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1937

Noces d'autrefois au pays de Léon
par Pierre Avez

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Source : La Dépêche de Brest 6 septembre 1937

 

Ça y était.

Yves et Marie avaient dit : « oui » devant « an aotrou Méar ».(*)

Ils étaient à moitié mariés et les jeunesses, qui leur faisaient escorte pour rentrer à la ferme, ne manquèrent pas, selon la tradition, de les blaguer sur ce qu'ils n'avaient pas encore le droit de coucher ensemble.

La nouvelle épousée et les jeunes filles rougirent à des pensées vagues, mais d'autant plus charmantes, tandis que les gâs, qui avaient fait leur service militaire, s'esclaffèrent bruyamment à des évocations plus précises.

 

Marie, tout alanguie au bras d'Yves, ne se sentait plus de bonheur.

Épaulée contre l’homme qu'elle aimait, elle aurait fait ainsi le tour du monde.

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(*) À lire sur Retro29 : 1937 - La demande en mariage par Pierre Avez

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Aussitôt rentrées à la ferme, les jeunesses se mirent à décorer la grange pour le repas du lendemain.

400 invités, c'était un chiffre respectable, encore que l'on vît fréquemment, à cette époque, des noces de 5, 6, 7 voire 800 personnes, lorsque — par exemple — les 3 frères épousaient les 3 sœurs.

 

Vidée de tout son contenu, la grange apparaissait nette et propre comme une aire neuve.

Dix gâs, affolés d'émulation, disposèrent en fer-à-cheval (heureux présage !) les tables-tréteaux et les bancs.

Aux filles était réservé le soin de tendre les parois de draps blancs, sur lesquels elles épinglaient artistement les premières fleurs du printemps.

Des fleurs encore figurèrent, en face de la table d'honneur, les initiales entrelacées des prénoms des nouveaux mariés.

 

Ceci fait, les femmes de journée vinrent mettre le couvert.

Oh ! Ce ne fut pas long !

Chaque invité n'avait, en tout et pour tout, qu'une assiette de grosse faïence, une cuiller en fer battu, un gros verre épais et sans pied.

Tout ce matériel (tables, bancs, couverts) avait été fourni en location par les marchands de vin, trop heureux d'écouler, pour la circonstance, quatre barriques de vin rouge et un fût d'eau-de-vie.

 

Cependant les jeunes, ayant terminé la décoration de la salle, étaient partis, bras-dessus bras-dessous, quêter du lait pour le « farz-fourn » dans les fermes d'alentour.

Pour ne pas salir leurs belles robes, les jeunes filles avaient lacé pardessus des tabliers de coton blanc.

On revint en chantant des chansons bretonnes.

Tout le voisinage en fut égayé.

Les vieux sortaient sur le seuil de leurs portes pour recueillir l'écho des airs favoris de leur jeunesse.

 

Après la quête du lait, il fallut couper les tripes.

Ce fut à qui aurait le plus grand tas devant lui.

Ce travail en commun favorisait la rigolade.

Il y avait, dans la bande, un boute-en-train, qui faisait rire les autres avec de lourdes plaisanteries.

Mais quoi ! On ne peut pas demander à des coupeurs de tripes de raffiner sur la délicatesse.

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La veille du mariage religieux, les deux époux ne doivent pas coucher sous le même toit.

Yves et Marie s'étaient séparés de bonne heure, dans l'intention de se reposer ;

mais le sommeil ne leur vint que très tard, tant ils étaient obsédés par la pensée du lendemain.

 

Enfin, le grand jour se leva.

Et ce fut aussitôt tout un remue-ménage dans la maison.

Les hommes entreprirent de se raser et de s'habiller.

On les entendait jurer à cause d'un soulier qui ne se laissait pas chausser ou d'un bouton de col qui glissait obstinément entre leurs doigts malhabiles.

 

Les femmes, prêtes avant le temps, s'affairaient autour de la nouvelle mariée, qui était aux mains de la repasseuse.

Il faut dire qu'à l'époque, seules les repasseuses savaient épingler congrûment la cornette, ce semi-hennin de dentelle qui donnait à la plus humble pastourelle des grâces de châtelaine.

 

Marie était jolie à croquer sous cette noble coiffure.

Elle portait une jupe de mérinos noir, un tablier et un corsage de soie noire et, par-dessus, un ravissant «châle-tapis», de son vrai nom cachemire, sur lequel était passée en sautoir une montre en or, signe d'opulence en un pays où l'on ne voyait habituellement de bijoux qu'aux bourgeois.

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Les premiers invités se pressaient déjà dans la cour.

Les jeunes gens arrivaient à pied, par couples, chaque cavalier étant allé chercher sa cavalière à domicile.

Comme ils se connaissaient depuis la veille ou depuis toujours, ils ne montraient pas cet air emprunté et solennel que l'on voit à trop de jeunes couples des noces citadines.

Ils se parlaient avec la plus libre familiarité.

Quelques-uns étaient déjà sur le chemin d'une idylle semblable à celle dont on allait célébrer, en ce jour de liesse, l'heureuse conclusion.

 

Et arrivaient de pleins chars à bancs de familles entières : trois générations endimanchées et comiquement entassées, dont les bonnes « billes » luisantes eussent enchanté le douanier Rousseau.

Ceux-là venaient de loin.

Ils avaient dû se lever bien avant l'aube.

On les faisait entrer par groupes et les femmes de charge à qui était confié le soin de la maison leur versaient une goutte de café ou un fond d'eau-de-vie.

 

Les enfants avaient organisé une partie de cache-cache dans les communs.

Ils se poursuivaient avec des cris stridents.

L'un d'entre eux emporta le fond de son pantalon neuf, (un pantalon à « faux-pli », qu'il porterait plusieurs années de suite) à un clou de la grange.

Sa mère le gifla : ce qui n'arrangea pas les choses.

Heureusement que la couturière, qui était de noce, consentit, bonne âme, à faire une réparation de fortune.

 

Le nouveau marié arriva vers 9 heures dans la voiture de son parrain.

Une rumeur joyeuse accueillit les deux hommes.

Saïk ar Cosquer, cramoisi de fierté, passa la bride de sa jument au tronc d'un pommier et serra les mains qui s'offraient.

 

Yves, lui, brusqua les politesses et monta à l'étage où l'on finissait d'habiller Marie en épinglant au coin de son tablier, sur la gauche, un bouquet de fleurs d'oranger artificielles, symbole de la pureté.

Pieusement conservé sous un globe, ce bouquet figurerait ensuite en bonne place sur la cheminée de la chambre nuptiale, mêlé à celui dont Yves avait, lui aussi, fleuri le revers de sa veste noire.

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Ceux qui étaient venus à pied s'en allèrent à travers champs, car le bourg était loin.

Les autres — la majorité — suivirent en chars à bancs.

Les chemins ruraux n'étaient pas alors ce qu'ils sont maintenant.

Encaissés, fangeux, creusés d'ornières profondes, ravagés par des sources vives, parfois même coupés par des mares, ils serpentaient à l'infini entre des talus hirsutes.

Le convoi passait là-dedans au ralenti, dans un grand bruit d'essieux, de roues cahotantes, de freins serrés, de coups de fouet, de jurons, de cris de frayeur.

Plus d'un char faillit verser ou rester enlisé et tous étaient maculés de boue lorsqu'ils débouchèrent sur la route départementale.

 

Les hommes descendirent alors pour nettoyer, vaille que vaille, leurs carrosses, avec des poignées d'herbe et — fouette, cocher ! — l'on repartit, au trot vif des chevaux, vers le bourg tout proche sous ses frondaisons printanières et sa flèche ajourée.

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On détela à l'auberge, où les chevaux reçurent leur ration d'avoine.

Mais l'affluence des chars était telle que beaucoup durent être laissés sur la place, au grand amusement des gamins du village.

 

La cérémonie religieuse avait été fixée pour 10 heures.

C'était un grand mariage que celui qui allait unir Yves et Marie ;

un grand mariage paysan, entendons-nous bien ;

car, à l'époque, les mariages à 11 heures étaient réservés aux nobles et aux riches bourgeois.

Le commun était marié à 9 heures.

Et rien à faire pour déroger à ces coutumes de castes.

 

Il y avait foule sur le passage du cortège, foule aux fenêtres, foule derrière les rideaux et les commentaires allaient bon train.

Un coup de soleil, échappé aux frais nuages d'avril, enneigea les coiffes légères et fit miroiter les boucles des tog-seiz.

Dix heures sonnèrent au clocher et l'église s'ouvrit, frissonnante de lumières, à la ferveur des fidèles.

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