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1933

Appartement à louer

3 sur 5

 

 

Source : La Dépêche de Brest 20 janvier 1933

 

— Sais-tu, me dit mon ami, qu'aujourd'hui, à Paris, en baguenaudant sur les trottoirs, on voit — un peu dans toutes les rues — bon nombre d'écriteaux portant la mention « À louer ».

 

Ces deux mots pleins de promesses ressuscitent en moi de vieux souvenirs des jours d’avant-guerre….

Vois-tu, mon cœur de citadin ne connait rien de plus propre à rehausser la noble harmonie d’un boulevard, que ce petit carton sobre, en noir et blanc — demi-deuil — que chaque matin, ponctuel, M. Pipelet accroche.

 

« Et puis, ces écriteaux sont comme les primevères : ils annoncent un nouveau printemps.

 

« Je suis étonné parce que, ici, à Brest, je n'en ai pas encore vu.

Cela me frappe d'autant plus que je me suis renseigné.

Il y a un texte législatif qui rend obligatoire, dès qu'un logement est libre, l’affichage des locaux vides.

La pancarte doit, en outre, faire mention du prix et du nombre de pièces.

Un arrêté du 26 août 1929 a même bien précisé la question :

« Les écriteaux sur lesquels les propriétaires et gérants d'immeubles et exploitants de pensions de famille  doivent faire connaître les logements vacants qui leur appartiennent ou qu’ils administrent, seront apposés à des endroits tels qu'ils soient facilement lisibles de la rue. »

 

« C'est à la fois simple, précis et clair.

Mais ce n'est pas tout.

Pour la déclaration des logements vacants, il existe, à la mairie, conformément à la loi, un très beau, un magnifique registre.

Hélas, depuis 1928 qu'il est ouvert, ses blancs feuillets ont eu le temps de jaunir... et cependant, ils n'ont reçu que quatre inscriptions.

 

« Le voilà bien le témoin de la crise ! »

Tout en poursuivant ces réflexions judicieuses, nous allions visiter un petit appartement qui, ma foi, bien que situé assez en dehors du « centre », était fort coquet.

Deux pièces, une cuisine, un petit cabinet, électricité, eau, gaz, tout à l'égout.

Loyer : 3.000 fr.

 

Voilà qui était raisonnable et qui méritait qu'on s'y arrêtât.

Je crus un instant que nous touchions au terme de nos peines.

 

 — Connais-tu le vénéré patron des candidats locataires ? me dit mon ami.

— Eh bien ! C'est Ulysse !

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage...

 

Encore a-t-il trouvé sur sa route des nymphes, des naïades et de grands seigneurs qui lui offraient, à tous propos et hors de propos, des festins royaux.

Moi, je n'ose pas espérer ces bonnes fortunes et, je doute même que nous puissions jamais arriver au bout de notre... Odyssée.

 

En avons-nous vu des chambres meublées, de Saint-Marc à Saint-Pierre-Quilbignon !

Hors Brest, une petite chambre et une toute petite cuisine se louent 200 à 300 fr. par mois, soit de 3.000 à 3.600 fr. par an.

Il faut être riche pour vivre dans ces conditions et, comme dit l'autre, « être habitué au luxe et à la dépense ».

 

Ce qui est rare, rare comme la viande de bœuf, c'est le petit appartement d'un loyer de 1.500 à 1.800 fr. par an.

Et pourtant, avant la guerre...

 

Ne laissez pas venir chez moi les petits enfants

 

Voici encore une plaisante histoire strictement véridique quant au fond.

Elle n'est d'ailleurs pas vieille :

 

Un père de famille était candidat locataire.

Il trouve ce qui lui convient, visite en hâte et, sans reprendre haleine, court chez M. X..., le propriétaire.

 

— Monsieur, dit celui-ci, je sais que vous occupez une belle situation et vous me voyez très heureux de vous accorder satisfaction, mais... permettez une dernière question :

Avez-vous des enfants?

 

Le candidat-locataire (ravi) — Certes, ce scrupule vous fait honneur...

J’ai cinq enfants.

 

M. X... — En ce cas, monsieur, brisons là et cessons de perdre en vains propos un temps qui nous est précieux.

Je veux avoir la paix chez moi.

Meunier est maître en son moulin.

Je ne vous louerai pas la plus petite chambre.

Cinq enfants ! Grand dieu ! Mais ce serait la mort de ma vie !

 

Mortifié, navré, désespéré, Candidat-locataire s'en fut.

Chemin faisant, il rencontra un camarade.

 

— Je viens, lui confia ce dernier, de visiter un appartement, mais pas de chance, ça n'a pas « collé »...

— Qu'à cela ne tienne, répliqua Candidat-locataire, donne-moi cette adresse, peut-être aurai-je plus de succès que toi.

 

— Avec tes cinq enfants !

Mais tu plaisantes.

Écoute plutôt.

Celle-là, je te la donne en mille...

Je sors à l'instant de chez M. Z....

Il m'a tenu le langage suivant :

« Monsieur, vous m'assurez que vous n'avez pas d'enfants, je veux bien vous croire, puisque vous êtes tout jeune marié.

Mais... précisément en raison de cette situation, vous êtes susceptible de devenir père de famille à bref délai !

Moi, monsieur, on ne me la fait pas.

Et vous comprenez, une fois le loup dans la bergerie...

Ah non, pas si bête !

Des personnes qui veulent cet appartement ?

Mais j'en connaîtrai cinquante demain.

Je choisirai un locataire qui me fournira, sur le point particulier qui nous occupe, toutes les garanties nécessaires.

Monsieur, j'ai bien l'honneur... »

 

« Voilà ce que l’on m'a dit.

Alors, persistes-tu dans ton erreur ? »

 

— Non certes, mais c'est à hurler, des choses pareilles !

Moi je ne trouve rien parce que j'ai des enfants.

Toi tu ne trouves rien parce que tu es susceptible d’en avoir !

Il y aurait bien un remède à cela, mais on hésite à s’y soumettre parce que, vraiment, …

Il serait trop énergique…

Vois-tu, même dans les cas désespérés, il faut réfléchir sérieusement avant de faire l’irréparable.

— C’est une mâle décision !

 

Une fois ! Deux fois ! Trois fois ! … Adjugé !

 

Ceci se passait à Recouvrance, tout  dernièrement.

Un petit appartement à louer pouvait satisfaire bien des gens, aussi, les candidats étaient-ils très nombreux.

 

— De combien est le loyer ?

 

— Impossible de vous répondre pour l’instant.

J'ai en main de nombreuses propositions, je vais donc les examiner et pourrai vous fixer d'ici peu.

 

En somme, sous une autre forme, il s’agissait, si nous avons bien compris, d’une procédure assez comparable à celle pratiquée dans une salle de ventes aux enchères.

 

Mon ami tira la morale de tout cela.

 

— Il s'agit là, dit-il, de cas particuliers.

Gardons-nous de généraliser, car alors notre jugement serait faussé.

Des propriétaires consciencieux, scrupuleux, observant la loi ?

Il en existe beaucoup.

Tout le monde est d'accord là-dessus.

 

« Ceux-là sont les premiers à dire :

Ce sont les mauvais propriétaires qui donnent naissance à des légendes dont tout le monde pâtit.

C'est encore vrai.

 

« Que certains propriétaires ne gagnent que peu d'argent avec leurs immeubles, c’est aussi très vrai.

 

« Que parfois certains locataires « raillent un peu fort », d’accord

 

« Les cas particuliers, ce sont comme des images d'album.

Une carte postale figurant une rue ne représente pas toute une ville, et cependant, pour avoir les vues de toute la cité, il faut bien posséder la carte en question ...

 

Mon ami, ce jour-là, me parut parler avec beaucoup de mesure et beaucoup de bon sens.

 

(À suivre).

 

P.-M. LANNOU.

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