top of page
1940 - 1944
Chroniques d'occupation


22 août 1940

Jour 65
 

 

Près de Landerneau, dans le bois de la Haye, à l'extrémité d'une belle allée plantée d'une quadruple rangée de hêtres, hauts et droits, on trouve des huttes, dont l'aspect fait songer aux cases primitives d'un village nègre.

 

La charpente de ces rustiques habitations est faite de branchages entrecroisés.

Entre leur double paroi est entassée une épaisse couche de feuilles desséchées, de mousse et de paille, rendant compactes ces « murailles » végétales.

Un toit de chaume, est, par sa forme en cône tronqué, son épaisseur et sa savante disposition, impénétrable aux averses les plus violentes.

 

Depuis trois ans, habite dans la plus importante de ces huttes une famille de sabotiers, le père, M. David, sa femme et son fils Joseph, trois gros travailleurs.

 

L'intérieur de l'habitation est tapissé de cretonne belge à grosses fleurs rouges.

Trois lits clos, aux rideaux blancs tirés, constituent, avec une commode de merisier verni et des tables rustiques, l'ameublement.

 

Une fumée s'échappe par un trou ménagé dans le toit dont elle a noirci l'intérieur.

 

Devant l'unique ouverture, large porte par où pénètrent l'air et la lumière, assis au fond de la pièce, le sabotier manie, avec dextérité, le « paroir », longue lame tranchante pivotant autour d'une charnière fixée à un gros établi monté sur deux robustes pieds.

 

Devant lui, s'entassent les innombrables copeaux clairs qui montrent que, depuis le matin, il n'a pas chômé.

 

Dehors, sous une sorte de véranda fermée de trois côtés, de la même architecture que l'habitation, la mère creuse, avec une tarière, les sabots que termine le fils qui manie le « boutoir ».

​

 

LE « SABOTAGE »

 

C'est tout un art que le sabotage — au sens propre du mot, bien entendu — il demande beaucoup d'adresse et d'habileté.

 

Le sabotier est un être heureux.

Il vit seul avec sa famille.

Au milieu des bois, il a construit sa maison.

Il sait se contenter de peu.

C'est un sage sur lequel les événements les plus graves n'ont guère de prise.

 

Il abat les arbres les plus droits, les ébranche pour en vendre le bois de chauffage, et en scie les troncs en billots de 27 à 33 centimètres de longueur.

 

Ensuite, à la hache, il donne à ces billots, grossièrement équarris, la première ébauche.

 

Il en perfectionne la forme ensuite au « paroir ».

Cela demande du coup d'œil et de l'adresse.

Il faut donner à la lourde chaussure, grossière et rustique, faite d'une seule pièce, une forme sinon élégante, du moins conforme à une mode qui n'a pas changé depuis des temps immémoriaux.

 

Avec l'instrument quelque peu primitif que semble être le paroir, à petits coups, le sabotier creuse l'arche qui sépare la semelle du talon et lui donne un parfait arrondi.

Le talon apparait bientôt haut et bien cambré.

Puis la pointe et troussée

 

Ainsi paré, la femme s'empare du sabot.

Dans le bois tendre, elle creuse l'intérieur avec une tarière.

Il importe de le faire avec précaution.

Il s’agit d’enlever juste ce qu’il faut de bois pour laisser l’épaisseur voulue pour l’empêcher de se fendre, puis de bien aplanir la semelle.

 

Mais la tarière ne peut achever le travail dans l’extrémité étroite.

Un troisième instrument est nécessaire.

 

C’est le fils qui manie le « boutoir ».

Il achève l'intérieur du sabot en creusant le bout, arrondissant le bord du talon, puis il polit le tout au grattoir.

 

En travaillant beaucoup, la famille peut, dans sa journée, faire une douzaine de paires de sabots qui sont vendus, en gros, environ 150 francs.

La coutume veut généralement que dans ce prix établi pour les grandes tailles (hommes), il faille donner 14 paires pour les sabots de femmes, 16 pour les petites tailles (enfants).

 

Mais la confection du sabot n'est pas terminée, il faut le faire sécher et parfois le décorer.

​

 

Sur le foyer, fait de grosses pierres, brûlent toute la journée de menus branchages fumeux.

On les recouvre, le soir, de cendres pour en retrouver les braises, le lendemain matin, et conserver à l'intérieur de la hutte, une température supportable par les nuits fraîches ou humides.

 

Au-dessus du foyer, sur de grosses branches en forme de jambages, trois plus minces sont clouées et servent d'encadrement à la cheminée, qui sans tuyau, ni conduit, laisse la fumée âcre se répandre dans la pièce.

 

Sur cette tablette, on aligne les sabots dont le bois en séchant va durcir.

Bien secs, les sabots en bois brut, sont alors prêts à être livrés.

 

Ceux destinés à la région de Lesneven sont accrochés par paires, la pointe en bas, à des poteaux, sous lesquels on allume un feu de landes pour les fumer.

 

Les sabots prennent une teinte mordorée et pour les rendre encore plus élégants, le sabotier y dessine, d’une lame experte et selon sa fantaisie, des entrelacs ornés de points.

 

Pour les environs de Landivisiau, une bande de cuir verni est ajoutée sur le dessus du sabot, mais ceci est l'affaire du revendeur.

Le sabotier ne fait que le sabot de bois et ne se charge pas non plus de le teindre en noir.

 

Rien n'est perdu.

Les déchets de bois tombant de la hache ou du paroir sont mis en sacs et vendus, comme allume-feux à Landerneau, huit francs le sac.

 

Le sabotier va livrer sa marchandise avec une voiture à bras, garée dans une remise, qu'il a construite aussi avec des branchages et des feuilles.

 

(À suivre)

​

 

À Lire sur Retro29 : 1940 - La tourbe de Langazel en Trémaouézan – Cliquer ici

​

 

Dans un article paru le 4 août, j'ai conduit les bicyclistes vers les plages voisines de Quimper, en leur signalant, pour éviter des routes trop fréquentées, des petits chemins agréables et des monuments dignes de retenir leur attention.

 

Aujourd'hui, c'est pour les piétons que je vais tracer un itinéraire, le long de l'Odet, et leur faire trouver des coins trop ignorés, malgré leur beauté, et qui, pourtant, abondent dans ce site enchanteur que nous appelons le « Stangala ».

 

Le Stangala, c'est une petite Suisse à la porte de notre ville, mais la rivière semble vouloir garder jalousement ses merveilles, car elle se cache si bien que ceux qui connaissent vraiment cette partie de l'Odet sont peu nombreux.

 

Pour admirer réellement et goûter les charmes du Stangala, il faut faire d'abord un petit effort et aller directement le chercher à son commencement, c'est-à-dire à la pointe de Griffonez.

 

En quittant la gare de Quimper, ayant pris, à l'Eau Blanche, la route de Coray et traversé le Jet, on trouve, à droite, au premier tournant, un poteau jaune qui indique le Stangala.

 

Suivez la route désignée, mais évitez bientôt de tourner à gauche, le chemin vous mènerait trop vite au moulin de Penhoat, que vous verrez au retour.

 

Continuant votre route, vous passez entre Croissant-Bras et Kerfrés et, dans un tournant assez brusque, vous abandonnez la route qui va au village de Quélennec pour prendre, à gauche, un petit chemin creux qui s'abrite sous un toit de verdure.

 

Là, vous êtes à 6 kilomètres environ de Quimper.

À partir de cet endroit, la route n'est plus praticable pour les autos ;

au bout de 500 mètres, le chemin ne le sera pas davantage pour les autres voitures, voire même pour les bicyclettes (que vous pourrez laisser chez les habitants, très complaisants, de la ferme de Kerberon), et alors vous arriverez devant les beautés d'une nature sauvage et parfois grandiose.

 

Ayant franchi une barrière, s'ouvrant sur un terrain très frais, même l'été, vous trouverez trois sentiers :

Celui de gauche conduit au moulin du Poul ;

les deux autres vont se rejoindre bientôt et vous conduiront à la pointe de Griffonez, c'est-à-dire au commencement du Stangala.

 

Le chemin du moulin du Poul est plus recommandé pour les personnes peu sportives, mais celui de la pointe de Griffonez fait découvrir de tels enchantements que vous aurez vite oublié les difficultés rencontrées pour arriver à ce site, après avoir parcouru une vaste et belle lande.

 

Voici donc la rivière avec ses chutes naturelles, ses rochers, ses anses, ses surprenants changements.

 

Dès le début, vous serez émerveillés par le contraste des feuillages.

Les arbres de toutes les essences se sont réunis à cet endroit :

chênes robustes, bouleaux délicats, saules pleureurs ou autres, aunes au bois léger, etc., mélangent leurs branches et leurs feuilles et présentent la plus curieuse gamme de couleurs, allant du vert très tendre Jusqu'au brun foncé.

 

Ceux qui, craignant la descente rapide dont nous venons de parler, auront pris le sentier du moulin du Poul, trouveront, à mi-chemin, les ruines d'une maison portant la date de 1640 ;

malheureusement, depuis quelques années, les pierres sculptées et bien conservées qui l'ornaient

ont été enlevées !...

 

Au bas des ruines du moulin du Poul, dont le toit est effondré, est une passerelle double, dont la partie supérieure est encore praticable.

 

De cet endroit, on aperçoit le pin du Griffonez, dont la silhouette se détache sur le ciel.

 

La passerelle franchie, on trouve, sur la rive droite, une pierre sculptée très curieuse en bordure du sentier qui longe la rivière.

​

 

C'est là que je viens d'avoir la bonne fortune de rencontrer, prenant des notes M. A.-P. Decantelle, directeur de « la Pêche Indépendante », revue internationale, et je ne pouvais trouver un meilleur guide pour continuer ma promenade.

 

M. Decantelle connaît le Stangala comme touriste et comme pêcheur.

Réfugié à Quimper depuis quelques mois, il y termine d'importants ouvrages sur le saumon, sur les rivières de France et sur nos rivières les plus proches :

l'Odet, le Jet, l'Ellé, l'Isole, etc.

Nous en reparlerons, mais disons de suite que M. Decantelle a été champion du monde du lancer au moulinet et, qu'en 1939, il a battu, en Finlande, le record de la pêche au saumon, en sortant de l'eau un véritable phénomène de 21 kilos !...

Un saumon de 21 kilos !

Voilà qui va surprendre et remplir d'admiration les pêcheurs de nos rivières !...

 

Acceptant de me guider, M. Decantelle me montre, à 200 mètres plus bas, le bloc du Corbeau, dominant une grande falaise rocheuse percée de cavernes profondes.

 

Ensuite, nous trouvons une série de cascades naturelles entre de grosses pierres.

Toute cette partie du Stangala est fort belle, car sur les deux rives, la végétation est intense ;

les aunes y sont nombreux et étendent leurs branches sur des fougères géantes.

 

Dans cette partie, l'Odet a une largeur variant entre 10 et 25 mètres.

Après une courbe, la rivière apparaît, parsemée de nombreuses petites îles, puis elle s'élargit ;

les rives sont moins boisées, mais les fougères toujours aussi splendides.

 

Continuant notre promenade, nous trouvons le rocher du Chasseur à droite, et le rocher du Commandant, à gauche ;

c'est alors que la pente ralentit, que les chutes naturelles sont moins hautes et le courant moins violent.

 

Le Stangala va changer encore d'aspect  :

l'Odet devient une rivière de plaine avec des endroits calmes et plats ;

l'eau est de plus en plus lente et plus profonde en arrivant au moulin de Penhoat.

 

À cet endroit, une passerelle permet d'aller rejoindre la route de Quimper ;

on voit l'Odet s'élargir, son caractère se modifie de nouveau :

ici ni cascade, ni rapide, ni végétation luxuriante ; nous trouvons des talus et des fossés jusqu'au bief calme et profond du moulin Saint-Denis, puis le joli barrage avec, près de la rive gauche, l'échelle à poissons, où l'on voit souvent les saumons sauter au début de la saison.

 

Nous prenons alors un charmant petit sentier couvert, qui nous ramène à la route de Quimper.

 

Cette agréable promenade, qui a duré environ six heures, est terminée.

​

 

LA PÊCHE AU STANGALA

 

Avant de quitter la rivière, je n'aurais pas voulu laisser M. Decantelle sans lui demander quelques renseignements sur la pêche dans cette partie si magnifique de l'Odet.

 

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet ;

pour aujourd'hui, je ne retiendrai que ceci :

 

— Au point de vue de la pêche au saumon, le bas de l'Odet, descendant Griffonez, est meilleur au début de la saison ; on y prend surtout des « coureurs » ou bécards.

 

« Vers mi-mars, le saumon frais se tient dans le cœur du Stangala, entre le rocher du Commandant et la pointe de Griffonez ;

on y trouve aussi beaucoup de truites.

 

«  Le record de la pêche au saumon, dans le Stangala, appartient à M. Danet, de Quimper, avec 11 kil. 075, pris vers le moulin du Poul, en amont de la passerelle double.

 

« Le pêcheur qui a sorti le plus de poissons dans le Stangala est certainement le père Bescond, vieux paysan et brave homme, y péchant depuis plus de quarante ans et pour qui la rivière n'a plus de secrets !... »

 

Sur ces mots, nous nous séparons en souhaitant que cet article, très résumé, incite de nombreux Quimpérois à aller passer de belles et saines heures dans ce cadre merveilleux ;

ils rapporteront, sans aucun doute, le meilleur souvenir de notre admirable Stangala.

​

 

Le doryphore est apparu tout récemment dans notre région et sur les routes et les chemins.

 

Les passants s'en sont aperçu au Moulin Blanc, à la Forest, à Sainte-Anne du Portzic, à Kerhuon, à Guipavas et autres lieux.

Ils les écrasent sous leurs semelles tout comme les automobilistes les laminent sous leurs roues caoutchoutées.

 

Le doryphore a submergé à peu près tout le pays sauf les terrains qui bordent la mer vers Landéda, Plounéour-Trez, Tréflez, etc..

 

Certes, les dégâts qu'il peut actuellement causer sont négligeables car les pommes de terre sont venues à maturité et quant aux tiges et aux feuilles, elles se dessèchent normalement.

Mais ce n'est pas sans inquiétude que les cultivateurs ainsi que les propriétaires de jardins potagers envisagent la saison prochaine.

 

À ce propos on peut justement s'étonner de constater l'ignorance d'un très grand nombre d'intéressés en ce qui concerne le doryphore ainsi que les moyens de le combattre.

Cependant la lutte a été patiemment organisée par la direction des services agricoles qui, au moyen d'innombrables conférences et de distributions de tracts et de notices faites par dizaines de milliers, s'est efforcée de faire connaître le parasite dans tous les centres agricoles afin que l'on puisse déceler sa présence dès la première apparition.

Mais comme le Finistère parut longtemps devoir échapper à l'invasion on ne s'en souciait guère alors.

 

Et pourtant, pour être efficace, la lutte doit être entreprise dès le premier moment.

En effet, une seule femelle peut pondre par an 1.000 à 2.000 œufs, et même plus.

Ces œufs jaunes déposés au revers des feuilles donnent naissance à des larves qui pénètrent dans le sol pour hiverner.

Au printemps le doryphore constitué remonte en surface et s'attaque aux feuilles qu'il dévore.

Du coup tout développement des tubercules est arrêté.

 

La propagation se fait par des vols et aussi par les transports de pommes de terre venues de pays contaminés.

C'est pourquoi des mesures très sévères sont prises en matière d'importation.

Rappelons succinctement que c'est vers 1820 qu'on signale l'existence du doryphore au Colorado.

En 1876 toute l'Amérique du Nord est atteinte, puis l'Allemagne et l'Angleterre.

En août 1879, une loi interdit l'importation en France de tubercules provenant de pays contaminés.

Mais vers 1919-1920 les produits importés pour le ravitaillement des troupes américaines nous transmettent le parasite que l'on découvre en 1922 aux environs de Bordeaux.

La lutte est entreprise et cependant douze ans plus tard la moitié de la France est atteinte.

Puis cela s'étend avec rapidité.

 

En 1934, treize foyers étaient découverts dans le Finistère.

Des mesures énergiques étaient prises mais la dissémination ne put être complètement enrayée car certains des intéressés croyaient pouvoir négliger de faire appel au concours de la direction des services agricoles.

 

L'an dernier, comme cette année, les cultivateurs ayant dû, pour la plupart abandonner leurs champs, la propagation du doryphore se développa avec une extraordinaire intensité.

Aujourd'hui, presque tout le département est atteint, surtout dans la région de Quimperlé.

 

Quand on connaît l'importance de la culture de la pomme de terre dans le Finistère, ce n'est pas sans raison que l'on éprouve des inquiétudes pour la saison prochaine.

Mais des mesures énergiques doivent être prises par la direction des services agricoles pour intervenir efficacement au moment opportun, c'est-à-dire vers le printemps.

Souhaitons que tous les cultivateurs sans exception comprendront qu'il y va de leur Intérêt le plus immédiat et qu'ils consentiront à collaborer pleinement à cet effort.

​

bottom of page