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1933

Appartement à louer

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Source : La Dépêche de Brest 18 janvier 1933

 

L'un de mes amis est candidat locataire.

C'est un titre — peu enviable d'ailleurs — et qui exige, de la part de celui qui le porte, beaucoup de persévérance et pas mal de philosophie.

 

Pour « éclairer ma religion », il me convia à le suivre dans ses aventures et je dois dire que, de ma vie, je n'avais tant grimpé d'étages, tiré tant de cordons de sonnettes, arpenté tant de rues, de places, de carrefours, de venelles et d'impasses.

Au demeurant, un excellent exercice considéré du point de vue de l'hygiène.

​

 

Du côté de Saint-Martin

 

Ce jour-là, mon ami me dit que tout allait pour le mieux et qu'on lui avait indiqué comme libre un appartement de trois pièces, plus une cuisine, rue Z…., mettons du côté de Saint-Martin.

 

Quelques minutes plus tard, nous entrions sous une porte cochère, et, à pas prudents, le briquet à la main, nous montions à la découverte.

 

— C'est là... je sonne...

Après quelques instants de silence et de recueillement, nous vîmes un petit écriteau pendu près de la porte :

 

Pour visiter

s'adresser à Mme X..., rue Y...

 

Ce n'est donc pas encore loué.

Tu le vois, j'ai toujours eu de la chance...

Nous voilà partis à la recherche de la rue Y...

Promenade en zig-zag dans le quartier.

Bientôt, à pas prudents, le briquet à la main, nous montions à la découverte.

 

— C'est là... je sonne... Une guigne, une vraie guigne :

Mme X... n'était pas chez elle.

 

— Je comprends, dit mon ami, nous l'aurons croisée en route.

Je suis persuadé qu'elle est allée à l'appartement avec un de mes concurrents.

Faisons vite et rattrapons-les.

 

Retour au pas accéléré.

Hélas ! Amère désillusion... personne derrière la porte inexorablement close.

Mais toujours le petit avis malicieux.

 

Mon ami avait perdu sa sérénité.

 

— J'ai mon plan, dit-il, retournons rue Y et, quoi qu'il arrive, attendons Mme X...

 

Bientôt, à pas prudents, etc. etc.

 

Mais nous n'étions plus seuls. Il y avait déjà quatre dames.

La conversation s'engage :

— C'est peut-être pour l'appartement de la rue Z…

— Parfaitement.

— Nous aussi...

— C'est la troisième fois que nous allons là-bas.

— Nous, c'est la deuxième.

— Je reste devant la porte...

— Nous aussi.

— On dit qu'il est bien...

— Oui, mais dans les 4.000.

— Il faut espérer que ce chiffre est un peu exagéré.

— Avec les charges et les contributions...

​

 

Une bonne blague

 

Une heure plus tard, nous étions à nouveau seuls.

Mme X... nous ouvrait sa porte.

 

Mon ami (souriant). — Madame, je viens...

Mme Y... (même jeu). — ...pour l'appartement...

Mon ami. — ...de la rue Z...

Mme Y... — Il est loué, monsieur, depuis huit heures ce matin.

Mon ami (désespéré). — ...Mais peut-être...

Mme Y... (nerveuse). — ...Et vous êtes la trente-cinquième qui montez ici pour me poser la même question.

Trente-cinq personnes qui sont venues ici sonner !

Mon ami. —- Pardon, madame, permettez, il y a un malentendu.

Je parle de cet appartement à la porte duquel il y a un petit écriteau qui envoie tout le monde chez vous...

Mme Y... (refermant sa porte). — Moi aussi, monsieur, moi aussi!

 

Il était près de 17 heures.

Mon ami avait perdu son assurance, et moi j'avais perdu ma journée.

 

— Tout de même, me dit-il, cette petite histoire d'écriteau, elle est bien bonne...

Je pense à tous ceux qui, d'ici à ce soir, iront rue Y...

Ceci me console de cela.

​

 

3.600 francs l'an, plus...

 

Nous avions une autre adresse en poche.

Un « meublé » de trois pièces.

 

C'était à un premier étage, bien situé, donnant sur des rues assez larges, mais éloignées du centre.

Trois pièces, si on veut, c'est-à-dire une assez belle chambre et deux petits cabinets, dont l'un est agencé en cuisine.

Le tout orné de quelques pauvres meubles, chères vieilles choses dépareillées, fatiguées par une vie trop mouvementée.

Même pas l'indispensable.

— Et combien ?

— 300 francs par mois...

 

Soit 3.600 fr. par an, plus les petits « à côté ».

La brave personne qui nous fit visiter nous expliqua qu'elle désirait des locataires solvables (ça se comprend), sérieux et silencieux.

En outre, il était-nécessaire de promettre de n'apporter dans l'appartement aucun stock de matière inflammables ou explosives... diable !

 

Mon ami demanda à réfléchir, mais j'eus nettement l'impression que ce meublé de « trois pièces » avait fait sur son esprit une impression pénible.

D'autant plus qu'il n'est pas fortuné.

Sa carte de visite est d'ailleurs ainsi libellée :

​

 

(À suivre.)

 

P.-M. LANNOU.

​

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