Source : La Dépêche de Brest 22 janvier 1933
La Chambre syndicale des locataires n’est pas une machine de guerre dressée contre les propriétaires, ni une «formation de combat», comme certains voudraient le faire croire.
Non.
Ce que nous demandons est bien simple et parfaitement normal :
Le respect de la loi, par les uns comme par les autres.
« Malheureusement, trop souvent, les lois sur les loyers demeurent lettre morte pour bien des propriétaires, dont le souci constant est de se maintenir — pour un profit plus grand — en dehors et aussi loin que possible de la légalité.»
C’est ainsi que les dirigeants de la Chambre syndicale des locataires définissent et justifient leur action.
— Estimez-vous qu'à Brest la crise du logement s'atténue ?
— Non.
Il y a bien maintenant quelques offres, mais le nombre des candidats est si grand…
Il demeure presque impossible pour un jeune ménage, par exemple, de trouver à se loger.
Pratiquement, l’appartement de deux pièces ne se trouve pas.
Naturellement cette pénurie extrême encourage la spéculation.
Nous pourrions vous citer un nombre considérable d'exemples :
une mansarde et un petit réduit sans lumière, loués 1.200 fr. ;
une pièce meublée ou plus exactement prétendue telle (un lit, un buffet, deux chaises) louée 460 fr. par mois ;
2.000 fr. par an, une pièce non meublée, rue de la Mairie ;
3.000 fr, deux petites chambres et une petite cuisine ;
à Recouvrance, deux pièces et un petit cabinet, 2.500 fr. etc..
« Il ne se passe pas un jour sans que l'on vienne nous signaler quelque abus scandaleux. »
Propriétaires d'avant-guerre et d'après-guerre
Notre interlocuteur précise alors qu'il faut bien distinguer les propriétaires d’avant-guerre et ceux qui ont fait bâtir un immeuble depuis 1919.
« Avant 1914, poursuit-il, une maison revenait à environ 1.000 fr. la pièce, bien souvent terrain compris.
« Par contre, pour les constructions récentes, il faut compter de 10.000 à 12.000 francs la pièce, terrain en plus.
Comme vous le voyez la différence est énorme.
« Mais alors, les propriétaires d'avant-guerre n'ont aucune raison valable de vouloir louer leurs appartements au même prix que ceux d'après-guerre.
« Avant 1914, une pièce vide se louait, à Recouvrance, de 80 à 100 fr.
Maintenant il faut compter de 700 à 800 francs.
« Or, un loyer de 100 francs d'avant-guerre devrait, normalement, être de 280 fr. + 30 % de charges, soit 310 fr.
« Pour l'ancien locataire bénéficiant des dispositions de la loi du 29 juin 1929, le loyer d'avant-guerre doit être multiplié par le coefficient 3,1, toutes charges comprises, l'eau mise à part.
« Notez qu'en fait, le locataire nouveau d'un appartement, situé dans un immeuble d'avant-guerre, a un moyen de se défendre si on lui impose un loyer excessif.
Il peut accepter le chiffre, quitte à intenter dans un délai de six mois une action en justice contre son propriétaire.
Le taux de son loyer sera alors ramené au taux légal. »
Les meublés
« Une question très importante :
celle des appartements meublés.
Ceux-ci se multiplient de façon scandaleuse, en dépit des lois et des arrêtés municipaux.
Cette situation ne va pas pouvoir durer.
« On voit actuellement des propriétaires qui, après avoir expulsé leurs locataires, transforment des logements en «meublés».
« Cette multiplication des garnis fait d'ailleurs le plus grand tort aux hôteliers.
« Quand il s'agit de locataires nouveaux, on peut dire que, d'une façon générale, la loi n'est pas respectée.
« Trop souvent, les reçus de loyer ne correspondent pas, dans leur libellé, au réellement perçu, une certaine somme étant versée de la main à la main.
« Enfin, il arrive assez fréquemment que, lorsque vous louez un appartement, le propriétaire vous fasse payer, au moment d’en prendre possession, une sorte de « pas de porte » (*).
(*) Le Pas de Porte est une somme d'argent que le bailleur demande au locataire au début du bail.
Il s'agit en quelque sorte d'un droit d'entrée
« Les appartements vides sont très souvent mis aux enchères entre les 35 ou 40 candidats qui se mettent sur les rangs.
« Ainsi, quoi qu'en disent certains, un immeuble est une mine d'argent dont les locataires sont les filons.
D'ailleurs, si les maisons ne rapportaient rien, comme beaucoup veulent le laisser croire, comment se fait-il qu'elles se vendent si cher ?
« Les réparations ?
On n'en peut plus obtenir.
Pourtant, avec l'argent des 30 % de charge, au bout de quelques années, on pourrait faire quelque chose.
« Trop souvent aussi, il s'établit une insupportable spéculation sur les charges (eau, ordures ménagères, ramonage, etc.).
Nous connaissons à cet égard des exemples nombreux et typiques. »
L'avenir
Notre interlocuteur constate que d’une façon générale — « on veut se loger mieux qu'autrefois. »
Et puis, beaucoup de gens qui, bien que travaillant à la ville se logeaient avant-guerre hors de Brest, ont voulu se rapprocher du lieu de leurs occupations.
— Que pensez-vous d'un éventuel retour au droit commun ?
— Ce serait une chose terrible, dont les conséquences seraient à n'en pas douter extrêmement graves.
Non.
Telle quelle est, la loi n'est pas excellente, loin de là, mais c'est un minimum indispensable. .
« L'exemple de Lorient, où, le droit commun a été rétabli, doit donner à réfléchir.
Dans le premier mois qui a suivi la réforme, 672 congés ont été notifiés et 1.075 autres ont été donnés verbalement.
Depuis, cela n'a fait que se multiplier.
« Ce qu'il faudrait, c'est une politique de construction.
Il faudrait que le conseil général et l'État fassent construire des habitations à étages multiples pour logements moyens.
Ce serait à la fois un remède efficace à la crise actuelle, un instrument de lutte contre le chômage et un frein contre la spéculation. »
En terminant, notre interlocuteur nous rappelle les termes d'un article publié par la Chambre syndicale dans la Dépêche en décembre 1932 :
« … En résumé, d'un côté de la barricade se trouvent les partisans irréductibles d'une hausse constante des loyers ; de l'autre, les partisans non moins irréductibles d'une législation des loyers plus humaine et plus conforme aux règles de l'équité.
Au Parlement de les départager !
De ce côté-ci de la barricade, on attend son verdict avec pleine et entière confiance !
« On ne comprendrait pas, en effet, qu'à une réduction du taux des valeurs immobilières, qu'à une diminution des salaires, des traitements, des pensions, ne correspondrait pas nécessairement, logiquement, une réduction du taux des valeurs immobilières, c'est-à-dire des loyers.
« Et, si pénitence il doit y avoir, la Chambre syndicale attend qu'on veuille bien lui faire connaître en vertu de quel droit, de quel principe, les propriétaires, seuls entre tous, en seraient non seulement exempts, mais verraient encore leurs revenus s'accroître par l'octroi de paliers successifs s'élevant à 15 %.
« Une telle mesure ne constituerait-elle pas le plus cinglant des défis au simple bon sens et aux règles les plus élémentaires de la justice ? »
P.-M. LANNOU.