1896
Lettres inédites
de Levot
Article 3 sur 3
Source : La Dépêche de Brest 31 août 1896
Nous avons donné, dans nos numéros des 10 et 24 août, une série de lettres de Levot, l'historien de Brest.
Voici la fin de cette intéressante correspondance :
Brest, le 27 avril 1862.
Monsieur et ami, Je vous vois recevant cette lettre, et ne pouvant maîtriser l'impression qu'elle produit sur vous.
Encore un service demandé par celui qui reconnaît si singulièrement ceux qu'on lui rend, vous dites-vous !
Rassurez-vous, il n'en est rien.
Si, à une autre époque, votre bienveillance spontanée et expansive m'a fait recourir à vous, je sens maintenant combien il m'est désormais interdit d'agir ainsi.
Une fois déjà je vous ai exprimé l'amertume des regrets que me causait le fâcheux oubli que j'ai commis en ne faisant pas connaître par une note au début de ma brochure Gordon que ce travail était la simple condensation, bien souvent la reproduction textuelle d'un long travail élaboré par vous.
Peut-être avez-vous douté de la sincérité de mes regrets et avez-vous cru que je me cherchais une excuse menteuse dans des circonstances douloureuses.
Rien pourtant n'était plus vrai, et si l'intensité de mes regrets était grande alors, elle n'a fait que s'accroître à la seule pensée que vous pouviez mettre en doute ma véracité.
J'avais raison d'être obsédé par cette pensée, car, je le sais, vous ne croyez pas à une omission involontaire de ma part.
Je n'en suis pas trop surpris, je vous l'avouerai.
D'une part elle est si étrange, et d'un autre côté vous ne me connaissez pas assez intimement.
Combien de fois ai-je épié l'occasion de vous faire authentiquement une restitution qui me décharge d'un poids pénible à supporter !
Ou les travaux que j'ai faits (je n'ai rien publié depuis) ne se prêtaient pas à ce qu'elle eût le caractère d'opportunité nécessaire, ou elle n'aurait pas eu la forme que je veux lui donner.
Mais le moment approche où je pourrai me donner cette satisfaction aptes laquelle je soupire plus que vous ne saurez penser.
Sous peu, très vraisemblablement, je tenterai la publication de mon livre sur Brest, et dans la préface je mentionnerai avec les détails convenables et les sources que j'ai consultées et les personnes auxquelles je dois des communications.
Toutefois, comme il se pourrait faire que cette publication n'eût pas lieu (son étendue (3 vol.) la rendra dispendieuse et fera peut-être obstacle), je désire que vous soyez nanti de la déclaration suivante et que vous me rendiez ce service de profiter de l'occasion qui vous semblerait la plus propice de la rendre publique :
« Au nombre de ces personnes je dois placer en première ligne M. Maigry, sous-conservateur aux archives du ministère de la marine.
Non content de me guider dans mes recherches, il s'est généreusement dessaisi en ma faveur, avec un abandon spontané, de notes et documents lentement amassés et en vue de travaux personnels ;
sa bienveillance n'a pas connu de limites.
Il avait préparé une histoire du procès de Gordon ;
il s'en est aussi dépouillé et m'a aussi fourni les matériaux d'un travail qui, en réalité, est le sien. »
Voilà, monsieur et ami, ce que j'ai la ferme intention de dire.
Mais, comme il est possible que mon histoire ne paraisse pas, je vous conjure de vous joindre à moi pour que l’un ou l'autre, suivant l'opportunité de la circonstance, fasse usage de la déclaration ci-dessus.
Je désire que cette circonstance puisse se présenter sans retard, afin que la réparation de mon oubli puisse atténuer — je n'ose malheureusement dire effacer — l'impression défavorable qu'ont reçue plusieurs personnes qui ne voient dans cet oubli qu'une indélicatesse calculée.
Si elles pouvaient pénétrer dans mon for intérieur, elles seraient assurées et de ma sincérité et de l'amertume comme de l'intensité de mes regrets, car je ne sache rien de plus honteux que de dérober le fruit du travail d'autrui, et bien plus encore après un abandon fait avec une délicatesse de procédé sans égale.
Soyez bien convaincu, cher, monsieur et ami, que votre souvenir me sera toujours cher ;
je ne me rappellerai jamais sans émotion la bienveillance et l'intérêt dont vous m'avez donné des preuves si caractéristiques.
Je voudrais que l'occasion se présentât de vous témoigner autrement que par de stériles paroles ma gratitude et mes sentiments affectueux.
Veuillez, je vous prie, me rappeler au souvenir de MM. d'Avezac, Jal, de Branges et de Courtières.
Votre bien dévoué,
P. LEVOT.
Brest, le 1er février 1863. Monsieur et ami,
Je crains fort que vous ne soyez désappointé quand vous me lirez.
Je n'ai rien négligé, sans doute, pour être complet et exact ;
mais, comme vous, je ne suis jamais satisfait.
C'est le propre de ceux qui fouillent, ils croient qu'ils n'ont exploré que quelques filons.
Aussi aurais-je peut-être encore tardé si je n'avais cédé aux pressantes sollicitations de mon vieil ami de Grandpont et de quelques autres.
En tardant infiniment, on ne produit pas.
D'autres, plus pressés, le font et vous empêchent car, il ne faut pas se le dissimuler, le public sérieux est restreint et, pour beaucoup, l'étiquette du livre suffit.
Puis, ne faut-il pas laisser quelque chose à glaner à ceux qui viendront après nous ?
Je sais bien un moyen ou de prévenir une partie des inexactitudes que j'aurais pu commettre, ou de combler quelques lacunes.
Ce serait de vous communiquer les parties de mon manuscrit sur lesquelles vous pouvez posséder des documents.
Mais, en vérité, ce serait, à vous si occupé, imposer une tâche que je me reprocherais.
Si je pouvais penser que quelques heures d'examen puissent vous suffire je me hasarderais pourtant à vous demander ce sacrifice.
Mais, pour que je l'acceptasse, il faudrait que je fusse bien assuré qu'il n'empiétât pas trop sur votre temps, car je suis impatient de vous voir publier votre travail sur Lapérouse, trop longtemps ajourné au gré de mes désirs.
Je ne pourrai faire votre commission auprès de M. Dalmas de la Pérouse, embarqué comme capitaine de pavillon du contre-amiral Reynaud, mais il en sera tout autrement de M. Guichon de Grandpont, avec lequel je suis en rapports journaliers, notamment à notre société académique, dont il est l'un des membres les plus fervents.
Jusqu'à ce moment, j'ai réuni 173 souscripteurs.
C'est bien, mais c'est loin de suffire.
Pour être prémuni contre toute chance de perte, ma seule préoccupation, il en faudrait 300.
Je ne veux pas être arrêté par les mesquines considérations du nombre de feuilles.
Je veux pouvoir me donner carrière et ne pas avoir à sacrifier à ce que je croirai utile ou nécessaire, parce qu'il en résulterait un surcroît de dépense.
J'attends le retour de M. le préfet de Gueydon pour lui demander s'il ne pourrait pas demander une souscription au ministre de la marine.
Je ne sais si une souscription anticipée est d'usage, et dans quelle proportion elle s'accorde.
Il y a à cet égard un antécédent assez récent, c'est la souscription en faveur de l'ouvrage de M. le commissaire général Brun sur Toulon, ouvrage dont il paraît que le ministère a acquis un certain nombre d'exemplaires.
Vous me rendriez un vrai service en me signalant le chiffre de ces exemplaires et en m'instruisant sur ce que j'ai à faire en cette circonstance.
Votre bien dévoué,
P. LEVOT.
Brest, le 8 mai 1863.
Monsieur et ami,
Je vous le dis avec une entière conviction, je crains fort que vous ne soyez désappointé lorsque vous verrez mon Histoire de Brest.
Pour ceux qui ne savent rien de la marine, je dirai beaucoup sans doute, mais pour vous peu.
Il y aura des lacunes, mais je n'aurais jamais fini si j'avais voulu les combler toutes.
M. de Grandpont, qui l'a lue en partie, m'a fortement engagé à marcher.
Je n'attends plus pour remettre à l'imprimeur le manuscrit du premier volume que l'arrivée des caractères neufs demandés et attendus de jour on jour.
Je dois aller à Vichy cette année.
En revenant, je resterai quelques jours à Paris et aurai le plaisir de vous serrer la main.
D'ici là, je vous prierai de faire préparer, s'il n'est prêt, le dossier de M. de Marigny, commandant de la marine à Brest en 1791.
Il doit vraisemblablement contenir une lettre, de fin juin ou commencement de juillet, où il doit faire connaître au ministre les causes de son retard à venir prendre son commandement.
Il avait été mis en état d'arrestation à sa campagne, mais par qui ?
Votre bien dévoué,
P. LEVOT.
Brest, le 11 décembre 1863.
Cher monsieur et ami,
Non certes, je ne vous oublie pas.
Mais les apparences vous autorisent à le croire.
Désabusez-vous.
À mon arrivée, j'ai remis les deux exemplaires à nos deux journalistes, qui me promettent de s'expédier chaque fois que je les vois.
Il faut en finir.
Jusqu'ici, ma position était assez gênée à leur égard.
La mesquine jalousie de l'un d'eux (l'éditeur de mon histoire) m'empêchait de faire moi-même, comme je le désirais, un des articles (pour l’Armoricain).
Je lui avais promis un canevas, que je lui ai remis et dont il ne sait trop, je crois, faire usage.
J'avais à craindre de me brouiller avec l'un des deux journaux, en publiant dans l'un à l'exclusion de l'autre.
Je viens de dire à l’Armoricain que je lui donnerais un article sur votre livre, pourvu que j'en donnasse un autre dans l'Océan sur une étude concernant la ville de Lorient, publiée par un de mes amis.
Il me reste à voir le rédacteur de l'Océan ;
il est de meilleure composition et nous nous entendrons de façon à ce que je puisse insérer, sans encombre, dans l'un ou l'autre journal alternativement.
C'est lui qui doit faire l'article vous concernant dans l'Océan.
Je serais en mesure de vous adresser le mémoire Maurepas vers le 15, si je ne désirais y joindre la copie assez longue du Journal des Bourgeois de Brest, n'ayant pu me procurer des livraisons détachées de la Revue bretonne, que vous avez, du reste, a la bibliothèque du ministère.
Votre bien dévoué,
P. LEVOT.
À droite le gouverneur Isaac de Razilly
Brest, le 18 août 1864
Monsieur et ami,
J'aurai le plaisir de vous revoir dans six semaines, à mon retour de Vichy.
Mais je serai précédé près de vous par M. Doneaud, professeur de littérature et d'histoire à l'école navale, avec lequel je prépare une petite biographie maritime que M. Arthur Bertrand doit publier incessamment.
Il nous reste quelques points douteux à éclaircir, à rectifier probablement, notamment pour les Razilly.
Si, comme nous le disons, notre notice sur Esnambuc n'est qu'un résumé littéral de la vôtre, soyez assez bon pour nous procurer les moyens d'en dire autant des Razilly.
Comme vous en pourrez juger, le cadre de notre biographie (300 notices en 450 pages) ne peut porter aucun préjudice à tout travail que vous pourriez personnellement publier ultérieurement ;
elle ne peut que l'annoncer et le faire désirer.
Votre bien dévoué,
P. LEVOT.
Esnambuc
Brest, le 20 mars 1869.
Mon cher ami,
Quoique Breton, je ne sais pas, proh pudor ! la langue de mon pays natal.
Mais fort heureusement, j'ai près de moi une camériste qui la sait, non pas de manière à apprécier si votre orthographe est orthodoxe, mais de façon à me traduire les jolies et aimables choses par lesquelles débute votre lettre.
Puisque vous n'avez pas remis le manuscrit Suffren au bout de quinze jours, comme vous l'aviez fait espérer, prenez tout le temps que vous voudrez.
Doneaud, qui me supplée à la bibliothèque, a remis, à ma connaissance, au journal l'Océan, depuis environ trois semaines, un article très développé et modifié d'une façon qui, je le pense, vous satisfera.
Mais l'article est remis de jour en jour.
L'abondance des matières, c'est-à-dire la polémique par laquelle on prélude à la prochaine bataille électorale, en est la cause.
Doneaud doit aller stimuler le rédacteur en chef et, au besoin, je l'attaquerai.
J'ai des raisons de croire qu'il déférerait à mon invitation.
Sur ce, portez-vous mieux et moi aussi.
Les choses n'en iront pas plus mal historiquement parlant.
C'est là notre consolation.
Je vous embrasse bien affectueusement de sincère amitié.
Tout à vous,
P. LEVOT
Brest, le 13 mars 1871.
Mon cher ami,
Le temps n'est pas aux grandes phrases.
Avez-vous échappé à l'effroyable cataclysme que nous avons subi ou, du moins, n'en avez-vous pas trop souffert ?
Plus tard quand nous serons remis de la prostration dans laquelle sont maintenant plongés les cœurs les plus vaillants, je chercherai de nouveau dans l'étude, impossible depuis six mois, un refuge contre les pénibles pensées qui m'absorbent, et alors je vous demanderai si vous avez aux archives un dossier Revoire Saint-Hyppolyte, permettant de jeter quelque jour sur la conspiration ourdie par ce personnage sous le Consulat.
Tout à vous,
P. LEVOT.
Brest, le 6 juin 1871.
Mon cher ami,
Après les effroyables crises qui se succèdent depuis des mois, après la dernière surtout, on éprouve le besoin d'être rassuré sur le sort des personnes qui nous sont chères.
Ne faites donc pas comme après la signature des préliminaires.
Votre personne est-elle saine et sauve ?
Vos collections n'ont-elles pas sombré dans cet affreux cataclysme ?
Ici l'on est parfaitement tranquille et l'on se borne à y faire de la politique spéculative.
Tout à vous,
P. LEVOT.