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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


26 août 1940

Jour 69
 

 

« Voulez-vous être artisans ? », demande aux jeunes Français, M. Lucien Romier.

Ils pourraient lui répondre :

« Si l'artisanat doit nous permettre de gagner honorablement notre vie, nous ne demandons pas mieux.

Encore faudrait-il nous en fournir moyens. »

 

Le charron, le bourrelier, le maréchal-ferrant sont, dans toute l'acceptation du terme, des artisans.

Ils travaillent pour leur compte, exercent un art libéral et peuvent contracter des prêts aux sociétés coopératives d'artisanat, à peu près dans les mêmes conditions que l'agriculteur, à la caisse de crédit agricole.

 

Mais les progrès réalisés par l'industrie automobile ayant fait abandonner l'emploi du cheval, le charronnage, la bourrellerie et la forge étaient, depuis une vingtaine d'années, dans le marasme.

 

Il a fallu une cause fortuite :

le manque d'essence, pour donner à ces métiers un regain d'activité.

 

Encore faudrait-il que ces artisans ne fussent pas paralysés dans leurs travaux par le défaut de réapprovisionnement en matières premières, indispensables pour leur permettre d'exercer leur métier, rendu plus utile que jamais par l'obligation de revenir à la traction hippomobile.

 

Or, comme le cordonnier, le bourrelier ne peut se procurer du cuir qu'avec les plus grandes difficultés, il ne trouve plus les boucles indispensables à la fixation des harnachements.

Les tissus dont il se sert pour les doublures, la toile, pour les capotes et les bâches des voitures ne lui parviennent plus.

Il n'est pas jusqu'au fil (comme le tissu, venant du Nord, et dont il fait une grande consommation), qui risque de lui manquer très prochainement.

 

Le charron ne peut plus se procurer le caoutchouc dont il se servait pour le bandage des roues.

On ne veut plus de roues à cercles entièrement métalliques.

Les cercles sont constitués par des fers en U, dans lesquels une machine spéciale sertit un bandage en caoutchouc qui rend le roulement de la voiture plus souple, plus silencieux et améliore le rendement du cheval.

 

Les grandes usines fournissant le caoutchouc avaient un grand stock de gomme élastique provenant des pays tropicaux, mais, comme tant d'autres produits, ces stocks ont été réquisitionnés et seuls, les charrons prévoyants ou disposant alors des fonds nécessaires, ont encore quelques bandages caoutchoutés en réserve.

 

Faute de cuir, le bourrelier ne peut fabriquer de harnachements neufs.

Il doit se contenter de réparer les vieux harnais prudemment conservés par sa clientèle.

 

La sellerie était autrefois une des branches les plus fructueuses de la bourrellerie, mais on ne monte plus à cheval.

La chasse à courre avec meutes et équipage n'est plus qu'un lointain souvenir.

Sauf dans l'armée, l'équitation, ce sport agréable, excellent, mais coûteux, a été abandonnée.

 

Comme dans le charronnage, on ne faisait plus d'apprentis bourreliers.

L'actuel regain d'activité ne peut faire espérer une utilisation massive du cheval, appelé à devenir animal de boucherie, malgré les services qu’il aura rendus.

 

L'ouvrier bourrelier a bien trouvé à s’employer dans la garniture des carrosseries d’automobiles, d’autres sont devenus maroquiniers, ce qui fait que le patron trouve difficilement, en ce moment de presse, les ouvriers expérimentés qui lui manquent.

 

Quelques-uns avaient abandonné leur premier métier pour l’usine et l'arsenal, ont repris l’alêne avec plaisir.

 

La jambe appuyée sur la longue pince de bois, ils rafistolent, d’un poinçon toujours expert, brides, licols, sellettes, sous-ventrières ou traits, dossières et croupières.

 

À défaut de crin ou de laine, le patron matelasse de paille ou de « bourre » — d’où vient le nom de son métier — les colliers garnis de peau de veau ou de mouton.

 

Ses fils piquent à la machine toiles et bâches ou capitonnent des coussins de toile cirée pour les bancs des chars.

 

L'atelier de bourrellerie a retrouvé son activité d'antan !

Combien de temps la conservera-t-elle ?

 

(À suivre).

​

 

Sur la route qui va de Kérinou à Penfeld, un groupe de coquettes maisons bordent, à Belle-Vue, le côté gauche de la chaussée.

C'est dans l'une d'elles, dissimulée par un bosquet d'arbres, que l'autre soir, nous avons trouvé chez lui, entouré de sa femme et de sa fillette, M. Jean Drogou, âgé de 42 ans, ouvrier de l'arsenal.

 

Par la fenêtre de la salle à manger, grande ouverte, pénétrait un lumineux rayon de soleil et le plus grand calme régnait sur la campagne environnante.

 

M. Drogou, qui est un bricoleur, a imaginé un fourneau économique, et c'est la raison pour laquelle nous avons tenu à effectuer cette visite, afin d'assister à l'expérience qu'on nous avait promise.

 

— Le manque de charbon et le prix élevé du bois m'ont amené, nous dit M. Drogou, à confectionner ce fourneau que vous voyez dans la cheminée.

 

« En cinq minutes, avec seulement 250 grammes de bois (autant que possible du bois sec, précise-t-il), un litre d'eau est porté à l'ébullition. »

 

En notre présence, M. Drogou pèse sur une balance la quantité de bois indiquée et verse un litre d'eau dans la marmite qu'il met ensuite sur son fourneau.

 

Un réveil sur la cheminée marque le quart.

 

— À vingt, ajoute notre interlocuteur, l'eau bouillira.

 

Les cinq minutes se sont écoulées et l'on peut constater, en effet, que l'expérience a été concluante.

 

Dans un fourneau ordinaire, une cuisinière, par exemple, la quantité de bois employée pour faire bouillir un litre d'eau eût été beaucoup plus forte.

 

M. Drogou veut bien ensuite nous fournir les explications que voici sur la construction de son fourneau, très simple et bon marché :

 

Le fourneau a 40 centimètres de long et 40 centimètres de profondeur, c'est-à-dire qu'il occupe les dimensions de la cheminée.

Sa hauteur est de 30 centimètres.

Le tout forme un bloc au milieu duquel est une ouverture pour placer le récipient destiné à cuire les aliments.

 

L'essentiel, avant tout, est d'établir des lames d'air qui isolent le foyer des diverses faces du fourneau.

 

Cette séparation, de trois centimètres environ, se fait à l'aide d'ardoises ou de fibro-ciment.

Le coffrage du fourneau proprement dit est un amalgame de pierres cassées, de verres, de briques, etc...

Mais il est nécessaire que l'intérieur soit constitué par de la terre réfractaire qui a la propriété de conserver la chaleur.

 

Une grille ordinaire, destinée à recevoir le combustible, est placée à une certaine distance du sol et trois tiges de fer sur lesquelles reposent le récipient sont fixées dans la terre réfractaire.

 

Un petit tuyau placé au fond de la cheminée, ainsi qu'une ouverture pour le cendrier, à la base du fourneau, règlent le tirage du foyer.

 

L'ingénieux inventeur nous fait remarquer que les parois extérieures sont froides grâce aux lames d'air et que par conséquent aucune chaleur ne règne dans la pièce.

 

« Avec 500 grammes de bois, nous dit M. Drogou, nous avons cuit pour notre repas :

Quatre œufs, deux maquereaux et deux kilos de pommes de terre.

Ensuite nous avons chauffé l'eau de la vaisselle.

Le tout a demandé deux heures.

 

Mme Drogou, en excellente ménagère, a pu apprécier l'économie qu'elle tirait du fourneau rustique mais combien pratique réalisé par son mari.

 

C'est parfait en ce qui concerne surtout les mets demandant une assez longue cuisson.

Quand vous avez mis vos 500 grammes de bois pour cuire votre pot-au-feu, vos artichauts, ou pour faire mijoter votre ragoût, allez vaquer à vos autres occupations.

Point la peine de surveiller la cuisson, aucune crainte que cela brûle.

Au bout de deux heures, ce sera fin prêt et votre bois ne sera encore qu'en partie consommé.

 

Nous avons pris congé de M. Drogou, enchanté de notre visite et de l'intéressante expérience à laquelle nous venions d'assister.

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Hier samedi, jour du marché hebdomadaire à Landerneau, l'on a pu assister autour des magasins de chaussures à un curieux spectacle, qui semble avoir été provoqué par un article paru ce même jour dans les colonnes de la Dépêche de Brest (*), et intitulé :

Comment nous chausser ?

Il n'y a plus de chaussures dans les rayons !

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L'auteur mentionnait qu'à Brest les pointures courantes font défaut dans les magasins et l'on ne pourrait actuellement trouver de chaussures qu'à des prix inaccessibles pour le budget de beaucoup de ménages.

Aussi, de Plouédern, Plougastel-Daoulas, Saint-Thonan, Saint-Urbaln, La Roche-Maurice, Daoulas, Logonna-Daoulas, bon nombre d'habitants sachant que dans notre ville la pénurie de chaussures ne se faisait pas encore sentir, ont profité de la plus grande facilité relative des communications le jour du marché avec le chef-lieu du canton, pour venir se faire chausser avant la disparition des stocks existant en magasins ;

ce fut une véritable procession chez les commerçants intéressés, ils n'eurent pas une minute de repos de 10 heures du matin à 6 heures du soir, tout s'enlevait à une cadence extraordinaire ;

on eût pu croire que la distribution de chaussures était gratuite.

 

Dans la soirée, un commerçant nous disait que les rayons de son magasin étaient, par suite de cet afflux extraordinaire d'acheteurs, presque tous vidés et que le soulier de cuir pour enfants surtout, allait comme à Brest, devenir introuvable à Landerneau.

 

Il va falloir, certes, économiser le plus possible les chaussures que l'on possède ;

les stocks que les marchands avaient en rayons ont été hier, très sérieusement entamés et à moins que le réapprovisionnement devienne d'ici peu de temps plus facile, l'on sera dans l'obligation de porter, dès l'automne prochain, le bon sabot de bois, recouvert peut-être de cuir, la meilleure chaussure qui existe pour éviter, avec le sabot tout bois, le froid aux pieds et la grippe qui en est trop souvent la conséquence fâcheuse.

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