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1933

Par les chemins de Trémaouézan
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 19 octobre 1933

 

De Ploudaniel à Trémaouézan (*), nous avons suivi le chemin caillouteux et creusé d'ornières qui prend en écharpe le marais.

 

Ce marais de Land-Gazel se déploie, entre Sainte-Barbe et Kervilien, sur une vaste étendue qui, l'hiver, doit recouvrir plusieurs centaines d'hectares.

C'est une cuvette imperméable, aux bords à peine surélevés.

Le petit chemin de fer qui, avec de multiples crochets, s'en va, de concert avec la route, vers Brignogan et Saint-Pol, l'aborde, après une montée longue et rude, avant de rejoindre Ploudaniel.

 

On retrouve, dans le marais de Land-Gazel, désert, écrasé de tristesse, la même atmosphère que dans le Yeun-Elez et dans les landes de Kerivoal, où l'Isolle naissante se traîne, entre les roseaux et les joncs.

 

Le Yeun, par son immense étendue, impressionne davantage, mais les villages qui l'entourent, tel Botmeur qui aventure ses parcelles vertes jusqu'aux lisières roussies du Marais, le Mont Saint-Michel qui le domine, couronné de sa chapelle aux Bergers, la grand' route de Morlaix qui descend à contre-pente vers Plounéour-Ménez, sans cesse sillonnée d'attelages, y rappellent à tout propos, la vie civilisée, le voisinage de l'homme.

 

Le Land-Gazel, par sa solitude de steppe d'où n'émerge ni un toit d'auberge ni de ferme, a quelque chose de plus désertique et de plus déshérité.

On a peine à se représenter qu'à quelques lieues de cette étendue d'herbes sèches et rêches, piquetée de pins rabougris, derrière Saint-Méen et Trégarantec, c'est la Ceinture d'or, l'une des terres les plus riches du monde, qui, aux temps de la grande prospérité, s'est vendue jusqu'à cent vingt mille francs l'hectare, le Léon gras des champs de primeurs et des beaux herbages.

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Le plein automne ou l'hiver venus, sous les charges du vent de mer ou la pluie tombant par rafales, la désolation du marais paraît encore plus profonde.

L'eau déborde, noircie par le suint des décompositions séculaires.

Elle s'épand sur les prés spongieux qu'à force d'efforts et de persévérance l'homme a peu à peu arrachés au marais et qu'il exploite, sans en tirer grand profit, aux saisons propices.

Prés à demi-aquatiques, où presles et joncs, souchets et scirpes abondent, menaçant de tout conquérir.

 

Le marais, aux mois humides, étend vers Kervilien et Trégarantec son feutrage épais, d'où émergent, de-ci de-là, creusant l'écorce argileuse qui recouvre le roc, des îlots de granit hérissés d'ajoncs chétifs.

 

Tout comme à Botmeur, pendant la guerre, on entreprit d'exploiter cette tourbe et, à cet effet, des voies Decauville, une gare rudimentaire avaient été aménagées.

Cette entreprise, vite abandonnée, n'eut d'autre résultat que d'ennoyer, à la grande plainte des riverains, de médiocres pâturages.

 

Des caravanes de nuées, sans cesse dissoutes et sans cesse reformées, se mirent dans les fosses envahies par l'eau visqueuse.

Non loin, dans les excavations moins profondes, les massettes à quenouilles, décolorées par l'automne, caressent l'eau de leurs longues chevelures dolentes.

De pauvres villages, à la limite du marais, font songer aux marnières briéronnes, et portent des noms :

Kerafanc, Kerioual, qui sentent la vase et la brume.

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Le Quillimadeuc, l'Aber-Wrach et le chevelu de leurs affluents infimes, où s'égoutte le trop-plein du Land-Gazel, s'acheminent vers des vallées plus accueillantes, s'attardant en cent courts méandres, entre les touffes de saules et de joncs.

 

Trémaouézan, au sortir du marais, est un des plus pauvres villages du Léon.

Quelques maisons, tristes d'aspect, enclosent une placette presque toujours déserte et un cimetière que domine la flèche aiguë d'un clocher.

 

C'est un des enchantements de la Basse-Bretagne, même en ses coins les plus déshérités, que ces églises, rayonnantes de grâce, qui contrastent avec les maisons environnantes par ce qu'elles ont d'élégant et d'ailé.

Au point de vue de l'effort et des sacrifices qu'il fallut pour la réaliser, Notre-Dame de Paris m'a toujours paru moins digne d'admiration que telle église de village, comme Trémaouézan, perdu au rebord du plateau léonard.

 

On sent qu'une population misérable, serrée entre la tristesse du ciel et la tristesse du marais, a mis dans cette construction le meilleur de son âme, de ses rêves et de sa foi.

Chacune de ces pierres, que la mousse des temps constelle, représente un espoir et une souffrance.

Et c'est la somme de ces espoirs et de ces souffrances accumulés que le clocher, tendu vers les nuées, porte d'un jet jusqu'au ciel.

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L'église de Trémaouézan porte la même marque que ces joyaux de granit de Pencran, de La Roche et de Ploudiry, où l'on respire l'allégresse des temps d'après la Ligue, qui furent pour la Bretagne, en retard de près d'un siècle sur le reste du pays, la véritable Renaissance.

 

Ragaillardie par cette deuxième jeunesse adorable du monde, la terre du Léon s'est elle-même abandonnée à un rêve de tendresse, que manifestent les décorations du porche, les volutes et les acanthes, la richesse presque trop dorée des cornières et des retables où les angelots tout en rondeurs ont une grâce trop matérielle, à demi-païenne, à demi-flamande.

 

Une fantaisie est dans les bouquets de pierre peinte des autels, qui ont la naïveté d'un art très primitif, et jusque dans les statues d'apôtres qui, montant la garde dans leurs niches, comme des chasse-gueux, de part et d'autre du porche, ont emprunté les longues robes des juges royaux de Lesneven.

L'un même, qui figure Saint-Jacques, reconnaissable à ses coquilles de pèlerin, égaye sa perruque à rouleaux d'un ample feutre de mousquetaire.

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Mais après cette heure d'abandon, le vieux Léon noir s'est ressaisi, revenant à son ordinaire obsession.

La pensée de la mort qui le harcèle, se retrouve dans l'autel des Trépassés, vraiment lugubre, au-dessus duquel le Saint-Jean-Baptiste à l'agneau et le Saint-Sébastien lardé de flèches font figure de pauvres nus honteux.

Le catafalque noir aux fémurs en croix et aux larmes d'argent rappelle au pécheur qu'il faut mourir, de même que les anges, aux robes amples, qui le décorent, serrant à pleins bras des sabliers symboliques, ou soufflant à perdre haleine dans les trompettes du Jugement.

Les coups sourds d'une grande horloge, martelant le silence presque effrayant de l'église, sont comme les pas du Temps qui nous entraîne vers notre destin...

 

Nous sommes revenus par la route qui, de Trémaouézan, court à travers le plateau nu vers l'Élorn, en laissant à droite Plouédern.

La terre semblait tout attristée du grand silence de l'automne.

Des nuages, montant avec le soir du Goulet de Brest, s'accumulaient, comme aux toiles des vieux maîtres, dans un ciel plombé de Crucifixion...

 

(*) Lire l’article : Dans le Léon noir par François Ménez sur Retro29.fr Cliquer ici.

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