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1895

Brest sous la Restauration

1820

- Article 2 sur 6 -

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 avril 1895

 

Les troubles de 1818 et de 1819 sont occasionnés par les prédications forcenées et parfois scandaleuses des missionnaires, dont Brest, comme tout le pays alors, est inondé.

Il faut encore voir une conséquence des missions dans les troubles de 1820 ;

une population n'est pas en vain surexcitée des mois, des années durant ;

au moindre incident qui survient, les impatiences éclatent, et si dans le même temps des élections sont à faire, si des procès politiques sont intentés, plus les tentatives de compression sont violentes, plus de force aussi prend, en se manifestant, la protestation.

 

Le département du Finistère avait élu Manuel député en 1818 ;

le grand orateur libéral ayant opté pour la Vendée, les Chefs du parti présentèrent Daunou aux suffrages des électeurs.

Daunou avait été le rédacteur de la constitution de l'an III ;

ce n'avait jamais été un révolutionnaire exalté ;

c'était de toutes façons un modéré ;

mais, ancien oratorien, il s'était laissé faire vicaire général de l'évêque constitutionnel de Paris, aux premières années de la Révolution, il avait été membre de la Convention, membre du comité de Salut public ;

et qu'il eût, lors du procès de Louis XVI, dénié la compétence de la Convention, ce n'était pas pour les ultras une raison suffisante de l'absoudre.

La lutte avait donc été vive sur son nom.

Lanjuinais le patronnait, et Daunou avait été élu.

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Cette double victoire du parti libéral ne pouvait que l'affermir dans ses sentiments.

Les procès mêmes intentés à quelques-uns de ses membres contribuaient à exalter les esprits.

Corbière, l'auteur de la Guêpe, avait été, en 1819, traduit en cour d’assises pour une brochure intitulée

« Trois jours de mission » et acquitté.

Un imprimeur, M. Anner, ayant, quelques mois après, imprimé, d'après un journal, et distribué un appel aux souscripteurs pour les victimes de mesures d'exception contre la liberté individuelle, était, à son tour, renvoyé par la cour royale de Rennes devant les assises du Finistère.

 

Ces faits, ajoutés à beaucoup d'autres, suffisent à expliquer que, le procureur général près la cour de Paris et le procureur général de Rennes étant venus à Brest, la population leur ait fait un assez peu sympathique accueil.

« Lorsque les Brestois, lit-on dans les dernières pages de la Guêpe, ont un juste sujet de se plaindre d'une autorité civile ou militaire même, et que le déplacement ou le renvoi de cette autorité est annoncé, la veille de son départ, des amateurs, toujours en grand nombre, se réunissent sous les fenêtres du petit tyran renversé, et là on exécute, de la manière la plus discordante qu'il est possible, des airs qui fournissent des allusions à la situation, tels que ceux de Bon voyage ;

Quand on est si bien ensemble ;

Quoi, vous partez ?

etc.

Quatre à cinq fonctionnaires ont déjà reçu ces témoignages innocents de l'estime et de l'attachement qu'ils avaient mérités. »

L'auteur ajoute :

« On ne peut se faire une idée de la crainte qu'inspire cette espèce d'hommage public à ceux qui s'en sont rendus dignes.

Un magistrat dont les habitants de Brest croyaient n'avoir pas à se louer, répétait, dit-on, en retournant à sa charrue :

« Perdre ma place n'est rien, mais quel mal ai-je fait pour qu'on me donnât une sérénade ? »

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Le procureur général près la cour de Paris était alors le célèbre Bellart, avocat renommé sous la Révolution et qui, après avoir été, pendant toute la durée de l'Empire, un des plus dithyrambiques panégyristes de Napoléon, s'était brusquement éveillé, le 1er avril 1814, dans la peau d'un de ses plus violents détracteurs et, depuis six ans, mettait autant de zèle à défendre la légitimité et à combattre les libéraux qu'il avait dépensé de pompeux enthousiasme à exalter l'Empire et l'empereur.

À peine son arrivée à Brest fut-elle connue que des jeunes gens résolurent de le traiter comme un « petit tyran renversé ».

Les cris de : À bas Bellart ! À bas le traître ! Retentirent sous ses fenêtres.

C'était le 5 août.

Le lendemain arrivait un député libéral, M. Guilhem ;

on lui fit cortège à son entrée en ville, on l'acclama.

Le contraste était voulu, frappant.

Bellart n'essaya pas de lutter ; il partit.

On raconte qu'après son départ, les jeunes gens qui lui avaient donné ce double témoignage de leurs sentiments se portèrent à la maison qu'il avait habitée et, étant entrés dans l'appartement, demandèrent au propriétaire combien valait le mobilier ;

ils versèrent, aussitôt la somme dite, puis brisèrent les meubles et les jetèrent par la fenêtre.

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Guilhem

 

Cela méritait vengeance.

Une instruction fut ouverte et le procureur général de Rennes, M. Boudeau, se rendit à Brest.

Le prestige de ce magistrat ne semble pas avoir été plus grand sur la population libérale que celui de son collègue trop connu de Paris.

Des rassemblements hostiles s'étant formés devant l'hôtel de Provence, où il était descendu, le maire fit appel à la garde nationale.

Trois compagnies furent un soir mobilisées pour occuper le Champ-de-Bataille.

Sur la place, dans les rues adjacentes, une foule, dont le nombre allait croissant d'instant en instant, poussait les cris de : Vive le roi ! Vive la charte ! Entremêlés de :

À bas Boudeau !

À bas l'espion de l'opinion !

Fallait-il charger la foule parce qu'elle assurait ainsi M. Boudeau de son peu de sympathie, recourir aux armes parce qu'elle acclamait la charte et le roi ?

La garde nationale fut débordée.

Peut-être, en haut lieu, eût-on désiré que le maire recourût à la force armée ;

un conflit s'ensuivit entre le maire et le préfet du département.

Le 22 août, le maire adressait au préfet la lettre suivante :

 

« M. le sous-préfet de Brest m'a donné communication du paragraphe qui me concerne dans la lettre que vous lui avez adressée relativement aux troubles qui ont eu lieu à Brest le 18 courant.

« Je réponds, touchant l'emploi que j'ai fait de la garde nationale :

« Que, dans une circonstance analogue, le même moyen m'avait complètement réussi ;

« Qu'à défaut de ce moyen, il aurait fallu développer un grand appareil militaire ;

« Qu'un tel développement comme mesure préventive équivalait à une inculte et pouvait laisser à penser qu'il s'agissait moins d'un tapage nocturne que d'une insurrection ;

« Que si, malgré ce développement, la multitude, persuadée que l'acte qu'elle veut faire ne comporte pas une hostilité dangereuse, s'obstine dans cet acte, la prudence de la force étonnée d'être employée à si peu de chose ne peut qu'éloigner de quelques pas une insulte commise de concert par un ensemble de population de tout âge, sans armes et éparse dans plusieurs rues ;

« Que si la troupe courre sus, c'est chose étonnante si le mal ne tombe pas sur des enfants et des femmes, fait funeste que semble affronter l'esprit de parti et dont il faut le sauver ;

« Qu'avant d'être réduit à faire usage des moyens extrêmes, il est du devoir d'un fonctionnaire d'avoir épuisé tous les autres moyens, l'essai en dût-il se présenter douteux ;

« Qu'en résultat il n'y a pas eu une égratignure et que la ville est tranquille. »

 

Le maire terminait ainsi :

 

« Il me reste à désirer, monsieur le préfet, que de pareils événements ne se renouvellent pas pendant la courte durée de mon administration ;

mais, s’il en arrivait autrement, j'aurai soin, quels que soient les événements, de laisser peser sur la responsabilité de l'autorité supérieure toutes mesures en opposition avec celles que je croirais devoir proposer dans l'intérêt du gouvernement et des administrés »

 

Il parlait d'or, ce maire ;

mais on conçoit que la modération de son attitude, sa prudence et la fermeté de son langage n'aient pas plu à tous ceux qui, au nom du roi, régentaient alors le pays et qu'il ait cru, pour en finir, devoir donner sa démission.

 

L'autorité supérieure entendait d'autre façon le rétablissement de l'ordre.

Le général baron de Coutard, commandant la 13e division militaire, accourait de Rennes et allait le montrer.

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Amable-Paul Coutan (1792-1837), Louis-François Coutard, lieutenant-général, 1833,.jpg

Louis-François Coutard, lieutenant-général, 1833

Amable-Paul Coutan (1792-1837), ,

Paris, musée de l'Armée.

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Source : La Dépêche de Brest 5 avril 1895

 

Louis-François, baron Coutard, puis comte de Coutard, était né le 19 février 1769 sans le moindre comté ou baronnie, ni particule

Engagé en 1787 dans l'armée royale, colonel en 1808, il avait été fait baron par Napoléon le 21 décembre 1808 et nommé général de brigade en 1811 ;

mais en 1813 il était mis en disponibilité.

L'année suivante, son royalisme ne connaissait plus de bornes.

Louis XVIII s'empressa de recueillir cette épave abandonnée du régime impérial ;

il le nomma lieutenant général en 1814, comte en 1816.

II devait, en 1822, lui donner le commandement de la place de Paris, situation enviée où la Révolution de 1830 prendrait Coutard et le mettrait à la retraite.

En 1820, l'ancien baron de l'Empire commandait à Rennes.

Sous ses ordres, un ancien émigré, le maréchal de camp d’Hoffelize, commandait le département du Finistère.

Les sentiments de ces deux hommes sur la réponse à faire aux manifestations des libéraux et le moyen le plus efficace de leur imposer promptement silence, en même temps qu'on inspirerait à tous une crainte salutaire, étaient à l'unisson.

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Maréchal de camp d’Hoffelize

 

Il y avait encore à Brest des missionnaires.

On pense bien qu'ils s'étaient occupés, dans leurs sermons, des scènes qui avaient accompagné le séjour en ville de M. Bellart, puis de M. Boudeau, et tel était, après des années de prédications, l'ascendant de leur parole sur la population et le ton de leurs discours, qu'ils achevèrent de surexciter les esprits au lieu de les apaiser.

Quand la foule se met à donner des charivaris, elle y prend un plaisir extrême :

des personnages politiques qu'elle n'aimait pas, des missionnaires qui la scandalisaient, l'indignaient, l'exaspéraient, comment l'esprit frondeur se fût-il arrêté ?

 

En réalité, rien de tout cela n'était d'une gravité particulière.

Il y avait de l'effervescence, il n'y avait pas l'ombre de rébellion.

Mais les émigrés se souvenaient de la Révolution, et huit ans après sa restauration, la monarchie sans doute ne leur semblait pas si solide qu'ils pussent, sans risque de reprendre un jour le chemin de l'exil ou tout au moins de perdre le pouvoir reconquis, lâcher un peu la bride aux passions populaires.

Et puis ils n'étaient pas fâchés de se venger à l'occasion sur les libéraux de leurs déconvenues passées.

M. d'Hoffelize était donc pour l'emploi de la force, et Coutard avait une trop fraîche noblesse et son royalisme lui avait été trop fructueux pour qu'il fût d'un avis différent.

 

On commença par dissoudre la garde nationale.

On donna pour raison de cette mesure qu'elle avait refusé d'obéir aux ordres du maire dans la soirée du 17.

De refus, il n'y en avait pas eu ;

sauf quelques manquants, presque tous les hommes des compagnies appelées s'étaient rendus à la convocation du major, M. Roujoux, sur la réquisition du maire.

C'est ce que M. Roujoux établit dans une protestation adressée à ses concitoyens.

Quant aux événements eux-mêmes de la soirée, rien de séditieux ne s'était passé ;

les détachements ne s'étaient point mêlés aux groupes ;

ils avaient été seulement impuissants à les refouler.

À la vérité, quand le maire, voyant cela, avait invité M. Roujoux à congédier ses hommes, celui-ci s'y était refusé sans un ordre écrit ;

mais il avait reçu sa consigne du général.

Le reproche de refus d'obéissance semble avoir été un prétexte, rien de plus.

Mais fallait-il davantage ?

On sait que le maire donna sa démission.

Si nous en croyons Fantin des Odoards, dont on a lu, précédemment, l'amusant récit, le maire et le général commandant la place auraient également pâti. (*)

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On les destitua.

Reproche commun à tous : leur mollesse, lisez leur modération.

Fantin lui-même fut une victime des passions d'alors.

Voici comment il raconte sa mésaventure dans son journal :

 

« Au plus fort des attroupements, une espèce de conseil de guerre, composé de tous les chefs de corps et présidé par le maréchal de camp commandant le département, ayant été réuni afin de conférer sur les moyens de rétablir le calme, plusieurs membres de cette réunion, anciens gentilshommes émigrés ou Vendéens fort exaltés, opinèrent pour l'emploi immédiat des mesures les plus violentes.

Il faut, disaient-ils, disperser à tout, prix cette canaille et, à cet effet, la faire charger à la baïonnette par notre infanterie.

Quand mon tour vint, je déclarai qu'il était sans doute urgent de faire cesser un scandale fâcheux ;

que si, pour atteindre ce but, l'emploi de la force était indispensable, nous ferions tous notre devoir, mais qu'avant d'en venir à de sanglantes extrémités, il fallait être plus convaincu qu'il n'y avait pas d'autre moyen de dissiper les attroupements et de faire respecter l'autorité.

Au regard oblique de mécontentement que le général comte d'Hoffelize, président de la réunion, me jeta, je présumai que la sagesse de mon avis n'était pas de son goût ;

plus tard, j'en acquis la certitude.

Depuis mon arrivée à Brest, mes antécédents m'avaient rendu suspect au noble personnage, puritain de l'armée de Condé, et je venais de combler la mesure en parlant le langage de la modération »

 

Quelque temps après, alors que de l'effervescence populaire il ne restait que le souvenir, Brest étant rentré dans un calme profond, le colonel Fantin des Odoards apprenait qu'il n'avait pas été compris dans une réorganisation de l'infanterie et, par suite, était mis en disponibilité.

Ancien soldat de l'Empire et qui ne répudiait aucun des sentiments que lui avait inspirés son ancien chef, Fantin des Odoards avait, dès les premiers jours de son arrivée à Brest, paru suspect à l'ancien émigré d’Hoffelize ;

après la séance du conseil de guerre, le maréchal de camp l'avait signalé comme peu sûr.

Coutard — mons Coutard, écrit irrévérencieusement Fantin — avait fait chorus et le ministre de la guerre avait frappé.

II fallut l'intervention de Lauriston qui, pendant son séjour à Brest, avait remarqué la correction de l'officier, pour que, quelques mois plus tard, le commandement d'un régiment lui fût rendu.

 

L'arrivée du général Coutard, son attitude, celle de d'Hoffelize et l'intervention de la justice, qui voulut sévir, loin de calmer les esprits, ne firent, qu'augmenter l'agitation.

Ce Coutard, d'ailleurs, arrivait précédé d'une réputation à laquelle une petite feuille sortie de l'imprimerie « P. Anner » ne semble avoir pas peu contribué.

On y lisait un article de l'Écho de l'Ouest racontant comment à Rennes, le 31 mars précédent, à l'occasion de la remise d’un drapeau à une légion, le trop fervent général s'était trouvé en conflit avec les étudiants.

Sur la place du Palais, devant la troupe assemblée le général venait de terminer un discours par les cris de :

Vive le roi longtemps !

Vivent les Bourbons toujours !

Quand les étudiants, réunis au nombre de sept à huit cents autour du carré que formaient les troupes, crièrent à leur tour :

Vive le roi !

Vive la charte !

Vive la constitution, toute la constitution !

Les mots de charte et de constitution sonnaient mal aux oreilles des royalistes ultra.

Comme la foule prenait l'habitude de les pousser, mêlés aux cris de :

Vive le roi !

Un peu plus fréquemment qu’on n'eut désiré un arrêté du maire de Brest, évidemment inspiré par l'autorité supérieure, avait congrûment expliqué à la population, le 11 juin 1820, que, légaux en eux-mêmes, ils ne laissaient pas de prendre, en certaines occasions, une allure séditieuse et qu'on eût à s'abstenir de s'assembler et de les pousser.

Coutard était, de cet avis.

Furieux, il s'élança, au galop de son cheval et suivi de son état-major, vers le groupe des étudiants et de son air le plus terrible poussa à nouveau le cri de :

Vive le roi !

Les étudiants répondirent :

Vive le roi !

Vive la charte, toute la charte !

Et peu s'en était fallu qu'après une répétition de cette scène, le général ne les fît charger.

Un tel homme était-il bien celui qu'il fallait pour mettre un terme à une situation troublée ?

On en peut douter, et c'est en effet le contraire qui se produisit.

Finalement, le ministère, ému des nouvelles qui lui parvenaient, résolut d'envoyer à Brest un commissaire extraordinaire avec pouvoirs très étendus.

Nous avons déjà vu que son choix se porta sur Lauriston.

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Jacques Alexandre Law De Lauriston

 

Le général marquis de Lauriston avait été très avant dans la faveur de Napoléon, qui l’avait employé successivement comme aide de camp, ambassadeur, commandant de corps d'armée, et la monarchie avant succédé à l'Empire, il avait su allier le service du nouveau souverain à la fidélité des souvenirs.

Fantin lui rend cette justice.

Il était affable, conciliant, sans nulle exaltation, et tout recours aux mesures violentes étant abandonné, l'ordre revint bientôt dans la ville.

On sait quelle aventure marqua la fin du séjour à Brest de Lauriston.

Fantin des Odoards est le premier, je crois, qui l'ait contée, et les contributions à l'histoire de Brest sous la Restauration sont assez rares et l'anecdote est assez plaisante et assez joliment contée pour que nous aussi, à côté des amateurs de mémoires sur la Révolution et l’Empire, nous nous félicitions de la publication du très intéressant journal de ce vaillant soldat qui, après s'être, quinze années durant, battu en brave, mourut, en 1866, après Magenta et Solferino et avant Sedan, dans une obscurité voulue, en homme heureux et comme un sage.

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