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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


4 juillet 1940

Jour 16
 

 

Depuis une quinzaine de jours la presqu'île de Crozon était privée de ses communications par mer avec Brest.

Des autocars y remédiaient dans la limite du possible, mais le prix du voyage aller et retour, atteignant une cinquantaine de francs, les voyageurs étaient peu nombreux.

 

La Compagnie des Vapeurs brestois avait dû interrompre son trafic, d'abord parce que l'on craignait la présence en rade de quelques mines magnétiques et ensuite parce qu’il fallait obtenir une autorisation des autorités allemandes pour traverser la rade.

 

M. Saget, l'actif directeur de la Compagnie, comprenant la nécessité de rétablir au plus tôt le service du Fret, Morgat et Camaret, avait envisagé l'acquisition d'un bateau en bois, alors disponible à Camaret.

Solution à laquelle il n'a pas eu besoin de recourir, puisque, hier matin, le Crozon quittait à 7 h. 30 la cale pour une première traversée sans incident et était de retour à 9 h. 15 au port de commerce.

 

Une quarantaine de passagers à l'aller comme au retour avaient pris place à bord.

 

À la corne du mât avant flotte le pavillon tricolore, surmonté d'un pavillon blanc exigé par la Kommandantur.

 

Tout heureux de reprendre la barre, le capitaine Batany est sur la passerelle.

 

— Sale brume, dit-il, qui ne va pas me permettre de relever mes points, car je ne fais plus la même route.

Il faut passer maintenant par la passe Est, piquer droit vers Plougastel, à hauteur du banc du Corbeau, suivre la côte jusqu'à l’île Ronde et se diriger ensuite vers Le Fret.

 

« Cela change un peu l'itinéraire auquel j'étais accoutumé depuis 45 ans que je fais partie de la Compagnie.

J'y suis en effet entré comme mousse à l'âge de 13 ans, suis passé novice, puis matelot, maître d'équipage et patron.

J'ai aujourd'hui 58 ans et n'ai jamais quitté la Compagnie.

 

— Pierre qui roule n'amasse pas mousse, et avant d'être capitaine... dit sentencieusement un vieux matelot en replaçant sa chique dans la doublure de sa casquette.

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Pour la troisième fois, le sifflet module un son prolongé qui vous brise les oreilles.

Un jet de vapeur se mêle à la fumée provenant de l'Union des Docks, que le brouillard rabat sur le bassin avec une bonne odeur de café qu'on grille.

 

On largue les amarres, le bateau « évite », traverse le bassin désert, vidé des chalutiers, remorqués depuis peu dans l'arsenal, et disparait bientôt dans la brume.

 

À l'arrivée au Fret, des voyageurs se rendant à Camaret constatent avec surprise que seuls les autocars de Crozon et de Morgat attendent au débarcadère.

Ceux de Quélern et de Camaret ont continué leur transport de voyageurs jusqu'à la maison Citroën, rue Anatole France.

 

— La Compagnie des Vapeurs brestois, dit le directeur, M. Saget, ne possède plus que deux bateaux: le Morgat et le Crozon.

Le Plougastel, le Camaret et la vedette Quélern ont été mobilisés dès le mois de septembre dernier. La vedette est restée à Ouessant ou à Molène.

 

Nous espérons bien, poursuit M. Saget, rétablir le plus tôt possible le service journalier, mais, actuellement, pour limiter la consommation du charbon, en raison du stock restreint que nous possédons, nous avens dû provisoirement réduire le service à quatre jours par semaine.

 

Nous l'assurerons le mercredi, vendredi, dimanche et lundi, aussi régulièrement que possible.

Seules les exigences du trafic pourraient faire subir au service des modifications.

Les départs de Brest auront lieu : le matin, à 7 h. 30 et 16 h. 30 ;

Les départs du Fret, à 8 h. 15 et 17 h. 15.

 

Il est certain que les cars, dès vendredi, se trouveront à l'arrivée au Fret.

Le trafic normal, voyageurs et marchandises, va donc pouvoir reprendre comme auparavant.

 

Les voyageurs qui débarquent se déclarent enchantés de la reprise du service des Vapeurs brestois.

 

La Compagnie retrouvera rapidement sa fidèle clientèle, diminuée, hélas! cette année, de la présence des nombreux touristes attirés par le pittoresque de la presqu'île de Crozon.

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