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1895

Brest sous la Restauration

1818 - 1819

- Article 1 sur 6 -

 

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Source : La Dépêche de Brest 30 mars 1895

 

Nous avons reproduit un extrait du journal de Fantin rapportant une plaisante aventure survenue à Brest en 1820,

un mois environ après les troubles qui avaient motivé l'envoi dans la ville, comme gouverneur extraordinaire,

du marquis de Lauriston (*).

 

(*) À lire sur Retro29 : Cliquez ici

Troubles en 1820, en 1819, en 1818, troubles en 1823, troubles en 1825, c’est une période singulièrement mouvementée de l’histoire de Brest que la période de la Restauration.

 

Et chaque année, la cause des désordres est la même :

Sur Brest, comme sur la plupart des villes de France, s'abattent des bandes de missionnaires qui professent en chaire le fanatisme le plus sombre.

Ils prêchent une telle doctrine, en de tels termes et de telle façon que, régulièrement, à chaque mission, le sentiment public se révolte ;

jusque dans les églises, les protestations se font entendre, et de l'église le trouble descend parfois dans la rue.

 

Les documents que l'on a sur cette époque noire ne sont pas nombreux, mais ils sont suffisamment significatifs.

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En mars 1818, les protestations éclatent jusque dans l'armée ;

le 10 mars, des officiers, des sous-officiers, des soldats sont parmi les protestataires à l'église Saint Louis ;

le sous-préfet demande au général lieutenant du roi une garde pour être placée à l'intérieur de l'église.

Le 19, les protestations se renouvellent, et par une lettre du 20, le maréchal de camp baron de Goguelat annonce à M. Henry, maire de la ville, qu'il met à sa disposition une garde de trente hommes commandés par un capitaine, et à laquelle le maire pourra donner l'ordre « d'arracher les perturbateurs, quelque robe qu'ils portent ».

 

Il faut croire que le clergé local mettait sa conduite à l'unisson de la doctrine des missionnaires et à leur fanatisme en paroles ajoutait l'intolérance en action.

 

Le 24 avril 1819, le maire se voyait contraint d'adresser au curé de Saint-Louis la lettre suivante :

 

« Monsieur le curé,

« Il est infiniment pénible pour moi d'apprendre par votre billet de ce jour que vous vous refusez de prêter votre ministère pour les funérailles de M. Désiré Lestourneau, capitaine à la légion de Maine-et-Loire, mort aux hôpitaux maritimes le jour d'hier, à 9 heures du matin.

J'aurais bien désiré que vous vous rendissiez aux sollicitations des officiers de son corps et à la lettre d'invitation que j'ai déjà eu l'honneur de vous écrire ;

mais, puisqu'elle n'a point produit l'effet que je devais en attendre, il est de mon devoir, en exécution de la loi du 23 prairial an 12, de vous ordonner de faire faire la levée du corps de cet officier par l'un des desservants de la paroisse.

J'aime à me persuader, monsieur le curé, que vous obtempérerez à la loi.

Dans le cas contraire, vous resterez responsable de toutes recherches ultérieures. »

 

Et le même jour, l'ordre suivant était donné au commissaire de police Rabasse :

 

« Vu le refus de M. le curé de Saint-Louis de faire les funérailles de M. Lestourneau, capitaine à la légion de Maine-et-Loire.je vous invite de vouloir bien vous trouver demain, à sept heures du matin, à l'hôpital de la marine, pour accompagner le convoi funèbre de cet officier et y maintenir l'ordre et la décence.

Vous vous munirez de votre décoration. »

 

Deux mois après, une actrice, Mlle Déjazet, étant morte, nouveau refus du curé de l'enterrer, et nouvelle lettre du maire au curé (25 juin) exprimant les mêmes sentiments.

Brest vue des environs - 1818.jpg

 

Nouveaux troubles en 1819.

 

Une nouvelle mission est prêchée en octobre, et l'effervescence est dans les esprits.

Le 25 octobre, le maire écrit au curé de Saint-Louis pour le prier d'avancer l'heure d'une bénédiction annoncée pour le même jour, à cinq heures du soir, la nuit tombante pouvant permettre plus facilement « de troubler la majesté du culte divin et de porter atteinte aux bonnes mœurs ».

 

Mais les missionnaires, leurs exercices et leurs discours sont si antipathiques à la population et celle-ci le manifeste si énergiquement que le clergé est obligé de s'incliner devant la réprobation générale.

Des pères de famille, des citoyens notables se réunissent à l'hôtel de ville et demandent la suspension de la mission.

Le maire, les membres du conseil municipal déclarent qu'ils ne répondent plus de la tranquillité publiques si les exercices de la mission continuent d'avoir lieu.

 

Par une lettre du 27 octobre, adressée au maire, l'évoque de Quimper, venu à Brest pour la circonstance, et dont la police avait dû protéger la demeure, informe le maire que la mission est suspendue.

 

Un auteur anonyme exprimait ainsi, dans le style déclamatoire de l'époque, les sentiments de la population libérale de Brest pour les missionnaires :

 

« Le Finistère a donc subi le sort commun des autres départements !

Une cohorte d'hommes noirs, qu'un destin ennemi apporta dans les murs de Brest, y souffle les feux de la discorde...

 

« Ces vendeurs de cantiques, nouveaux comédiens, cherchent-ils à supplanter ceux des théâtres ?

Ne serait-ce que jalousie de métier ?

Ils peuvent intimider les âmes ignorantes, mais leurs efforts viennent échouer et mourir aux pieds des gens sensés !

De combien de sophismes et de sentiments erronés leurs sermons ne fourmillent-ils pas ?

Que d'humbles patenôtres !

Que de nouveaux moyens !

Que de « tournoyemens » d'yeux ils mettent en usage pour accaparer l'argent !

Leur hypocrisie se trahit sous le masque d'une feinte humilité.

Ma foi, la patience m'échappe, et saisi d'une juste indignation, comme Voltaire, je m'écrie :

 

« Notre crédulité fait toute leur science. »

 

« De quel droit se sont-ils permis de lancer une excommunication fulminante contre tout ce qui est du théâtre ?

De quel droit leur ont-ils opposé également une interdiction générale à tout sacrement ?... »

 

Le libéralisme de notre auteur, l'esprit de tolérance de ses concitoyens se révoltaient devant les prédications forcenées que dans les églises de Brest, comme partout alors en ces années de sombre cléricalisme, les missionnaires, agents de la Congrégation, faisaient entendre.

Pour protester contre les excès du fanatisme clérical, en un tel temps, il fallait une fermeté solide de conviction et du courage.

Le parti libéral brestois d'alors n'a manqué ni de l'un ni de l'autre.

 

Nous verrons, dans un prochain numéro, et par là nous reviendrons au journal du général Fantin des Odoards, quels troubles éclatèrent en 1820, en attendant ceux de 1823 et de 1825.

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Source : La Dépêche de Brest 1 avril 1895

 

Il existe à la bibliothèque municipale de Brest un curieux volume, intitulé « La Guêpe, ouvrage moral et littéraire ».

 

C’est une sorte de petite revue publiée de novembre 1818 à juin 1819 par un Brestois E. Corbière, qui a beaucoup écrit.

Il s'y trouve un peu de tout, des récits de faits du jour, des variétés littéraires et morales jusqu’à des vers.

Sur la manière dont le clergé d'alors comprenait son rôle, sur les prédications des missionnaires et leurs effets, l'auteur de « la Guêpe » nous donne d'édifiants renseignements.

« Si l'Église, dit-il, retire de grands avantages spirituels de ces sortes de pieuses caravanes, la société n'en recueille pas, à beaucoup près, les mêmes fruits temporels.

Il est à remarquer que dans les lieux où la mission a prêché la charité et la concorde, on a vu s'élever l'intolérance et la désunion.

Il est singulier que les bénignes homélies de ces pères, loin de dissiper tout à fait l'esprit de parti qui s'éteint en France, n'aient servi qu'à faire revivre, dans les familles, les tristes querelles de 1815 ».

 

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Édouard Corbières

Bénignes homélies est mis là sans doute par ironie, car, à la pige suivante, l'auteur raconte qu'étant entré, quelque temps auparavant, dans l'église de Plougastel, comme l'un des pères prêchait, il vit les murs de l'église tapissés d'estampes sur lesquelles tous les regards se portaient avec effroi et dont le sermon était le commentaire :

Une de ces estampes représentait une âme dévorée des flammes éternelles, avec ces mots pour titre :

« Petit crayon d'une âme damnée » ;

les autres à l'avenant.

Dans le même temps, à Saint-Pol de Léon, il avait vu dans le cimetière, un bûcher dressé par l'ordre des pères et près duquel une femme « assez bien mise » qu'entourait la foule s'écriait :

« Ils seront brûlés, les scélérats ! »

 

II ne s'agissait heureusement que de quelques volumes de Rousseau et de Voltaire.

 

Le missionnaire qui avait eu cette triomphante idée comptait sur l'ignorance de ses auditeurs, et certes il n'eût pas démenti ce curé de campagne avec lequel notre auteur discutait un jour et qui lui prouvait, « le plus clairement du monde, qu'il était nécessaire, pour la sûreté du gouvernement et le maintien de l'ordre public, d'entretenir les paroissiens dans l'ignorance et l'abrutissement ».

 

Plus d'un curé de nos jours serait bien capable d'en penser et d'en dire autant.

Plaisons-nous à croire qu'il s'en trouverait peu pour prononcer un sermon comme celui qu'un missionnaire faisait entendre à Quimper, en décembre 1818, et qui n'était qu’une peinture très réaliste de maux, honteux dont on ne parle guère d'ordinaire devant les femmes honnêtes et les jeunes filles.

Sans doute, le révérend se souvenait d'avoir appris qu'autrefois à Sparte on offrait, pour les détourner du vice, à des enfants, le spectacle d'Ilotes ivres, et crûment il appelait les choses par leur nom.

Les jeunes filles qui avaient assisté au sermon avaient pu ce jour-là s'instruire de tout ce qu'elles n'avaient pas besoin de savoir et, je suppose, ne savaient pas.

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Hilote ivre.

Luigi Mussini

L’Éducation à Sparte,

1869, Musée Ingres.

 

Quelques jours auparavant, dans la même église, un autre prédicateur avait déclaré que tous les mariages faits pendant la Révolution par des prêtres assermentés étaient nuls aux yeux de l'Église.

Conséquence, il fallait se remarier, et bien entendu payer cette seconde édition du sacrement.

 

À Pont-Croix, en annonçant l'arrivée prochaine d'une mission nombreuse, quarante prédicants, qui devaient opérer pendant un mois, le curé disait que tous les mariages « irréguliers » seraient refaits.

On sait ce que cela veut dire, écrit « un citoyen digne de foi » à la Guêpe.

 

Les sermons ne manquaient pas.

À la ville comme à la campagne, on en avait à oreille que veux-tu ;

mais tout se paie en ce monde, même l'enseignement du fanatisme le plus révoltant ;

à Pont Croix, on avait menacé de la damnation et même de la privation de sépulture religieuse ceux qui ne semblaient pas prêts d'enthousiasme à contribuer aux frais de la mission.

 

« On conçoit sans beaucoup de peine, écrit l'auteur de « la Guêpe », le motif qui engage les missionnaires à continuer leurs course, malgré le cri général qui s'élève contre eux.

Leur zèle est trop lucratif pour qu'il ne soit pas persévérant.

Avant leur arrivée dans les villes ou les bourgs, on fait une quête ou on ouvre une souscription en leur faveur.

Chaque signataire ne peut offrir moins d'un franc cinquante centimes :

Ce qui, au minimum, fait, 800 francs pour 600 souscripteurs.

De plus, chacune des chaises de l'église se loue de dix à douze sous pendant les offices, les sermons et, les conférences.

Les remariages, les indulgences, qu'on taxe selon l'énormité des cas, les mystiques consultations, les restitutions faites en secret sont, d'un produit incalculable ;

et l'on n'abandonne pas, pour les criailleries de quelques gens mal intentionnés, des moyens aussi innocents et aussi infaillibles d'enrichir l'Église en lui faisant beaucoup de prosélytes »

 

On conçoit que le parti libéral, puissant à Brest, ait vu avec quelque déplaisir les missions s'abattre sur la ville et s'y livrer à leurs exercices variés.

Le maire de Brest pouvait difficilement, pour préserver de l'épidémie régnante ses concitoyens, imiter ce maire de campagne qui, instruit de l'arrivée prochaine d'une troupe de missionnaires, leur avait, disait-on, fait proposer une somme plus considérable que celle qu'ils eussent retirée de leur prédication, à la condition qu'ils changeraient de direction :

il en eût coûté trop cher à la caisse municipale.

 

Un jour, s'adressant à des missionnaires qui opéraient autour de Brest, la Guêpe les menaça d'une pétition aux Chambres s'ils venaient s'établir dans la ville.

« La désunion des familles, les querelles des partis, le trouble des ménages, l'intolérance :

Voilà, disait la  aux pères, ce que les missionnaires laissent en échange des sommes considérables qu'ils emportent des lieux qu'ils visitent ;

et si c'est à ce prix qu'ils opèrent des conversions, nous ne voulons pas de leurs bienfaits spirituels. »

 

Il faut croire que la menace ne produisit pas grand effet sur les pères.

Alors, moins patients que les paysans qui déboursaient à la moindre réquisition et écoutaient tout sans rien dire, les esprits ardents de la ville protestaient bruyamment.

À l'église, dans la rue, des cris de révolte se faisaient entendre, des troubles éclataient.

 

C’est l’histoire de Brest de 1818 à 1825, pendant la moitié de la Restauration.

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