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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

29 sur 41

1775 - 1777

 

 

Source : la Dépêche de Brest 15 avril 1929

 

Nous l'avons vu, le maire Le Normand, élu en 1771, est arrivé à l'expiration de son mandat et tous les candidats désignes se sont récusés ;

l'un a invoqué son grand âge, les deux autres leur pauvreté.

 

Le duc de Penthièvre a menacé de désigner le maire de Brest, si on n'arrive pas à s’entendre, et M. Le Normand, cédant aux sollicitations de la Communauté, veut bien continuer ses fonctions pendant trois années qui expireront le 1er juin 1777.

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Portrait du duc de Penthièvre

 

Un tableau peu flatteur de notre cité qui, en 1776 compte 22.0000 habitants, est tracé à cette époque par le commandant de la province, M. de Langeron.

 

« II n'y existe aucune police.

Les rues sont dépavées ; quelques-unes ne l’ont jamais été ;

toutes ont des trous, des inégalités qui les rendent fâcheuses pour les gens de pied et affreuses pour les chevaux et voitures.

La Grande Rue, qui a été pavée avec soin, commence à dépérir, faute d’entretien.,

 

« Les  maisons sont bâties sans solidité et sans goût.

 

« La débauche, la contrebande, l'ivrognerie et la « crapule » sont portées à l'excès.

Les matelots, les soldats sont infectés de scorbut.

 

« Recouvrance est encore pire que Brest et les faubourgs, de Kérambécam et de Coatargueven à la porte de Landerneau, joignent à tous les vices de la ville, le vol et le recélage, parce que c'est un refuge pour les garnements chassés de la ville et des environs. »

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Le comte de Langeron voudrait voir la ville « illuminée » et la municipalité, cédant à son désir, décide d'inviter les particuliers à faire l'acquisition de réverbères pour éclairer les rues.

 

Elle en achète elle-même trente-six qui sont placés dans les escaliers et sur les places publiques et elle se charge d'entretenir tous les réverbères en mèches et en huile.

 

Bien que très rudimentaire, Brest connut donc un premier éclairage pendant l'hiver de 1776 et la dépense s'éleva à 4.060 livres.

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Aimé Marie Gaspard de Clermont-Tonnerre

 

C'est le 21 novembre 1776 qu'un incendie détruisit entièrement l'hôpital de la Marine, construit en 1684.

 

Le feu se déclara dans un grenier, vers quatre heures de l'après-midi, et se propagea avec une telle rapidité qu'en moins de quatre heures tout fut consumé, à l'exception du bureau des entrées et de la salle des vénériens.

 

« Il n'était pas de force humaine qui pût sauver l'hôpital, écrit le commandant de la Marine à l'Intendant.

La force du feu était animée par un vent impétueux qui a embrasé ce vaste bâtiment en trois heures de temps.

 

« Si vous aviez été témoin de cet affreux spectacle, vous auriez tremblé, comme nous, pour les forces navales du Roi et vous auriez trouvé heureux d'en être quitte pour la perte actuelle, quoique considérable... »

 

Trente et un forçats hospitalisés périrent dans les flammes.

Les autres furent immédiatement transférés dans les greniers du bagne ;

puis, escortés par 500 soldats, on les conduisit dans la cour du Château, où le commandant « les fit coucher sur le ventre, par terre, avec ordre de brûler la cervelle au premier qui lèverait la tête. »

Quant aux 156 malades libres, ils furent dirigés sur l'hospice de la ville.

 

La cause de cet incendie demeura inconnue.

On pense que le feu commença dans un grenier renfermant des bois de lit et des paillasses.

Personne n'y était entré depuis plusieurs jours, mais comme il était contigu aux étuves de la goudronnerie, l'opinion finit par prévaloir que des étincelles sorties de la cheminée de ces étuves avaient été projetées dans le grenier.

 

Un hôpital de forçats fut alors aménagé dans les greniers du bagne et le séminaire des Jésuites, qui servait de caserne aux gardes de marine, fut converti en hôpital provisoire.

 

Cet établissement d'un hôpital dans l’ancien séminaire ne fut point sans causer quelques alarmes à la municipalité qui, à plusieurs reprises, demanda son transfert dans un endroit plus éloigné du centre de la ville.

 

« L'hôpital, écrit le maire Le Normand, est dans le centre de nos mûrs.

Il est destiné à recevoir principalement les marins qui débarquent, presque toujours affectés de maladies putrides et pouvant se communiquer d'autant plus facilement qu’il faut, pour parvenir dans cet endroit, que les malades traversent une grande partie de la ville. »

 

L’hôpital du séminaire ne fut évacué qu’en 1834,  date de l'ouverture de l'hôpital maritime actuel dont M. Clermont-Tonnerre, ministre de la Marine, avait posé la première pierre, le 16 octobre 1822.

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Portrait du prince de Montbarrey,

par Élisabeth Vigée Le Brun.

 

Le lieutenant-général marquis de Langeron, nommé au commandement de la Bretagne en 1776, a reçu mission de fortifier Brest, « car le port est maintenant à découvert ».

 

« Du temps de M. de Vauban, les mortiers portaient à 900, au plus à 1.200 toises ;

aujourd'hui, les Anglais en ont qui portent jusqu'à 2.400 toises. »

 

Le port et l'arsenal ne peuvent être protégés que par le couronnement du Bouguen et l'établissement d'un « camp retranché » défendu par cinq forts :

Penfeld, Guestel-Bras, Kéranroux, Portzic et Saint-Pierre, qui prendra le nom de Montbarey, à la suite d'un voyage que le prince de Montbarey, ministre de la Guerre, fera à Brest en 1779.

 

Toute la garnison de Brest, soit treize bataillons, fut employée à la construction de ces importants ouvrages qui demanda dix années et coûta près de 2.400.000 livres.

 

La journée du soldat manœuvre (10 à 12 heures suivant les saisons) était payée à raison de 12 sols.

 

Quant aux chemins conduisant aux forts, ils furent établis ou élargis « jusqu'à 40 pieds de large, non compris les fossés », par les soins des habitants des paroisses environnantes :

Quilbignon, Plouzané, Guilers, Lambézellec, Bohars, Plougonvelin.

 

Tout propriétaire de chevaux ou de bœufs était tenu « de se rendre aux jours et heures fixés, avec ses charrettes et harnois, pour faire le charroi des pierres et autres matériaux nécessaires à l'empierrement. »

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Signature de Ruis Embito

 

Turgot avait reçu le portefeuille de la Marine en 1774 et l'intendant de Brest, Ruis Embito, lui avait signalé la grande misère du port :

 

« Voici le septième mois qui est dû aux officiers, le huitième aux ouvriers, le treizième à l'administration.

Il n'y a pas un sol pour payer les gens qui travaillent.

Tout languit ou périt.

J'espère que cet exposé, que je fais à vous seul, vous touchera et vous portera à venir au secours du service et des serviteurs. »

 

Quelques mois après, l'ancien lieutenant-général de police, M. de Sartine, succédait à Turgot.

Il vint passer quinze jours à Brest, se rendit compte de la situation et ne tarda pas à y porter remède.

 

Des crédits sont votés, l'arsenal retrouve une animation qu'il ne connaissait plus depuis de longues années.

 

Le 7 avril 1777 était lancé dans la Penfeld le plus grand bâtiment de la marine royale, la Bretagne, vaisseau à trois ponts, de 110 canons, et M. d'Orvilliers l'annonçait en ces termes à M. de Sartine :

 

« J'ai l'honneur de vous rendre compte que la Bretagne flotte avec toutes les grâces possibles, vis-à-vis le quai du Contrôle.

 

« Il manque, Monseigneur, à ma satisfaction, celle d'être témoin de la vôtre.

 

« Si vous pouviez jeter un coup d'œil sur votre ouvrage et comparer l'état du port de Brest à celui où vous l'avez vu, il y a dix-huit mois, treize vaisseaux de ligne dans la rade, deux à trois ponts, deux de 80 canons, trois de 74, cinq de 64 et deux de 50, prêts à armer et prendre les armes, sont une résurrection des forces navales du Roi qui n'est due qu'à la sagesse de votre administration.

 

« La suite des travaux de cette année et ceux que vous projetez pour la prochaine, rendront à la nation son ancien lustre et feront respecter notre admirable monarque jusqu'aux extrémités du globe que nous habitons. »

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Portrait d'Antoine de Sartine

par Joseph Boze, 1787.

Musée Lambinet, Versailles

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Le dernier mois de la municipalité Le Normand (mai 1777) fut marqué par la visite du comte d'Artois, frère de Louis XVI, qui, pour tromper son oisiveté, avait voulu faire un voyage à Brest, Nantes, Rochefort et Bordeaux.

 

Lorsque le prince arriva dans notre ville (*), les habitants de la rue de Siam durent tendre leurs maisons comme pour une procession et pendant six jours il leur fallut illuminer de neuf heures à minuit.

 

Le comte d'Artois ne manqua pas une soirée au théâtre, mais il laissa une fâcheuse impression dans les milieux maritimes, car il délaissait souvent le sévère hôtel Saint-Pierre pour aller mener joyeuse vie à Recouvrance, chez le vicomte de Laval, colonel du régiment d'Auvergne.

 

Le futur roi Charles X avait 20 ans !

 

(*) À lire : 1927 - La visite du comte d'Artois à Brest en 1777 par Ollivier Lodel – Cliquer ici

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(À suivre.)

 

Ollivier LODEL.

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