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1940

Les désastres de la route de la Corniche

 

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Source : La Dépêche de Brest 30 juin 1940

 

Tous nos concitoyens savent que, par ordre des autorités maritimes françaises, le feu avait été mis, dans la nuit du 20 juin au 21 juin, aux énormes réservoirs à mazout creusés dans la colline de la Maison Blanche.

L'un de nos collaborateurs a dépeint, lundi dernier, ce qu'il a appelé « les désastres de la route de la Corniche ».

 

À lire sur Retro29 – Chroniques d’Occupation 24 juin 1940 : Cliquer ici

 

Arrêté par des sentinelles aux Quatre Pompes, il n'a pu se rendre jusqu'à la Maison Blanche.

La route conduisant à cette petite grève était en effet impraticable.

Le mazout s'était livré passage à travers le schiste et des langues de flammes barraient complètement le chemin.

 

Le danger étant devenu moins grand, j'ai pu, vendredi matin, parvenir jusqu'à cette crique, où j'ai passé une grande partie de ma prime jeunesse.

 

Il y a 50 ans

 

À cette époque, de nombreuses familles brestoises allaient en bandes, chaque dimanche, passer la journée sur la côte nord de la rade de Brest, devenue depuis le prolongement du port militaire.

 

À La Ninon, la plage la plus proche de la ville, il y avait l'établissement de bains Fouché, très fréquenté ;

plus loin Le Stiff, puis les criques de la Grande-Rivière, Douric-Mad, la Batterie de Sept, les Quatre-Pompes, la Maison-Blanche, le Portzic et Sainte-Anne.

 

On se réunissait le matin sous les voûtes des portes du Conquet ;

on faisait emplette de victuailles dans les petites baraques en bois élevées à l'orée des bois de Kervallon et de La Ninon et l'on partait, en groupes, vers le coin choisi.

 

Les voitures d'enfants, poussées par les hommes, supportaient aussi la charge de tout un attirail de campement : coquelles, casseroles, cafetière, charbon de bois, lampe à alcool, enfin tout ce qu'il fallait pour faire un joyeux pique-nique sur les galets ou sur l'herbe.

 

Jeunes gens et jeunes filles se donnaient le bras et entonnaient des chansons de route :

« Ma tunique a un bouton, marchons... », « Halte là, halte là, halte là, les montagnards... »,

« Nous étions 80 chasseurs », etc...

 

Tout le jour on s'amusait.

Après avoir pris un bon bain, on déjeunait joyeusement sous les branches, puis on allait cueillir des pâquerettes blanches et jaunes dans les champs, des digitales et des branches de chêne dans les vallons.

On formait des civières ;

on y fixait des lanternes vénitiennes, et, le soir, c'était une véritable retraite aux flambeaux qui suivait le chemin rocailleux que l'on appelle aujourd'hui la « route de la Corniche. »

 

Nos chants, dans la nuit, n'étaient coupés que par les cris des timoniers du Borda, de la Bretagne et de la Somme :

— Bon quart devant.

— Bon quart derrière.

 

Ce qu'était la Maison-Blanche

 

La Maison-Blanche était le coin préféré du groupe dont je faisais partie.

Il y avait certes peu de sable sur cette grève, mais nous étions habitués à courir sur les gros galets ronds et nos pieds, durcis, ne souffraient guère de la dureté des rocs sur lesquels nous nous plantions pour pêcher la vieille, le tacaud, le congre et le mulet.

 

Un ruisseau d'eau claire, peuplé d'anguilles, courait au milieu de la grève.

 

Derrière le rideau de maisons qui fermait la plage il y avait un vallon superbe, des bois, des moulins, deux étangs et des sentiers fleuris de genêts, menant à la grande route de Sainte-Anne.

 

Ce qu'elle est aujourd'hui

 

La jolie campagne que je viens de dépeindre très sobrement n'est aujourd'hui que ruines.

 

En quittant les Quatre-Pompes, havre complètement détruit par le feu, j'ai d'abord trouvé à ma droite, la maisonnette des Douanes.

Les flammes ne l'ont pas épargnée.

Les quatre murs, blanchis à la chaux, sont debout, mais tout l'intérieur a été détruit.

 

Je trouve là les pompiers de la marine.

Ils sont venus, avec une grande partie de leur matériel, combattre le feu qui poursuit ses ravages aux abords des cuves à mazout et qui menace toujours la maison des gardes du parc de la marine.

C'est une belle bâtisse neuve jusqu'à présent intacte.

On y accède par un escalier de pierre.

 

— « Vous pouvez passer, me dit l'un des sapeurs, mais tenez le milieu de la route, car les flammes jaillissent encore par moments des anfractuosités du roc. »

 

Je n'ai pas en effet fait trois pas qu'une gerbe de feu vient enflammer le mazout qui court sur le chemin.

 

Celui-ci devient de moins en moins praticable.

Le schiste, sous l'action de la chaleur, s'est découpé par nappes, et de gros blocs de roc barrent la route.

 

Une patrouille de motocyclistes casqués est arrêtée par ces obstacles et rebrousse chemin.

 

Un vieux pêcheur constate avec désespoir le désastre.

— « J'avais mouillé là mon canot, me dit-il. Le flot l'a emporté... »

Des ruines

 

 

Longeant le parapet toujours chaud, j'avance péniblement.

L'eau bat mollement la falaise ; elle est noire et huileuse.

Et voici, sur la droite, la première maison, celle où périrent deux vieillards M. et Mme Marclé.

L'immeuble voisin et tous ceux qui suivent ont aussi été entièrement brûlés.

Il ne reste que les murs qui s'effondreront sûrement au prochain coup de vent.

 

Lits de fer, fourneaux de cuisine, lessiveuses, voitures d'enfants, casiers pour la pêche, etc... gisent au milieu des décombres.

À gauche, la maison de maître que l'on appelait jadis « le petit Château » a également brûlé et toutes celles qui formaient le tournant ont flambé tour à tour.

Face à la mer et, plus haut, sur la route du Portzic, il ne reste plus un immeuble debout.

 

Le pavillon habité par le jardinier de la propriété Lacoste, placé en retrait, derrière un rideau de grands arbres, a seul résisté, mais ses occupants ont fui ;

le chien a brisé sa chaîne et a suivi ses maîtres.

 

Il n'y a d'ailleurs plus un habitant dans ce village composé d'une vingtaine de maisons.

Je suis seul, tout seul, au milieu des ruines.

Pas un chant d'oiseau.

Un silence de mort.

 

Un canot allonge ses membrures calcinées sur la grève déserte et le vieux chêne qui tordait ses branches sur la partie droite de la crique n'est maintenant qu'un tronc noir, calciné, sur lequel plus une feuille ne poussera.

 

Et le vallon ? Direz-vous.

Un lac de boue noire, huileuse dans lequel on s'enliserait.

Le mur qui bordait, sur la colline, le terrain de la marine, s'est effondré et le mazout en flammes, glissant sur la pente comme la lave d'un volcan, a tout grillé sur son passage.

C'est le même spectacle désolant que sur la route des Quatre-Pompes.

 

Je quitte, le cœur serré, ce coin de côte jadis si vert, si coquet, où les apprentis-marins, vêtus de gris, venaient s'ébattre, et je gagne Brest par la Corniche.

 

Les vaisseaux-écoles sont ancrés à leur place habituelle, les tauds sont en place, mais aucun bruit ne s'élève de ces pontons, désertés par leurs équipages.

 

L'École navale semble avoir peu souffert.

Il est midi.

Des officiers-mariniers, couchés sur les pelouses, regardent tristement la rade, si belle, si bleue sous le brûlant soleil, mais où l'on ne voit pas une voile.

 

Le matériel rouge des pompiers regagne à toute allure la direction du port ; les sapeurs sont suivis de patrouilles de motocyclistes allemands qui caracolent sur la route rocailleuse.

 

Le casino de la Batterie de Sept est occupé, les carriers de Douric-Mad ont mis bas l'ouvrage, mais les lavandières poursuivent leur dur labeur ;

elles étalent du linge blanc sur les landes et l'herbe rase.

 

Plus bas, sur le terrain de l'aéronautique, les baraquements sont déserts ;

de hautes flammes s'élèvent encore de trois conduites de mazout et d'épaisses colonnes de fumée âcre, qui prend à la gorge, sont poussées par le vent sur la ville.

 

Ce n'est qu'à la Porte du Conquet qu'on retrouve la vie.

Les tramways fonctionnent dans les deux sens.

Des autos militaires et civiles montent et descendent sans cesse la côte du Grand Turc, les passants sont nombreux.

On entend au loin une musique militaire...

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