1940 - 1944
Chroniques d'occupation
11 août 1940
Jour 54
(suite)
Les jours du marché, le mercredi et le samedi, et surtout les jours des foires, on voit descendre sur Quimper de nombreux maraîchers et fermiers de la région.
Depuis quelque temps, les transports par auto se faisant rares, le coup d'œil est vraiment curieux aux diverses entrées de la ville.
En plus des charrettes et chars à bancs que nous connaissions, on voit désormais, attelés à des chevaux de tous âges, des véhicules les plus bizarres :
des carrioles, des breaks, des phaëtons (*), sortis de derrière les débarras entassés au fond de hangars de fermes ou de remises désaffectées de quelque château, où ils rouillaient depuis de longues années ;
certains maraîchers ont, simplement fait mettre des brancards à des remorques d'autos, et tout cela présente un défilé qui serait comique si c'était le moment de rire.
(*) Petite voiture à quatre places, légère et découverte, très haute sur roues
Dans le dernier article (*), j'ai parlé des poissons et des légumes et je me disais assez satisfait de voir l'abondance et le bon marché relatif de ces produits ;
autre a été mon impression, hier, samedi, au marché des légumes.
(*) À lire sur Retro 29 – Chronique d’Occupation – 8 août 1940 – J51 : Cliquer ici
Le manque de carburant est aussi fort gênant pour les usines de Saint-Guénolé, Kérity et le Guilvinec dont la gare la plus proche est Pont-l'Abbé, et celles d'Audierne qui doivent utiliser la gare de Douarnenez.
Les usines de Quimper, Plozévet, Pont-Aven, Pouldreuzic, Pont-l'Abbé, Plonéour-Lanvern, outillées pour la conserve du poisson, doivent aller le chercher aux ports de pêche...
Comment ?
Il est évident que ceux qui ont la difficile charge de répartir l'essence, ne peuvent satisfaire tout le monde, ni tout prévoir.
Aussi les réclamations sont-elles nombreuses.
Un exemple entre cent :
Un fabriquant de conserves possède un camion de cinq tonnes, un de six tonnes et une camionnette de 500 kilos.
On a décrété que, seul son camion de cinq tonnes pourrait être mis en circulation et le permis a été établi pour cette unique voiture.
Même s'il n'a que 100 kilos à transporter, ce fabriquant ne doit utiliser que son camion de cinq tonnes, alors que sa camionnette suffirait et économiserait économiserait l'essence sur le nombre de litres qui lui est alloué mensuellement.
Mais nous dépasserions le cadre de cet article si nous devions relater toutes les anomalies qui nous sont signalées et auxquelles il sera bientôt remédié probablement.
La sardine sans huile
La conservation de la sardine est plus délicate que celle du thon et du maquereau.
La question du manque d'huile est résolue pour le thon par la conservation au naturel dont nous avons parlé.
Le maquereau peut se conserver par le procédé dit :
« Au vin blanc » bien qu'il n'entre plus une goutte de vin dans cette fabrication comportant une sauce aromatisée et quelques gouttes de vinaigre.
Pour la sardine, des essais sont faits par les fabricants sur de faibles quantités pour trouver le moyen de conserver ce poisson soit dans cette sauce aromatisée, soit au naturel, après passage dans la saumure et stérilisation.
Ce dernier procédé permettrait de conserver grillée, la sardine au naturel, comme de la sardine fraiche.
II est difficile de préjuger des résultats que donneront ces essais et de l’accueil qui sera fait à cette innovation par les consommateurs.
La difficulté résidera dans l’écoulement obligatoirement rapide des sardines ainsi conservées, alors qu’à l’huile elle pouvait être gardée plusieurs années.
Les remèdes ?
La pêche et la conserve du poisson pourrait procurer d’immenses ressources à l’économie nationale.
Au point de vue industriel, il serait aisé de tripler la production, de concurrencer les conserves étrangères et d’en supprimer l’importation à la condition de maintenir des prix raisonnables pour le consommateur.
Pour cela, il faudrait intensifier la pêche :
Celle du thon, en particulier.
Ce poisson, conservé au naturel, peut fournir dans l’alimentation d’un ménage, un sérieux appoint.
Le manque de carburant — gaz-oil ou essence — sera, peut-être, de longue durée.
La perspective d’un ravitaillement normal semble éloignée.
Il faut donc revenir provisoirement en arrière ;
sur route, il faut suppléer à l'auto défaillante par le cheval, l'archaïque petit train, ou la substitution à l'essence du « gaz des forêts ».
Sur mer, il faut abandonner le moteur pour la voile.
Deux problèmes sont à résoudre sans délai :
Remplacer le carburant inexistant, résorber le chômage.
Pour la pêche, depuis quelques années, la construction des chalutiers-thoniers avec moteurs de 180 à 250 C.V. consommant une grande quantité de gas-oil, s'est intensifiée.
On ne peut raisonnablement accroître le nombre de ces bateaux.
Il devrait être limité à une centaine au maximum.
Le remède serait, d'après les gens compétents, de construire économiquement, comme la préconisé l'amiral de la flotte Darlan, secrétaire d'État à la marine de guerre et à la marine marchande.
Pour cela, il nous faudrait donc de nouvelles unités, marchand essentiellement à la voile, munies de chambres froides, avec des moteurs auxiliaires d’une quarantaine de chevaux au grand maximum.
Les marins pêcheurs ne manqueraient pas et les ouvriers de l'arsenal de Brest pourraient être utilement employés à la construction de cette nouvelle flotte de pêche.