1937
Une visite aux services de l'habillement
de l'Intendance maritime
- article 2 sur 4 -
Source : La Dépêche de Brest 15 avril 1937
Dans un précédent article, nous avons dit avec quelle minutie il était procédé, aux services de l'Habillement de l'Intendance maritime, à la vérification de la qualité et de la quantité des étoffes livrées par l'industrie pour la confection annuelle des 500.000 vêtements nécessaires pour habiller les quelque 15.000 marins et quartiers-maîtres en service à Brest.
Nous allons voir aujourd'hui comment, grâce à des machines modernes, on parvient à confectionner en série cette énorme quantité d'uniformes.
La plieuse
Le maître-tailleur a reçu du chef de service une importante commande.
Du magasin, les tissus et fournitures nécessaires à la confection des vêtements ont été descendus et rangés dans des rayons, près de la « plieuse ».
Cette plieuse est une machine montée sur des rails placés sur une table d'une longueur de dix mètres.
Elle est poussée à la main par une ouvrière.
L'extrémité du tissu est attachée par des griffes à un élément fixé à l'une des extrémités de la table.
L'ouvrière fait d'incessants parcours aller et retour en poussant la partie mobile de sa machine qui, à chacun des voyages, étend, par lés de dix mètres sur la table, des couches successives du tissu, automatiquement plié de façon à constituer un « matelas » de cinquante épaisseurs s'il s'agit de toiles blanche ou bleue, de trente pour le drap ou le molleton.
— Elle en fait des kilomètres, nous dit un vieil ouvrier en parlant de l'ouvrière actionnant la plieuse.
Dix mètres pour aller, dix mètres pour revenir, calculez le nombre de kilomètres parcourus dans une journée.
Excellent entraînement pour la course à pied !...
L'ouvrière poursuit inlassablement sa monotone promenade, la pièce de toile blanche diminue à vue d'œil.
Le matelas de cinquante épaisseurs est terminé.
La coupe
Sous la surveillance du maître-tailleur, des patrons en épais carton bleuâtre sont décrochés des murs où ils sont suspendus.
Ces patrons sont posés sur le lé supérieur de l'étoffe, dans l'ordre établi par un tracé de coupe étudié pour éviter la moindre perte de tissu, l'économiser à un centimètre près.
C'est un véritable puzzle à reconstituer.
Il faut que chaque patron trouve exactement sa place, car les moindres interstices sont utilisés pour la coupe des cols, de ceintures, de pattes de pantalons, etc..
L'étoffe disparait bientôt presque entièrement sous la couche des cartons ne laissant entre eux que les minuscules intervalles suffisants pour tracer à la craie sur l'étoffe les contours des patrons, qui peuvent alors être retirés.
Le matelas d'étoffe est porté sur une autre table pour permettre à la plieuse de se remettre en mouvement
et la « Tip-Top », petite machine mue électriquement, est promenée par un ouvrier sur les traces à la craie du tissu qu'elle entame, sans effort apparent et tranche d'une section nette et franche comme celle du massicot rognant du papier.
La « Tip-Top » ne coupe que les grandes pièces.
Les petites doivent passer sous la scie à ruban d'une machine, type Hercule.
La petite « Tip-Top » circule dans le tissu pour couper les grandes pièces, ce sont, au contraire, les petites pièces qui passent sous la scie d'Hercule pour être tranchées.
Cinquante pantalons ou vestes de toile ;
trente pantalons, cabans ou vareuses de drap, se trouvent ainsi coupées à la fois et en quelques instants.
Les ancres
Une ingénieuse machine permet de découper les ancres en drap écarlate à l'emporte-pièce.
En une seconde, une bande de drap est transformée en une vingtaine de ces ornements entrecroisés qui vont servir à orner les manches des vareuses ou les cols des cabans.
Le découpage s'est fait sans la moindre perte de tissu.
La coupe du vêtement est terminée.
Il n'y a plus qu'à assembler en un rouleau ficelé tous les morceaux constituant un pantalon, une vareuse ou un caban, à y joindre les fournitures, réunir les paquets par deux unités semblables et les porter à la salle de distribution du travail aux ouvrières â domicile.
LES OUVRIÈRES A DOMICILE
L'assemblage des vêtements, exécuté à domicile, est confié à des personnes dignes d'intérêt, pour lesquelles il constitue un appoint destiné à leur venir en aide, sans absorber toute leur activité.
Leur nombre varie de six à sept cents.
Ce travail est réservé, par priorité, après essai professionnel, aux veuves de guerre non remariées, aux orphelines de guerre non mariées, aux mères veuves ayant eu un fils mort pour la France et enfin, aux femmes de quartiers-maîtres et marins.
Afin de limiter au minimum le temps perdu par les ouvrières pour venir chercher ou livrer le travail qui leur est confié, sa livraison et sa distribution et aussi son paiement ont lieu en même temps, une fois par semaine :
Le mardi pour les unes ; le vendredi, pour les autres.
La réception du travail
Des bancs sont alignés dans une vaste salle.
Les ouvrières y attendent leur tour pour livrer la paire de pantalons ou de vareuses qui leur a été confiée qu'elle rapporte enveloppée dans une « toilette » noire.
Elles présentent au maître-tailleur ou à ses représentants leur travail qui subit un examen méticuleux.
Les coutures sont vérifiées et si l'ouvrière n'y a pas apporté tout le soin exigé, d'un impitoyable coup de canif, le maître-tailleur découd, défait entièrement les parties défectueuses et il faudra recommencer le travail jusqu'à ce qu'il soit jugé satisfaisant.
Cela donne lieu parfois à des scènes... généralement muettes, car on sait le maître-tailleur juste et impartial.
Personne ne se permettrait, d'ailleurs, de réclamer, la mesure prise n'étant jamais injustifiée ;
mais, une fois dehors, on peut librement exhaler son amertume :
— Il va falloir trois heures pour recoudre ce pantalon, protestait une brave femme.
Je n'avais pu l'achever que ce matin, un peu trop à la va-vite, peut-être, mais, avec mes cinq gosses, ce n'est pas toujours facile d'être prête à l'heure.
— Tu vois, c'est pas la peine d'essayer de monter le coup à M. Olivret, rétorquait sa compagne.
Il n'aime pas refuser le travail.
Mais s'il le juge mal fait, rien à faire pour le faire passer.
Il a l'œil.
Dès que leurs vêtements sont livrés et acceptés, les ouvrières passent à la caisse pour se faire payer, puis, toujours dans la même salle, devant un long comptoir où sont préparés les vêtements à assembler, le travail à livrer la semaine suivants leur est distribué ainsi que les menues fournitures : fils, aiguilles, etc..., dont elles ont besoin.
Boutons et boutonnières
Les confectionneuses n'ont plus à coudre de boutons ni à faire de boutonnières, leur travail consiste uniquement à assembler et coudre les différentes pièces du vêtement qui passe alors dans un atelier spécial, équipé de quatre machines perfectionnées à faire les boutonnières et quatre à coudre les boutons.
Ce mécanisme moderne permet d'obtenir, avec une surprenante rapidité, un résultat parfait.
Le vêtement est placé sous la machine, actionnée électriquement.
La boutonnière est fendue, contournée en même temps que bordée et l'aiguille s'arrête à son point de départ, après avoir, en quelques secondes, terminé son travail.
Les boutons sont cousus par 16 fils en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire et le vêtement est terminé.
L'atelier de pliage
Après un nouvel examen du maître-tailleur, les vêtements passent par une trappe, à l'étage inférieur, dans l’atelier de pliage.
En pénétrant dans cet atelier, une forte odeur de poivre vous saisit à la gorge.
Elle ne semble pas incommoder les hommes qui, assis autour de tables, sont chargés de plier règlementairement à la dimension du « sac de marin », contenant tout son fourniment, ses différentes tenues.
D'autres ouvriers réunissent par paquets de dix, les diverses catégories vêtements.
Ces paquets sont montés dans les magasins où ils vont garnir les rayons en attendant d'être délivrés aux bâtiments ou de constituer les importants stocks qui seraient nécessaires pour habiller des milliers de réservistes en cas de mobilisation.
(À suivre)