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1896

Lettres inédites
de Levot

Article 1 sur 3

 

 

Source : La Dépêche de Brest 10 août 1896

 

Ce n'est pas aux lecteurs de ce journal qu'il est nécessaire de faire connaître l'importance et l'intérêt de l'œuvre de Levot.

Si quelques détails en sont aujourd'hui contestables, son Histoire de la ville de Brest n'en constitue pas moins, par bien des côtés, un travail définitif et pour cette ville les plus belles pages de ses annales.

C'est à ce titre que nous avons pensé qu'il n'était peut-être pas sans intérêt de livrer au public les lettres suivantes, que les hasards d'une vente d'autographes nous ont récemment mises entre les mains.

Écrites par Levot à un de ses confrères (1), au moment même où il s'occupait de réunir les matériaux nécessaires à son ouvrage et presque toutes relatives à l'histoire de Brest ou de la marine, elles forment comme le complément naturel de son travail et mieux que tout le reste nous initient à la véritable pensée de l'auteur ;

elles nous font aussi connaître, en même temps que sa haute probité scientifique et sa passion de la vérité, son ardeur à rechercher hors de Brest, à la bibliothèque nationale, aux archives du ministère de la guerre et du ministère de la marine, en un mot, partout où il espérait les trouver, les documents propres à fortifier ses conclusions et à compléter son œuvre.

(1) M. Margry, ancien conservateur des archives au ministère de la marine, auteur de, nombreuses études sur l'histoire, de la marine.

 

En publiant ces lettres, nous n'avons pas cru devoir entrer dans la discussion des questions qui s'y trouvent soulevées.

Parmi ces questions, les unes ont été discutées à nouveau et élucidées dans des publications postérieures ;

quant aux autres, elles sont assez complexes et restent suffisamment neuves pour faire l'objet d'une étude particulière, qui paraîtra peut-être un jour.

D'autre part, si nous avons volontairement omis certaines répétitions ou certains développements par trop techniques, nous avons tenu, au contraire, à reproduire en entier les passages relatifs à différents traits de la vie privée de Levot.

Il est toujours dangereux, dans la critique d'une œuvre, de séparer trop l'homme de l'écrivain, et ceci nous est ici une satisfaction toute particulière de donner ces détails, tout à l'honneur du savant et de l'homme de bien, écrivant à son ami, à l'occasion du malheur qui venait de frapper l'un des siens :

« Le travail, par les jouissances qu’il procure, est la diversion la plus efficace aux misères de la vie. »

 

J. LEMOINE.

​

 

Brest, le 2 novembre 1853.

​

Mon cher et affectionné confrère,

 

Aujourd'hui, il s'agit de me rendre au plus tôt un service.

Depuis mon retour ici, j'ai lu à notre Société académique un fragment de mon histoire de Brest, où j'ai restitué à l'ingénieur Sainte-Colombe l'honneur, si honneur il y a, d'avoir seul tracé l'enceinte bastionnée de Brest, jusqu'ici attribuée à Vauban.

 

Je me suis appuyé pour soutenir ma thèse sur les lettres de Colbert à M. de Seuil, du 24 février 1680, de Seignelay au même des 23 mars 1681, 31 mai même année, enfin et particulièrement sur le mémoire de Seignelay rédigé à Brest le 15 mai 1681, mémoire dont je vous dois la communication.

 

Qui le croirait !

Cette lettre si inoffensive a soulevé ici une tempête qui est allée jusqu'à me susciter une lettre anonyme des plus injurieuses.

Je la laisse de côté pour ne m’occuper que du fond de la question.

 

Je pourrais recourir à M. d'Avezac ;

mais ma demande ne recevrait peut-être qu'une réponse tardive et il faut que je me présente armé de toutes pièces à notre séance du 29 novembre, faute de quoi je pourrais être battu, et mes adversaires, qui ont de si graves torts dans la forme, pourraient avoir raison au fond.

Ce serait trop.

 

Vos recherches devront particulièrement se concentrer sur les points suivants :

 

1° J'ai quelque doute que le tracé de Sainte-Colombe, approuvé par Seignelay le 15 mai, a dû être modifié ensuite ;

autrement, je ne m'expliquerais pas qu'il eût d'abord été sanctionné par Vauban, comme le dit Seignelay dans son mémoire du 15 mai, et que Vauban l'eût ensuite critiqué, condamné même, dans son mémoire de 1683 ;

 

2° Vauban vint-il à Brest avant 1683 ?

Deux mentions fort suspectes, consignées sans preuves sur les registres de la direction du génie de Brest, laisserait supposer qu'il serait venu en cette ville en 1670 et en 1680.

Les esprits les plus sûrs s'accordent à rejeter ces deux dates.

La première a été déduite de l'existence d'un plan de la ville que je soupçonne être l'œuvre de Lavoye ou de Sainte-Colombe, ce que l'on pourrait peut-être découvrir si vos archives possèdent des dossiers soit de ces deux ingénieurs, soit de Massiac, frère et successeur de Sainte-Colombe.

Dans ces dossiers, comme dans celui de Vauban, on pourrait suivre la chronologie des faits et reconnaître si le plan, de Sainte-Colombe, approuvé par Vauban suivant le mémoire du 15 mai 1681, n'aurait pas été modifié par ce dernier avant la date de son arrivée, qu'il importerait de préciser aussi exactement que possible.

Je n'ai pas besoin d'insister davantage sur ces points, votre sagacité et votre bonne amitié suppléeront à mes lacunes.

 

Vers le milieu du mémoire de Seignelay du 15 mai, il y a deux paragraphes indiquant le nombre de bastions, demi-bastions et courtines dont se composait chacun des projets de Sainte-Colombe et de Féry.

Je crains d'avoir fait erreur en ce qui concerne le premier.

Faites-moi le plaisir de me donner ces deux paragraphes.

 

En un mot, préciser qu'il est le véritable auteur de la première enceinte bastionnée de Brest, voilà le point principal.

 

Tout à vous,

 

P. LEVOT.

​

Marie-Armand de Castera-Macaya d'Avezac

(1798-1875),

Archiviste et géographe français.

​

 

Brest, le 31 mars 1859

 

Cher monsieur et ami,

 

J'apprends fort tard que mon ami, M. Bizet maire de Brest, part demain pour Paris, où l'appellent les intérêts de la ville.

Je n'ai que le temps de brocher ces quelques lignes et de lui remettre la copie du manuscrit Ollivier.

 

Je désire que M. Bizet ait le loisir de vous voir plus d'une fois.

Vous êtes faits pour vous comprendre réciproquement.

Je lui parlerai du tableau de Brest par Blaremberg, rue d'Antin, 23, pour qu'il le voie s'il est encore chez le marchand de bric à brac.

 

Vous me feriez, bien plaisir si vous pouviez obtenir de M. Turpin la réalisation de l’offre contenue dans sa lettre du 16 novembre dernier de « servir une fiche Brest sur laquelle est inscrite l'indication des numéros de tous les volumes à consulter, puis les sources que peut fournir le dépôt des fortifications, voire même un petit plan tracé a la plume par M. le colonel et obligeant Augoyal, conservateur de ce dépôt. »

 

Vous avez commencé votre publication.

Je vous en félicite.

Continuez.

Un succès solide vous est assuré près des hommes sérieux.

Je lirai ce soir votre second article.

S’il m’intéresse comme le premier, j’en augure pour l'avenir une position des plus honorables pour vous et je ne serai certes pas le dernier à m'en réjouir.

 

Tout à vous.

​

Port de Brest,

de Louis-Nicolas Van Blarenberghe

​

 

Brest, le 13 juillet 1859.

 

Monsieur et très honorable ami,

 

Au moment où dimanche matin on me remettait votre lettre de l'avant-veille, je sortais pour aller prendre chez M. Pilven le manuscrit Ollivier, à l'effet de copier la correspondance qui le termine, correspondance fort intéressante, ma foi, et qui m'a fait, je ne dirai pas oublier, mais supporter, tant elle m'attirait, la chaleur torréfiante qui, dimanche et lundi, nous a accablés ici par exception.

J'ai fait ma part, et M. Pilven, à l'heure qu'il est, a vraisemblablement terminé la sienne composée d'une vingtaine de planches assez compliquées, qu'il a calquées au trait, avec une prestesse et une précision juvéniles qu'on ne devrait pas attendre de ses 74 ans.

Il vous remettra le tout, en personne, le 12 du mois prochain.

Il y joindra votre vue de la rade de Brest et celle de la ville (si elle a été retrouvée) pour peu que vous puissiez joindre l'une et l'autre au dossier Gordou et me l'expédier illico par la voie de l'ami Dodin, à qui vous pourrez dire que mes réparations sont presque terminées el que j'ai pu enfin mettre un terme aux vacances forcées que m'imposait le boulevari dont il a été témoin.

 

Reportez-vous, je vous prie, avant de m'expédier le dossier Gordou, à la lettre mentionnant mes lacunes, parce que, s'il ne les comblait pas, une inspection rapide du carton de la procédure permettrait peut-être de le faire.

 

M. Pilven vous rapportera aussi et ce dossier et celui des fortifications, où il y a plus à prendre que je ne l'avais d'abord pensé.

Peut-être sera-t-il aussi en mesure de vous remettre l'effigie de Mme de Lapérouse.

Cela dépendra du parti que vous prendrez et que je vous prie de me faire connaître sans retard.

M. Dalmas de la Pérouse, dont les sentiments pour vous sont tels qu'ils doivent être, et qui vous transmet l'assurance de ses sympathies réelles, m'a remis le portrait de cette charmante femme, dont la figure, peu expressive, il est vrai, atteste toutefois une grâce enfantine et candide qui attire.

​

M. et Mme de Lapérouse.

​

 

J'attends de Nantes les copies entières des lettres dont je ne vous avais envoyé que des extraits.

Si cela m'arrive à temps, M. Pilven les introduira dans son paquet.

 

Aidez-moi à résoudre une question.

Il s'agit de savoir quel est l'auteur véritable et définitif de la salle de spectacle de Brest, que la tradition dit avoir été construite sur les plans de M. Louis, architecte, auquel on doit la salle de spectacle de Bordeaux.

 

Un premier plan fut fait par Choquet de Lindu, ingénieur au port de Brest, et envoyé à Paris le 2 août 1785 par M. de Roquefeuil, qui dit dans sa lettre que comme la salle projetée par Choquet aurait été trop étroite, il y joignait un antre plan, dressé par M. Nicolini, maître de dessin des gardes de la marine.

Jusqu'à quel point le plan de Choquet prévalut-il ?

Adopta-ton les modifications de Nicolini ?

Je l'ignore.

Ce qu'apprend une lettre de M. de Roquefeuil du 16 mai 1766, c'est que « la salle était commencée sur les plans de Choquet, lorsque la crainte qu'ils ne fussent vicieux dans quelques parties détermina M. de Clagny à l'emporter à Paris pour le soumettre à des architectes et y faire des corrections, dont M. de Roquefeuil désirait avoir connaissance, parce qu'à la date du 16 mai les gros murs n'étaient pas encore achevés. »

 

Des modifications au plan primitif eurent lieu, en effet.

Lorsque le plan rectifié arriva à Brest, le 6 juin 1766, il n'y aurait eu à démolir que le portail, déjà avancé.

Mais, comme le nouveau portail aurait dû se lier à un avant-corps en terrasse à l'italienne avec vestibule au-dessous, M. de Roquefeuil, par sa lettre du 6 juin, demanda qu’on renonçât au nouveau portail, tant à cause de l'augmentation de dépense qu'il aurait entraînée, qu'à cause de la nécessité de le couvrir d'une terrasse en plomb, en raison du climat pluvieux.

Quant au reste, Choquet déclarait que, sans rien démolir, il pouvait suivre le nouveau plan, sur lequel il aurait corrigé le sien relativement à la longueur et à l'étendue du théâtre.

​

 

Ces extraits de la correspondance permettent, de circonscrire dans l'intervalle du 16 mai au 6 juin 1766 le champ de vos recherches.

Ou la correspondance, ou les dossiers Choquet, Nicolini, Clagny, etc., contiendront peut-être le mot de l'énigme.

Je tiendrais d'autant plus à pouvoir suivre la chronologie de cette construction et la part respective de ses auteurs que c'est une question d'actualité, la salle étant, en ce moment, remaniée de fond en comble.

 

Vous le voyez, mon cher ami, je ne vous ménage pas de mon côté.

Croyez-moi, ne songeons, de part et d'autre, à nos apports respectifs.

Tant mieux pour celui qui aura la satisfaction de procurer le plus a l’autre.

Je crains de sembler faire de la diplomatie, car sans doute je ne pourrai pas avoir autant d'occasion ni de ressources que vous, et je crains d'avoir parfois une bonne volonté stérile.

Je ferai toujours tout ce qui dépendra de moi pour qu'elle le soit le moins possible.

Recourez donc à moi toutes et quantes fois vous le voudrez.

Je ferai de même.

 

Amitiés, je vous prie, à MM. d'Avezac, de Branges el de Courtière.

 

Votre bien dévoué.

 

P. LEVOT.

 

À bientôt la suite de cette intéressante correspondance.

​

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