1939
Un quartier de saint-Pierre Quilbignon
est envahi par les chenilles
Source : La Dépêche de Brest 19 juillet 1939
Depuis une dizaine de jours nous signalions l'apparition, dans tout le Nord-Finistère, de milliers de chenilles s'attaquant aux plantations d'artichauts des régions de Saint-Pol-de-Léon et de Morlaix.
Les mêmes invasions se sont produites dans les départements des Côtes-du-Nord et de la Vendée.
Plus près de nous, 64, rue Jean-Jaurès, à Saint-Pierre-Quilbignon, M. Léon, maraîcher, a subi les déprédations de ces insectes et estime le préjudice à une douzaine de mille francs.
De plus, les chenilles se répandent dans tout le quartier, envahissent les rues et les immeubles.
Les habitants, incommodés par ces bestioles, luttent de leur mieux contre l'invasion.
M. et Mme Léon et leurs enfants habitent au n° 64, une vaste ferme, entourée de champs s'étendant jusqu'à la rue du Val-Hir.
Au-dessus de la porte d'entrée du bâtiment principal, une date creusée dans le granit : 1828.
M. Léon fait de la culture maraîchère : salade, choux, carottes et artichauts.
Un champ immense de 7.000 mètres carrés de superficie est actuellement couvert de cette dernière plante potagère dont les têtes dominent des feuilles détruites par la voracité des indésirables chenilles.
— Il y a six Jours, dit M. Léon, je m'aperçus que les feuilles de mes artichauts dépérissaient.
Elles noircissaient.
Je vis qu'elles étaient dévorées par des milliers de chenilles noires, de la grosseur d'un crayon, les plus grandes, longues de 4 à 5 centimètres.
Que faire ?
J'avais lu dans la « Dépêche » du dimanche 9 juillet, un article signalant l'apparition de ces sales bêtes dans les cultures d'artichauts du Nord-Finistère.
On me signala aussi leur apparition à Plouescat.(*)
On préconisait leur destruction au moyen de la nicotine ; mais ici les dégâts étaient déjà faits et même si j'avais tenté de détruire les chenilles, il y en avait trop pour obtenir un résultat sérieux.
(*) À lire sur Retro29 : 1939 - Les ravages de la "Vanesse" dans la région de Morlaix
À quoi serais-je parvenu ?
À la destruction d'un dixième de ces insectes, peut-être ?
Mes plants étaient perdus.
Je n'espère plus sauver que des drageons pour l'an prochain.
Déjà, les gelées avaient retardé le développement des têtes de deux mois, car elles ne sont pas encore arrivées à leur grosseur normale et depuis que mes clients savent que les chenilles détruisent les pieds de mes artichauts, ils ne viennent plus en acheter.
C'est un désastre.
En contrebas des terrains de la rue Jean-Jaurès, jusqu'au numéro 94 â l'angle de la rue Pen-ar-Valy qui fait le prolongement de la rue Kerraros, sur le trottoir, les chenilles noires défilent en rangs serrés, pénètrent dans les cours, grimpent sur les façades des maisons, rampes sur les vitres quelles recouvrent d'une couche noire et pénètrent dans les magasins et les logements.
Mme Jézéquel est gérante de la succursale « Aux coopérateurs ».
C’est elle qui, lundi dans la soirée, est allée se plaindre, à la mairie de Saint-Pierre, de l'envahissement de son arrière-boutique par un corps d'armée de chenilles noires, défilant en formation serrée.
— C'est incroyable, dit-elle, la vitesse à laquelle marchent ces petites bêtes répugnantes.
La forte pluie qui est tombée tout à l'heure en a chassé une partie, mais si vous aviez vu cela dimanche et hier !
Le ciment de la cour était recouvert d'un tapis noir ; les murs étaient tapissés entièrement de leurs corps velus.
Je craignais qu'elles s'attaquent à mes réserves de marchandises.
Ne parvenant pas à combattre l'invasion, malgré le jet de seaux d'eau additionnée d'eau de Javel et de pétrole, je me suis décidée à aller me plaindre à la mairie.
Il a fallu, avec un balai, faire dégringoler les chenilles qui couvraient les vitres des fenêtres du premier étage, pour les faire tomber dans la cour, où on en a brûlé des tas.
Il faut boucher toutes les ouvertures.
Voyez ce broc et ce balai, que je viens de poser là : ils sont déjà couverts de ces affreuses bestioles.
Plus loin, au numéro 82, M. Marziou, quincaillier, a été également victime de l'invasion :
— Les chenilles grimpaient jusqu'aux casiers supérieurs de mon magasin, dit-il ;
ma femme en a trouvé dans son lit, au premier étage.
Dimanche, en quelques minutes, j'en remplissais un seau.
Comme le pétrole ne les détruisait pas, j'ai dû faire du feu dans la cour.
Voyez ces tas de chenilles brûlées.
Les vitres et les murs extérieurs en étaient noirs.
Je les faisais tomber avec un balai.
Les marches des escaliers du Jardin en étaient couvertes.
Elles montaient par les façades jusqu'au toit.
Pour les empêcher d'entrer, nous avons dû verser du crésyl sur les fenêtres et le pas des portes. Quelques-unes en réchappent, mais la plupart sont tuées sur place.
Il en est de même au numéro 94, chez Mme Autret, gérante des Docks de l'Ouest, magasin qui fait l'angle de la rue Pen-ar-Valy.
— Lundi, dit-elle, la rue Pen-ar-Valy était couverte de chenilles.
S'il y en a moins ce matin, c'est à cause de la grande pluie.
Une dame dit que les clientes étaient obligées de se couvrir la tête pour aller faire leurs achats dans certains magasins dans la crainte de rapporter des chenilles dans leurs cheveux.
M. Eusen, maire de Saint-Pierre a, dès hier matin, prévenu par téléphone, la préfecture de Quimper, de cette désagréable invasion, en demandant les renseignements nécessaires pour la destruction rapide de ces chenilles noires.
La Dépêche a, de son côté, obtenu des services agricoles du Finistère les explications suivantes :
— Pour l'instant, nous a-t-on dit, nous n'avons reçu qu'un échantillon de la chenille dévastatrice, long de deux centimètres seulement.
Il semble que l'on se trouve en présence de la « Vanesse » de l'artichaut ou du « Depressaria ».
Ces deux papillons ont déjà commis dans l'Afrique du Nord d'importants dégâts dans les cultures d'artichauts.
La « Vanesse » comprend un grand nombre d'espèces.
La plus connue est la « Belle dame », dont les ailes sont rosées.
Lorsque les vents lui sont favorables, elle peut parcourir de grands espaces.
Ses chenilles vivent sur le chardon et l'artichaut.
Il est possible que l'an dernier un vol de ces papillons ait pondu ses œufs sur les feuilles des artichauts.
Les larves se sont transformées en chrysalides, qui ont passé l'hiver dans la terre, d'où sont sorties les chenilles.
La même invasion se reproduirait l'an prochain si on ne se hâtait de détruire toutes ces chenilles, chaque papillon pondant un millier d'œufs.
Consultée, la station centrale de zoologie agricole a conseillé, pour obtenir la destruction de ces voraces insectes, la pulvérisation sur le feuillage de solutions de 400 grammes de nicotine, vendue dans les entrepôts de tabac, par hectolitre.
Les habitants de la rue Jean-Jaurès à Saint-Pierre voudraient bien être débarrassés au plus tôt de leurs peu agréables visiteurs.