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1933

La réponse du Léonard

 

 

Source : La Dépêche de Brest 25 janvier 1933

 

L'article de M. Pierre Avez, sur le Léon, paru dans un récent numéro de la Dépêche de Brest (*), a retenu notre attention.

II contient des idées fort justes, mais appelle tout de même certaines réserves et quelques critiques dont nous nous ferons l'écho.

 

(*) À lire sur Retro29 : 1933 - Le Léon par Pierre Avez – Cliquer ici

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Nous nous élèverons tout d'abord contre cette erreur qui représente le Léon comme une région froide, éventée, dénudée et inhospitalière.

 

Il est exact que le vent du nord y souffle parfois (quoique les vents prédominants viennent de l'ouest) ;

mais est-ce un mal, par les chaleurs d'été, que ces brises rafraîchissantes ?

Est-ce un mal que les pluies y soient un peu moins fréquentes qu'en Cornouaille ?

Encore s'agirait-il de ne point omettre que Brest, capitale maritime du Léon, tient le record pour la durée des chutes de pluie.

 

Erreur encore de prétendre que le Léon est chauve ou réduit aux tignasses hirsutes de l'ajonc, de la bruyère et du genêt.

Si la zone côtière est plus profonde ici qu'ailleurs, c'est parce qu'on y a plus défriché, qu'on s'est donné plus de mal pour faire de la terre arable (et quelle terre) !

Mais cet effort n'est-il pas tout à l'honneur d'une population tenace à l'extrême et tendue vers le progrès?

 

Quant aux bois, passé la ceinture dorée où prospèrent les primeurs, eh bien ! nous en avons à revendre :

alentour de Morlaix, Plouvorn, Saint-Derrien, Lesneven, Lannilis, Saint-Renan, ou — plus encore dans l'hinterland — à Landerneau, qui forme à peu près la limite méridionale du Léon.

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Erreur surtout de soutenir que le Léon n'a rien fait pour le tourisme.

Voyons !

On ne nous contestera pas que Roscoff n'ait été la doyenne des plages bretonnes ou, du moins, la première en vogue avec Dinard, alors que Morgat, Tréboul, Tudy, Bénodet, Beg-Meil et Concarneau n'avaient pas encore la faveur du grand public.

Dès 1860, Roscoff avait acquis une grande réputation pour ses cures marines.

Des écrivains, des artistes, des savants illustres, tels que Littré, Dumas père, Corbière, y faisaient, qui de la philosophie et du naturisme, qui de la littérature culinaire, qui d'étranges poèmes et des excentricités.

 

Si Carantec est de vogue récente, Brignogan, L'Aberwrac'h, Porspoder, Le Conquet, Le Trez-Hir étaient lancés bien avant la guerre.

Bien sûr, ce ne sont pas de grandes plages à la mode, comme Dinard (qui a réussi) et Sables-d'Or-les-Pins (qui est en train d'échouer).

Mais ni Dinard, ni Sables-d'Or-les-Pins ne sont en Cornouaille, qu'on a voulu nous opposer victorieusement.

 

Évidemment, nous n'avons pas de pointe du Raz, ni de pointe de Penmarc'h, ni de baie de Douarnenez.

Nous n'avons pas — c'est entendu — l'Odet, de Quimper à Bénodet.

Mais nous avons le Dossen, de Morlaix à Carantec ;

les trois Abers (l'Aber-Benoît, l'Aber-Wrac'h et l'Aber-Ildut) ;

nous avons l'île de Batz et la baie du Kernic ;

nous avons la pointe de Pontusval et celle de Saint-Mathieu et mille autres sites qui ne le cèdent en rien aux beautés cornouaillaises.

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Qu'on ne nous reproche pas surtout de ne rien faire pour attirer et retenir le touriste :

Il y a des syndicats d'initiatives dans le Léon et pas plus loin qu'à Plouescat.

Le réseau routier — s'il ne comporte point, il est vrai, de routes de corniche — est suffisamment développé pour les besoins de la région.

Quant aux hôtels, nous ne voyons point qu'ils soient moins confortables qu'ailleurs.

 

Voilà pour le pays.

Les gens?...

Ici, à notre sens, une distinction s'impose entre le bourgeois et le paysan et même entre le paysan et le villageois.

Le bourgeois — avec sa culture uniquement française — a perdu, à peu d'exceptions près, tout caractère breton.

Rien ne ressemble, en effet, à un bourgeois de Cornouaille comme un bourgeois du Léon, et tous deux s'apparentent étroitement aux bourgeois de Normandie et autres pays situés au nord de la Loire.

 

Seuls les paysans des deux régions ont conservé, nettement distinctes, leurs particularités ethniques.

Les villageois, eux, participent à la fois du bourgeois francisé et du paysan demeuré celte.

C'est donc du paysan et du villageois seuls que l'on peut dire, avec exactitude, qu'ils sont, dans le Léon, plus taciturnes, plus traditionalistes et plus austères qu'en Cornouaille.

Et l'on nous permettra de trouver qu'il n'y a là rien de regrettable.

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Boire du cidre toute la semaine n'implique pas une supériorité (tout comme n'en pas boire n'est point un mérite, quand c'est faute au terroir de produire des pommiers).

La moralité publique s'accommode volontiers, sinon de la proscription absolue, du moins d'une juste restriction des danses, et l'on ne nous fera pas croire qu'une petite ville où sévissent 19 dancings (et quels dancings, sans doute !) ne soit, en même temps qu'une ville où l'on s'amuse, une ville très débauchée.

 

Il se peut, à la rigueur, que le Léonard soit « plus près de ses sous » que le Cornouaillais.

Mais depuis quand la prodigalité est-elle plus louable que le souci de l'épargne ?

D'ailleurs, au pays des primeurs, on ne regarde pas à la dépense.

Était-elle avare cette brave paysanne qui s'en fut chez un bijoutier commander un service complet de douze pinces à sucre ou cette autre qui, ayant fait choix d'un piano, dit au marchand :

« Vous m'en mettrez deux pareils pour faire pendants de chaque côté de la cheminée de ma salle à manger » ?

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Et, d'autre part, n'a-t-on pas vu — justement en Cornouaille — se rompre un mariage, au tout dernier moment, parce que le futur beau-père refusait de remettre en dot à sa fille une vache qu'il avait promise, sous prétexte que cette vache, étant devenue pleine, avait augmenté sa valeur ?

On voit là le danger des généralisations hâtives.

 

Quant aux costumes bretons, s'ils sont plus élégants que les confections modernes, ils sont aussi plus encombrants et plus coûteux.

Qui travaille le plus, de la bigoudène toute parée dans son champ ou du Léonard vêtu de guenilles, pour la circonstance ?

Certainement celui-ci.

En tout cas, la valeur d'une race ne se mesure point à son luxe vestimentaire, et son respect des traditions apparaît plus profond et plus sincère quand il s'attache à des sentiments et à des idées plutôt qu'à des colifichets.

 

Pour ce qui est des pratiques religieuses et de l'orientation politique — sujets entre tous délicats et matières à divisions intestines — mieux vaut n'en point parler.

À peine souhaiterait-on, pour le prestige même des ministres du culte catholique, qu'ils restassent exclusivement dans le champ de leurs attributions sacerdotales et dans l'inspiration purement charitable des Évangiles.

Les vaches (maigres !) en seraient mieux gardées.

 

Nous terminerons sur cette conclusion

 

UN LÉONARD.

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