme défenseur M Kernéïs et que Me Le Goc avait assumé la tâche de défendre Mme Geoffroy.

 

Les défenseurs ayant 24 heures pour prendre connaissance du dossier de leurs clients, les interrogatoires seront donc remis à lundi.

 

M. Lautier a cependant longuement interrogé hier Chavonnet.

Le matériel saisi chez lui laisse supposer qu'il ne se contentait pas de procurer des clients à Mme Geoffroy, mais qu'il opérait lui-même.

 

Ne se vantait-il pas, sous l'empire de la boisson, de gagner mille francs en un quart d'heure ?

 

Chavonnet a, d'ailleurs, pris son parti de l'accusation portée contre lui.

Comme on lui faisait remarquer qu'il plastronnait moins la veille et qu'il ne devait pas avoir la conscience bien tranquille puisqu'il avait tenté de se trancher la gorge, il répondit :

 

— J'étais bien bête.

On m'avait fait peur en me disant que j'encourais une peine de cinq ans de prison.

À mon âge, 63 ans, cette perspective m'avait fait perdre la tête.

J'ai réfléchi et ne crois plus à vos bobards.

Après enquête, on sera bien obligé de me remettre en liberté.

 

Nous ne pensons pas que ce soit l'avis du juge.

En tout cas, n'en pouvant rien tirer, M. Lautier a fait reconduire Chavonnet au Bouguen.

 

La police mobile va poursuivre l'enquête

 

À 15 heures, MM. Perruche, commissaire et Moreau, inspecteur de la 13e brigade mobile de Rennes, arrivaient au palais de justice.

 

Ils furent immédiatement introduits dans le cabinet du procureur de la République et en présence de MM. Donnart, procureur et Hébert, substitut, M. Lautier leur fournit toutes explications utiles sur l'affaire, leur remit des commissions rogatoires et les chargea de retrouver à Brest et dans les environs, à Plougastel notamment, toutes les clientes dont Mme Geoffroy a fourni les noms.

 

M. Lautier poursuivra aujourd'hui son enquête.

 

M. Lautier, juge d'instruction, a mis en état d'arrestation trois nouvelles inculpées dans l'affaire d'avortements que nous avons relatée.

 

Le juge d'instruction a d'abord entendu Mme Élisa Geffroy et M Chavonnet, principaux inculpés, et les a ensuite confrontés avec trois autres personnes :

 

La première, Mme Le G..., accusée d'avoir loué une chambre dans la maison meublée dont elle a la gérance, en sachant à quel genre d'opération allaient se livrer ses locataires, a protesté de son innocence :

 

— Je ne puis, a-t-elle dit, demander à toutes les personnes venant louer l'une de mes vingt chambres, l'usage qu'elles veulent en faire.

J'affirme n'avoir rien su des faits qui me sont reprochés.

 

Mme Le G... n'en a pas moins été écrouée au Bouguen.

 

Mme G..., la mère de la jeune fille de 19 ans, employée d'administration, écrouée vendredi dernier, est allée rejoindre sa fille en prison.

Elle est inculpée d'avoir assisté Mlle G... dans l'opération qu'elle a subie.

 

La troisième personne arrêtée est encore une jeune fille de 19 ans.

Mlle M..., sténo-dactylo dans un établissement public qui, après confrontation avec Chavonnet a été inculpée d'avoir eu recours à ses services.

 

Mlle M... a choisi comme avocat Me Renée Alexandre.

 

Ces trois arrestations portent à dix le nombre des inculpés actuellement au Bouguen.

 

La police mobile poursuit son enquête.

 

Source : La Dépêche de Brest 30 novembre 1938.

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Source : La Dépêche de Brest 10 décembre 1938.

 

Le tribunal a rendu son jugement dans l'affaire d'avortements.

 

Les condamnations suivantes ont été prononcées :

 

Élisa Geffroy, née Bothuau, âgée de 39 ans, 2 ans de prison et 500 francs d'amende ;

Joseph Théoden, 47 ans, 18 mois et 100 francs ;

A. A..., 44 ans, même peine ;

Jean Chavonnet, 63 ans, 15 mois de prison.

Enfin, M. P..., 6 mois de prison avec sursis ;

Mme B…, Mlle M..., Mme G..., même peine.

M. X..., 4 mois de prison avec sursis, ainsi que Mlle B... et Mlle G...

Mme C... est acquittée.

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