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1939

Un journalier frappe à coups de hache
son ancienne patronne
à Saint-Pierre QuilBignon

 

Journalier frappe ancienne patronne 9 août 1939.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 9 août 1939

 

Une agression commise dans des conditions particulièrement sauvages a mis hier en émoi le quartier de Kernabat, en Saint-Pierre Quilbignon.

 

Une fermière et sa fille revenaient d'un champ vers leur maison, quand elles se trouvèrent en face d'un homme qu'elles redoutaient depuis longtemps.

Celui-ci, écartant la vieille fermière, frappa sa fille à coups de hache sur la tête puis, ayant satisfait sa vengeance, prit la fuite, laissant sa victime étendue le long d'une haie.

 

Le drame

 

Mme veuve Jézéquel, âgée de 82 ans, exploite avec sa fille Perrine, veuve Séité, âgée de 46 ans et des parents, une ferme à Kernabat, petite agglomération située à un kilomètre environ de la mairie de Saint-Pierre, sur la route de Sainte-Anne.

 

De bonne heure, les deux femmes étaient parties aux champs et, vers 13 h. 30, revenaient à la ferme avec des bottes de poireaux.

Mme Perrine Séité et sa mère se trouvaient encore à plus de 200 mètres de leur domicile, dans un petit chemin sinueux, quand elles virent venir vers elles Jean-François Nédélec, âgé de 39 ans.

 

Celui-ci avait été employé, jusqu'en février dernier, comme garçon de ferme, par Mme Séité.

Ne donnant plus satisfaction, il avait été renvoyé et depuis lors, ne dissimulait pas la haine qu'il portait à la fermière.

 

François Nédélec s'avança vers son ancienne patronne puis sortit une hache qu'il tenait dissimulée sous son veston.

 

— Je sais, dit-il, que vous allez vous marier, mais vous ne vous marierez pas !

 

Sur ces mots, il brandit son arme terrible.

Le premier coup atteignit Mme Séité au sommet du crâne.

Aussitôt la malheureuse tomba à terre.

Le forcené s'acharna alors sur sa victime, l'atteignant encore deux fois à la tête et une fois au bras gauche.

 

La scène fut extrêmement rapide et personne n'entendit les appels désespérés de la fermière.

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La victime et une amie.jpg

 

Mme veuve Jézéquel, en dépit de ses 82 ans se porta au secours de sa fille et parvint à arracher la hache des mains de Nédélec.

Dans la courte lutte, Mme Jézéquel fut blessée à deux doigts de la main droite.

 

Craignant sans doute de voir arriver du secours et croyant sa victime touchée à mort, le meurtrier prit la fuite à travers champs, en direction de la Grande Rivière.

 

L'alerte

 

Malgré ses blessures, perdant son sang en abondance, Mme Séité, aidée de sa mère put parvenir jusqu'à sa maison où on l'étendit sur des oreillers.

 

M. Louis Troadec, âgé de 28 ans, gendre de Mme Jézéquel, courut à la mairie de Saint-Pierre-Quilbignon, où il alerta les gardes champêtres Ouarné et Rivoal, qui, eux-mêmes, avisèrent la gendarmerie départementale, puis l'ambulance municipale de Brest.

 

Pendant ce temps, une voisine, Mme Larheur, donnait des soins à la blessée.

 

L'ambulance ne tarda pas à arriver à Kernabat et transportait Mme Séité à la clinique des docteurs Pouliquen et de La Marnière.

 

Le garde champêtre Ouarné, aussitôt averti s'était rendu à Kernabat pour tenter d'arrêter le meurtrier, mais ses rapides recherches furent vaines, puisque l'homme devait être déjà loin.

La hache, toute ensanglantée, qu’il avait abandonnée dans le champ, fut ramenée à la ferme pour être remise aux enquêteurs.

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Ce que nous dit Mme veuve Jézéquel

 

Mme veuve Jézéquel entend assez bien le français, mais ne le parle guère.

Par le truchement d'un interprète, elle nous fit la déclaration suivante :

 

— Comme vous le savez, nous revenions des champs, ma fille et moi, avec les poireaux que nous venions d'arracher.

Quand l'ai vu Nédélec arriver vers nous, j’ai pensé qu'il allait arriver quelque chose, car souvent il nous avait menacées depuis son renvoi.

 

Sans rien dire, il a frappé ma fille (Mme Jézéquel n'a pas entendu le propos dont sa fille elle-même a pu faire état).

 

Quand la malheureuse est tombée.

Il a enjambé son corps pour frapper à nouveau.

Cela n'avait duré qu'une seconde.

Heureusement, j'ai pu arracher la hache de ses mains, sans cela...

 

Il faut rendre hommage au courage dort fit preuve en la circonstance cette femme de 82 ans, dont l'intervention aura certainement surpris Nédélec.

 

L'enquête

 

Vers 14 heures, le capitaine de gendarmerie Meinier, commandant les brigades de l'arrondissement, arrivait à Kernabat, avec les gendarmes Rabaud, Kespern et le garde-mobile Costiou, pour procéder aux constatations.

Les gendarmes parcoururent les environs pour tenter de trouver la trace de Nédélec, mais cela fut impossible.

 

Vers 15 h. 30, il fut décidé de faire appel à un peloton de vingt gardes mobiles, qui arrivèrent sous le commandement du lieutenant Darne.

 

Les terres, aux alentours de Kernabat sont très accidentées et particulièrement boisées.

Il n'aurait guère été facile de retrouver le meurtrier s'il avait décidé de s'y cacher, au moins jusqu'à la nuit.

 

Une véritable chasse à l'homme fut entreprise, mais elle fut infructueuse.

 

En fin d'après-midi, comme nous le verrons plus loin, on apprenait que Nédélec s'était dirigé vers Brest.

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Mme veuve Jézéquel.jpg

 

L'arrivée du parquet

 

Entre temps, les membres du parquet de Brest étaient arrivés à la ferme.

M. Lautier, juge d'instruction, était accompagné de M. Hébert, substitut du procureur de la République et de M. Le Gall, greffier.

 

Les magistrats se rendirent sur les lieux de l'agression avec Mme Jézéquel et le garde mobile Costiou, qui servit d'interprète.

 

La mère de la victime, au cours d'une sommaire reconstitution de la tentative de meurtre, fit au magistrat le récit dont nous avons donné le détail plus haut.

 

La haine

 

Une nièce de Mme Séité fit des déclarations qui éclairent cette affaire de son vrai jour :

Nédélec a agi par haine et par dépit.

 

— Quand il a quitté la ferme, dit-elle, il eut cette parole :

« Votre vie est entre mes mains ! »

 

Depuis, chaque fois qu'il passait par là il proférait des menaces de mort.

En partant, il avait emporté un rasoir à grande lame qui se trouvait chez ma tante.

Nous en avions d'ailleurs retrouvé l'étui dans un champ de trèfle.

 

Il y a près de deux mois, Nédélec avait poursuivi ma tante pour essayer de la frapper avec le rasoir.

Il fut alors appréhendé et conduit à la mairie, où les gendarmes l'avaient Interrogé.

 

Ce qu'est Nédélec

 

Nous avons également rencontré, hier, M. Ouarné, garde champêtre, qui nous confirma ce qu'avait dit la nièce de Mme Séité :

 

— L'affaire d'aujourd'hui est bien l'aboutissement de vieilles rancunes.

À la vérité. François Nédélec n'a pourtant pas la réputation d'un homme dangereux.

Mais lorsqu'il a bu — et il boit souvent — il est très violent.

Ce matin, je l'ai rencontré.

D'habitude, il me dit bonjour.

Or, bien que m'ayant vu, il a baissé la tête et poursuivi son chemin.

Sans doute, méditait-il son mauvais coup.

D'ailleurs, il l'a prémédité, puisqu'il s'est porté à la rencontre des deux femmes, armé d'une hache.

Et puis, il fallait bien qu'il sache dans quel champ elles étaient.

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Jean François Nédélec 10 aout 1939.jpg

 

Une déclaration de la victime

 

À 17 h. 45, l'ambulance municipale ramenait la victime à son domicile.

 

Bien que dans un grand état de faiblesse, Mme Séité put faire une brève déclaration à M Lautier.

Elle confirma les explications que sa mère avaient données aux magistrats au début de l'enquête.

Mais aussi elle déclara bien que Nédélec, au moment de frapper, lui avait dit :

« Je sais que vous allez vous marier, mais vous ne vous marierez pas ».

 

M. Lautier ne voulut pas fatiguer la blessée et, aussitôt après avoir recueilli cette déclaration, il regagnait Brest avec M. Le Gall.

 

Ajoutons que, bien qu'étant graves, les blessures de Mme Séité ne mettent peut-être pas ses jours en danger.

 

Sur les traces du meurtrier

 

En fin d'après-midi, on apprenait qu'une dame Ropars avait vu Nédélec, vers 13 h. 45, devant l'entreprise Leveaux, du côté des grands chantiers de puits à mazout.

 

À 16 heures, on retrouvait sa trace aux Trois-Chemins.

Le meurtrier était couché dans un champ.

Comme des gens tentaient de s'en approcher, il s'empressa de prendre la fuite.

 

Enfin, un habitant de Kernabat, M. Collobert, déclara avoir vu le fugitif rue Jean Jaurès, près de Castel-an-Daol.

Il se dirigeait vers Brest.

 

Les recherches, un moment interrompues, devaient reprendre vers 20 heures et se poursuivre toute la nuit.

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Meurtrier Quilbignon 10 aout 1939.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 10 août 1939

 

Jean-François Nédélec, ce valet de ferme qui tenta de tuer à coups de hache son ancienne patronne,

Mme veuve Perrine Séité, cultivatrice à Kernabat, a été arrêté hier matin, à 11 h., près de La Trinité, après une longue chasse aux nombreuses péripéties.

Ce n'est que vaincu par la fatigue qu'il s'est rendu à ses poursuivants, dans les conditions que nous verrons plus loin.

 

PISTES TROP NOMBREUSES

 

Ainsi qu'il devait arriver, de trop nombreuses pistes s'offraient aux enquêteurs.

Un peu partout, des gens, sans doute bien intentionnés, avaient cru voir Nédélec.

On le signalait à Gouesnou, aux environs de Menez-Paul, à Recouvrance, à Guilers, du côté de Sainte-Anne, etc.

 

Vingt gardes mobiles et des gendarmes procédaient, depuis mardi soir, à des investigations dans la campagne.

L'homme ne semblait pas devoir réussir longtemps à dérouter les recherches.

 

Au début de la matinée d'hier on apprenait qu'il avait passé une partie de la nuit dans une ferme, à Castel-Vian, près de Guilers.

Le patron de cette exploitation, ignorant l'acte commis par Nédélec, devait l'embaucher.

 

De très bonne heure, le valet de ferme était parti en disant qu'il se rendait à Brest pour y chercher ses effets et qu'il reviendrait pour 11 heures.

 

Aussitôt des gendarmes furent postés aux environs de la ferme.

Ils devaient d'ailleurs monter vainement la garde.

 

Enfin, çà et là, à travers la campagne, les patrouilles cherchaient la trace du fugitif.

 

LE VOICI !

 

Nédélec, au lieu de se diriger vers Brest, avait pris le chemin de La Trinité.

Vers Ï0 heures, il arrivait à Kerbalanec, à l'entrée du bourg.

Son espoir était de passer sans éveiller l'attention et de pouvoir s'acheter un journal afin de connaître avec certitude l'état de sa victime.

 

Au moment où il passait devant les premières maisons du bourg, il fut précisément reconnu par M. Le Moign, boucher à Saint-Pierre Quilbignon.

 

Ne se sentant plus en sûreté, Nédélec renonça à son projet et prit un petit chemin de traverse en direction de la mer.

 

M. Le Moign s'élança à la poursuite du fugitif, mais celui-ci le distança.

Le boucher avertit alors le fermier voisin, M. Paul Rioual, de ce qui se passait et s'en fut à la poste pour aviser

M. Eusen, maire de Saint-Pierre Quilbignon, qui, lui-même téléphona la nouvelle à la gendarmerie de Brest.

Aussitôt le gendarme Kerspern se rendit en auto à La Trinité, où nous arrivions également.

 

Aurait-on perdu à nouveau la trace du meurtrier ?

Les uns nous disaient qu'il avait pris tel chemin, les autres qu'il avait pris tel sentier...

Chacun s'accordait sur un point : l'homme était chaussé de sandales blanches.

 

Enfin on apprit avec certitude que quatre jeunes gens et un jeune garçon :

MM. Pierre Rioual, 18 ans, cultivateur ;

Hervé Rioual, 25 ans, grutier ;

Yves Rioual, 30 ans, chauffeur d'autos à l'entreprise Petton ;

René Abily, 16 ans, cultivateur, et le petit Ollivier Calvarin, 12 ans et demi, s'étaient résolument lancés à la poursuite de Nédélec, bien décidés à l'arrêter.

 

Puisqu'ils ne revenaient pas, c'est que l'opération allait réussir, car ils battaient la campagne depuis près de trois quarts d'heure.

 

En effet, à 11 h. 15, les cinq jeunes gens arrivaient sur la grand' route, encadrant « l'homme aux sandales blanches ».

Ils firent une entrée triomphale dans le bourg, chacun les félicitant comme ils le méritaient de leur courageuse initiative.

 

Le gendarme Kerspern passa les menottes à Nédélec et le conduisit immédiatement à la gendarmerie de Brest.

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JE N'EN PEUX PLUS !

 

Quelques instants plus tard, MM. Pierre, Hervé, Yves Rioual et René Abily et Ollivier Calvarin nous contaient leur aventure.

 

— Ce fut un peu comme une battue de chasseurs, nous dit l'un.

 En effet, nous l'avions perdu de vue et force nous fut de le suivre d'abord à la trace.

Enfin, d'une hauteur, nous avons repéré l’homme.

Il traversait une prairie.

Pendant plus d’un kilomètre, on l’a suivi en forçant l'allure.

 

À la fin, on a « fait un sprint » pour l'approcher.

L'un de nous lui a crié : « J'ai besoin de vous parler ! »

 

À ce moment, Nédélec a redoublé de vitesse.

Nous l'avons eu à la fatigue, comme on dit.

Il avait perdu une sandale... et nous, nos sabots.

 

Finalement, l’homme s’arrêta et se tourna vers nous en disant : « Je n'en peux plus ! »

Et nous... on en avait assez.

Le dialogue suivant s'engagea, naturellement fort décousu :

— Qu'est-ce que tu as fait hier ?

— Oui, c'est moi... Est-ce que je l'ai tuée? 

— Nous ne savons pas.

— Qu'est-ce que tu « lui » as fait ?

« Tapé dessus sa tête » avec une hache. C'est mon ancienne patronne...

— Viens avec nous !

— J'ai soif !

— Nous aussi. En route I

 

Et sur le chemin du retour le meurtrier déclara qu'il « pouvait payer un litre », car il avait « assez de sous » dans sa poche.

Naturellement ses gardiens n'acceptèrent pas.

 

« POUR LUI FAIRE PEUR... »

 

Nous avons pu questionner Nédélec, qui semble assez indifférent à ce qui se passe autour de lui.

Son regard est à la fois sournois et craintif.

 

— Je ne comptais pas la tuer, dit-il, mais la blesser.

Je voulais lui faire peur.

Lundi matin, j'ai volé la hache dont je me suis servi, chez mon patron, M. Sommier père, au Cosquer, en Sainte-Anne, et je l'ai cachée dans un champ, à côté de la maison.

 

— Tu as dit à Mme Séité : « Je sais que vous allez vous marier, mais vous ne vous marierez pas ».

— J'ai peut-être dit cela, mais je ne m'en souviens pas...

 

Visiblement, Nédélec ne veut pas s'expliquer sur le mobile de son forfait.

— Pourquoi as-tu pris la fuite ?

 

Il hausse les épaules :

— Je ne voulais pas aller bien loin... Je savais bien que je serais arrêté.

 

Et sans aucune conviction, comme pour remplir une simple formalité Nédélec ajoute :

— Je regrette...

 

Au moment de son arrestation, on a trouvé sur le fugitif quelques sous, un petit couteau et une lettre adressée à ses parents, dans laquelle il écrivait à peu près ceci :

« Je vais faire un mauvais coup.

 Je vais me venger.

Quand vous apprendrez mon crime, vous frémirez.

Je vais vous faire bien du chagrin...

Mais je suis las de la vie et quand je me serai vengé, « j'irai à la corde ».

 

Comme on le voit, si Nédélec a bien prémédité son acte, il n'a pas tenu sa seconde promesse.

Il ne s'est pas pendu.

 

AU PALAIS

 

Amené hier, à 14 heures, devant M. Lautier, juge d'instruction, Nédélec a fait quelques déclarations assez vagues et qui sont à peu près identiques à celles que nous avons reproduites plus haut.

 

Il déclare, contre toute vraisemblance, que Mme Séité n'est pas tombée à terre, alors qu'elle s'est effondrée sur l'herbe après le premier coup de hache.

Nédélec a maintenu également qu’il n’avait voulu que « faire peur ».

Il est probable qu’au cours de l’instruction il devra se montrer plus précis.

 

Jean-François Nédélec a été écroué au Bouguen, sous la prévention de « tentative d'homicide volontaire avec préméditation ».

 

Il comparaîtra donc devant les jurés du Finistère.

 

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Source : La Dépêche de Brest 11 janvier 1940

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Tentative d'assassinat 11 janv 1940.jpg
Assises 11 janvier 1940.jpg
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