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1939

Le cadavre d'une femme
est découvert dans l'Odet
Crime ou suicide ?

 

 

Source : La Dépêche de Brest 5 août 1939

 

Jeudi après-midi vers 14 h. 30, un enfant qui jouait en bordure de l'Odet apercevait, flottant entre deux eaux, à quelques mètres en amont du dépôt des chemins de fer, un corps.

Il fit part de sa découverte à sa mère qui, accompagnée de voisins, se rendit à l'endroit que lui signalait son fils.

 

Mais personne ne vit rien.

On supposa que l'enfant s'était trompé et les choses en restèrent là jusqu'à 21 heures, ce même jeudi, moment où le commissariat de police fut informé qu'on venait de découvrir le cadavre d'une femme au barrage de la minoterie Méret.

M. Goulard, commissaire de police, se rendit immédiatement sur place en compagnie du brigadier Flatrès.

 

Le corps avait été tiré sur la berge.

C'était celui d'une femme paraissant âgée d'une quarantaine d'années.

Le décès remontait à un certain temps.

 

Mais les enquêteurs, à l'examen du corps, ne tardèrent pas à faire une troublante constatation.

Une grosse corde de chanvre faisait à trois reprises le tour du cou de la femme et deux solides nœuds la maintenaient.

 

Le docteur Tavennec appelé sur les lieux, ne put que constater le caractère suspect de ce décès, et il refusa le permis d'inhumer.

 

On était parvenu à identifier le cadavre comme étant celui de Mme Corentin Le Pape, née Marie-Anne Poupon, journalière, employée chez un commerçant en vins de la ville, née le 17 décembre 1899 à Pluguffan.

 

Elle habitait avec son mari, sa mère et ses deux filles âgées de 10 et 4 ans, rue Guy Autret, à La Forêt, en Kerfeunteun.

 

L'enquête

 

Dès hier matin, à 8 heures, M. Goulard se rendait à nouveau sur les lieux de la découverte, ainsi qu'au domicile de la défunte, pour procéder à l'enquête.

 

Il lui était confirmé que Mme Le Pape avait quitté le domicile conjugal mardi dans la soirée.

Son mari, qui était parti avec ses deux fillettes, jusqu'à la fête foraine du Champ de Bataille, ne la trouva point à son retour.

Il fit des recherches, négligeant toutefois de prévenir la police jusqu'à jeudi soir, peu de temps avant la découverte du corps.

 

Après avoir entendu la famille de la victime et rassemblé tous les éléments qui pouvaient éclairer cette troublante affaire, il informait le parquet.

 

M. Daumont, juge d'instruction suppléant, chargeait aussitôt M. le docteur Renault père de l'autopsie du corps.

Celle-ci a eu lieu hier après-midi, à 15 heures, à la morgue de l'hôpital de Quimper.

 

Au même moment le parquet, composé de MM. Magnan de Bornier, substitut du procureur de la République ;

Daumont, juge d'instruction ;

Chicard, greffier, se rendait sur les lieux, ainsi que M. Goulard, commissaire de polies.

 

Les conclusions des magistrats enquêteurs ainsi que celles du médecin-légiste ne seront connues qu'aujourd'hui.

 

On conçoit aisément le souci de prudence que commandent les circonstances singulièrement troublantes qui ont entouré la mort de Mme Le Pape.

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Source : La Dépêche de Brest 6 août 1939

 

À la suite de l'enquête effectuée par M. Goulard, commissaire de police, et en possession des conclusions du rapport médico-légal fourni par M. le docteur Renault père, qui avait été commis pour pratiquer l'autopsie du corps de Mme Le Pape, M. Daumont, juge suppléant, chargé de l'instruction, a inculpé hier le mari, Corentin Le Pape, de meurtre sur la personne de sa femme et l'a fait écrouer.

 

Corentin Le Pape, qui avait été amené, dans l'après-midi de vendredi, au commissariat de police y subit un long interrogatoire.

Il persista dans ses dénégations et ne cessa de proclamer son innocence.

 

Malgré cela, après avoir été gardé à vue pendant la nuit, il était conduit, hier matin, au parquet où il devait répondre à l'interrogatoire d'identité.

Il fit également choix d'un défenseur, qui l'assistera par la suite.

Puis il fut conduit à Mesgloaguen.

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TROUBLANTE AFFAIRE

 

Avant de décerner le mandat de dépôt, le magistrat instructeur avait rassemblé les éléments qui entourent cette mort singulière, dont le caractère criminel ne fait plus de doute.

 

Les conclusions de l'autopsie sont formelles :

Le corps n'a pas respiré dans l'eau et aucune trace de liquide n'a été relevée dans le système digestif de la victime.

Il apparaît que Mme Le Pape avait cessé de vivre au moment de son immersion dans la rivière.

 

Ainsi qu'on eût pu le supposer, elle ne s'est pas davantage suicidée par pendaison, car les traces qui subsistent en pareil cas, sur la gorge ou au cou, n'existent point.

 

Des blessures provenant de coups ont été relevées sur le corps.

 

D'autre part, les enquêteurs ont enregistré les déclarations de divers témoins, notamment d'enfants et du petit Gilbert Denis, âgé de 12 ans, demeurant rue de la Forêt, qui vit le premier, dans l'après-midi de jeudi, flotter le corps de la victime, aux environs du dépôt des chemins de fer.

 

En même temps que d'autres pièces à conviction, la ficelle qui fut trouvée nouée autour du cou de la victime, maintenue à l'aide de deux solides nœuds plats de marin, la police a saisi un manteau appartenant à Mme Le Pape.

Des enfants, qui avaient joué toute la journée le long de l'Odet, au-dessus du manoir de la Forêt, ne trouvèrent le manteau de la victime que le soir, vers 18 h. 30.

 

Or la présence de celui-ci ne leur eût point échappé, s'il avait été là dès la matinée, ainsi qu'il est logique de le penser, puisque la disparition de Mme Le Pape remonte à la soirée du mardi.

 

On doit donc se demander qui a pu apporter le manteau à cette place, au bord de l'eau et achever ainsi une mise en scène élaborée par la mise autour du cou de Mme Le Pape, de la ficelle.

 

Il a été, d'autre part, porté à la connaissance des enquêteurs que, le soir-même de ce mardi 1er août, Le Pape, qui travaille dans une maison d'épicerie en gros de la ville, avait touché sa paie et était rentré à son domicile sous l'influence de la boisson.

Il s'en prit à sa femme, ne dina point et, après être demeuré un instant dans son jardin, sortit avec ses deux fillettes, âgées de 10 et 4 ans, pour aller jusqu'à la fête foraine du Champ-de-Bataille.

 

Il affirme n'avoir point vu sa femme à son retour.

 

Ce point très important de l'enquête demeure peu clair.

Pourtant il est capital:

Il n'a point été entendu de témoins vraiment utiles à ce sujet, et l'enquête continue sur cette lamentable et troublante affaire qui a abouti à l'arrestation d'un père de famille accusé d'avoir tué la mère de ses enfants.

 

Corentin Le Pape est âgé de 37 ans.

 

La victime était parfaitement considérée, tant par ses voisins que par ses employeurs.

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Source : La Dépêche de Brest 7 août 1939

 

Le permis d'inhumer ayant été délivré par le parquet de Quimper à la suite de l’autopsie pratiquée par M. le docteur Renault Père, médecin-légiste, les obsèques de Mme Corentin Le Pape ont eu lieu samdi à 17 heures.

Dans le quartier de La Forêt, où les époux Le Pape habitaient, une maison, rue Guy Autret, qu'ils avaient pu faire construire, à force de travail et d'économie, avec le bénéfice de la loi Loucheur, Corentin Le Pape et son épouse étaient parfaitement considérés.

 

Ils avaient, ainsi que nous l’avons dit, deux enfants :

Jeanne âgée de dix ans, et Hélène, âgée de quatre ans.

Sous le même toit habitait Mme veuve Poupon, mère de Mme Le Pape, qui s’occupait des fillettes et lavait du linge pour des clients de la ville, et un neveu Sébastien Poupon, âgé de 17 ans.

 

Chaque matin, Corentin Le Pape et sa femme quittaient leur domicile l'un pour travailler dans une maison d'épicerie en gros, l'autre pour vaquer, a ses occupations journalières, employée au service d'un commerçant en vins.

Mme Le Pape, active et courageuse, faisait l’après-midi des ménages.

Ses différents employeurs, un commerçant et un fonctionnaire, notamment, ne tarissent point d'éloges à son sujet.

Dans le quartier de La Foret, la mort dramatique de Mme Le Pape a causé une impression de malaise mêlée de stupéfaction et l'arrestation du mari, sur qui pèsent les plus lourdes charges, n’a fait qu'accroître l'émotion.

 

Les dimanches et jours de repos, les époux Le Pape sortaient ensemble matin et soir et tout le monde avait la conviction que le ménage était parfaitement uni.

 

Comment se fait-il que Le Pape, travailleur et père de famille économe, ait pu s’adonner occasionnellement à une boisson qui lui enlevait le contrôle de ses actes.

Ceci semble assez incompréhensible à ceux qui le connaissent bien, et particulièrement à ses voisins, qui ne l’ont jamais vu sous l'influence de la boisson.

 

Le crime est cependant là.

Mme Le Pane robuste et travailleuse, n’est plus.

Elle a été assommée.

Puis après une tentative de mise en scène destinée à égarer la justice et au cours de laquelle il lui fut passé une cordelette de chanvre autour du cou, elle fut jetée dans l'Odet à cent mètres à peine du domicile conjugal.

 

Dans quelles circonstances ?

L’enquête nous le dira et les éléments recueillis jusqu'à présent nous réservent sans doute bien des surprises.

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Source : La Dépêche de Brest 9 août 1939

 

Une opinion intéressante sur la victime

 

Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec un commerçant quimpérois qui employait à son service, depuis 18 années, en qualité de femme de ménage et de journalière, Marie-Anne Poupon, épouse de Corentin Le Pape.

 

Cette dernière avait connu, dans la même maison, celui qui devait devenir plus tard son époux et qui à ce moment était employé par les mêmes patrons.

Jeune fille ou mariée, elle donna à ses employeurs la satisfaction la plus absolue.

Elle était considérée un peu comme faisant partie de la famille et jouissait de l'estime et de la confiance totale.

 

La durée de son temps de service : 16 années ;

les regrets qu'a causés sa mort dans cette famille nous ont montré éloquemment comment elle avait su s'y faire apprécier par son travail et la régularité de sa vie.

Depuis un an et demi son caractère gai et naturellement affable s'était voilé de tristesse et à certains moments elle paraissait plus songeuse qu'à l'ordinaire.

La mort de son père, survenue il y a quelques mois, ne fit qu’accroître cet état d'esprit.

 

Elle craignait son mari et certains membres de son entourage.

Le soir de sa tragique disparition, elle quitta ses patrons vers 19 h. 15, emportant la clef de la porte d'entrée, et une autre d'un appartement intérieur.

 

Depuis lors il ne semble pas qu'on ait retrouvé trace de ces deux clefs disparues elles aussi.

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Source : La Dépêche de Brest 10 août 1939

 

M. Goulard, commissaire de police, a poursuivi hier très activement son enquête dans le quartier de La Forêt.

Il a pu ainsi recueillir un ensemble d'éléments qui vont permettre à l'information de marquer un grand progrès.

 

Il se précise notamment que le mardi 1er août, vers 20 heures, une dispute d'une violence extrême éclata au sein du ménage Le Pape.

Au cours de celle-ci, le mari, en proie à une grande surexcitation, sortit dans le jardin, arpenta nerveusement les allées et s'en prit même à son chien, qu'il malmena.

 

Nous sommes loin en ce moment de la version première fournie par Corentin Le Pape, qui prétendit avoir échangé quelques mots un peu vifs avec sa femme, puis être sorti dans le jardin où il avait paisiblement noué des têtes d'ail avant de s'absenter avec ses enfants.

 

Le ménage Le Pape possédait un chat noir, qui se tenait en temps normal enfermé dans la cave.

Or, le mercredi 2 août, pour la première fois, on le vit errer en liberté dans le voisinage.

Est-ce là l'effet d'un désarroi momentané des propriétaires ou ceci n'indique-t-il pas qu'il fut lâché parce que la cave renfermait depuis la nuit précédente le cadavre de la victime, assommée, et qui n'aurait été jeté à l'eau que le mercredi ?

 

Les éléments fournis aux enquêteurs se complètent chaque jour.

C'est ainsi qu'un témoin, un baigneur, qui séjourna longuement au cours de l'après-midi de jeudi dans la prairie de La Forêt, à partir de 15 heures 30, ne vit point le manteau noir de Mme Le Pape sur la berge et il a affirmé que si celui-ci avait été là, il l'eût certainement remarqué.

Or, la personne qui l'avait vu le mercredi, dit l'avoir ramassé le jeudi, vers 21 heures.

 

Encore un point troublant parmi tant d'autres dans cette affaire

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Source : La Dépêche de Brest 11 août 1939

 

Nous avons suivi chaque jour les phases de l’instruction ouverte au sujet de la mort mystérieuse de la femme Le Pape.

 

Le 4 août, on découvrait dans l'Odet le corps de cette mère de famille, née Marie Poupon, bonne ouvrière, estimée par tous ceux qui l'employaient ou la connaissaient.

 

Étant donné que le cadavre portait une blessure au crâne et que le cou été serré par une cordelette de chanvre, le permis d'inhumer ne fut pas délivré.

Le médecin légiste déclara que le corps avait été jeté à l'eau après la mort.

 

M. Goulard, commissaire de police, commença une enquête qui aboutit, malgré ses dénégations, à l'arrestation du mari de la victime, Corentin Le Pape, 37 ans, travaillant depuis six ans dans une épicerie en gros de Quimper où il a la réputation d'un bon employé.

 

Au cours de l'enquête, des témoignages permirent d'établir que, depuis quelques temps, le ménage n'était plus uni, qu’il y avait de nombreuses discussions et que Corentin Le Pape battait sa femme.

 

Le crime d’après l’enquête n'avait pu être commis que par des familiers du ménage Le Pape, mais le mari niait toujours.

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LES AVEUX

 

Hier, jeudi, Corentin Le Pape était interrogé par M. Daumont, faisant fonction de juge d'instruction, en présence de son avocat, Me René Feunteun.

 

Après plusieurs heures d'interrogatoire pendant lesquelles Le Pape affirmait ne se souvenir de rien, étant le soir de la disparition de sa femme — contrairement à son habitude — en état d'ébriété, il finit par avouer que le mardi 1er août, vers 21 heures, à la suite d'une violente discussion, il porta sur la tête de sa femme un coup avec un bâton, vraisemblablement le manche d'un outil de jardinage.

 

Sa femme, assommée, mais vivant encore, tomba sur le sol de la cuisine.

 

Le Pape, affolé, dit-il, appela ses deux enfants, Jeannette, 10 ans et Hélène, 4 ans, et les emmena à la fête foraine, sur le Champ de bataille.

 

En partant, il dit à sa belle-mère, qui faisait la lessive dans la cave :

— Ma femme est allongée dans la cuisine, occupez-vous d'elle.

 

Après cet aveu, en raison de l'état de dépression de Le Pape et de l'heure tardive, l'instruction fut arrêtée.

 

Les autres points, du crime seront examinés ultérieurement, car il y a encore bien des choses à connaître.

 

Le Pape, en quittant le bureau du juge d'instruction, a déclaré qu'il regrette le coup malheureux qu'il a porté à sa femme, sans toutefois expliquer la raison de son geste.

 

L'ENQUÊTE CONTINUE

 

Pendant que l'interrogatoire se prolongeait au palais de justice, M. Goulard, commissaire de police, poursuivait son enquête et recueillait de nouveaux et Importants renseignements, qui seront fort utiles à l'instruction.

Nous en parlerons demain.

L'émotion est vive dans le quartier de La Forêt, où l'annonce des aveux de Corentin Le Pape a été rapidement connue et diversement commentée.

Elle semble rassurer la population laborieuse de cette agglomération, où la victime était très estimée.

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Source : La Dépêche de Brest 12 août 1939

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Source : La Dépêche de Brest 14 août 1939

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Source : La Dépêche de Brest 23 août 1939

 

Après un moment de répit, l'instruction de l'affaire de la Forêt a repris hier.

 

À 9 heures, hier matin, Corentin Le Pape, le mari meurtrier, et la belle-mère, la veuve Poupon, étaient conduits de la prison au cabinet de M. Le Sciellour, juge d'instruction.

 

Cependant que Le Pape était reconduit à la maison d'arrêt, la veuve Poupon devait subir un long interrogatoire, qui ne prenait fin, après une suspension d'une heure et quart pour le déjeuner, qu'à 19 h. 30 hier soir.

 

M. Le Sciellour, assisté de MM. Chicard, greffier, et Goulaouic, interprète, demanda à la veuve Poupon de préciser son rôle dans cette affaire, qui s'éclaire peu à peu, malgré la mauvaise volonté et la prudence trop recherchée des principaux intéressés.

 

LE RÔLE DE LA MÈRE DE LA VICTIME

 

Après un début d'interrogatoire qui rappelait étrangement celui que subit la veuve Poupon le 11 août dernier, et au cours duquel elle ne voulut rien avouer, se renfermant dans un mutisme singulier, la vieille femme se décida à parler, par bribes.

 

Elle jeta, ce faisant, un certain jour sur les circonstances de ce drame dont la triste réalité apparaît chaque jour un peu plus.

 

Il est certain que ses explications d'hier sont plus logiques que certaines données qu'elle livra avec tant de parcimonie aux enquêteurs et aux instructeurs.

 

Que fit la veuve Poupon dans cette tragique soirée du 1er août et dans la journée du 2 août ?

 

Voici sa version :

Le Pape avait frappé son épouse dans une pièce du rez-de-chaussée surélevé de la maison, vers 20 heures.

La veuve Poupon était dans le jardin.

Elle ne vit point la scène.

Elle aperçut sa fille qui sortait de la maison et descendait l'escalier arrière en se tenant la tête et en gémissant.

 

Mme Le Pape qui venait de recevoir au front, des mains de son mari, un terrible coup de bâton porté, croit-on, à l'aide d'un manche à balai qui a été saisi, se réfugia dans la cave.

 

Cette pièce est divisée en deux compartiments :

L'un réservé aux époux Le Pape, l'autre à la veuve Poupon.

 

La malheureuse, chancelante, marcha jusqu'à la cave du ménage puis s'écroula.

 

Vers 21 h. 40, alors que Le Pape était sorti pour aller sur le Parc à la fête foraine, la veuve Poupon, pour une raison que l'on ignore, se rendit à la cave.

Elle vit le corps inerte, et crut que sa fille était morte.

 

Le lendemain, la veuve Poupon continua son travail comme si de rien n'était.

Elle s'en alla laver à la rivière, refusant à une parente qui avait logé sa bicyclette la veille dans la cave, de lui ouvrir la porte.

 

Ainsi se passa la journée du mercredi.

 

Il est donc certain désormais que le corps qui avait séjourné pendant 24 heures dans le réduit, fut jeté dans l'Odet le mercredi.

 

À ce propos, la veuve Poupon a rapporté qu'elle entendit un bruit de brouette ou de voiture à bras dans la nuit de mercredi à jeudi, vers minuit.

Le Pape était absent de la maison à ce moment, mais tout en laissant croire qu'il est l'auteur du sinistre transfert, elle n'a rien affirmé.

 

Aujourd'hui, Corentin Le Pape sera interrogé à son tour.

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Source : La Dépêche de Brest 26 août 1939

 

Corentin Le Pape, qui est écroué à la maison d'arrêt de Mesgloaguen, a été entendu jeudi par M. Le Sciellour, juge d'instruction, qu'assistait M. Chicard, greffier, et son interrogatoire n'a pris fin que tardivement dans la soirée.

L’un de ses défenseurs, Me Feunteun, été présent à cette audition.

 

Cette affaire, dont la révélation et les premiers pas avaient été si compliqués, si laborieux, jusqu'à cette comparution du jeudi 10 août, où Le Pape avoua au magistrat chargé de l'instruction l’essentiel de son horrible forfait.

 

La veuve Poupon, belle-mère de l'accusé, mère indigne de la victime, écoutant peut-être la voix d'une conscience tardive parlait à son tour et avouait, jusqu'à un certain point, ce qui avait dû se passer.

 

Selon elle le corps de sa fille, Mme Pape, avait été gardé dans la cave de la maison de la rue Guy-Autret, pendant la nuit du mardi au mercredi, puis pendant la journée du mercredi et une partie de la nuit suivante, pour être jeté dans l'Odet vers minuit, dans la nuit de mercredi à jeudi.

Cette version était plausible et acceptable.

 

Mais voici ce que le principal intéressé a confié au magistrat instructeur, ce qui n'est point en concordance avec les dires de la veuve Poupon.

 

Une relation à la manière de Corentin Le Pape...

 

Le Pape, qui était rentré dans la soirée du mardi 1er août, après avoir tourné sa paie et en état d'ébriété, ne tarda pas à avoir avec son épouse une discussion, qui s'envenima très rapidement.

Lorsqu'il avait bu plus que normalement il s'en prenait toujours à sa femme, parfois sans ménagement.

 

À un certain moment, la scène se déroulait dans la cuisine en présence des enfants, il saisit un manche à balai et frappa violemment à la tête Mme Le Pape, qui s'écroula sur le parquet.

 

Puis il descendit, laissant sa femme inerte, et rencontra, derrière la maison, sa belle-mère.

 

La blessée, qui avait eu un sursaut d'énergie, parvint à se relever et elle sortit à son tour dans le jardin, descendant l'escalier en geignant et en soutenant sa tête des deux mains.

Machinalement elle alla vers la cave qui nous l'avons dit se divise en deux compartiments, l'un réservé au ménage, l'autre occupé par la veuve Poupon.

 

Cette dernière, à ce moment précis, se trouvait dans sa cave.

 

Le mari se dirigea vers sa femme qui râlait, étendue, au milieu du local, et il la bouscula.

« Lâche, lâche, lui cria-t-elle ».

Mais lui sans écouter ses appels, saisit un paquet de ficelle d'emballage et il ligota froidement, avec la vigueur que l'on peut supposer, le cou de la malheureuse.

Puis il serra et noua.

 

La belle-mère assistait à la scène, de sa cave.

 

Pourtant elle a affirmé formellement mardi, ne rien savoir, au sujet de la cordelette de chanvre qui fût trouvée autour du cou de sa fille.

 

Il est vrai que nous n'en sommes pas à un mensonge ou à une contradiction près, de la part des intéressés, dans cette répugnante et inhumaine affaire.

 

La conspiration du silence !...

 

Son forfait perpétré, Le Pape partit avec ses deux fillettes pour la fête foraine du Champ de Bataille.

 

Inquiète ou curieuse, la belle-mère descendit dans la cave à deux reprises et non seulement comme elle l'a dit à 21 h. 40, et elle vit que sa fille était inerte et ne respirait plus.

 

Au retour du mari assassin, un conciliabule s'engagea sous le toit de Le Pape, auquel prenaient part outre celui-ci, le veuve Poupon et le neveu.

Il s'agissait de dissimuler le crime et d'essayer de le transformer en suicide.

Il fut décidé que le corps serait jeté dans l'Odet, chose qui fut faite aussitôt.

Par qui ?

« Par ma belle-mère et mon neveu », assure Le Pape.

 

Cette scène se serait déroulée dans la soirée du mardi au mercredi.

Une variation de plus !

 

Le lendemain mercredi, continuant une mise en scène ordonnée d'après un plan préconçu, on envoyait l'aînée des fillettes, Jeannette, âgée de 10 ans, demander à l'employeur habituel de Mme Le Pape s'il ne l'avait pas vue.

 

Au sujet du manteau de la victime qui fut trouvé au bord de la rivière, dans la prairie de l'Odet, le meurtrier ignore comment il fut déposé là et par qui il fut apporté.

 

À côté d'éclaircies, l'affaire comporte en elle-même des points obscurs qu'une confrontation prochaine des principaux intéressés parviendra, nous l'espérons, à élucider

 

Ajoutons que Me Guirardel a été chargé de la défense de la veuve Poupon.

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Source : La Dépêche de Brest 31 août 1939

 

M. Le Sciellour, juge d'instruction, assisté de MM. Chicard, greffier, et Goulaouic, interprète, avait convoqué hier matin à son cabinet, Sébastien Poupon, le neveu de la victime.

 

On sait que celui-ci, qui habitait à La Forêt, sous le toit des époux Le Pape, est la seule des trois personnes directement intéressées à l'affaire qui reste encore en liberté.

 

Poupon arrivait au palais de justice à dix heures.

Il était aussitôt introduit dans le cabinet du juge d'instruction, qui procédait à son interrogatoire jusqu'à treize heures.

 

Après une courte pause pour le déjeuner, l'interrogatoire reprenait, pour se poursuivre jusqu'à 18 heures.

Le témoin a persisté, avec la même énergie que lors des auditions précédentes, à affirmer qu'il ne prit point part au drame, non plus qu'aux faits qui se déroulèrent ensuite jusqu'au moment où le corps fut jeté dans l'Odet.

 

II se trouvait au début de la soirée, a-t-il reconnu, au fond du jardin, et il entendit fort bien les bruits de la discussion survenue à l'intérieur de la maison.

 

On voit qu'il est beaucoup moins explicite que la belle-mère de la victime, qui elle aussi se trouvait dans le jardin et a fait des déclarations plus détaillées.

 

Là réside l'essentiel de son audition qui est, on peut le voir, d'une grande prudence.

 

À la suite de cet interrogatoire unique, M. Le Sciellour confrontait en sa présence l'adolescent et la veuve Poupon, qui avait été extraite de la maison d'arrêt.

 

Une confrontation analogue devait ensuite réunir Corentin Le Pape et le neveu.

 

Me Feunteun, avocat au barreau de Quimper, assistait le premier nommé.

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Source : La Dépêche de Brest 1 septembre 1939

 

Il y a huit jours, après un long interrogatoire, Corentin Le Pape avouait à M. Le Sciellour, juge d'instruction, en présence de son avocat, Me Feunteun, que non seulement il avait porté un coup de bâton sur la tête de sa femme, mais que celle-ci, s'étant relevée péniblement, l'avait suivi dans la cave où, en tombant de nouveau sur le sol, elle l'avait traité de lâche.

 

C'est alors, déclarait Corentin Le Pape, que, pour l'empêcher de crier, il s'était emparé d'une ficelle et l'avait étranglée.

 

Étant parti ensuite avec ses enfants à la fête foraine, il ne vit plus le cadavre de sa femme, mais pendant la nuit il entendit un bruit de pas et de roues, accusant ainsi sa belle-mère et son neveu d'être allés jeter le cadavre dans la rivière.

 

En raison de ces déclarations précises, la veuve Poupon et le jeune Poupon étaient confrontés mercredi avec Corentin Le Pape ;

on attendait beaucoup de cette entrevue, mais le mari criminel revenant sur ses aveux, ne permit pas d'éclaircir le triste drame dont nous avons déjà longuement parlé.

 

LE NEVEU NE SAIT RIEN !

 

Interrogé de nouveau et mis au courant des déclarations de son oncle, le jeune Sébastien Poupon, comme depuis le début de l'affaire, nia toute participation au crime, disant qu'il était au fond du jardin lorsqu'il entendit le bruit d'une violente discussion entre son oncle et sa tante, dans la maison, mais qu'il ne sait rien de plus.

 

Il n'a pas vu le cadavre et, bien entendu, n'a pas aidé la veuve Poupon à aller le jeter à la rivière.

 

Le magistrat instructeur attendait beaucoup de la confrontation qui allait suivre pour confondre le jeune Poupon, mais c'est alors que se produisit ce fait inattendu :

Le Pape revint sur ses précédentes déclarations, ainsi du reste que sa belle-mère, qui déclare avoir vu le cadavre dans la cave mais se défend d'y avoir touché.

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CORENTIN LE PAPE VEUT TOUT NIER

 

L'instruction commencée à 10 heures du matin, interrompue pendant l’heure du déjeuner, reprit dès le début de l'après-midi et se poursuivit jusqu’à 21 h.30, pour n'apporter aucune précision, aucun éclaircissement.

 

En effet, Corentin Le Pape changeant complètement d'attitude revint d'abord sur tous ses aveux.

Il nia avoir porté un coup de bâton sur la tête de sa femme et bien entendu, l'avoir étranglée. -

 

En raison de ses premières déclarations, le juge d'instruction prouva facilement à Le Pape que son nouveau système de défense était absurde et c'est pourquoi, après de longues discussions, il refit le récit du début du drame et reconnut le premier coup porté, mais refusa énergiquement d'avouer avoir étranglé sa femme

 

Il n'y avait, dans ces conditions rien à faire pour savoir qui porta le cadavre de la malheureuse victime dans la rivière.

Tout était à reprendre et devant les dénégations du mari criminel on ne pouvait espérer obtenir des aveux simplement ou des précisions du jeune neveu et de la veuve Poupon.

 

L'instruction de cette lamentable affaire reprendra la semaine prochaine mais promet d'être longue et difficile en raison des rétractations de Le Pape et de l'entêtement de sa belle-mère et de son neveu.

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Source : La Dépêche de Brest 14 septembre 1939

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Source : La Dépêche de Brest 30 septembre 1939

 

Une fois de plus il nous faut revenir sur le drame du quartier de l'Hippodrome dont l'instruction est rendue particulièrement difficile par les rétractations de Le Pape, après ses premiers aveux et par les contradictions qui subsistent entre les déclarations des membres de la famille Le Pape.

 

Hier le parquet de Quimper s’est transporté dans la maison du crime.

 

Au cours de la reconstitution du drame, Le Pape a paru parfois un peu ébranlé dans ses déclarations, néanmoins il a maintenu n'avoir porté qu'un coup de bâton, non mortel, sur la tête de sa femme et ensuite ne l'avoir plus jamais vue vivante.

 

La veuve Poupon, mère de la victime, maintient ses précédentes déclarations :

Elle a vu le cadavre de sa fille dans la cave et certifie que le mercredi Le Pape et sa mère ont eu une conversation, près de l'endroit où se trouvait le corps, pendant une heure environ.

 

Bien entendu Le Pape nie cette déclaration qui l'accable.

 

Après un long interrogatoire sur place M. Le Sciellour, juge d'instruction ;

Brouard, procureur de la République ;

Chicard, greffier, et Goulaouic, interprète, se sont rendus sur le bord de la rivière, à l'endroit où fut trouvé le manteau de la victime et où son corps fut aperçu descendant au fil de l'eau.

 

Me Alizon, le défenseur de Le Pape, assista son client au cours des diverses opérations du parquet.

 

À la fin de la journée, la veuve Poupon a été mise en liberté provisoire en raison de son âge et de son état de santé.

 

Prochainement l'instruction reprendra, de nouvelles confrontations auront lieu, puissent-elles enfin amener la lumière sur cette douloureuse et mystérieuse affaire qui commence à énerver l'opinion publique !

 

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Source : La Dépêche de Brest 19 avril 1940

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