1895
Brest sous la Restauration
1823 - 1825 - 1826
- Article 3 sur 6 -
Source : La Dépêche de Brest 8 avril 1895
Dans les années qui suivent 1820, Brest paraît avoir été tranquille.
Chaque année sans doute voit, comme précédemment, arriver des missionnaires ;
mais peut-être ceux-ci instruits par l'exemple de leurs prédécesseurs, savent-ils faire preuve de tact et de modération.
En 1823, le tumulte recommence
La bibliothèque municipale possède un exemplaire d'une proclamation adressée par le maire aux habitants pour les inviter au calme et qui est ainsi conçue :
« Habitants de Brest,
« Des scènes déplorables ont signalé la soirée d'hier :
Plusieurs citoyens ont eu à se plaindre de voies de fait exercées sur leurs personnes ;
au mépris de la loi, l'asile d'un citoyen a été violé, et ce citoyen a été frappé, dans son domicile même, par la force armée chargée de le protéger.
« Vos magistrats ont pris sur cet acte de violence tous les renseignements possibles, et vous pouvez compter qu'une justice sévère sera faite des coupables.
« Soyez donc confiants dans leur sollicitude, écoutez leur voix paternelle et conservez dans cette circonstance le calme et la sagesse qu'ils ont le droit d'attendre, et dont vous leur avez déjà donné tant de preuves.
« Évitez surtout avec soin tout ce qui pouvait tendre à troubler l'harmonie qui doit régner entre les habitants et les troupes de la garnison : votre but est le même, c'est l'amour du roi, l'obéissance aux lois et aux institutions qui nous gouvernent.
« Brest, le 31 mars 1823.
« Le maire, Jh. KERROS. »
Quelle était la cause de ces scènes de violence ?
Quels citoyens ont été violentés et quelle suite a été donnée à l'enquête annoncée par le maire ?
Il n'y a rien à la bibliothèque municipale ni aux archives de l'hôtel de ville qui puisse permette de répondre.
Deux ans se passent encore, puis les missionnaires font reparler d'eux.
Des « pères de la foi » sont arrivés, pour prêcher une mission.
Sous ce titre nouveau, tout le monde a reconnu les Jésuites, et Brest a ses raisons pour ne pas aimer la société.
Une foule se forme devant le presbytère de Saint-Louis et envoie à l'un des marguilliers, M. Branda, ami personnel du curé, des délégués qui demandent l'éloignement des missionnaires.
M. Branda porte leur requête au curé, le départ des missionnaires est décidé.
Ils partent et l'ordre se rétablit.
Louis Branda
Mais l'année suivante, nouvelle mission.
Cette fois, les missionnaires dépassent en excentricités, en violences, en crudité de langage, ceux dont Corbière nous rapportait les paroles dans la Guêpe en 1820 ;
le scandale est au comble, et bientôt à la suite d’un incident de théâtre maladroitement grossi par l'autorité, un procès est intenté qui devait marquer dans l'histoire de la ville.
Les faits ont déjà été racontés ;
il n'est peut-être pas sans intérêt de les rappeler ici.
Nous aurons ainsi comme une revue complète des manifestations de l'esprit public à Brest sous la Restauration.
La mission, composée de huit prêtres, avait pour chef l'abbé Guyon.
Un de nos Concitoyens les plus versés dans l'histoire locale possède un portrait de l'abbé, qui date de l'époque de la mission et très bien conservé.
Front fuyant, lèvres minces et serrées ce portrait est des plus typiques ;
on s'explique, à le considérer, l'étrange étroitesse d'esprit, l'absence de sens moral et le fanatisme dont la mission va être pour les Brestois, qui, de ce côté cependant ne devraient puis rien avoir à apprendre, la nouvelle et attristante révélation.
L'abbé Guyon était arrivé le 26 août.
Un premier sermon, le lendemain 27, à Saint-Louis, est écouté sans incident ; les sermons se succèdent à Brest et à Recouvrance.
On prêche, on processionne, et pendant trois semaines, il ne parait pas que l'ordre soit troublé.
Mais bientôt les sujets de sermons sont tels qu'on s'étonne d’abord, puis on s'indigne.
Nous avons ici, pour nous renseigner, un témoignage précieux, les rapports qu'un des commissaires de police, le commissaire chargé du quartier de Recouvrance, adressait au maire sur les sermons prononcés de ce côté de la ville.
Et ce qu'on prêchait à Recouvrance, le moyen de penser qu'on, s'abstenait de le dire dans les églises de Brest ?
Le commissaire Désir assiste à chaque sermon fait dans son quartier ;
il le loue quand le sermon lui paraît édifiant ;
il dit son impression et celle de l'auditoire, en cas contraire.
Quant à supposer capable d’hostilité systématique aux missionnaires ou à la religion un fonctionnaire tel qu'un commissaire de police sous le règne de Charles X, c'est la dernière chose qu'on imaginera.
« M. le missionnaire Bretot a prêché hier soir sur le péché mortel et l'impureté, écrit-il au maire ;
il est entré avec violence et exagération dans tous les détails de l'inconduite des hommes et femmes impudiques, il en a fait des tableaux effrayants, inspirant la terreur aux esprits faibles et rappelant, les malheurs de la fatale révolution causée par les impudiques.
— Ce discours, ajoute le commissaire, loin d'opérer du bien, ne peut qu'éclairer la jeunesse sur la manière de se rendre impudique. »
Un autre missionnaire, nommé Baudry, excite, le 23 Septembre, pendant une demi-heure, « le rire d'une part et le mépris de l'autre, par un bavardage digne d'un charlatan sur les tréteaux » ;
parlant de l'examen de conscience, préliminaire de la confession, il fait « des citations infâmes, écrit le commissaire, et qui toutes inspirent la plus profonde terreur » ;
puis il vante l'autorité des prêtres, qu'il met au-dessus de celle des rois.
Le lendemain, nouveau sermon du même prédicateur sur l'impureté, et il entre dans de tels détails que les mères regrettent d'avoir amené leurs filles.
Le 1er octobre, à la grand'messe, conférence dialogue entre deux des missionnaires, l'un en chaire, l'autre au banc d’œuvre.
« On y a émis comme principe qu'aux ministres des autels seuls appartenait le droit de permettre de travailler le dimanche en cas d'urgence et que l'autorité n'était pas compétente ;
que cette dernière, avant de permettre, devait solliciter l'autorisation des ministres des autels d'accorder cette permission. »
À la fin de la conférence, le prédicateur annonce « que le temps n'est pas éloigné où l’Église recouvrera tous ses droits, que les fêtes seront rétablies et que les choses auront lieu au moins comme dans l'ancien régime ».
À chaque jour son sermon, celui-ci d'un goût plus qu'équivoque, celui-là tout animé d'intolérance cléricale, cet autre grotesque d'abord pour finir dans le malpropre.
Tel le sermon du 2 octobre.
La lettre du commissaire est tout entière à citer :
« M. le missionnaire Rupy a monté en chaire hier à 6 h. 1/2 ;
il a fait un monologue familier sur les saints mystères, et a terminé par désigner aux femmes les différents costumes obligés et indispensables qu'elles devront avoir le soir pour la procession de la Vierge qui aura lieu à six heures, en observant que celles qui s'y conformeront auront les places marquantes.
« Ce monologue, qui a duré une demi-heure, a excité continuellement le rire des fidèles de toutes les classes, même des prêtres qui étaient dans le banc de l'œuvre, et le scandale des gens raisonnables et réfléchis.
« Il a passé ensuite à une instruction dialoguée sur le deuxième commandement entre lui et M. Bachet, qui était au banc de l'œuvre,
« L'interlocuteur Bachet questionna le prédicateur pour savoir pourquoi l'on commettait un péché lorsqu'on faisait les jurons commençant par P. G. S. B., et le prédicateur lui fit observer qu'il oubliait l’F.
« Alors il entra dans des détails sur ces différents jurons et fit ressortir tous ceux, a-t-il dit, qui commencent par Bou, Fou, et finissent par Re, de sorte qu'on n'entendait à chaque instant dans la chaire et répéter dans l'église que des Bous, Fous, ce qui excitait le rire général et le scandale.
« Il a continué sur le même ton en expliquant le jurement du nom de Dieu
et des imprécations qui a produit le même effet. »
Cela avait duré deux heures, et, encouragé sans doute par le succès de gaieté qu'il avait obtenu, le prédicateur avait annoncé la continuation pour un autre jour de l'instruction.
« Il serait à désirer, écrit le commissaire, qui se demande, semble-t-il, tant ce qu'il a à raconter est étrange, si l'on ajoutera foi à son rapport, que l’autorité supérieure y assistât pour se convaincre de la vérité. »
Trois jours après, en effet, l'instruction dialoguée était reprise.
Cette fois, il s'agissait de l'ivrognerie :
« L'ivrogne n'entrera pas dans le royaume des cieux ».
Sur ce thème, le prédicateur traite d'ivrognes les habitants de Recouvrance et les ouvriers du port,
et les cabaretiers d'empoisonneurs, ce qui était au moins peu évangélique, puis, pour corser l'effet du discours, il raconte le trait suivant :
« Un ivrogne, qui dissipait son ménage et privait sa famille du nécessaire de la vie, venant à rejeter le superflu de sa boisson, sa femme et ses enfants se précipitèrent sur ce superflu et en firent leur nourriture ».
Des dames, écrit le commissaire, ont porté leurs mouchoirs à la bouche.
— Pour finir, l'interlocuteur demandant le remède à l'ivrognerie, « le prédicateur a indiqué celui de boire de l'eau, ce qui a porté, écrit toujours le commissaire, l'hilarité à son comble ».
Nous le croyons sans peine.
Ah, on avait sujet de rire et de s'amuser dans les églises de Brest, aux exercices de la mission, pendant les mois de septembre et d'octobre 1826.
On pouvait aussi être écœuré.
Nous verrons comment le sentiment public se manifesta.