1940
Brest en 1900
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Source : La Dépêche de Brest 1 janvier 1941
Nous terminerons l'évocation de ces souvenirs de 1900, en rappelant les « cris de Brest » de cette époque.
Qu'ils étaient gais, ces chants et ces appels modulés des petits marchands ambulants qui parcouraient nos rues, criant leur métier et faisant valoir les objets et friandises qu'ils s'en allaient débiter en plein air !
Dès le matin, pendant la belle saison, les airs plaintifs et rustiques d'un flûteau annoncent le passage du marchand de lait de chèvre.
Coiffé d'un béret basque et vêtu d'une blouse à rayures bleues et blanches, appuyé sur un long bâton et accompagné de son chien qui le suit pas à pas, le chevrier a quitté de bonne heure l'étable du Bois de Boulogne, derrière la Glacière, où son troupeau est remisé.
Les chèvres connaissent déjà le code la route et tiennent rigoureusement droite, attentives à la feuille de chou que sont heureux de leur présenter les petits enfants, obéissantes au coup de sifflet qui marque l'arrêt durant lequel sera tiré le gobelet de lait tout chaud à deux sous.
Une sonnerie de clairon se fait entendre au coin de la rue.
C'est le teinturier, un gros rougeaud, à casquette et blouse noires, un foulard rouge autour du cou qui, près de son petit cheval et de sa voiture bigarrée, attend la cliente.
Le tonnelet est prêt à recevoir la liqueur, pour la Teinture à la minute.
Vi... i... tri ! Vitri...er !
Voilà le vitrier, courbé sous son porte-vitres, à la voix éraillée, qui lève les yeux vers les étages, à la recherche des carreaux cassés.
Que de bonnes affaires il ferait par ces temps-ci !
À pas lents et solennels, son grand panier en bretelle, un homme lance à plein gosier :
Voilà le raccommodeur de faïence et de porcelaine !
Il raccommode avec attaches et sans attache :
L'os, l'ivoire, l'albâtre, le marbre.
Propreté, solidité !
Tous objets d'art et d'antiquité, cassés et brisés !
Puis éclate une voix splendide de soprano, claire et bien timbrée :
Mesdames, voilà la vannière !
Avez-vous des paniers à raccommoder ?
Paniers peints, paniers en jonc,
Allons, Mesdames, cherchez-les donc !
Montez, de la cave au grenier,
Cherchez-moi vos vieux paniers !
Au début de l'après-midi, sur la place du Champ de Bataille et sur le Cours Dajot, un marchand de gros berlingots à un sou, tout vêtu de blanc, lance ses joyeux couplets :
Les dames d'en haut.
Les dames d'en bas,
Descendez vite
Car je ne monte pas,
Et vous aurez bientôt
De jolis berlingots.
À la vanille
Pour les p'tites filles.
Au chocolat
Pour les papas,
À la menthe
Pour les mamans
Et au citron
Pour les jolis garçons.
Plus loin, un confrère et concurrent :
À la gui... gui,
À la guimauve.
Voilà le marchand de guimauve !
Quatre heures !
C'est la sortie des écoles.
Le gâteau franco-russe est à la mode, depuis l’alliance qui a fait citoyen brestois l’amiral Birileff et citoyen de Cronstadt, M. Delobeau, maire de Brest.
Le boulanger a quitté sa boutique de la rue Voltaire, vis-à-vis du lycée et annonce rayonnant :
Voilà, le bon franco !
Voilà, l’franco tout chaud !
Au riz tout chaud !
glapit une femme qui pousse sa petite voiture à bras.
Un sou la tasse !
La nuit est tombée.
Les petits marchands ont regagné leur logis, les becs de gaz s'allument et plus tard, voici qu'une voix caverneuse s'élève :
Il est onze heures... sonnées !
C'est le veilleur de nuit au manteau blanc qui commence sa ronde.
Il frappe le pavé de son bâton ferré, passant dans toutes les rues intra-muros et s'arrêtant aux carrefours, pour crier les heures qui s'égrènent au clocher de Saint-Louis.
Charles Léger nous a conté ici-même les origines de cette institution, disparue depuis quelques années, l'une de ces survivances qu'on ne retrouvait plus guère qu'à Brest, et la tâche de chaque nuit que s'imposaient ces braves gardiens populaires, pour quelques subsides que leur donnaient les commerçants, aux fins de mois et aux étrennes. (*)
(*) À lire sur Retro29.fr - 1925 - Il est... minuit... sonné ! - Les crieurs de nuit par Charles Léger – Cliquer ici
Été comme hiver, par tous les tems, que le vent souffle en tempête ou que la pluie tombe à torrent, le veilleur fait sa ronde, impassible.
Il ferme les portes des couloirs et les ouvrent à ceux qui ont oublié d'emporter leur passe.
Il guide les personnes qui ne connaissent pas la ville, donne l'alarme si un incendie se déclare et un coup de sifflet pour appeler les agents, quand il voit s'engager une bagarre.
Il est deux heures... sonnées !
Le veilleur va effectuer une dernière ronde avant de retrouver sa demeure et de goûter, à son tour, quelques heures de sommeil, lui qui a si bien veillé sur le nôtre, en murmurant, en même temps que la marche des heures, son air de complainte :
Bourgeois, dormez en paix !
Le vieux veilleur n'est plus.
Combien ses souhaits seraient d'ailleurs superflus, puisque aujourd’hui, hélas !
On ne dort plus en paix.
Fin