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Le crime de Kéroriou

Article 5 sur 8

 

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Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1939

 

Les deux hommes se relevèrent, ruisselants de sueur :

Voilà deux heures et demie qu'ils creusaient, sans résultat, l'enclos de Bescond.

Le substitut tira sa montre de son gousset et fit la grimace :

« Déjà cinq heures ! » et les badauds qui commençaient d'affluer !

Une angoisse le prit à la pensée que cette dénonciation anonyme était peut-être l'œuvre d'un mauvais plaisant.

S'il allait échouer dans ses recherches !

De quel ridicule ne se couvrirait-il pas aux yeux du juge d'instruction 

Il entendait d'ici la voix pointue et les ricanements de son collègue :

« C'était bien la peine de faire tant de zèle pour revenir bredouille !

Ces jeunes, ça se croit plus malin que les autres... »

 

Il prit à témoin le lieutenant de gendarmerie qui l'assistait :

— Pourtant, c'est bien l'endroit Indiqué dans la lettre.

 

Geneviève Bescond, qui avait reçu les gens de justice et assistait, muette, à leurs investigations, ouvrit la bouche pour parler.

Elle fut devancée par le sergent de police Gosselin :

« Monsieur le procureur, il y a peut-être un moyen.

Nous venons d'apprendre que la lettre avait été rédigée sous la dictée de l'écrivain public Rousseau.

— Que ne le disiez-vous plus tôt ?

Faites venir cet homme », ordonna le magistrat.

 

Dix minutes plus tard, Rousseau était sur les lieux.

Il révéla que la lettre s'inspirait des déclarations de Marie Pérès, propre femme de Bescond, laquelle tenait les renseignements de sa fille Geneviève.

Interpellée, celle-ci ne fit aucune difficulté pour indiquer le lieu où devait être enfoui le malheureux Castel.

 

Effectivement, au bout d'un quart d'heure de travail, une odeur très forte se dégagea du sol et les terrassiers mirent à jour des lambeaux de vêtements.

Le substitut fit suspendre les travaux, dépêcha un gendarme chez le médecin légiste et le juge d'instruction.

Le bruit de la macabre découverte s'était vivement répandu parmi la foule.

Bientôt, la maréchaussée se vit impuissante à contenir les quelque deux à trois mille personnes qui se poussaient pour mieux voir et menaçaient de se précipiter sur la fosse.

Force fut de réquisitionner la troupe :

cinquante hommes arrivèrent, baïonnette au canon, et dégagèrent les abords de l'enclos.

 

Le médecin légiste était sur les lieux vers sept heures et demie ;

quant au juge d'instruction, une fois de plus, il n'avait pas jugé à propos de se déranger.

Le cadavre, sorti à bras d'hommes, fut transporté sous escorte à l'hospice de Brest, où devait avoir lieu l'autopsie.

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Nicolas Bescond était de ces brutes épaisses, enfouies dans la matière, qu'aucun sentiment, aucun remords ne sauraient troubler dans leurs délectations bestiales.

La mort de Castel ne pesait pas plus sur sa conscience que celle de tant de veaux qu'il avait saignés à blanc avec les pires raffinements de cruauté, et la proximité du cadavre ne l'empêchait ni de manger, ni de boire, ni de dormir, ni de caresser la veuve de son malheureux ami.

 

Cinq mois ayant passé depuis le crime, il se croyait assuré de l'impunité.

Mais c'était trop de trois femmes dans la confidence.

Il avait beau régner sur elles par la terreur, un jour viendrait où la plus menacée ou la plus faible parlerait.

On sait dans quelles circonstances la propre fille du meurtrier avait dévoilé le terrible secret.

 

Donc, Bescond revenait ce lundi du marché de Lesneven, en compagnie de la veuve Castel.

Les deux amants se séparèrent place de la Liberté.

Que l'on juge de l'émotion du boucher lorsqu'il aperçut la foule qui entourait sa maison.

Il s'y glissa.

Un badaud, qui ne le connaissait pas, lui apprit qu'on cherchait un cadavre.

Il s'en doutait bien, parbleu !

Et moitié marchant, moitié courant, jusqu'au domicile de sa concubine.

« Nous sommes perdus ! s'écria-t-il en entrant. On fouille ! »

Et il se laissa tomber sur une chaise.

La veuve Castel et sa fille tentèrent de le rassurer :

« On ne trouvera rien, maintenant.

Il doit être tout brûlé. »

Mais il ne partageait pas cette conviction, encore moins l'infâme sang-froid dont les deux femmes faisaient preuve.

 

« Si l'on retrouve quelque chose, il faudra que tu prennes tout sur ton compte, Joséphine.

Tu es trop jeune pour qu'on te condamne au bagne ou à l'échafaud.

Tandis que nous autres... »

Il eut un cri d'agonie comme si, réellement, on s'apprêtait à lui couper la tête.

 

— Et Geneviève, où est-elle ?

C'est elle qui a dû nous vendre.

Elle aura tout raconté à sa mère...

Il faut que je voie ma femme pour qu'elle ne dise rien.

Vous pensez bien que si la police perquisitionne, c’est qu’elle a parlé, fit la veuve Castel écœurée de trouver tant de lâcheté chez un homme aussi fort, aussi brutal.

Mais lui, n'écoutant que sa terreur panique s'était enfui au dehors.

 

Dix minutes plus tard, il entrait chez sa femme.

Celle-ci crut sa dernière heure arrivée.

Quelle ne fut pas sa stupeur de voir son mari se jeter à ses pieds !

« Pardonne-moi, Marie, de t'avoir fait tant de mal, mais je te jure que si tu acceptes de revenir avec moi, je ne te donnerai plus aucun sujet de plainte. »

 

C'était la première fois de sa vie qu'elle le voyait pleurer.

Elle eut un élan de pitié, vite réprimé.

« Comment te croire, après que tu m'as trompée aussi odieusement ? »

 

Il larmoya :

« Tu ne sais pas ce que c'est que cette femme, Marie !

Elle est pire que le démon...

Mais j'en ai assez d'elle.

Si tu y consens, nous quitterons Brest tous les deux. »

 

Elle avait repris tout son aplomb et, glaciale, enchaîna :

« Pour Le Havre, sans doute ? »

Il devint blême et bégaya :

« Pourquoi parles-tu du Havre ? »

 

Elle continua, impitoyable :

« Je parle du Havre, parce que c'est au Havre que se trouve ton ami Castel, du moins à ce que prétend sa femme.

Il paraît qu'il lui écrit ;

mais vous seriez bien embarrassés, ta belle et toi, s'il vous fallait présenter une lettre de lui, à moins que vous ne la fabriquiez ensemble... »

 

Il perdit pied, haleta, les poings crispés dans ses cheveux :

« Laisse cet homme.

Je ne veux plus entendre parler de lui...

Ça me fait mal... »

 

Elle exulta d'une joie sauvage :

« Ah ! Tu souffres, maintenant que tu te rends compte que tu es pris … »

Il rugit :

« Tu leur as dit ? »

Elle crâna :

« C'était le seul moyen de me sauver.

Crois-tu donc que j'ignorais que tu avais juré de m'étrangler et de mettre le feu à la maison ?

Tu n'es qu'un monstre et je te hais... »

 

Une telle fureur homicide déformait le visage de son mari qu'elle eut peur d'être allée trop loin...

Il s'avança vers elle, pas à pas, les mains, hautes, dans un geste d’étrangleur.

Elle voulut crier, mais l’émotion cloua ses jambes et son gosier.

 

« Épargne-moi. Nicolas ! » implora-t-elle dans un souffle, et elle s’abattit.

On n'étrangle pas une femme évanouie.

D'ailleurs, il était trop tard.

Deux gendarmes venaient de paraitre à la porte :

« Bescond, suivez-nous. »

Docile, il se laissa emmener.

 

Pendant ce temps, la police avait arrêté les trois femmes.

On procéda isolément à leur interrogatoire.

L'essentiel était d'amener la mère ou la fille Castel à corroborer par des aveux les déclarations spontanées de Geneviève Bescond.

Elles se firent longtemps prier, mais quand elles apprirent que le boucher rejetait en bloc toute responsabilité et refusait même de reconnaître le cadavre du malheureux, elles finirent par révéler, avec des variantes inspirées de leur intérêt particulier, les circonstances tragiques de la nuit du 7 au 8 janvier 1840.

On verra, par le récit qui va suivre, qu’elles rejetaient sur Bescond la responsabilité majeure du crime.

Disaient-elles la vérité ?

Ou bien s'étaient-elles concertées pour le perdre et se sauver ?

Nul ne le saura jamais.

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​

À suivre ...

 

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