Dimanche 17 Avril 1785
Réunion des membres de la Fabrique de Plouguin
Les pierres traversantes
Lors d’une promenade de découverte dans la campagne Plouguinoise, un ami me dit,
en pointant du doigt le pignon d’une maison :
« Savez-vous à quoi servent ces pierres traversantes que l’on aperçoit ? »
« À soutenir le linteau d’une cheminée ? »
« Et dans ce mur de clôture, vous pensez qu’il y a une cheminée ? »
« … »
Et voilà ! Encore une énigme à résoudre…
*
**
Quelques temps plus-tard, je reçois de sa part le résultat de ses recherches :
Cher ami,
On remarque souvent dans le Léon que deux grosses pierres font saillies sur le pignon des maisons.
Elles correspondent aux pierres qui soutiennent le manteau de la cheminée.
Est-ce vraiment nécessaire pour équilibrer le poids de celui-ci ?
Voyez la photo prise à Loc-Majan.
On appelle « boutisses traversantes » des pierres qui font toute l'épaisseur du mur.
Elles sont nécessaires pour la solidité de l'ouvrage.
« Les pierres qui dépassent sont des boutisses, ou « pierres parpaignes ».
Dictionnaire portatif de l'ingénieur 1755
Elles sont indispensables dans la construction d'un mur.
Pour monter un mur, le maçon utilise des pierres de toutes tailles, parfois très petites.
S'il se contentait de les empiler, le mur ne tiendrait pas longtemps : il s'ouvrirait en deux.
Pour éviter cela, il met de grandes pierres qui font toute la largeur du mur, pour assurer la couture du mur en épaisseur.
Elles dépassent donc, et on ne les taille pas pour les aligner au mur pour plusieurs raisons :
D’abord, si l'on souhaite agrandir, ou ajouter une grange sur un mur existant, on « accroche » le nouveau mur à l'ancien sur ces boutisses, un peu comme un puzzle.
Cela évite que les deux murs ne s'ouvrent.
Et surtout, si vous voyez que votre maçon fait dépasser ces pierres, cela vous rassure sur la solidité de votre mur ;
pour féliciter le maçon de son bon travail, vous lui posez « une bouteille de vin sur chaque pierre qui dépasse ! »
Moulin de Pont-Prenn - Tréouergat
Les contrepoids de corbeaux de cheminée.
Il n’est pas rare de voir, dans nos villages, sur certaines maisons, deux grosses pierres passantes, disposées sur chant et à hauteur d’homme dans un pignon.
En fait, elles correspondent à des blocs posés en guise de contrepoids sur le bout extérieur des corbeaux en bois ou en pierre d’une cheminée monumentale à manteau.
Ensuite, les pierres en saillie se rencontrent surtout dans les pignons, murs qui, dans une construction, doivent être les plus épais et les plus solides car ils sont les plus hauts et supportent la cheminée.
Le rôle des pierres passantes dans les maçonneries rustiques.
Le rôle des pierres passantes dans le renforcement de la solidité des maçonneries de blocage entre deux parements, apparaît clairement lorsque de telles maçonneries sont vues en coupe.
Ces pierres correspondent à des boutisses parpaignes qui, en reliant les deux parements entre eux, les empêchent de s’écarter l’un de l’autre, et qui, en distribuant de façon égale le poids des assises supérieures sur les parements sous-jacents, maintiennent le mur en équilibre.
Sans ces boutisses parpaignes, il faudrait donner aux murs plus d’épaisseur à la base et un « fruit » plus marqué.
Dès lors, on comprend que, dans les maçonneries les plus élaborées, ces parpaings soient placés selon un espacement régulier dans une même assise et que, d’une assise à l’autre, elles soient décalées à la manière d’un dispositif en quinconce.
Si les saillies des parpaignes ne sont pas ragréées, c’est qu’il n y a aucune nécessité constructive à ce qu’elles le soient (seules des raisons d’ordre esthétique ou d’obéissance à une mode pourraient justifier un tel ravalement).
En fait, en ravalant les saillies une fois le mur monté, le maçon risquerait de déstabiliser l’intérieur du mur.
Par la même occasion, « il effacerait toute preuve que son mur a été construit selon les règles de l’art ou d’après les spécifications qui lui ont été imposées dans le bail de construction » lorsqu’il existe (c’est-à-dire une assise de parpaignes tous les x mètres de hauteur, un intervalle de x mètres entre deux parpaignes d’une même assise).
Et le commanditaire est en mesure de vérifier la conformité de l’ouvrage aux normes imposées aussi bien lors de sa construction qu’après son achèvement.
Personnellement, j'ai remarqué que, dans notre grange, les pierres qui soutiennent le manteau de la cheminée dépassent légèrement de l'autre côté du mur, mais seulement de quelques centimètres, ce qui ne leur permet pas d'être un contrepoids à la pierre du manteau, et ne permet pas non plus d'y poser une bouteille de vin…
Par contre, autour d'une fenêtre, on remarque aussi des pierres saillantes, mais à l'intérieur de la construction.
À cet endroit, la pierre étant entièrement visible, la saillie n'apporte aucun renseignement supplémentaire.
Autre observation, celle du mur sud du parc de Lesven.
Les pierres en saillies sont nombreuses.
On ne peut pas vérifier qu'elles traversent complètement le mur.
Pour moi, cher ami, le problème que posent ces pierres reste entier.
Contributeur : Jean Jacques Le Lez