1892
Brest
enseigné aux écoliers et écolières
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Source : Le Petit Français illustré - Journal des écoliers et des écolières 12 mars 1892
Le Château.
Il n’y a pas de monuments curieux ou intéressants à Brest, ville relativement jeune, puisqu’au commencement du dix- septième siècle, ce n’était encore qu’un assemblage de forts et de bâtisses.
Il faut faire exception pour le Château, type très remarquable de l’architecture militaire du moyen âge.
Bâti sur une roche escarpée à l’entrée de la Penfeld, sur la rive gauche, il occupe presque tout le petit promontoire à l’embouchure de la rivière.
Du sommet de la tour principale, on jouit d’une vue splendide sur la rade et sur le port.
Il a été construit vers le treizième siècle, sur les ruines d'un castellum élevé par les Romains.
La tour française appelée aussi tour des Anglais, remarquable par sa forme elliptique, est du quatorzième siècle ; dans la partie basse existe un beau souterrain.
Anne de Bretagne fit augmenter et fortifier le château ;
une des tours porte son nom et l’on montre encore aux visiteurs sa chambre, grande pièce voûtée avec des fenêtres creusées dans de profondes embrasures, et les étroits passages couverts, bordés d’arcades de pierre par où elle se rendait dans la chapelle.
Les autres tours sont :
la tour d'Azénor, ainsi nommée d’après une légende qui raconte comment la princesse Azénor, fille d’un prince de Léon, y fut enfermée ;
puis la tour de César, la tour de la Madeleine et la tour de Brest.
Vauban fit raser les toits coniques du donjon et des tours et les fit couvrir de plates-formes à l'usage de l’artillerie ;
mais elles ont conservé leurs mâchicoulis et leurs créneaux d’un très bel effet.
Il y a nombre de passages, d’escaliers, de souterrains, et sous la tour d'Anne de Bretagne, on fait visiter aux curieux, des cachots et même des oubliettes où l’on pénétrait par des trappes dont il ne reste aujourd’hui que la place béante.
Ces noirs abîmes ne voient jamais la lumière du jour, et lorsqu’après une excursion d’une demi-heure entre des parois de rochers et des murs formidables, on retrouve enfin le ciel bleu, la mer éblouissante, on respire à pleine poitrine et l’on secoue avec bonheur le sentiment d’oppression dont ces lugubres souvenirs d’un passé barbare vous ont rempli l’esprit.
Le cours Dajot et les bâtiments vaisseaux- écoles.
Près de l’esplanade du Château s’ouvre le cours Dajot, magnifique promenade en terrasse sur le bord de la rade ;
ses longues avenues de grands arbres la rendent un peu triste en temps ordinaire, mais les jours de fête ou de musique, quand elle est égayée par un beau soleil et animée par la foule élégante des familles brestoises et des officiers de marine en uniforme, elle offre un coup d’œil charmant.
À ses deux extrémités se dressent deux statues en marbre blanc :
l’une est un Neptune, l’autre, une figure allégorique de l’Abondance ;
toutes deux sont du sculpteur Coysevox (1640-1720).
Le cours Dajot a été créé et planté en 1769, par M. Dajot, officier du génie.
De la terrasse du cours, on a une merveilleuse vue sur la rade et l’entrée de la rivière de Landerneau.
Quand on regarde du côté du goulet, l’attention est tout de suite attirée par trois grands vaisseaux à l’ancre, dressant fièrement leurs hautes mâtures au-dessus de leurs vastes flancs.
Celui du milieu est le Borda, école navale ;
les deux autres sont l'Austerlitz, école des mousses, et la Bretagne, école des novices.
Chacun a comme annexes de petits navires à voiles qui servent aux exercices de manœuvres.
L’Austerlitz reçoit les pupilles de la marine, c’est-à-dire les enfants de marins élevés aux frais de l’État, et des engagés volontaires de dix à quinze ans environ.
Ils vont ensuite passer deux ans sur la Bretagne ;
là, ils choisissent leurs spécialités: canonniers, timoniers, fusiliers, etc., et, en sortant, ils sont versés dans les écoles spéciales où se termine leur instruction technique.
Le Bougainville et le Janus servent aux exercices des élèves du Borda :
plusieurs fois par semaine ces bâtiments louvoient en rade de Brest, partant le matin et revenant le soir.
La rue de Siam. Le pont tournant.
Si l’on entre à Brest par la porte de Landerneau, on voit s’allonger devant soi la bruyante et brillante rue de Siam, descendant jusqu’au port par une pente continue, et bordée de magasins de toutes sortes :
cafés, épiceries, ou plutôt dépôts de conserves et de denrées coloniales, librairies où se voient surtout des cartes, des images représentant des vues de ports et de vaisseaux, bazars étincelant de mille objets variés, boutiques pour les marins étalant au dehors des tricots, des ceintures, des cache-nez, des foulards, des mouchoirs de couleurs voyantes, ornés de sujets belliqueux ou maritimes, et, flottant au vent, les rubans de bérets sur lesquels sont écrits en lettres d’or des noms glorieux : la Triomphante, le Redoutable, le Hoche, le Villars, etc.
Les grands tailleurs arrangent dans un ordre savant, derrière les hautes glaces de leurs vitrines, les brillants uniformes brodés d’or, et l’aspirant contemple avec émotion, à côté de ses aiguillettes, le haut galon aux trois étoiles, qu’il voit luire dans ses rêves à l’horizon lointain.
Chez les marchands de curiosités, les produits de l’industrie du monde entier semblent s’être donné rendez-vous ;
c’est un désordre pittoresque où le casse-tête du sauvage coudoie le tapis d’Orient et la porcelaine de Chine ;
les fourrures, les soies, les bronzes, les émaux, les cuivres attirent et retiennent le regard.
(À suivre.)