Source : La Dépêche de Brest 19 janvier 1933
En somme, nous n'étions guère plus avancés.
Un ami que nous rencontrâmes nous dit :
— Voici des jours et des jours que je cherche.
Croyez bien que pour trouver précisément ce que vous cherchez, vous ne devez compter que sur la chance.
Des meublés, il y en a.
Il y en a des quantités.
« Pour l'appartement vide, c'est autre chose.
Si le hasard vous sert, vous arriverez peut-être, mais à une condition :
levez-vous très tôt le matin, soyez d'humeur conciliante et ne vous montrez pas exigeant.
Par exemple, fût-ce pour un loyer de 3.500 francs, n'exigez pas d'avoir des cabinets dans votre appartement.
Dans la majeure partie des immeubles, les w.c. sont communs.
Ils sont soit dans l'escalier entre deux étages, soit au fond de la cour...
Je pourrais vous fournir d'autres précisions relatives au confort et à la propreté, mais j'aurais conscience de faire œuvre mauvaise en vous démoralisant au premier jour ».
Un pessimiste, même lorsqu'il dit vrai, devrait se taire.
Appartement de 4 pièces
Celui-là était, comme on dit, dans Brest-ville.
Quatre pièces vides.
La fine affaire.
Après les formalités d'usage, nous sommes admis à visiter.
C'est tout en haut de l'escalier.
Sur le palier s'ouvrent deux portes.
Ce sont les entrées de l'appartement, des appartements devrait-on dire, car il s'agit en réalité de 2 pièces + 2 pièces, mais non d'un logement de 4 pièces.
L'ensemble est assez clair.
Sous les toits on est près du soleil.
Il faudra retapisser et repeindre.
Cela est d'ailleurs mal commode à organiser puisque les pièces ne communiquent entre elles que par l'intermédiaire du palier.
Confort, néant.
— Et combien ?
— 3.000 francs.
— Je préférerais réfléchir, dit mon ami.
Ce même jour, nous avons visité un meublé :
Une chambre et une cuisine.
Il y en avait plusieurs comme ça dans cet immeuble dont la situation n'était d'ailleurs guère enviable. 240 francs par mois, soit, en chiffres ronds, 3.000 francs par an.
Un brave bonhomme
On nous avait aussi indiqué une adresse, au terminus d'une ligne de tramway.
Il était question d'une maison et d'un jardin « pour deux heures de travail par jour ».
Arrivés au terme de notre voyage, nous nous trouvons devant une sorte de vieux manoir défendu par de hauts murs.
Une grosse cloche à la porte monumentale, des chiens dans la cour.
Voici quelqu'un.
Mon ami arbore son sourire le plus fascinateur.
— C'est bien ici, monsieur, une maison et un jardin à louer ?
— Parfaitement... mais il faut faire au moins deux heures par jour de jardinage.
— Qu'à cela ne tienne. J'ai toujours aimé la nature, les fleurs...
Devant cette réponse enjouée de mon ami, le propriétaire nous regarde avec étonnement :
— Il y a, me semble-t-il, un petit malentendu entre nous. Êtes-vous jardinier ?
— Heu... c'est-à-dire que...
— Je vous pose cette question parce que j'ai l'intention de louer une petite maison qui se trouve dans le jardin, à un homme qui, en retour, travaillera deux heures par jour dans la propriété.
— L'idée est excellente, monsieur.
Je dirai même qu'elle est généreuse, mais il y avait, en effet, un petit malentendu entre nous.
Je ne suis pas du tout jardinier.
Je ne suis que candidat locataire.
En cette qualité, je suis prêt à bien des sacrifices.
Cependant, il me faut reconnaître que je ne suis pas l'homme que vous cherchez.
Non dignus sum intrare...
Je vous salue monsieur.
La petite reprise
Ce jour-là, nous nous étions heurtés à plusieurs portes.
Partout, on nous avait répondu que « l'appartement en question » était loué depuis quelques heures et que bien d'autres étaient passés avant nous.
Mais, comme dirait M. Joseph Prudhomme :
« La petite lampe de l'espoir brillait encore au fond de notre cœur bardé d'un triple airain ».
Nous avions quelque chose en vue :
Trois pièces, une cuisine — il est vrai dans un quartier désert et lointain — pour 3.000 francs.
Des pièces propres, assez vastes, bien tapissées.
Il fallait d'abord voir une première dame qui nous confia que ce loyer de 3.000 francs comportait, en outre, une petite reprise.
— Ah... Ah... une petite reprise ?
— Peu de chose... 3.000 francs.
Mais enfin, voyez Mme Z..., qui occupe encore le logement.
Va pour Mme Z...
Elle nous reçoit dans un home coquet, d'où on découvre une vue très belle.
— Il y a, nous a-t-on dit, une reprise ?
— Oui... de 4.000 francs.
— 3.000 ou 4.000 ?
— 4.000 francs : une chambre à coucher Louis XVI, un fourneau à gaz, les peintures et tapisseries.
— Loyer 3.000... reprise 4.000, soit 7.000...
— Il y a aussi évidemment quelques charges.
— Parfaitement... mais c'est si loin du centre, dans un quartier en création.
Enfin, c'est assez triste...
— Triste ? Et pourquoi ?
— Oh ! rien, excusez, je pense à Louis XVI...
Mon ami a de ces « coq à l'âne ».
(À suivre).
P.-M. LANNOU