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1938

Le double meurtre de Pouldavid

 

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Source : La Dépêche de Brest 7 avril 1938

 

La troisième audience, ouverte à 13 h. 30. est présidée par M. Poret, conseiller à la Cour de Rennes, assisté de MM. Le Bourdellès et Moret.

M. Magnan de Bornier est au banc de l'accusation.

Me Feuillet et Me Guirardel, avocats à Quimper, à celui de la défense.

 

L'ACCUSÉ

 

Le Brusq est un grand, jeune et fort gaillard au teint pâle, paraissant plus jeune que son âge, 30 ans.

Ses cheveux sont noirs et finement peignés en arrière ;

il est bien vêtu d'un complet gris ;

son attitude à l'audience n'est guère d'humilité, ses réponses sournoises, contradictoires ou invraisemblables, dites d'un ton souvent arrogant, ne sont pas faites pour lui attirer l'indulgence des jurés.

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ACTE D'ACCUSATION

 

Le greffier, M. Ronsin, donne alors lecture de l'acte d'accusation.

 

Le 3 janvier 1938, vers 17 h. 30, Corentin-Hervé-Marie Le Brusq, âgé de 30 ans, tailleur d'habits à Pouldavid, vint au débit Mazéas, sis en cette commune, où il devait rencontrer Jean-Marie Le Beul, âgé de 34 ans, marin-pêcheur au même lieu, qui lui avait commandé un pantalon et lui devait le prix de la réparation d'un veston.

 

Au débit Mazéas, Le Brusq trouva en effet Le Beul, accompagné de son voisin Jean-René Celton, âgé de 53 ans, oncle de ce dernier.

Les trois hommes burent ensemble, puis, comme Le Beul commençait à être pris de boisson, la dame Mazéas l'invita à sortir.

Ils partirent tous les trois sans difficulté.

 

Celton s'arrêta en cours de route.

Le Brusq rentra chez lui et Le Beul chez son oncle.

Le Beul se rendit bientôt chez Le Brusq en apportant un litre de vin, dont les deux hommes burent chacun deux verres.

Le Beul se coucha ensuite sur le lit de son camarade et s'endormit.

 

Il se réveilla une demi-heure après environ et se mit à chanter des cantiques.

À ce moment arriva Celton, qui engagea son neveu à rentrer chez lui.

Une discussion s'éleva à ce sujet entre les deux hommes, qui, en fin de compte, achevèrent avec Le Brusq la bouteille apportée par Le Beul.

À brûle-pourpoint, celui-ci demanda à Le Brusq combien il lui devait pour la réparation de son veston.

Le Brusq lui répondit qu'il lui devait 20 francs, que Le Beul, malgré les conseils de son oncle, lui faisant observer qu'il venait de toucher sa pension, refusa de payer.

 

Celton, qui, d'après les dires de l'accusé, était lui-même pris de boisson, aurait à ce moment subitement changé d'attitude ;

atteint d'une sorte d'accès de folie, il se serait précipité sur Le Brusq et, aidé de son neveu, l'aurait renversé et aurait tenté de l'étrangler.

Le Brusq se serait débattu et aurait réussi à se dégager.

Au cours de la bagarre, la table, sur laquelle était posé un bougeoir, fut renversée et la pièce fut plongée dans l'obscurité.

Le Brusq se serait alors dirigé vers la cheminée pour y prendre des allumettes et aurait rallumé la bougie.

À ce moment, Celton et Le Beul l'auraient de nouveau menacé, parlant de lui « faire son affaire ».

C'est alors que Le Brusq aurait ouvert son armoire, y aurait pris un fusil de chasse et deux cartouches et aurait chargé son arme.

Les deux hommes s'avançant vers lui menaçants, il aurait alors tiré au jugé dans leur direction, atteint d'abord Le Beul, puis Celton, qui, frappés à bout portant, s'effondrèrent, la tête fracassée.

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Revenant ensuite, dans une certaine mesure, sur ces déclarations, Le Brusq a prétendu qu'il n'avait tiré qu'un coup : celui qui avait atteint Le Beul ;

que Celton, pour le désarmer, aurait alors saisi le fusil par le canon, faisant ainsi partir de deuxième coup, qui l'atteignit.

 

La version de la légitime défense par l'accusé ne résiste pas à l'examen.

 

Un voisin, en effet, n'a entendu que quelques éclats de voix et le bruit de meubles renversés, mais aucune discussion violente, aucune menace, aucun appel au secours.

Il a seulement entendu, une minute avant les coups de feu, Le Beul refuser de payer à Le Brusq les 20 francs qu'il lui devait.

D'autre part, en dehors de quelques excoriations légères et superficielles pouvant être attribuées à des coups d'ongles, aucune trace de tentative de strangulation n'a été relevée sur Le Brusq par le médecin légiste.

Examiné au point de vue mental, l'accusé a été reconnu entièrement responsable.

 

Bien que n'ayant jamais été condamné, les renseignements dont il est l'objet ne sont pas favorables.

Paresseux et de caractère violent, il s'adonne à la boisson et ne travaille que d'une manière absolument irrégulière.

 

En conséquence, est accusé, Corentin-Hervé-Marie Le Brusq, d'avoir à Pouldavid, le 3 janvier 1938, volontairement donné la mort à Jean-Marie Le Beul et à Jean-René Celton.

 

Crimes prévus et punis par les articles 295 et 304, paragraphe 3 du code pénal.

 

Les témoins — Sept témoins étaient cités; l'un des témoins, Mme Mazéas, malade, est excusé.

 

La Cour donne acte à Me de Tréglodé de sa constitution de partie civile au nom de Mme veuve Celton. qui réclame 75.000 francs, dont 25.000 francs pour elle-même et 25.000 francs pour chacun de ses deux enfants mineurs.

La partie civile sera soutenue dans sa demande par Me Bigot d'Engente et Le Helloco.

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L'INTERROGATOIRE

 

L'accusé répond d'une voix assez terne d'abord à l'interrogatoire du président.

 

— Vous avez été mis en pension à Mahalon et à Kerfeunteun et vous n'avez pas obtenu votre certificat d'études ?

— Oui, monsieur le président.

— En 1925, vous avez travaillé à Paris, ne restant que quelques mois, et quelques semaines même, chez le même patron ?

— C'était pour mieux apprendre mon métier !

— Vous avez été incorporé dans l'armée du Rhin.

Vous avez fait une pleurésie purulente et êtes pensionné à 15 % ?

— Oui, monsieur le président.

— Retourné à Pouldavid et votre père ayant partagé ses biens, vous avez touché une trentaine de mille francs ; vous les avez dissipés ?

 

À partir de ce moment, l'accusé répond avec plus d'assurance et même un peu d'humeur, il se montrera même par moment quelque peu frondeur.

 

— Vous travaillez ensuite chez Gasnler, à Quimper ;

chez Celta et Gourand, à Douarnenez ;

chez Stéphan, à Tréboul, et chez Alain Quéré, à Ploaré ?

— Oui, monsieur le président.

— Tous ceux qui vous ont employé vous considèrent comme bon ouvrier, mais vous adonnant à la boisson et violent lorsque vous aviez bu.

 

On arrive aux circonstances du double meurtre.

 

Tous les faits s'étant passés dans l'appartement de Le Brusq, le président fait passer aux jurés un plan de cet appartement sur lequel figure la position des cadavres.

 

Le président fait état du calme effrayant avec lequel Le Brusq répondit au premier interrogatoire des gendarmes.

Ensuite, Le Brusq varia dans ses déclarations et prétendit avoir tiré étant en état de légitime défense, Celton et Le Beul ayant sauté sur lui et l'ayant menacé « de lui faire son affaire ».

Interrogé le même jour, à 23 heures, il varie encore.

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Le lendemain. Le Brusq fait à peu près la même déclaration au juge d'instruction et comme le juge lui faisait remarquer que sa vie n'était pas en danger et qu'il pouvait sortir, il repondit :

— Je pouvais, en effet, sortir... Je n'y avais pas pensé !

 

L'accusé. — Excusez-moi, monsieur le président, je ne pouvais pas sortir : il y avait un cadavre...

Le président. — n n'y avait pas de cadavre en ce moment.

Pourquoi avez-vous pris votre fusil ?

Pourquoi avez-vous tué ?

Le Brusq. — Je ne les ai pas tués.

Je ne me trouve pas en tort. (Sensation.)

 

— Dans une lettre du 6 février écrite à vos parents, vous variez dans vos explications.

La mort de Celton serait due, dites-vous, à un accident :

« J'ai tiré dans la direction de Le Beul, croyant ne pas le toucher...

Quant à Celton, en saisissant le fusil par le canon pour me désarmer, il fit partir le coup. »

 

Le président. — c'est après le refus de payer les 20 francs dus par Le Beul que les deux coups de feu ont été tirés à une minute d'intervalle ?

— Je ne lui réclamais pas d'argent, c'est lui qui me demandait combien il me devait et je ne lui demandais qu'une chose : c'était de sortir.

— Le médecin légiste conclut à un drame de l'alcoolisme.

Étiez-vous ivre ?

— Non, je n'étais pas ivre.

 

L'avocat, Me Feuillet demande que le client indique la nature du sol de la chambre du crime.

L'accusé. — Du sol battu.

Le procureur. — Vous avez dit : « J'ai tiré. »

L’accusé. — Je n'ai pas tiré... (Sensation.)

Le Brusq a réponse à tout, mais ses explications sont souvent compliquées ou contradictoires.

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LES TÉMOINS

 

M. le docteur Renault père, médecin légiste, qui procéda le 4 janvier à l'autopsie des deux cadavres, donne à la barre les conclusions de son rapport :

la tête de Celton était fracassée par un coup de fusil tiré d'une distance de 30 centimètres à 1 mètre ;

celle de Le Beul avait été fracassée également par un coup à courte distance tiré avec un fusil de chasse cal. 16, plomb n° 6.

 

M. Henri Gobin, adjudant de gendarmerie, à Douarnenez, fait sa déposition, car c'est lui qui fit les constatations et procéda au premier interrogatoire.

Dans la chambre de Le Brusq il trouva deux cadavres ; mis en présence des cadavres, Le Brusq qui ne formula aucun regret, fit le récit de la scène avec calme.

C'est alors qu'il raconta qu'il avait été assailli et que menacé il prit son fusil dans l'armoire, introduisit les cartouches et pria ses antagonistes de sortir, que menacé à nouveau il tira subitement et abattit les deux hommes.

 

Le président, au témoin. — Le Brusq vous a-t-il dit qu'il y avait eu un accident relativement à la mort de Celton ?

Le témoin. — Non, Le Brusq n'a pas parlé de cela.

L'accusé. — J'étais affolé.

 

Le témoin ne donne pas de bons renseignements sur l'accusé, ivrogne et violent lorsqu'il avait bu.

Il donne la même note sur Le Beul mais déclare ne pas connaître Celton.

 

Mme veuve Mazéas, née Marie Cabillic, débitante à Pouldavid, rue Laënnec, 63 ans, étant malade et excusée, M. le procureur lit sa déposition.

 

M. Eugène Thomas, gérant de la cabine téléphonique de Pouldavid, dépose que Le Brusq vint le trouver, lui demandant de téléphoner à la gendarmerie qu'étant en état de légitime défense, il venait de tuer deux hommes.

 

Le témoin déclare que lorsqu'il se présenta pour téléphoner, Le Brusq était blême, qu'il était tête nue et que sa déclaration était si inattendue que le témoin téléphona à l'adjoint au maire avant de téléphoner à la gendarmerie.

 

Mlle Denise Savina, 21 ans, entendit les coups de feu et, peu après, Le Brusq dire à une femme :

Je viens de tirer sur deux hommes.

Le témoin déclara n'avoir entendu ni discussion ni appel au secours.

 

La défense, au témoin. — Si une table était tombée au cours d'une dispute, l'auriez-vous entendue ?

— Non, car le sol était de terre battue.

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Jacques Pavec, 50 ans, marin-pêcheur, rue Laënnec, à Pouldavid, propriétaire du prévenu, entendit Le Brusq et Le Beul chanter et le premier demander 20 francs pour le prix de la façon du paletot.

Le Beul dit non ; deux minutes après deux coups de feu.

 

Le président. — Vous n'avez pas entendu de dispute avant les coups de feu ?

— Non.

Le président. — Vous payait-il régulièrement son loyer ?

— Non.

 

L'accusé, au témoin. — Parce que vous êtes un homme méchant !... (Mouvements dans le public.)

 

Le témoin, sur la demande du procureur, affirme n'avoir entendu aucun appel au secours, alors qu'il entendit très bien les hommes chanter.

 

M. le docteur Lagriffe, médecin aliéniste, commis par le juge d'instruction pour examiner l'accusé au point de vue mental.

Le docteur le considère comme entièrement responsable de ses actes.

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LA PARTIE CIVILE

 

Au nom de la famille Celton, Me Bigot d'Engente, après avoir rappelé les grandes lignes de cette lamentable affaire, et indiqué aux jurés qu'aucune excuse ne peut être invoquée en faveur de l'accusé, Le Brusq.

Aucune rixe, aucun appel au secours et pour refus du paiement d'une note de 20 francs, deux coups de feu et deux victimes.

 

Me Le Helloco, de Quimper qui soutient la demande de dommages et intérêts de Mme Celton et de ses deux filles, Marie et Antoinette justifie la somme de 75.000 francs réclamée par la famille.

Celton, bon travailleur, était marin-pêcheur et maçon à ses heures, et gagnait 800 à 1.000 francs par mois.

 

LE RÉQUISITOIRE

 

Me Magnan de Bornier, substitut, décrit l'horrible drame et souligne l'attitude cynique du meurtrier de Pouldavid. après son sinistre forfait.

Après avoir retracé la vie de Le Brusq, le ministère public, dans un brillant et sévère réquisitoire, demande aux jurés de se montrer fermes et de sanctionner l'acte abominable de Le Brusq qui ne peut trouver d'excuse ni de pitié, en raison même de l'attitude du meurtrier.

Les explications pitoyables que Le Brusq donna aux enquêteurs et les contradictions de ses déclarations ne prouvent-elles pas la lucidité et l'effarant cynisme de l'accusé.

 

Le procureur examine et réfute tour à tour les systèmes inventifs de défense de Le Brusq dont il montre à la fois l'invraisemblance et les contradictions.

 

Se basant sur les dépositions très nettes des témoins et des divers bruits concordants rapportés par les voisins, le substitut Magnan de Bornier y trouve au contraire une preuve irréfutable de la seule version véridique :

le meurtre brutal, sans provocation et sans aucune excuse possible.

Aussi demande-t-il une punition grave, une punition sévère et exemplaire.

La préméditation n'ayant pas été retenue le châtiment peut aller jusqu'aux travaux forcés à perpétuité et c'est la peine que l'accusateur public demande aux jurés de prononcer.

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LA DÉFENSE

 

Deux avocats ont la lourde charge de défendre Le Brusq.

Me Guirardel parle le premier.

 

Après la plaidoirie de Me Guirardel, la parole est donnée à Me Jean Feuillet, qui a assumé la charge de la défense principale.

Il soutient que la version indiquée par Le Brusq est non seulement plausible, mais véridique.

Il souligne les doutes qui entourent certains témoignages et ne manque pas d'insister sur l'état d'ivresse des deux visiteurs, cause initiale du drame.

 

Dans une émouvante péroraison, le défenseur supplie les jurés d'avoir de la pitié et pour l'accusé et pour son pauvre père.

 

LE VERDICT

 

Le jury se retire à 19 h. 10 dans la salle des délibérations et en sort à 19 h. 45, apportant des réponses affirmatives aux deux questions principales.

 

À l'unanimité, il y a des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé.

 

Après une nouvelle délibération sur la peine, le président donne lecture du verdict.

 

Corentin Le Brusq est condamné à 15 ans de travaux forcés.

 

La Cour, statuant ensuite sur les conclusions de la partie civile, accorde à la veuve Celton 5.000 francs de dommages-intérêts et 10.000 francs à chacune de ses filles, soit 40.000 francs.

 

Le Brusq est, en outre, condamné aux frais et dépens.

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