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1939

Un enlèvement sous le Consulat
par Pierre Avez

- Article 4 sur 8 -


 

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Source : La Dépêche de Brest 31 mai 1939

 

Une heure après le départ de son père, Jacques Kerliguen rentrait à la ferme.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction de trouver toute la maisonnée en larmes !

On lui conta brièvement l'affaire.

Il déclara n'avoir rencontré personne.

 

— Pourtant, lui dit sa sœur, ils disaient qu'ils allaient te chercher à La Martyre.

— Comment étaient-ils déguisés ? demanda-t-il.

 

La jeune fille changea de couleur.

 

— Quoi ! Tu penses que ce n'étaient pas de vrais soldats ?

— Je le crains fort, fit-il d'une voix chavirée d'émotion.

Maudez et Tanguy, vous allez courir tous les deux jusqu'à Lampaul et vous tâcherez de retrouver leurs traces ; moi, je file jusqu'à Morlaix alerter la maréchaussée.

 

Les recherches se poursuivirent vainement toute la journée du lundi.

On repéra bien le passage des bandits à Loc-Eguiner, mais au-delà rien.

Les gendarmes n'étaient pas Bretons et ils ignoraient la langue du pays.

Ils s'appelaient Durniel, Desvilly, Georget, Canteloup.

Allez donc, avec des noms pareils, tirer les vers du nez des paysans du cru, peu soucieux d'encourir, par des révélations inconsidérées, le ressentiment des bandits et la fin tragique de maints dénonciateurs que l'on avait trouvés, un beau matin, pendus à la maîtresse branche d'un chêne ou tout bonnement saignés comme de vulgaires cochons.

Il n'y avait pas si longtemps que la chose s'était vue.

 

Le soir, vers sept heures, les gendarmes tenaient conseil dans la salle commune du Mescoat, lorsqu'un messager du juge de paix vint apporter un pli, scellé d'un cachet de cire noire portant la couronne comtale et dont la suscription était ainsi libellée :

« La présente soit rendue en diligence à Jacques Kerliguen, demeurant au Mescoat, en Ploudiry. »

 

Dessous, une autre main avait écrit :

« Très pressé, jour et nuit. »

 

Et une troisième, en travers :

« Vous voudrez bien payer l'exprès. »

 

Marie-Anne Kerliguen tendit la lettre au lieutenant de gendarmerie.

 

— Ouvrez-la, monsieur ; moi je n'ose pas.

 

L'officier fit sauter le cachet et lut ce qui suit, dont nous respecterons l'orthographe :

« Mon cher fils et cher fille,

« Je suis entre les mains de mes amis.

Aussy tost la réception de la présente, vous ferez toute diligence possible pour vous procurez en or et en argent la somme de trente mil francs.

Vous les ferez rendre ou vous les porterez vous-même à moitié chemin de la grande route de Morlaix à Carhaix, à un endroit nommé Le Squirriou.

« Sy vous voulez voire encorre votre perre, vous iré chercher cette somme chez nos amis et nos parents.

Tu prendras l'argent et l'or que tu trouveras dans toutes mes armoires.

Il faut que la somme soit portée pour demain au soir ou pour mercredi soir au plus tard.

Passé ce terme, il n'y a plus de délais et c'est au condition de ce payement que vous pouvé sauvé mes jours.

« Ne vous amusé pas à faires des plaintes, ne cherché pas à courir après les émigrés qui m'ont enlevé.

Ma mort serait certaine, ainsi que la vostre.

Croyé moi soyé secrets et arrivé le plus tôt possible à l'endroit indiqué avec la somme.

« Tu trouveras dans le bufet près la cheminée de la grange, l'argent dans une bourse et de l'or dans les tiroirs de mon armoirre.

« Je suis, en attendant, ton cher perre.

« Alain KERLIGUEN. »

 

En post-scriptum, un des inspirateurs de la lettre avait écrit de sa main :

 

« Il vous est inutile de faire vos plaintes aux républicains ni de vous en faire accompagner.

On le saurait.

Vous chercheriez en vain votre père ou vous le trouveriez mort. »

 

« C'est bien l'écriture de mon pauvre père », reconnut Marie-Anne Kerliguen, en jetant les yeux sur la lettre.

Elle ajouta à part elle, mais trop bas pour être entendue :

« Trente mille francs ! »

 

La somme, pour l'époque, était considérable.

Elle correspondait à sept ou huit cent mille de nos francs-papiers actuels. (1939*)

Les enfants Kerliguen n'eurent cependant pas de peine à la rassembler.

Le papa s'était fait de belles économies avec sa fabrique de toile et les parents s'empressèrent d'avancer ce qui manquait.

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Il fut décidé que Marie-Anne Kerliguen et son frère iraient porter la rançon à l'auberge du Squirriou et que les gendarmes établiraient une souricière afin de prendre les bandits la main dans le sac et de les obliger à révéler le lieu de détention du père Kerliguen, que l'on délivrerait ainsi sans bourse délier.

 

Donc, le mercredi 22 floréal an XI, trois jours après l'enlèvement, les deux enfants Kerliguen prenaient, de bon matin, la route de Morlaix à Carhaix. Ils étaient porteurs d'un panier d'écus d'or et d'argent, qui — à vrai dire — ne contenait que la moitié de la somme demandée.

 

Il pleuvait à torrents, mais les deux voyageurs n'en avaient cure, tout à l'angoisse des événements qui allaient suivre.

Il s'agissait d'agir discrètement, car il pouvait y aller de leur propre vie, au cas où les bandits éventeraient le piège qui leur était tendu.

Aussi, pour assurer leur défense, Jacques Kerliguen s'était armé d'un solide penbaz et d'un pistolet à deux coups dont la crosse luisait ostensiblement à sa ceinture.

De plus, pour éviter des rencontres fâcheuses, deux gendarmes, déguisés en porte-balles, les avaient accompagnés jusqu'à un kilomètre du Squirriou.

 

Cette précaution devait faire échouer l'affaire, car les espions des bandits, échelonnés sur la fin du parcours, avaient tout de suite éventé des représentants de la loi dans ces marchands à longues moustaches, dont l'air, le port et le ton manquaient par trop d'humilité et qui avaient tout à fait l'air d'emmener en prison ces deux paysans cossus.

 

Quelques coups de sifflet, répétés de place en place, suffirent à renseigner les ravisseurs :

« Attention! Danger ! »

 

À suivre.

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