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Le crime de Kéroriou

Article 7 sur 8

 

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Source : La Dépêche de Brest 15 avril 1939

 

L'Information fut rondement menée sous l'énergique impulsion du substitut, qui multiplia les réquisitoires à l'adresse du juge d'instruction et les enquêtes de police.

 

Il serait excessif, cependant, de dire que le dossier ne comportait pas de lacunes.

Les interrogatoires étaient sommaires, maladroits, encombrés de détails oiseux, alors que des points essentiels restaient dans l'ombre.

Certaines confrontations manquaient, ainsi que ces mille traits psychologiques, qui eussent éclairé, d'un jour révélateur, la mentalité des protagonistes de ce sombre drame familial.

 

Était-il exact, par exemple, que Geneviève Bescond avait tenté, à l'âge de 13 ans, d'empoisonner son père ?

Quelques mois avant le crime, les deux jeunes filles avaient essayé de se procurer, chez un pharmacien de la ville, des pilules d'opium et des mouches cantharides.

À qui et pour quel usage étaient destinés ces médicaments un peu spéciaux ?

Geneviève Bescond était enceinte de plusieurs mois quand on l'arrêta.

Qui pouvait être le père de l'enfant ?

Et la nature exacte des relations de Bescond et de Joséphine Castel ?

Le boucher jouissait-il de la plénitude de ses facultés mentales ?

On multiplierait à l'infini les exemples de ces questions qui n'avaient pas été élucidées.

 

C'était un dossier bâclé, où la mauvaise humeur du juge s'exprimait par les traits de plume rageurs dont il avait souligné les « sept fois interrogé »... « déjà plusieurs fois interrogé »... qui figuraient en tête des procès-verbaux d'interrogatoires.

D'ailleurs, les eût-il renouvelés cent fois au lieu de sept que le résultat n'eût pas été meilleur.

Il n'était ni logicien, ni psychologue ;

Il ne savait ni déduire, ni pressentir et se bornait à enregistrer ce qu'on voulait bien lui raconter.

Nous ne saurons donc jamais le degré d'ignominie de chacun des inculpés.

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Fidèles à l'attitude qu'elles avaient observée tout au long de l'information, les trois femmes continuèrent à charger Bescond devant la Cour d'assises.

À les entendre, c'était lui qui avait tout conçu, préparé et exécuté.

Elles n'avaient fait que l'assister pour l'inhumation.

Encore n'y avaient-elles consenti que sous le coup des pires menaces.

 

Cet acharnement des trois femmes contre un homme qui leur était aussi intimement lié, était tellement répugnant que le public manifesta son indignation par des cris, vite réprimés, de « les sales garces ! ».

 

Quant à Bescond, son système de défense, complètement stupide, consistait non seulement à nier toute participation au crime, mais encore à méconnaître des choses évidentes, telles que la mort de Castel, l'identification de son cadavre, les propositions homicides faites à l'infirmier de l'asile des aliénés de Quimper.

De tous les témoins qui défilèrent à la barre, apportant chacun une pierre à l'édifice des charges, il ne savait que dire :

« Ce n'est pas vrai... Il ment ».

Une telle mauvaise foi indisposa le président, le jury, la foule, jusqu'à l'avoué qui assurait sa défense.

L'avocat général jubilait : il tenait sa condamnation à mort.

 

Son réquisitoire fut impitoyable.

Sur le ton mélodramatique propre à impressionner les jurés, il brossa un tableau très noir du sinistre trio et s'attacha à démontrer que le crime avait été longuement prémédité et perpétré avec acharnement.

Le récit de la nuit du 7 janvier 1840, avec ses détails macabres provoqua un frisson d'épouvante et des réactions vengeresses dans la salle.

Le magistrat du ministère public n'hésita pas à affirmer sa conviction que le malheureux Castel avait d'abord été empoisonné au moyen de laudanum, puis achevé par strangulation.

 

Il réclama une condamnation capitale contre les deux amants, intéressés au premier chef à la disparition du mari et une peine d'emprisonnement perpétuel contre la jeune parricide Joséphine Castel.

Pour Geneviève Bescond, qui n'avait joué, dans l'affaire, qu'un rôle épisodique et, semblait-il, indépendant de sa volonté, il se contenterait d'une légère condamnation de principe.

Il se rassit parmi les applaudissements de la salle : fait assez rare et qui montre combien ce crime était odieux.

 

La tâche des avoués chargés de la défense des trois accusés principaux était rude.

Ils l'accomplirent sans brio.

D'ailleurs, comment faire partager à un jury une conviction qu'ils n'avaient pas eux-mêmes ?

Ils se bornèrent à discuter la préméditation et à plaider les circonstances atténuantes, alors que la véritable solution était de s'attaquer à la matérialité du crime.

Un avocat habile n'y eût pas manqué.

 

Si lourdes, en effet, que fussent les charges relevées contre les accusés, si compromettants les propos, les menaces qu'ils avaient proférés à l'égard de Castel, les coups dont ils l'avaient frappé, le soin qu'ils avaient mis à faire disparaître son cadavre, puis à accréditer la nouvelle de son départ pour Le Havre, deux choses demeuraient, essentielles :

1° On n'avait retrouvé aucune trace de poison dans les viscères ;

2° On n'avait pu établir si la strangulation avait été antérieure ou postérieure au décès.

 

Il en découlait juridiquement :

1° Que Castel n'avait pas été empoisonné ;

2° Qu'il était peut-être mort quand on lui passa la corde au cou.

 

Dès lors, une version s'offrait à la défense :

Castel avait succombé à une embolie, une syncope cardiaque, une congestion cardiaque, une congestion cérébrale...

En présence de cette mort subite, qui venait combler leurs plus chers désirs, les accusés s'étalent affolés.

Ils avaient craint qu'on ne leur en fît un crime.

L'opinion publique aurait vite fait de les accuser.

Ils avaient intérêt à la disparition du mari gêneur ; ils avaient maintes fois désiré sa mort.

On ne manquerait pas d'en déduire qu'ils étaient les assassins.

Is fecit cui prodest : le crime est l'œuvre de celui à qui il profite.

Ils seraient arrêtés, emprisonnés, condamnés sans doute ;

tandis que s'ils réussissaient à cacher le décès...

 

Justement, une facilité s'offrait à eux de faire disparaître le cadavre compromettant sans que personne s'en doutât.

Castel avait un passeport pour Le Havre ; on le croirait parti.

 

Ils avaient attendu qu'il fût bien mort et c'est uniquement pour le faire descendre dans la fosse qu'ils lui avaient passé, autour du cou, ce nœud coulant qui s'était serré sous le poids du corps.

 

Donc, ni empoisonnement, ni strangulation.

Il ne restait que le délit, beaucoup moins grave, d'infraction à la loi sur les inhumations, juste de quoi couvrir la détention préventive.

 

Quant aux accusations des femmes Castel contre Bescond, rien n'indiquait qu'elles ne fussent mensongères, dictées par la peur ou le ressentiment.

 

Enfin, argument essentiel, le mobile du crime restait inexpliqué.

Les accusés n'avaient plus intérêt à supprimer Castel, puisqu'il s'en allait de son propre gré.

 

Qui sait si cette version des faits n'était pas conforme à la réalité ?

Vigoureusement exposée par un avocat persuasif, elle pouvait jeter le trouble dans l'esprit des jurés, entraîner sinon l'acquittement au bénéfice du doute, du moins des circonstances atténuantes.

Comme l'a dit un maitre du barreau :

« Il vaut mieux acquitter vingt coupables que de condamner un innocent ».

Du moins, si l'on condamne, importe-t-il de choisir un châtiment qui ne soit pas irrémédiable et qui réserve la possibilité d'une révision.

 

Les jurés ne s'embarrassèrent pas de pareils scrupules.

Pour eux, le crime ne faisait pas le moindre doute et la déposition de l'infirmier quimpérois établissait indiscutablement la préméditation.

 

Ils rentrèrent en séance après une courte délibération.

Le chef du jury prit place à son banc, mit la main sur son cœur et prononça la formule sacramentelle :

« Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du jury est... »

 

Nicolas Bescond et Sophie Werax, veuve Castel, étaient déclarés coupables d'empoisonnement et d'assassinat sur la personne de René Castel, sans circonstances atténuantes.

C'était la mort pour les deux amants.

 

Joséphine Castel dut à son jeune âge de n'être condamnée qu'à dix années d'emprisonnement.

Quant à Geneviève Bescond, elle bénéficia d'un acquittement.

​

À suivre ...

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