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1940 - 1944
Chroniques d'occupation


9 juillet 1940

Jour 21
 

 

Hier matin à 6 h. 30, un avion de reconnaissance anglais survola la ville et la rade.

Dès son arrivée sur Saint-Marc, les canons et les mitrailleuses de la D. C. A. entrèrent en action et encadrèrent l’appareil durant toute sa visite.

 

Un obus fusant de petit calibre, semblant provenir de la direction de la gare, n'ayant pas éclaté est retombé sur le toit de l'immeuble portant le numéro 67, rue Jules Guesde, près de la place Kéruscun, et y pénétra en faisant un trou d'environ dix centimètres de diamètre.

 

Poursuivant sa trajectoire entre le toit en zinc et le plafond du troisième étage, en traversant les combles, l'obus pénétra, en démolissant le plafond, dans la cuisine du logement de M. Bellec, ébéniste, dont la fenêtre donne sur la cour.

 

Le projectile heurta le mur, à gauche de la fenêtre et éclata.

Les éclats furent projetés de tous côtés, démolissant meubles et boiseries.

 

Dans la chambre à coucher, séparée de la cuisine-salle à manger, M. et Mme Bellec étaient couchés.

Leurs deux fillettes : José, 8 ans, et Ginette, 6 ans, dormaient dans leurs petits lits.

Celui de José était placé contre la cloison, l'autre près du lit de ses parents.

 

Au fracas produit par l'explosion, M. Bellec sauta du lit.

Sa femme resta atterrée sans pouvoir pousser un cri.

Ginette — quel âge heureux ! — ne s'éveilla même pas.

José pleurait.

 

La pièce s'emplit de fumée, M. et Mme Bellec et leurs enfants étaient prisonniers dans leur chambre.

 

Des voisins vinrent les délivrer.

 

Dans la cuisine tout était sens dessus-dessous.

Les meubles que M. Bellec avait confectionné lui-même étaient en piteux état.

Les pieds de la table brisés.

Tout était couvert de plâtras et les murs criblés de trous faits par les éclats.

 

Dans le logement situé en face, de l'autre côté du couloir, Mme Pouliquen était couchée.

Des éclats de métal traversèrent sa porte et un lit-cage plié qui y était adossé.

 

Par bonheur, il n'y eut aucun accident de personne, mais seulement les importants dégâts matériels causés au mobilier de M. et Mme Bellec et à la maison  appartenant à M. Crenn.

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Notre pays ne pouvant plus recevoir aucune denrée coloniale ou étrangère, risque de souffrir gravement d'un déficit en corps gras et oléagineux.

 

Il faut, dès maintenant, économiser très sévèrement les beurres, les huiles et les graisses, et chercher à produire le plus possible de matières grasses.

 

En dehors des cultures oléagineuses, telles que le colza, la navette et l'œillette, que l'on avait presque abandonnées pendant la guerre et qu'il faut reprendre, l'engraissement des porcs est la principale source de graisse à développer.

Déjà, depuis septembre 1939, les agriculteurs avaient été invités à multiplier l'élevage des porcs.

Mais comme nos approvisionnements en corps gras étaient alors assurés par les graisses et les huiles végétales d'origine coloniale et que seule la viande menaçait de devenir rare.

Il avait été conseillé de limiter l'engraissement des porcs à 100 kilos.

 

Aujourd'hui, il importe de produire le plus possible de lard et aucun porc ne doit être sacrifié avant d'avoir atteint 150 kilos au moins.

Pour la nourriture des porcs, tous les résidus utilisables, déchets de cuisine, épluchures de légumes doivent être soigneusement recueillis.

 

Chaque famille rurale doit engraisser au moins un porc, dont les produits, s'ajoutant à ceux d’une petite basse-cour et d'un élevage de lapins, élargiront, pour les habitants de la campagne, les restrictions relatives à la viande et à la graisse

 

Nous n'avons plus, aujourd'hui, sous peine des plus graves disettes, le droit de laisser perdre quoi que ce soit.

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Les événements actuels ne pouvaient manquer d'avoir leur répercussion sur le fonctionnement de l'administration départementale et communale.

Une indispensable mise au point ne saurait maintenant tarder, qui améliorera, j'en suis convaincu, les conditions de ce fonctionnement.

 

L'administration départementale s'est efforcée, avec le concours de tous les services et d'innombrables dévouements, d'assurer le respect des droits acquis et la continuation de la vie économique.

Elle a assuré le paiement des traitements, des allocations militaires, des allocations d'assistance aux réfugiés, pensions civiles et militaires, etc..

Les banques ont reçu des avances destinées à faciliter le paiement des salaires.

Si le manque de billets dû à l'interruption momentanée de nos communications avec la zone non occupée ne permet pas de solder les créances des fournisseurs, toutes mesures à cet effet interviendront dès que le contact sera rétabli.

L'État, le département et les communes ne sauraient faillir à leurs engagements.

 

Les déposants ont, sur l'appel des banques, repris le chemin de celles-ci, témoignant ainsi de leur confiance dans la reprise économique.

Je leur demande instamment de continuer et d'accroître leur effort.

La thésaurisation est une grave menace pour le billet de banque même, le département ne pouvant vivre actuellement qu'en suffisant à ses propres besoins dans le domaine monétaire aussi bien que dans les autres !

Il faut revenir au crédit et à ses usages.

C'est la seule façon d'éviter le chômage et ses douloureuses conséquences.

 

Aux contribuables aussi d'acquitter leurs impôts !

Mais c'est sans délai qu'ils doivent remplir ce devoir, le premier de tous.

Leur patriotisme me dispensera de mesures coercitives :

Il ne saurait en effet, être question, à cette heure, de compter sur les délais d'autrefois.

À tous j'adresse le plus pressant appel.

Il ne peut pas ne pas être entendu.

 

La vie du département est faite de la vie de ses communes.

Il vous appartient, MM. les maires, de continuer comme vous l'avez fait jusqu'à ce jour, à assurer la marche des services municipaux et de proposer dès que possible à votre conseil municipal le vote du budget additionnel de 1940 en attendant des instructions pour l'élaboration du budget primitif de 1941.

 

La situation du Finistère auquel ses paysans et ses pêcheurs assurent pour les denrées essentielles un ravitaillement normal est privilégiée.

De sérieuses difficultés vous attendent cependant en ce qui concerne le charbon et l'essence.

Vous voudrez bien rappeler à tous l'impérieuse nécessité où ils sont de s'approvisionner en bois de chauffage et celle, plus urgente encore, de mettre fin, une fois pour toutes, à tout déplacement que ne commanderait pas l'intérêt général.

Je recommande même aux maires des chefs-lieux de cantons d'organiser d'urgence à leurs mairies, avec le concours de leurs collègues des autres communes et des élus du canton, des réunions où seront convoqués les représentants les plus proches du service des Ponts et Chaussées et où seront étudiés les moyens d'organiser un ravitaillement commun à plusieurs localités.

 

Il ne saurait en effet être question pour mon administration de retenir toutes les demandes de laissez-passer qui me parviennent même au titre du ravitaillement.

Ce serait avant huit jours l'épuisement complet de notre stock d'essence.

 

La tâche que vous avez à remplir est lourde.

Votre dévouement et votre clairvoyance vous en feront venir à bout.

Je vous donnerai pour ma part un complet appui.

Une seule pensée doit désormais nous guider les uns et les autres :

Travailler de toutes nos forces dans l'ordre et dans le calme au relèvement de la France éternelle.

 

Le préfet : A. ANGELI.

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